Chapitre 20 - Une histoire de révélations

— T'es d'un romantique, sérieux.

J'ai fait la grimace. Je ne m'attendais très certainement pas à cette déclaration et, sincèrement, s'il avait fait tout ça pour me dire qu'il s'intéressait à moi, j'aurais préféré qu'il le fasse avec un peu plus de classe.

— Je ne cherche pas à être romantique, c'est juste la vérité.

J'ai louché dans sa direction, un air railleur étirant mes lèvres mais quand j'ai croisé son regard, je me suis calmée. Il me scrutait avec une telle intensité que j'avais l'impression qu'il lisait à l'intérieur de ma tête et ça m'a mis très mal à l'aise.

Pour reprendre contenance, j'ai attrapé mon verre d'eau et avalé une longue gorgée. Neven m'a dévisagée, semblant enregistrer chaque information que j'étais susceptible de laisser filtrer dans mon comportement actuel.

Enfin, j'ai reposé le verre devant mon assiette et décidé de répondre d'une voix posée :

— Sache que je n'aime pas spécialement apprendre que je ne suis qu'un morceau de viande pour toi que tu attends de jeter dans ton lit, Arsher. Petit conseil : apprends à enrober la vérité pour qu'elle soit moins crue.

Neven a froncé les sourcils et s'est penché dans ma direction.

— Pourquoi tu fais ça ?

— Faire quoi ?

Là, je ne voyais pas où il voulait en venir. Plus la discussion avançait et plus je me sentais perdue... Hélas, elle n'avait pas l'air d'être terminée, nos assiettes étaient encore remplies et l'heure passait avec une lenteur désespérante.

— Pourquoi tu fais comme si tu ne savais pas ?

De mieux en mieux. J'ai haussé un sourcil, l'air agacé.

— Peut-être parce que je ne comprends pas ce que tu veux dire ? Qu'est-ce que je suis censée savoir ? Que tu n'as pas couché avec ces filles ? Je suis désolée mais c'est difficile à deviner...

Neven a contracté la mâchoire.

— Non, pas ça. Je te parle de nous.

— Il n'y a pas de « nous », Arsher.

— Désolé de te l'apprendre, mais si.

Il s'était exprimé avec une telle assurance que l'agacement s'est abattu sur mes épaules avec une force herculéenne. Non mais il se prenait pour qui ? C'était dommage, j'avais passé une bonne soirée à mitonner ce délicieux repas, mais il était vraiment en train de tout gâcher. Le peu de respect que j'avais pour lui semblait décidé à se faire la malle.

— Non, à part l'exposé, il n'y a strictement rien qui nous relie l'un à l'autre, ai-je finalement rétorqué en articulant chaque syllabe.

— Oh, vraiment ? Et ça c'est quoi, alors ?

Sans que j'aie eu le temps de réagir, sa main a volé entre nous et saisi la mienne. Elle a été si rapide que je ne l'ai pas vue faire, n'ai pas pu éviter l'inévitable et soudain, le feu d'artifice caractéristique de sensations a explosé dans mes veines.

Une chaleur torride m'a emplie jusqu'aux tréfonds de mon âme et mon souffle s'est coincé de ma gorge tandis que l'excitation s'insinuait dans mes veines. Des picotements agréables ont glissé sur mon épiderme, comme un million de petites étoiles et le désir m'a assaillie, sans que je puisse me soustraire à son intensité.

J'ai resserré mes doigts autour des siens, plantant mon regard dans ses iris argentés et je me suis mordillé la lèvre. Au loin, j'entendais ma conscience me hurler de me détacher de lui, mais sa voix était troublée par notre lien assourdissant. La cuisine s'est effacée de mon champ de vision, l'odeur des pâtes s'est évaporée et seuls le bruit de nos respirations et la douceur enivrante de notre contact m'ont guidée.

Il fallait que j'aille plus loin. A nouveau. Je ne pouvais pas m'en empêcher, ne pouvait pas résister à ce feu dévastateur qui prenait forme au creux de ma poitrine. Comme si j'étais envoûtée par un sortilège, possédée par une ardeur qui n'était pas la mienne. Comme si mes pensées, mon être tout entier laissait place à une part de moi, sauvage, que je ne connaissais pas et que je redoutais en temps normal.

