Chapitre 23 - De douces paroles
Comme chaque fois, le monde s'est effacé, ou plutôt, il s'est coloré. J'ai vu du rouge, du rose et du violet sans plus savoir si mes paupières étaient ouvertes ou fermées, j'ai entendu des images et admiré des sons, j'ai caressé des saveurs et observé des parfums. Tout était beau, tout était parfait, tout était... irréel.
Rien dans le contact que nous partagions avec Neven était humain. Il se dégageait de notre baiser une énergie surnaturelle si puissante qu'il nous était impossible de nous y soustraire. Et pour rien au monde nous aurions rompu ce lien envoûtant.
Sans attendre, le garçon a poussé un soupir de plaisir et m'a attrapée par la nuque pour incliner mon visage vers le sien et faufiler sa langue dans ma bouche. Mon ventre a frissonné de désir et sans réfléchir, j'ai noué mes doigts à ses épaules, arrimé mes ongles à son haut en coton qui s'est froissé dans mes poings. Neven a gémi, ou bien c'était moi, je ne savais pas très bien.
J'avais l'impression que ma peau était en feu, mon sang s'était mué en lave et glissait dans mes veines, y répandant une traînée d'envie. Mon ventre était serré par une tension nouvelle et je me sentais devenir hyper sensible à chaque endroit où Neven et moi nous touchions.
Alors que je le tirais toujours plus vers moi, il a passé un bras dans mon dos et, d'une impulsion de son genou, il nous a allongés confortablement dans le canapé. Derrière nous, les cris d'un des personnages résonnaient mais je ne les entendais plus vraiment. J'étais bien trop loin du film en ce moment.
Soudain, Neven s'est détaché de moi, j'ai exprimé un petit cri de stupeur, craignant qu'il s'éloigne mais lorsque j'ai levé les yeux, je me suis immobilisée : ses iris brillaient dans le noir, capturant chaque centimètre de mon corps, dévorant chaque morceau de mon âme, mémorisant tout ce qui m'appartenait, tout ce que je l'autorisais à caresser maintenant.
L'espace de cet instant, j'oubliais strictement tout : il n'y avait plus de danger, plus d'éveil, plus de Lily et de rumeurs, plus de moi ou de lui, il n'y avait que cette passion dévorante qui me hurlait d'aller plus loin, d'en demander plus, de réclamer plus.
Et Neven était dans le même état. Comment le savais-je ? Parce que subitement, un soupir s'est échappé de ses lèvres et avant que j'aie eu le temps de dire quoi que ce soit, il s'est jeté sur mon cou, le mordillant entre ses dents et faisant remonter des sensations exquises qui m'ont entraînée à crisper les orteils.
Mes mains se sont détachées de ses épaules et perdues dans ses cheveux tandis qu'il continuait de parcourir la peau que je voulais bien révéler. Mon souffle était incertain, mon cœur battant et mon épiderme couverte de chair de poule. Je ne m'étais jamais autant... oubliée. Il n'y avait pas d'Alya dans cette pièce, tout du moins, pas d'image que je me faisais d'Alya.
Je n'étais plus qu'un amas d'émotions et de sensations, laissant de côté la fille que je voulais être, laissant de côté mes craintes d'être décoiffée, couverte de sueur et marquée par le désir. Non, tout ça, Neven l'effaçait d'un frôlement, d'un regard.
Ses mains se sont nouées autour de ma taille et il a remonté la tête pour capturer à nouveau mes lèvres. Éperdue de plaisir, j'ai croisé mes chevilles derrière ses cuisses et nous ai tellement rapprochés que je me suis sentie défaillir.
Neven a poussé un grognement sauvage qui a vibré dans tout mon corps. Et moi, j'ai répondu, j'ai gémi, je me suis cambrée sous son baiser, me suis appuyée contre lui, réduisant le peu d'espace qui nous séparait encore.
Et c'est comme ça que nous avons passé de longues minutes, jouant avec le feu sans jamais nous brûler : à aucun moment nous n'avons touché à nos vêtements, à aucun moment nous avons approfondi nos caresses, nous nous sommes contentés de nous embrasser, de nous effleurer, de nous découvrir mutuellement.
Bien que nous soyons connectés par ce lien étrange, nous ne nous connaissions pas et c'était comme si une part de nous s'en rappelait. Nos corps se rencontraient, répondaient l'un à l'autre restant cependant timides. Et après ce qui m'a paru à la fois une éternité et un dixième de seconde, nous nous sommes écartés, le souffle court.
