Chapitre 11 - Un lundi matin
Nathan est parti.
Nous avions passé le week-end à ses côtés. Maman lui avait préparé ses plats préférés, elle avait invité sa petite amie Lucy à dîner et dimanche, nous avions passé la journée à marcher dans la forêt, comme quand nous étions petits.
Mon frère avait l'air heureux. Il n'avait pas arrêté de nous embêter, Juliette et moi, faisant comme si nous étions retombés en enfance. Il nous avait fourré de la terre sous nos manteaux, avait entamé trois courses et m'avait même soulevée de terre pour me faire subir la pire torture de chatouilles de tous les temps.
Maintenant, c'était terminé. Il était parti.
Ce matin, à six heures, il avait rassemblé tous ses bagages dans l'entrée sous nos regards déprimés. Puis il avait appelé son taxi, il nous avait serrés un à un dans ses bras et il était parti. À présent, Juliette et moi marchions dans Silverwood pour rejoindre le lycée en silence. D'habitude, ce silence était reposant et agréable. Aujourd'hui, il était lourd et triste.
C'était la première fois que l'un de nous s'en allait et nous avions beau connaître la date de son départ depuis plus de six mois, cela n'en restait pas moins douloureux. La maison avait l'air vide sans lui. Et puis ça faisait vraiment trop de filles pour un seul foyer. J'étais persuadée que nous allions encore plus nous disputer, maintenant que mon frère n'était plus là pour faire le médiateur.
Quelle poisse !
Quand nous sommes arrivées au lycée, Kitty m'attendait de pied ferme devant l'entrée. Au moment où elle m'a vue, elle s'est élancée dans ma direction en courant.
- Alya ! Pourquoi tu ne répondais pas au téléphone ? Tout va bien ? J'ai entendu des rumeurs pas possibles sur le fête de vendredi, il s'est passé quoi ?
Ah oui, parce que ma mère avait aussi décidé de nous priver de téléphone et d'ordinateur pendant trois jours. Ce qui fait que je n'avais pas pu contacter Kitty pour lui raconter tout ce qui s'était passé et que je n'avais pas pu voir les différents posts faits sur la fête, malheur à moi.
- Désolé, j'ai été punie, ai-je lancé.
- Punie ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Oh non, ne me dis pas que ce qu'on dit est vrai !
- Qu'est-ce qu'on dit ?
Je n'avais pas eu vent des rumeurs puisque je n'avais pas eu accès à internet. Et soudain, je me suis rendue compte à quel point j'avais manqué des choses. Mon cœur s'est mis à battre la chamade tandis que Kitty prenait une expression sérieuse.
- Eh bien, on dit que Lily t'a insultée toute la soirée, que tu es devenue sa cible numéro une.
J'ai haussé un sourcil. Si ce n'était que ça, on ne pouvait pas dire que j'étais vraiment surprise. Je n'ai pas hésité à le faire remarquer à Kitty :
- C'est ça, la « grande rumeur de Ryneshire » ? Que Lily et moi nous faisons la guerre ? Et bien ça ne vole pas très haut...
Hélas, le soulagement a été de courte durée. Kitty s'est craqué les doigts, signe que nous n'en étions qu'au début.
- Laisses moi finir. S'ils disent tous que tu es devenue la cible numéro une de Lily, c'est parce qu'on t'a vue sortir de la soirée en avance avec Neven et qu'un groupe d'abrutis n'arrête pas de répéter sur Twitter qu'ils vous ont vus coucher ensemble dans sa voiture.
Je me suis pétrifiée sur place.
- Coucher ensemble ? Mais ils sont fous ou quoi ? Neven m'a raccompagnée, c'est tout !
- C'est ce que Cameron Lee soutient aussi. Il a supprimé tous les commentaires qui te critiquaient sous le post de sa fête, mais ils fleurissent sur les réseaux.
J'ai enfoncé mon visage entre mes mains. Ce n'était pas possible, ça ne pouvait pas m'arriver maintenant, la deuxième semaine de ma dernière année de lycée !
J'avais réussi à passer plus ou moins inaperçue jusqu'ici malgré mon sale caractère et ma famille extravagante, ce n'était pas pour tout foutre en l'air juste avant de partir !