Sans pouvoir le contrôler, j'ai levé ma deuxième main vers la mâchoire carrée de Neven, me levant à moitié pour me pencher sur la table et ainsi, avoir la chance de le toucher plus amplement. Par instinct, le garçon s'est incliné dans ma direction, me dévorant des yeux. Ses traits étaient tirés par la passion, ses lèvres appelant aux baisers que je rêvais de lui donner.

Quand je suis arrivée à sa hauteur, nos respirations se sont mélangées, elles ont tournoyé entre nos deux visages, caressant nos joues, chatouillant nos narines, suppliant le nœud langoureux que nos langues voulaient créer. Alors j'ai encore avancé d'un centimètre. Nos nez se sont touchés, des étincelles ont éclaté derrière mes paupières et j'ai fermé les yeux, prête à aller plus loin.

— Tu vois ?

Soudain, le contact s'est rompu. Brusquement, la frénésie qui m'avait envahie m'a abandonnée, comme aspirée par le siphon d'un évier et je me suis sentie vide. Un frisson m'a traversée, j'ai immédiatement serré mes bras autour de ma poitrine et, interdite, je me suis rassise sur ma chaise pour m'éloigner.

Ça m'était arrivé, encore. Je n'avais pas pu résister. Ce charme étrange. Ce soupçon de magie qui m'engloutissait dès que j'approchais d'un peu trop près Neven. J'ai cligné des yeux, comprenant qu'il avait fait exprès.

— Toi aussi, tu le sens... ai-je murmuré, plus pour moi que pour lui.

— Évidemment.

C'est vrai que c'était logique : après tout, il n'aurait pas manqué de faire un accident de voiture s'il n'avait pas été hypnotisé, comme moi, par notre lien mystérieux. La curiosité s'est frayée un chemin jusqu'à mon cœur et s'y est accrochée comme une sangsue. Nous y étions : le moment de vérité. J'avais plein de questions à lui poser et il était temps qu'il me réponde.

Prenant une profonde inspiration, je me suis lancée :

— Pourquoi tu ne sembles pas étonné par ce qui nous arrive ? Pourquoi tu n'as pas cherché à m'en parler avant, quand tu as compris qu'on était liés par un lien bizarre ? Et surtout... qu'est-ce qui nous arrive, bordel ?

Me retrouver sans cesse en pleine perte de possession de mes moyens m'horrifiait. En particulier quand on savait que c'était toujours pour tomber dans les bras du nouveau plus grand dragueur du lycée, dragueur du lycée qui, en prime, avait salie ma réputation au maximum en l'espace d'une soirée.

Neven m'a longuement observée, de son regard mi-clos, barré par un rideau de cils couleur ébène. Puis, après ce qui m'a paru une éternité, il a soupiré.

— Si je ne t'ai pas parlé jusqu'ici, c'est parce que je devais m'assurer que je ne me trompais pas.

J'ai haussé un sourcil.

— Te tromper sur quoi ?

— Sur ta nature.

Alors là... il m'aurait parlé en chinois que ça n'aurait pas été plus déchiffrable pour moi.

— Ma nature ?

Neven a contracté la mâchoire. Je l'ai vu glisser des regards autour de nous, comme s'il voulait s'assurer que nous n'étions pas espionnés – ce qui était complètement idiot étant donné que nous nous trouvions au milieu de nulle part et que notre voisin le plus proche habitait à au moins un kilomètre.

— Neven, tu peux répondre au lieu de te la jouer James Bond en mission, s'il te plaît ?

L'impatience me nouait l'estomac. Une drôle de sensation me collait à la peau, comme si je devais me souvenir d'un détail qui m'échappait, comme si j'avais un trou de mémoire concernant un sujet essentiel.

— Bon, OK., a soufflé le garçon, donne-moi ta main.

Il m'a tendue la sienne et j'ai louché dessus, méfiante.

— Euh, tu te souviens de ce qui se passe quand on se touche ou tu as besoin que je te le rappelle ?

Le visage de Neven s'est fendu d'un sourire.