Étrangement, j'aurais cru qu'au moment où nos bouches se quitteraient, ma passion insoutenable me comprimerait la poitrine, comme chaque fois que je coupais le contact avec ce garçon, mais ça n'a pas été le cas. Étonnée, j'ai levé les yeux vers lui, une expression ahurie plaquée sur mon visage et un sourire a traversé le sien :
— C'est comme je te l'avais dit : si on ne lutte pas contre notre connexion, alors elle se calme. Lui résister ne fait que nous en rendre plus esclave encore.
J'ai cligné plusieurs fois des paupières. Il avait raison sur tout la ligne. Je me sentais mieux, beaucoup mieux. Aussi, mes lèvres se sont étirées à leur tour et j'ai murmuré :
— Merci...
— Merci à toi.
Un hurlement strident a retenti dans le poste de télé et nous avons tous les deux sursauté, découvrant l'horrible visage du démon qui se profilait à l'écran.
— Apparemment, on a loupé pas mal de trucs, s'est moqué Neven d'une voix éraillée.
J'ai rougi.
— Ouais, apparemment.
Ma remarque l'a fait sourire et, comme je m'étais recluse dans un coin du sofa quand le cri avait résonné, il a tendu la main dans ma direction. J'ai louché dessus, ne comprenant pas ce qu'il voulait.
— Viens te blottir contre moi, qu'on finisse ce film en douceur.
J'ai haussé un sourcil. C'était trop bizarre : quelques secondes auparavant, nous nous étions embrassés et pourtant, j'avais eu l'impression que c'était plus un besoin primal qu'un acte de tendresse. Nous restions de parfaits inconnus l'un pour l'autre. Simplement, la soif qui nous tiraillait nous obligeait parfois à nous jeter dessus.
Néanmoins, pour moi, cela ne signifiait pas qu'une fois la connexion rompue, nous puissions nous câliner pour le plaisir et non plus à cause du désir surnaturel qui nous tenaillait les tripes. Voyant mon hésitation, Neven a pincé les lèvres.
— Quoi, il y a un problème ?
J'aurais pu dire que non, après tout, ce n'était pas si important. Mais j'avais besoin de savoir ce que nous faisions : je n'avais pas eu beaucoup de relations auparavant mais j'étais sûre d'une chose : je ne voulais pas éprouver des sentiments s'il n'en éprouvait pas en retour. Et me rapprocher de lui physiquement, en dehors des moments où la magie m'envoûtait, c'était courir le risque.
Aussi, prenant mon courage à deux mains, j'ai déclaré :
— Comment ça va se passer entre nous, maintenant ?
Neven s'est redressé.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Je me suis mise à me mordre la lèvre de façon incontrôlable.
— Je veux dire, OK., on est des Adelphes et tout, mais... Qu'est-ce que ça signifie pour toi ?
Neven s'est passé une main dans les cheveux, une expression désorientée barrant ses traits délicats.
— Je ne sais pas, ça veut dire qu'on ressent des choses l'un pour l'autre qui sont intenses et qu'on ne doit pas y résister, ça veut dire qu'on est dépendants l'un de l'autre... Tu comprends ?
J'en avais bien peur. Ses mots n'étaient pas spécialement gentils ou méchants, ils ne faisaient qu'exposer des faits : Neven et moi nous désirions pour des raisons surnaturelles et non pas parce que nous partagions des sentiments. Nous ne contrôlions pas notre attirance, certes, mais cela ne voulait pas dire que nous nous aimions ou que nous pourrions nous aimer un jour.
Et c'était ce qui me poussait à refuser sa proposition précédente : si ce qui nous liait n'était rien d'autre que physique, alors mieux valait établir dès le début des distances. Du haut de mes dix-sept ans, je m'étais déjà fait embobiner par un garçon et ça s'était passé plus ou moins de la même manière : il m'avait dit qu'il voulait m'embrasser, puis je m'étais attachée à lui et ça n'avait pas été son cas.
Je n'allais pas jusqu'à dire que c'était la pire chose qui m'était arrivée dans la vie, loin de là, mais je me souvenais clairement combien ça m'avait fait mal de comprendre que mon amour était à sens unique. Aussi, si je pouvais éviter de me retrouver à nouveau dans ce rôle pourri, c'était tant mieux.
Soufflant un grand coup, je me suis donc lancée :
— Je comprends. Mais dans ce cas, si tu veux bien, j'aimerais qu'on se contente de... de faire notre petite affaire puis d'agir comme des amis. Ce sera plus simple, je pense.
