Partie 6 : Le chevalier et le garçon aux oiseaux

Tandis que mes bottes s'enfonçaient dans les traces que j'avais laissé la veille, je sentis des mèches me fouetter le visage, un vent frisquet se levant en même temps que son ami le soleil. Malgré une légère faiblesse, ma cheville était de nouveau en état de fonctionnement et même si les courants d'air engendrés par les couloirs d'arbres que je traversais rendait mon avancée plus difficile, j'arriva bientôt à l'orée de cette frontière, là où forêt et vallée semblaient se fondre dans un magma de nature fascinante.

Maintenant qu'une douce lumière se mettait à caresser les reliefs se présentant à ma vue, l'intensité des couleurs me sauta au visage. Cette légion de fleur aux formes et tailles incongrues était grandiose, tellement que je regrettais presque la raison de ma venue. J'aurai voulu les contempler, encore et encore, la sérénité dans le cœur.

Pour l'heure, j'étais comme lors de ma première venue fourré dans un buisson, préférant effectuer quelques repérages avant de foncer la tête baissée.

L'adrénaline pulsait déjà dans mes veines lors de mon départ matinal pour la maisonnée du garçon, mais dès lors que j'aperçu Taehyung et le géant, valise en main sortir de leur foyer, je crus que mon cerveau était sur le point de court-circuiter, le cœur au bord des lèvres.

La main déjà portée à mon arme, je sortis du bosquet la seconde d'après et m'élança d'une démarche assurée à leur rencontre.

« Vous, arrêtez ! Nous devons parler ! »

La première pensée qui me vint fut que ces deux-là allaient s'enfuir, question de réflexe.

Pourtant et bien que le géant s'apprêtât visiblement à accélérer le pas, le brunet se figea, jeta un coup d'œil à son compagnon, puis lentement se retourna vers moi, la hanse de sa valise cramponnée à ses doigts.

Pour la première fois nos regard se croisèrent, et en prenant quelque peu du recul, je pus deviner que l'expression que nous partagions à ce moment précis fut radicalement différente.

En lui, je pus lire un brin de surprise lorsqu'il croisa mon reflet pour la première fois. Puis quelques secondes après cela, son regard se fit vacillant et son corps de plus en plus tremblant. Ma présence le terrifiait et même si la cause était davantage mon statut que ma propre personne, je ne pouvais m'empêcher de m'en sentir troublé.

Dans quelle situation le Conseil m'avait-il placé ?

« Qu'attends-tu de nous chevalier ? »

Les yeux du géant n'exprimèrent que colère lorsqu'il me cracha sa question, et je sentis à sa posture qu'il ne me voulait pas que du bien. Cependant je continuais de m'approcher d'eux, les mains légèrement relevées en signe de bonne foi. L'accomplissement de mon devoir était ma seule boussole, ce qui ne signifiait pas pour autant que la violence gagnait mes faveurs.

Elle était ma dernière option, sauf nécessiter absolue.

« Je me prénomme Jeon Jungkook et je suis effectivement chevalier. On m'a donné pour mission de...D'escorter ce jeune homme jusqu'au palais gouvernemental, à Alesia. »

Dès que les mots furent prononcés, le remord m'envahit presque alors que ce Taehyung semblait être au bord de l'évanouissement, tellement blême qu'il donnait l'impression de ne plus être de ce monde.

Le géant le remarqua aussi, et se plaça alors instinctivement devant la silhouette du jeune homme.

« Vous devez faire erreur. Il n'est qu'un garçon ordinaire et je suis son tuteur. Il est sous ma responsabilité et il ne partira nulle part. »

La tension monta d'un cran et même si j'avais du mal à me détacher du regard larmoyant de Taehyung qui me jaugeait sans vouloir me quitter, je dû porter toute mon attention sur ce que je considérais déjà comme une menace, un obstacle à écarter.

« Je regrette mais les ordres sont stricts, il va devoir me suivre. »

Mon intention première était de m'avancer davantage afin de montrer ma missive, mais l'occasion me fût vite arrachée. Les mots eurent à peine le temps de s'échapper de ma gorge que le géant avait abandonné sa valise pour se jeter sur moi.

Surpris, je me laissais tomber à terre et le choc fut si rude que mon arme de service valdingua à quelques mètres de moi, inaccessible.

Sonné, les sensations affluant dans tous mon corps me permis de constater que ma tête n'avait pas heurté le sol, mais que mon dos me faisait déjà souffrir. Mon œil lorgna ma dague, mais malgré-tous mes doigts ne cherchèrent pas à l'atteindre.

Il fallait que je trouve un moyen de le maîtriser avant d'envisager de le blesser.

Et puis, je n'avais jamais tué personne. L'idée ne m'enchantait pas, et je ne voulais pas m'y risquer.

Après avoir coulé un regard vers son protéger l'assaillant revint à la charge, l'ombre de sa silhouette dévorant rapidement la mienne toujours au sol. Par réflexe, mon corps roula pour lui échapper, mais lorsque celui-ci se précipita sur moi le poing levé, je cru bien qu'il en était fini de moi et que mon crâne allait s'enfoncer sous la force de son coup.

« Dramor non, ne fais pas ça ! »

C'était sans compter l'intervention de mon ange gardien du moment, Taehyung.

Il semblait se trouver aux portes du désespoir, s'arrachant sa chevelure bleue en alternant son regard paniqué entre moi et son protecteur.

Profitant de l'ouverture qu'il avait provoqué, je profitais de ce moment d'inattention pour me relever d'un mouvement habile et sans plus y réfléchir, je sautais sur le dos de mon adversaire, enroulant mon bras autour de sa gorge pour essayer de l'affaiblir.

