Chapitre 2 - La grande séparation

Le matin de la rentrée a été aussi horrible que les années précédentes : mon père s'est transformé en une boule de nerfs, prête à exploser dès le moindre contre-temps. Ma mère nous a fait passer un interrogatoire en règles pour savoir si nous n'avions rien oublié et Nathan a continué de ronfler dans la chambre d'à côté, nous narguant involontairement.

Après le petit-déjeuner, Juliette et moi nous sommes partagée la salle de bain, empiétant chacune sur l'espace de l'autre. Ça a donné lieu à de nombreuses disputes, comme d'habitude et quand je suis sortie de la douche, elle était dans la chambre, occupant tout le miroir pour appliquer son eye-liner.

— Tu peux te pousser ? Je dois me brosser les cheveux.

Elle n'a même pas réagi, faisant mine de ne pas m'avoir entendue. Agacée mais fatiguée de devoir toujours lui crier dessus, j'ai préféré me montrer patiente. J'ai essoré une énième fois ma chevelure épaisse et me suis tournée vers mon armoire pour sélectionner ma tenue du jour.

Juliette avait choisi de porter une jolie robe au motif fleuri, profitant des derniers rayons de l'été. Moi, de nature plus frileuse, je me suis directement tournée vers les habits d'automne. Après tout, les températures chutaient assez vite au fin fond de la campagne anglaise. J'ai attrapé un jean noir, taille haute, un chemisier blanc fluide et, évidemment, mon accessoire fétiche : mes Docs Martens.

Je me suis habillée en vitesse tandis que Juliette répondait à son téléphone. Bon sang ! Si elle parlait avec ses amies, elle allait prendre encore plus longtemps et je finirais par me rendre au lycée avec un nid d'oiseau sur la tête...

— Allô Lily ?

Lily, encore mieux. Ce n'était pas n'importe quelle fille de ma classe : c'était ma grande ennemie. Notre relation de pure haine était si vieille que je ne me souvenais pas où elle avait commencé. Déjà en primaire, je me rappelais qu'elle avait déchiré mon joli dessin pendant la récréation. Je m'étais de suite vengée en lui renversant mon verre d'eau sur la tête à la cantine.

Au collège, nos affrontements avaient changé de nature. Mais nous en étions toujours au même point dans le fond : nous nous détestions et la moindre excuse était permise pour se sauter à la gorge. Cette situation agaçait beaucoup ma mère qui ne cessait de me demander quand je me déciderais à grandir. Je lui répondais chaque fois que ce serait quand Lily aurait un cerveau. Ce qui n'était pas demain la veille.

— Ouais, c'était cool que tu sois là hier (Juliette a coulé un regard dans ma direction), je peux pas vraiment parler de ça maintenant, Alya est avec moi.

Ah oui, parce que pour couronner le tout, Lily était une sorcière. Elle avait fait son éveil très tôt, en début de collège et depuis, elle réussissait toujours à avoir le dernier mot dans nos disputes en ramenant ce sujet sur la table.

J'ai levé les yeux au ciel et ai enfilé mon pantalon, faisant mine de ne pas comprendre.

— Je suis sûre qu'ils vont te mettre dans sa classe, vous avez choisi les mêmes cours.

Cette fois par contre, j'ai clairement laissé mon oreille traîner : apparemment, Lily voulait être avec quelqu'un aujourd'hui et, si ça pouvait me servir pour l'embêter plus tard, je n'allais pas laisser passer l'information.

Oui, j'étais immature, et alors ?

— Non mais tout le mois d'août vous étiez tellement proches, il a pas arrêté de t'envoyer des messages. Vous serez ensemble avant Halloween, c'est certain.

Tiens, tiens, en plus c'était un garçon ? De mieux en mieux. Je me suis baissée pour faire mes lacets, jouant les innocentes alors que j'étais pendue aux lèvres de ma cousine.

— Lily, écoutes. On s'en fout de toutes les autres filles. T'es la plus belle et on le sait. Et puis, c'est de toi qu'il est le plus proche, c'est évident. Donc... (ma cousine a fait une courte pause – laissant sûrement Lily placer un élément dont elle n'était pas au courant – avant de s'exclamer) hein ? Sérieux ? Alice Brown ? Non, mais quelle p*te ! Elle l'a embrassé quand ?

La lumière s'est immédiatement faite dans mon esprit. Je ne connaissais pas vraiment Alice Brown. La seule raison pour laquelle j'avais déjà entendu son nom, c'était parce que Kitty m'en avait parlé pendant les vacances, quand elle s'était rendue à la fête de Cameron Lee, alias le fêtard de l'école à la famille richissime qui invitait tout le lycée trois fois par an quand il avait sa maison pour lui tout seul.