- Quel cauchemar, ai-je gémis.
- Et ce n'est pas terminé.
Non, c'était une blague. J'ai entrouvert mes doigts pour révéler un œil à mon amie et l'enjoindre à continuer. Elle n'a pas moufté. Ce qui était bien, chez Catherine Parker, c'était qu'elle ne mâchait pas ses mots. Ce qui était désespérant, chez Catherine Parker, c'est qu'elle oubliait que parfois, on n'avait pas besoin de connaître tous les détails sur ce que les gens disaient dans notre dos. Un simple « méfie toi de lui, c'est abruti » pouvait suffire.
Kitty a ignoré ma tête d'enterrement pour reprendre :
- Lily aurait dragué Neven à son retour et ils se seraient montrés très proches. Et puis, plus tard, Alice, qui l'avait embrassé cet été, je ne sais pas si tu te souviens. C'était à l'autre fête de Cameron Lee, celle à laquelle j'étais allée et toi tu avais refusé de venir. D'ailleurs, je me souviens que...
- Kitty, abrèges s'il te plaît, tu fais trop durer le suspense.
Kitty m'a adressé un sourire contrit.
- Tu as raison. Bref, ce que je voulais dire, c'est qu'Alice l'aurait vu rentrer chez lui avec une étudiante de l'université de Glasgow qui est arrivée vers la fin de soirée, avec ses amies.
Cette phrase m'a fait autant souffrir qu'un coup de poing en pleine mâchoire. L'université de Glasgow était la fac la plus proche de Ryneshire, et encore, elle se trouvait à plus d'une heure de route. Si l'on avait vu cette fille rentrer avec Neven, elle avait dormi chez lui, elle n'aurait jamais pu reprendre le volant si tard.
J'avais envie de vomir et une intense déception a envahi mes veines. Pourtant j'aurais dû me douter que Neven était ce genre de gars, je le savais, même. Pourquoi est-ce que ça m'étonnait tant que ça ? Je m'étais convaincue il y avait à peine deux jours de cela que je devais l'oublier. C'était idiot que cette information me fasse autant souffrir.
J'ai senti la main de Kitty me caresser gentiment le dos et je me suis redressée, me forçant à mettre de côté mon envie soudaine de casser tout ce qui me passait sous la main. De toute façon, comme me l'avait si bien fait comprendre mon amie, il y avait encore des points à éclaircir.
- Donc, si je te suis, les rumeurs disent que Neven a couché avec deux filles le même soir et je fais partie de la liste, c'est ça ?
Kitty a hoché la tête.
- Mais dans ce cas, pourquoi ce serait moi qu'on insulterait sur les réseaux et pas lui ?
La jolie rousse a grimacé. Elle a vérifié d'un regard que personne ne nous écoutait puis elle s'est penchée à mon oreille.
- Lily a dit à tout le monde que tu as fait ça pour te venger d'une vieille histoire. En plus, elle et Neven ont passé le week-end ensemble et il aurait hébergé la fille parce que c'est une amie des Adams.
Je doutais que ce soit vrai : Lily n'était jamais sortie de Ryneshire, toute sa famille y vivait et les seuls contacts qu'elle avait de l'extérieur c'était grâce à ses abonnés sur Instagram. Mais je ne doutais pas qu'elle ait trouvé toute cette petite excuse ridicule pour me gâcher la vie.
- Non mais sérieux ! C'est quoi son problème ? Ce n'est pas à moi qu'elle devrait en vouloir, c'est Neven qui ne sait pas se tenir ! À quoi ça sert de le couvrir comme ça ?
Kitty a baissé ses yeux noisettes sur son téléphone et quelques secondes plus tard, elle m'a montré une photo.
- Je ne pense pas qu'elle le couvre. Je pense qu'elle dit la vérité et qu'elle et Neven sont très proches.
Sous mes yeux, Lily, Neven et une troisième fille magnifique, m'adressaient des sourires chaleureux. Mon cœur a manqué un battement. J'ai attrapé le portable de mon amie pour regarder la photo plus en détails. Elle avait été postée sur le compte de cette étudiante de Glasgow. Et effectivement, je pouvais voir sur son profil que Lily la suivait.