— Je m'en souviens parfaitement bien, et j'adore ça. Mais t'inquiète, c'est pour autre chose.

— Autre chose ?

— Fais-moi confiance.

La réponse a traversé mes lèvres sans que j'aie le temps de la retenir :

— Non.

Les épaules du garçon se sont immédiatement tendues.

— Alya, cette fois, tu ne vas pas me regarder dans les yeux, tu vas m'écouter. Ce sera différent, je t'assure.

Je me suis mordillé la lèvre. J'avais du mal à le croire, mais en même temps, j'avais plein de questions qui n'attendaient qu'une chose : des réponses. Or, il semblait que ce que Neven voulait faire pourrait m'en procurer.

Prenant sur moi, j'ai serré les dents avant de tendre prudemment ma main dans sa direction. J'ai vu un léger sourire flotter sur ses lèvres mais je l'ai ignoré.

— Très bien, au moment où nos peaux entreront en contact, tu ne dois pas me regarder. A aucun moment. Contente-toi de te laisser guider par ma voix. D'accord ?

J'ai hoché la tête, même si je n'aimais pas ça. Alors, d'un coup, sans me laisser le temps de prendre une dernière goulée d'air, Neven m'a attrapée. J'ai senti la chaleur habituelle affluer dans mon bras mais, luttant contre mon instinct qui me criait de lever la tête pour regarder Neven, j'ai fermé les paupières.

— C'est bien, Alya Clarke... a chuchoté le garçon d'une voix doucereuse qui m'a chatouillé les oreilles.

Pendant quelques secondes, il n'a plus rien dit. Les battements de mon cœur, extatiques, ont résonné dans toute la pièce, seule mélodie dans le silence oppressant, puis enfin, il a repris.

— Maintenant, souviens-toi. Laisse les souvenirs remonter dans ta mémoire, ne résiste pas.

Pendant un instant, j'ai voulu me retourner, pour lui demander de quoi il voulait parler. J'avais la fâcheuse impression qu'il se moquait de moi. Puis brusquement, des images ont fait irruption dans mon esprit. Mon cœur s'est mis à battre la chamade, mes mains sont devenues moites et mon souffle s'est coupé.

— Mais qu'est-ce que...

— Ferme les yeux.

J'ai obtempéré, obéissant à la voix de velours de Neven. Alors, tous ces éclats du passé, désordonnés, disséminés dans ma tête, se sont rassemblés, se sont succédés dans un sens logique et tout m'est revenu avec une netteté telle que j'aurais pu l'avoir vécu quelques minutes plus tôt. Je suis restée sans voix.

J'avais utilisé des pouvoirs à la soirée de Cameron Lee ! J'avais détruit un gobelet ! Puis Neven m'avait parlé d'une sombre histoire de sorcières de la nuit, Cam nous avait rejoints et il m'avait ordonné d'oublier.

Il m'avait ordonné d'oublier, et j'avais oublié.

Cette constatation m'a réveillée d'un coup et je me suis détachée de Neven, comme s'il m'avait brûlée. Une seule question s'est mise à me brûler les lèvres en regardant ce parfait inconnu se pencher sur la table pour s'approcher de moi.

Une question angoissante que je n'aurais jamais cru lui poser et qui faisait s'hérisser chacun de mes poils sous le coup de la peur. Les mots ont filé dans ma gorge, se sont assemblés sur ma langue puis enfuis de ma bouche pour danser jusqu'à ses oreilles. Des mots simples, courts, mais pourtant tellement importants.

Des mots que j'aurais dû prononcer bien plus tôt, dont la réponse aurait une portée gigantesque pour la suite, surtout sachant que je me trouvais seule avec lui, au milieu de nulle part et que personne ne viendrait à ma rescousse avant une heure du matin.

— Qu'est-ce que tu es, Neven Arsher ?

Les yeux du garçon se sont mis à étinceler et j'ai su ce qu'il ne dirait pas : « je suis humain ». Parce que même s'il était un mystère pour moi, il y avait une chose que je savais à présent sur Neven, une certitude qui venait de se révéler à moi : il n'était certainement pas humain, et c'est ce qui me terrifiait le plus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top