Lors de cette soirée – où Kitty s'était rendue sans moi – Alice avait embrassé Neven Arsher, un des nouveaux élèves et surtout, tombeurs de l'école. Tout le monde le connaissait avant même que l'année ait commencé. Je ne l'avais jamais vu que sur les réseaux, mais il avait l'air de prendre les gens de haut et ça m'avait assez vite désintéressée de sa petite personne.

Un sourire mauvais a étiré mes lèvres. Alors c'était de lui que voulait se rapprocher Lily ? Sincèrement, elle était en train de me faciliter la vie. Neven Arsher avait le parfait profil de l'abruti fini et pour cause : se faire remarquer avant même d'entrer dans le lycée du coin, c'était fort. Aussi, si les rumeurs étaient vraies, il n'y avait presque aucune chance pour qu'il daigne lui accorder la moindre attention et dans le cas contraire, il allait seulement la faire entrer dans son harem.

Je ne comprenais même pas comment Lily pouvait espérer une histoire avec lui. On en revenait toujours à ma conversation avec ma mère : elle n'avait pas de cerveau. Et je n'allais donc pas grandir de si tôt.

Juliette a fini par quitter le miroir, après avoir terminé son trait d'eye-liner parfait et appliqué une petite couche d'highlighter sur son nez. Je me suis jetée à sa place et j'ai attrapé mon peigne, prête à en découdre avec les nœuds qui fleurissaient sur mon crâne.

Je n'ai pas eu droit à plus de cinq minutes pour réordonner ma coupe : ma mère a crié depuis la salle à manger pour nous ordonner de descendre. Nous allions être en retard. J'ai soupiré devant mon reflet, me renvoyant un visage aux traits fins, certes, mais dont les cernes étaient tellement profonds qu'on aurait pu croire que quelqu'un m'avait frappée.

Refusant d'en voir plus, j'ai abandonné la glace pour attraper mon sac et Juliette et moi sommes descendues en courant. Ma mère nous a tendu nos déjeuners avec un sourire, mon père s'est lamenté de notre lenteur et on les a salués avant de quitter la maison.

Le trajet jusqu'à l'école m'a fait du bien. Juliette n'était pas du genre à parler pendant cette petite balade et nous avions la chance d'habiter à côté du bois Silverwood. Certes, il était dense – ce qui repoussait la plupart des habitants de Ryneshire –, mais le petit sentier nous amenant à la ville était luxuriant en cette saison. C'était juste avant le début de l'automne, les arbres étaient verdoyants, les fleurs parfumées et la mousse moelleuse. Chaque inspiration était une purification de mes poumons.

Arrivées au lycée, j'ai foncé vers l'entrée où Kitty m'attendait. Elle portait un jean ample bleu et son sempiternel débardeur Nike. Quand elle m'a vue, ses lèvres se sont écartées pour laisser entrevoir un sourire éclatant. Elle a ouvert les bras et je lui ai sauté dessus en riant.

On a commencé à glousser pendant qu'elle me faisait tournoyer autour d'elle.

— Tu m'as manqué, petit corbeau !

J'ai ri de plus belles. C'était mon surnom depuis la maternelle. Pas besoin de vous expliquer pourquoi : en plus de mes yeux et mes cheveux couleurs d'ébène, je portais généralement du noir.

— Toi aussi !

Kitty était la seule raison qui me poussait à suivre les cours. J'avais toujours eu quelques problèmes de disciplines et de mauvaises notes aux contrôles. Sans elle, j'aurais fini par sécher puis par disparaître du système scolaire. Mais Catherine Parker était une élève studieuse, brillante et déterminée à me ramener dans le droit chemin.

Depuis le collège, elle m'avait obligée à venir chaque jour et m'avait aidée pour tous mes devoirs. Elle était persuadée qu'un génie sommeillait en moi. Hélas, moi, j'avais tendance à penser que ce génie était dans le coma et que j'allais bientôt devoir le débrancher...

— Bon allez, c'est pas tout ça mais ils ont déjà organisé le rassemblement dans la cour. Si on tarde trop, on va manquer l'appel.

J'ai hoché la tête et l'ai suivie, passant les portes de l'établissement pour me fondre dans la masse de lycéens. J'ai à peine eu le temps de faire deux pas que Lily m'a dépassée, manquant de me faire tomber. Heureusement, Kitty l'avait vue venir et elle m'a serré le bras pour m'éviter de lui foncer dessus.