Je ne sais pas comment elles s'étaient rencontrées, mais si c'était vrai que Neven l'avait accueillie pour dépanner ma pire ennemie, alors cela laissait peu de place à l'imagination concernant la relation qu'entretenaient ces deux-là.
Poussée par une curiosité malsaine, j'ai cliqué sur le profil de Lily et ce que j'ai découvert m'a dégoûtée : dans sa story, elle se trouvait avec Neven, dans une grande maison qui n'était certainement pas la sienne et il y avait de cela seulement quelques heures. Elle avait dormi chez lui, elle aussi.
J'ai rendu le téléphone à Kitty, le cœur au bord des lèvres.
- Du coup, ils sont ensembles ces deux-là ?
- Personne ne sait vraiment. La fille de Glasgow a posté des commentaires un peu ambigus sur le compte de Neven donc il y a des chances pour qu'il s'amuse avec les deux.
J'avais envie de vomir. Et surtout, je rêvais de fuir l'école aujourd'hui. L'idée de me retrouver à seulement une table de Lily et Neven était au-dessus de mes forces. Hélas, je n'avais pas vraiment le choix avec la punition qui pesait sur ma tête. Si je séchais les cours aujourd'hui, ma mère me tuerait.
- Et moi je passe pour la traînée de service, avec qui il a tiré son coup mais qu'il a préféré cacher, contrairement aux deux autres, c'est ça ?
Kitty m'a observée, une moue compatissante dessinée sur les lèvres. Elle allait répondre mais la sonnerie a retenti, coupant court à notre conversation. Je suis restée immobile devant la grille pendant quelques secondes mais mon amie m'a tirée à l'intérieur, me forçant à rentrer.
- Allez, ce n'est pas si grave. Tout ça, c'est un ramassis de conneries. Neven Arsher est un con, oublie le et fais ta vie. Penses aux super autres rencontres que tu as faites.
Je me suis voûtée, posant la question tristement :
- De qui tu parles ?
- De Cameron Lee, quelle question ! Ce mec est un amour : depuis samedi, il nettoie les réseaux pour toi, te défend un peu partout et il paraît qu'il aurait même gueulé sur Neven à cause des rumeurs qu'il a fait courir à ton sujet.
Enfin une bonne nouvelle. Une sensation chaude m'a rempli la poitrine et j'ai osé écarter mes lèvres en un petit sourire.
- Il a fait ça ?
- Oui. Alors maintenant, va le remercier comme il se doit et concentre toi sur lui, il en vaut la peine !
J'ai hoché la tête et nous nous sommes séparées sur ces douces paroles. J'ai grimpé les escaliers quatre à quatre pour arriver pile à temps devant la salle : les élèves étaient en train de rentrer. J'ai accéléré le pas et me suis fondue dans la foule.
Je me suis ensuite dirigée à ma place. Cameron n'était pas encore arrivé et je l'attendais avec impatience. J'avais hâte de lui parler de sa fête et de ce qu'il avait fait pour moi. Kitty avait raison : je devais le remercier. Surtout que, des rares souvenirs qu'il me restait de la fête, je me rappelais qu'il ne m'avait jamais abandonnée et qu'il avait même rechigné à se séparer de moi quand je l'avais encouragé à le faire.
Je n'en revenais pas d'être passée aussi longtemps à côté d'une telle pépite, et j'étais heureuse d'avoir eu la chance de faire sa connaissance. Je voulais qu'il le sache. Avachie sur ma table, j'ai pianoté sur mon cahier en attendant impatiemment qu'il arrive. Enfin, je l'ai vu apparaître dans l'encadrement, au côté de Neven. Ils semblaient au milieu d'une grande conversation.
Évidemment, ça a éveillé ma curiosité. Surtout après ce que m'avait dit Kitty : y avait-il de l'orage dans l'air ? Était-ce à cause de moi qu'ils avaient de telles mines de déterrés ? J'aurais beaucoup aimé, mais j'en doutais. Les deux garçons me connaissaient à peine et je me voyais mal à la tête d'un triangle amoureux... Surtout qu'aucun des deux n'avait témoigné un quelconque intérêt « romantique » à mon égard.