Neven a ouvert grand la bouche, ses sourcils sont montés si haut sur son visage que ses cheveux les ont avalés et il est devenu encore plus pâle qu'il ne l'était. Une seconde est passée, puis deux, puis trois, puis vingt-mille.
Enfin, il s'est remis en mouvement et, d'un mouvement rapide et fluide, il s'est rapproché de moi, posant une main sur la mienne. Ce qui m'a le plus surprise, ç'a été de constater qu'en effet, la faim qui m'avait rongé les entrailles pendant ces dernières semaines n'était plus qu'une petite envie que je pouvais contrôler. J'étais repue.
— Écoute Alya, à partir d'aujourd'hui et pour le reste de notre vie, on va sûrement passer beaucoup de temps ensemble. Et si tu veux tout savoir, je ne veux pas être ton ami. Les Adelphes ne sont pas amis. Je veux beaucoup plus. Je veux apprendre à te connaître, découvrir quelle tête tu fais quand tu te réveilles le matin, quel aliment tu refuses de manger, quelles chansons tu chantes sous la douche, quelle blague fait sécher tes larmes, quelle caresse enflamme ton corps... Je veux tout savoir de toi. Et je veux que tu saches tout de moi. Alors non, ne me demande pas d'être ton plan cul. Parce que je ne pourrai pas le supporter.
Je suis restée sans voix. Si je m'étais attendue à ça. Ma main brûlait sous la sienne et mon cœur battait à tout rompre. Qui l'eût cru ? J'étais en face d'un des plus beaux garçons de l'école, un garçon que je connaissais à peine et voilà qu'il m'avouait vouloir me connaître, vouloir plus que ce que je n'avais jamais donné à qui que ce soit auparavant.
Je ne savais pas quoi en penser. Aussi, j'ai demandé d'une petite voix :
— Ça veut dire... ça veut dire que tu veux qu'on sorte ensemble ? Genre, qu'on soit un couple ?
Ça avait l'air bête, dit comme ça, mais je devais m'en assurer. Le sourire de Neven s'est élargi.
— Oui, c'est exactement ce que je veux. Et toi ?
— Moi ? Je... je...
L'idée qu'un garçon puisse être aussi intéressé par ma petite personne était séduisante, mais c'était trop beau pour être vrai. Ça ne pourrait pas durer : tôt ou tard, Neven se rendrait compte que je n'étais pas passionnante ou alors ce serait moi qui me lasserais de lui et nous souffririons. Je n'aimais pas cette idée, surtout pas en sachant que nous devrions tout de même coucher ensemble régulièrement avec ce foutu lien magique.
Non, se jeter dans les bras l'un de l'autre n'était clairement pas une bonne idée. Inspirant profondément, j'ai répondu :
— Non. On ne se connaît pas, on ne sait pas si on va bien s'entendre sur le long terme. Je ne veux pas être en couple avec toi.
J'aurais pensé que Neven se vexerait en m'entendant dire ça, mais il ne semblait pas le moins du monde étonné par ma réponse. D'un geste félin, il s'est encore approché, son souffle éparpillant les petits cheveux sur mon front.
— De quoi as-tu peur, Alya ? Comme je te l'ai dit, nous deux, c'est un lien indestructible. Je ne t'abandonnerai pas, quoi qu'il arrive.
Ses mots me réchauffaient autant qu'ils me glaçaient : nous deux, c'était pour la vie selon lui... Ne se rendait-il pas compte de la portée de ses déclarations ? C'était peut-être rassurant de savoir qu'on ne côtoierait plus jamais la solitude, mais d'un autre côté, cela signifiait aussi que nous étions collés l'un à l'autre, pour le meilleur et pour le pire. Sachant que nous ne savions pas en face de qui nous nous trouvions, il y avait beaucoup de risques pour que ça finisse avec le second cas de figure.
On les connaissait tous, ces couples formés trop tôt et un peu par défaut : ils finissaient toujours par exploser un jour ou l'autre. Je n'avais pas vraiment envie que ça m'arrive.
— Neven, on ne sait pas si on s'entendra bien, pendant tout ce temps passé ensemble. Imagine qu'en se rapprochant, on finisse par se détester ? Tu ne penses pas que ce serait plus prudent de garder ses distances ?
Le garçon a vigoureusement secoué la tête.
— Non. Alya, cette connexion qui nous lie n'est pas aléatoire, c'est notre destinée d'être ensemble. On n'est pas dans un mariage surnaturel arrangé. C'est juste que notre magie est d'une compatibilité si forte que l'on sait à l'avance que notre histoire sera merveilleuse.