On l'a regardée avancer, faisant comme si elle ne nous avait pas vues et mon amie a murmuré :

— On dirait que c'est toujours la guerre.

J'ai grommelé :

— Il n'y a pas de drapeau blanc dans notre relation.

— J'ai cru comprendre.

On l'a suivie encore quelques secondes du regard. Elle s'est faufilée jusqu'à la première ligne pour se rapprocher – ô surprise – d'un petit attroupement qui s'était formé autour de la vedette : Neven Arsher. Mes soupçons étaient confirmés. J'étais déjà en train de me frotter les mains mentalement, mijotant ma prochaine attaque.

— Dis donc, ce mec sort de nulle part et il est déjà au centre de l'attention, ça promet, m'a chuchoté Kitty à l'oreille.

Je n'ai pas eu le temps de lui répondre.

— Bonjour à tous !

La voix de la proviseure a éclaté dans l'espace et on a tous plus au moins sursauté, le volume du micro ayant été réglé au maximum.

— Désolée...

La quarantenaire est montée sur le podium en tripotant son haut parleur. On a eu droit à deux larsens avant qu'elle réussisse – enfin – à préserver nos oreilles.

— Vous êtes tous réunis ici pour la rentrée. J'espère que vous avez passé de bonnes vacances et que vous êtes prêts pour cette année.

Quelques personnes ont répondu à l'affirmative, mais la plupart s'est contentée de se taire et d'attendre.

— Bon, je vais commencer la répartition des classes, soyez attentifs, je ne répèterai pas votre nom plus de deux fois. Commençons par les secondes.

Comme d'habitude, l'appel a été interminable. Heureusement que Kitty avait toujours plein d'histoires à raconter. Lorsqu'enfin est venu le tour des terminales, nous n'étions plus qu'une petite centaine et nous étions majoritairement en état de mort cérébrale. C'est le nouveau larsen du micro de la directrice qui nous a réveillés.

— Classe de terminale une : Neven Arsher.

Je vous jure que je n'exagère pas en vous disant que des acclamations féminines ont retenti. Neven s'est placé à droite de la femme, s'avançant d'une démarche féline et assurée. Je pouvais très bien comprendre comment il parvenait à séduire toutes ces filles, mais il était tout simplement hors de question que je m'abaisse à leur niveau en reconnaissant que moi-même, j'éprouvais une petite attirance pour ce garçon.

Et puis, il y avait ce truc dérangeant dont j'avais parlé : il semblait trop sûr de lui. C'était désagréable et presque déstabilisant. Ce n'était pas comme les autres beaux gosses du lycée, il émanait de lui une drôle d'énergie qui me repoussait et m'attirait en même temps.

— Elisabeth Adams.

Lily s'est tout de suite précipitée à la suite de Neven, l'air ravi. Il m'a suffi d'entendre les deux premiers noms de cette liste pour savoir qu'il fallait éviter cette classe comme la peste. Mais évidemment, le sixième nom à être appelé par la directrice, c'était :

— Alya Clarke.

En l'entendant, Lily a froncé les sourcils. Ça m'agaçait autant qu'elle mais je n'avais pas vraiment le choix. Je me suis extirpée du groupe pour me placer derrière les cinq autres élèves. J'ai fait en sorte de mettre le plus de distance entre la jolie métisse et moi, histoire de ne pas me faire assassiner par son regard de braise.

J'ai ensuite attendu qu'on arrive au P de Parker, histoire de ne plus souffrir toute seule de cette malheureuse découverte. Cependant, la proviseure est rapidement passée aux P et les a dépassés tout aussi rapidement sans jamais prononcer le nom de Kitty. Mon sang s'est glacé dans mes veines et quand mes yeux ont rencontré ceux de mon amie, elle semblait tout aussi choquée que moi.

Après encore quelques minutes, la directrice a conclu :

— Bon, maintenant que vous êtes au complet, suivez votre professeur jusqu'à votre classe.

Un vieil homme tout rabougris nous a fait signe de la main et le groupe a commencé à partir. Moi, je suis restée plantée là, horrifiée.

— Madame Clarke ! s'est exclamé le prof derrière moi.

J'ai cligné des yeux et me suis tournée, la classe m'attendait au milieu de la cour. Rentrant la tête dans les épaules, je me suis ressaisie et les ai rejoints. J'ai suivi le mouvement, rentrant dans le lycée d'un pas traînant.

Merde ! La seule petite chose que je voulais aujourd'hui, la seule condition pour que mon année se passe bien était partie en fumée. Kitty et moi avions été séparées et en plus, j'étais dans la classe de Lily.

Cette année s'annonçait catastrophique.

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