Pourtant, je n'ai pu m'empêcher de rêver, de me prendre pour le personnage principal d'un roman à l'eau de rose. Je me suis penchée inélégamment sur ma table pour les fixer avec insistance, essayant de lire sur leurs lèvres ? C'est là que Neven a brusquement levé les yeux vers moi.
Nos regards se sont croisés et il m'a surprise, les mains sous le menton et mon attention focalisée sur eux. J'ai piqué un fard et me suis cachée derrière la personne assise devant moi. Malheureusement, je savais qu'il m'avait grillée. Son regard s'était planté dans le mien.
Je me suis maudite et n'ai plus bougé pendant une minute. Puis, n'y tenant plus, j'ai lentement passé ma tête entre mes deux camarades de devant, essayant de les observer à nouveau sans me faire surprendre. À mon plus grand malheur, Neven me regardait toujours et, quand il a vu ma super technique pour ne pas me faire remarquer, il m'a lancé un sourire moqueur.
Ça m'a définitivement découragée et je me suis enfoncée dans mon siège pour qu'il ne puisse plus me voir. J'avais honte de moi ! Qu'est-ce qui me prenait enfin ? Il allait me prendre pour une folle qui lui vouait un amour obsessionnel. Et, honnêtement, moi-même je commençais à m'interroger sur ma santé mentale.
En gémissant, j'ai enfoui ma tête entre mes bras. Si seulement j'avais pu sécher les cours aujourd'hui. Et demain, et après demain, et après après demain. Si seulement j'avais pu commencer l'école à la maison ! Tous ces problèmes me seraient passés par dessus la tête.
- Comment ça va, ma belle ?
La voix de Neven m'a fait bondir sur ma chaise. Mes genoux ont percuté la table, celle-ci a tremblé et j'ai manqué de tomber à la renverse, me rattrapant in extremis au bras qu'on me tendait, celui du garçon que je voulais à tout prix éviter, évidemment.
Génial.
- Bah alors, je te fais un tel effet ?
J'ai levé les yeux pour rencontrer le regard argenté de Neven Arsher et son sourire en coin. Que quelqu'un m'enterre, maintenant. Allez, Lily, je suis sûre que tu accepterais de t'y coller !
- Qu'est-ce que tu fais là ? ai-je demandé.
J'ai tourné la tête à la recherche de Cameron et l'ai vu s'installer à la place que Neven aurait dû occuper. Non mais c'était quoi ce délire ? Neven a souri de plus belle.
- Cam a eu la gentillesse d'échanger sa place avec moi pour que je puisse m'excuser par rapport à ce qui s'est passé ce week-end.
J'ai scruté Cameron qui a fini par croiser mon regard. Alors, il a levé les pouces en l'air, comme pour m'encourager. En guise de réponse, mes yeux l'ont supplié de revenir. Il a haussé les épaules et m'a fait signe que nous parlerions plus tard. Je n'avais pas d'autre choix que de me résigner apparemment.
J'ai jeté un regard noir à Neven et me suis rassise à ma chaise, me décrochant de son pull.
- Je n'ai rien à te dire. Tu as fait en sorte que je devienne la paria de toute l'école en seulement deux jours. Bravo.
Neven a soupiré puis il s'est assis à côté. Bon sang, je regrettais déjà la présence de Cameron. Lui, il était facile à vivre, me faisait toujours sourire et ne m'aurait jamais mis dans ce genre de situations. Il était beaucoup trop respectueux pour ça. Et il savait combien les lycéens étaient mauvais entre eux.
Un mec qui couchait avec deux filles, ça passait crème. Par contre, une fille qui faisait son coup d'un soir avec le tombeur de l'école, elle se faisait lyncher. Il ne pouvait pas l'ignorer. Kitty ne m'avait peut-être pas montré ce que l'on avait dit de moi sur les réseaux, elle avait été assez claire pour me faire comprendre que c'était mauvais.
- Alya, écoute moi.
J'ai fait mine de ne pas l'entendre.
- Alya, a-t-il répété.
Comme je me concentrais sur mon cahier, il a levé la main dans ma direction. Agacée, je l'ai arrêté en plein geste, refusant qu'il m'approche. Je me suis rendue compte de mon erreur trop tard : ma paume a rencontré la sienne et immédiatement, le monde a disparu.
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