Doucement, ses paroles se sont frayées un chemin dans mon esprit. L'espoir s'est soudain réveillé, faisant s'évaporer les doutes qui m'emplissaient toute entière. Et si c'était vrai ? Si notre lien était là pour nous montrer la voie, pour nous assurer un avenir heureux ? Dans ce cas, je n'avais pas à craindre la suite, je pouvais me laisser aller...
Je me suis frottée les paupières, agacée par toutes les questions, toutes les émotions qui me submergeaient : je ne m'étais jamais retrouvée dans une telle situation, je ne savais pas ce qu'étaient des Adelphes, je n'en avais jamais vus et je ne pouvais donc malheureusement pas prendre exemple sur eux.
J'étais partagée entre l'envie de le croire et de le suivre aveuglément dans cette aventure et la peur de ne pas me montrer assez prudente et de le regretter ensuite. Après de longues minutes à réfléchir, j'ai fini par prendre une décision, celle qui me semblait la plus juste :
— Bon, je ne suis pas d'accord pour qu'on forme un couple...
— Hein, mais pourquoi ? Tu..
— ... maintenant. Laisse-moi finir ! (J'ai fait les gros yeux à Neven qui a serré les lèvres en guise d'excuse) Je ne veux pas qu'on se mette en couple maintenant, juste parce que notre lien magique se manifeste. Je veux qu'on apprenne à se connaître, comme des personnes normales. Je veux qu'on tombe amoureux et qu'alors, on décide d'être ensemble. Tu comprends ?
Neven baissé la tête. Il a semblé peser le pour et le contre, cogiter longuement sur la proposition que je venais de lui faire puis, finalement, il a levé le nez dans ma direction.
— Si j'ai tout suivi, tu veux qu'on passe du temps ensemble, qu'on flirte et qu'on devienne un couple à la manière des humains ?
J'ai souri face à sa façon d'exposer les faits comme s'ils étaient étranges et compliqués.
— C'est ça, oui. Ça te va ?
Il a plissé les yeux quelques secondes m'examinant sous toutes mes coutures puis a répondu :
— Très bien, on a un deal.
Il a tendu la main et je l'ai serrée, scellant notre accord.
— Maintenant qu'on s'est arrangés sur ce point, finissons ce film.
Avant que j'aie pu protester, il s'est adossé dans un coin du canapé et m'a tirée avec lui, ayant capturé mes doigts au moment où nous passions notre marché. Emportée par le mouvement et surprise par son geste, mes épaules se sont lovées d'elles-mêmes contre son torse musculeux et il a posé son menton sur mes cheveux de jais.
— Mais... qu'est-ce que...
— Tu m'as dit de flirter, c'est ce que je fais.
J'ai levé les yeux au ciel, fait mine de me lever mais il a brusquement serré ses bras autour de ma taille et m'a murmuré à l'oreille.
— Allez, s'il te plaît, c'est tellement bon de te tenir contre moi...
La douceur de sa voix a fait fondre mes réticences comme neige au soleil et finalement, je me suis détendue contre lui, laissant ma joue rouler sur sa poitrine.
— Merci, a-t-il soufflé.
Je n'ai rien dit, parce qu'après tout, blottie comme je l'étais dans ses bras, je me rendais compte que c'était moi qui aurais dû le remercier. Je me sentais au chaud et précieuse. C'était la première fois que ça m'arrivait. Soupirant d'aise, j'ai hoché la tête et le film a continué de tourner.
Lentement, mes paupières ont commencé à se faire lourdes. J'ai résisté autant que j'aie pu, mais j'ai fini par sombrer, enfouie dans la tendre étreinte du mystérieux Neven. La suite s'est passée dans un brouillard grisant : mon corps s'est soulevé de terre, et j'ai avancé sans marcher, Neven me portant jusqu'à ma chambre.
Le matelas moelleux a plié sous mon poids et la couette s'est rabattue sur mon buste, me protégeant de l'air froid tout autour.
— Passe une bonne nuit ma douce, on se retrouve très vite.
Une caresse a fait naître une nuée d'étoile sur mon front puis plus rien. Il était parti. Pourtant, sa présence résonnait sur ma peau, comme un écho qui demeurait dans mon corps, prouvant qu'il s'était bel et bien trouvé ici, avec moi. Enivrée par cette idée, je me suis laissée envahir par un profond sommeil, le sourire aux lèvres et des paillettes scintillant dans mon ventre.
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