Le souffle court, j'étais déstabilisé par sa taille qui empêchait presque mes pieds de toucher le sol. Il se mit à tourner sur lui-même et j'étais certains qu'en cet instant et sous un œil extérieur, la scène aurait pu être comique à observer.

« Par pitié, arrêtez ! Je vais le suivre, ça n'en vaut pas la peine ! »

Mon profil se détourna un instant du combat pour le regarder lui et sa gestuelle hésitante. Il était tenté de prendre la fuite, je le sentais.

Il fallait donc que je mette fin à ce cirque.

Ce Dramor était certes costaud, mais ses aptitudes aux combats laissaient clairement à désirer. Il me fallut simplement attendre un léger déséquilibre de sa part pour parvenir à le faire tomber lourdement, face contre terre.

Sitôt en position de force, je chevauchais son corps et sortais de mon ceinturon deux pairs de menottes instinctifs. Ce dispositif détectait les membres à emprisonner et s'y attachait automatiquement sans un mouvement de ma part.

Une fois refermé, il était impossible de s'en détacher, peu importe sa force ou sa corpulence. Seul un code en ma connaissance débloquait le piège. Le géant en fut affublé de deux pairs, une emprisonnant ses mains et l'autre maintenant ses pieds attachés.

Sans perdre la moindre seconde, mais avec toute la peine du monde, je trainais le corps jusqu'à l'intérieur de la maison non sans oublier ma mission première.

« Toi, tu me suis. » Grondais-je d'une voix autoritaire, une goutte de sueur perlant en plein milieu du front.

Sans doute toujours aussi craintif de ma personne, Taehyung m'écouta sans discuter et bientôt, ma prise sur les chevilles de Dramor se relâcha pour le laisser assis au sol, dos contre un mur du salon à la décoration plutôt raffinée.

Alors que je m'apprêtais à fourrer un foulard dans la bouche du géant pour étouffer d'éventuels cries à l'aide, je sentis une main agripper le rebord de ma veste, me tirant sans force par derrière.

Ne voulant pas passer pour une brute sans cervelle, je me contentais de jeter un regard en arrière, neutre, afin de laisser une chance au garçon de m'expliquer son comportement.

« Je v-vais vous suivre, je vous assure. Alors je vous demande...Non, je vous supplie de ne pas lui faire du mal. »

Ses grands yeux expressifs s'encrèrent dans les miens, mais je me détournais de son expression larmoyante, ma main agrippant délicatement son poignet pour le retirer de mon hanbok.

« Tu me croira ou pas, mais ce n'étais pas mon intention. D'ici deux jours au plus tard, je contacterai Sélia et elle viendra le délivrer. Le temps que la distance soit trop grande pour qu'il nous rattrape. »

Devinant que je l'arrachais à un être cher, je décidais de fermer les yeux sur son attaque. Après tout, le Conseil ne m'avait donné aucune consigne concernant la montagne sur patte.

Taehyung n'eut même pas le temps de réagir à mes paroles que Dramor braillait à tout va des promesses vides de sens. J'avais fait à peine la moitié du chemin que j'étais déjà épuisé.

« Je vous promet que je vous retrouverai Taehyung ! Ils ne vous auront pas, je mmm mmm-

-Sur ce point, je ne peux que te contredire. »

Je le bâillonnais sans aucun espèce de remord et à l'instant où moi et l'objet de ma mission avions franchis le pas de la maisonnette, je m'étais saisie de ma dernière paire de menotte pour emprisonner les deux mains du garçon, les poignets ramenés devant lui.

Au moment où la maison ne fut plus dans notre champ de vision, ma marche d'un rythme plus que soutenu se transforma en des pas plus lents, pour finalement m'immobiliser sur le bord de la route. J'attendis que Taehyung situé devant moi s'en aperçoive et se retourne pour faire les choses correctement, maintenant que mon principal obstacle était écarté.

« Je me prénomme Jeon Jungkook, je suis maître chevalier de rang rouge et je suis ici pour te ramener auprès du Conseil, comme il m'a été demandé. Je ne sais pas pourquoi ils te veulent auprès d'eux, mais sache que rien ne prédit que ce soit une mauvaise chose. »

Son expression se rembrunit, Taehyung semblant tiquer à mes derniers mots .

« Je ne te veux aucun mal, et si je t'ai attaché c'est parce qu'il est évident que tu ne veux pas te rendre à Alesia et que ton désir de t'échapper ne s'est pas évanoui dans les airs. En tant que représentant de l'Etat, je me dois d'obéir au gouvernement. Aller à l'encontre de leurs ordres revient à s'opposer à la loi de ce pays. Je suis donc en droit de te neutraliser. »

Désormais le visage orienté vers les rayons du soleil, son corps tanguait d'un côté puis de l'autre comme si mon discours ne l'atteignait pas le moins du monde.

C'était surement le cas.

« Très bien. Maintenant que tout est clair on va marcher jusqu'à ma voiture et partir pour au moins une semaine de route. »

Après mon petit monologue, nous reprenions notre périple à travers la forêt, mais en usant cette fois-ci d'un détour. Je ne voulais surtout pas me confronter à Sélia et je préférai encore une fois prendre un léger retard, plutôt que de devoir prendre des décisions bien plus difficiles par la suite.

Je l'avais déjà sentie ce matin, mais les cumulus de ce ciel grisâtre se faisaient de plus en plus bas et de plus en plus épais. La température s'était brusquement rafraîchie alors même que j'avais l'impression que les rafales de vents que nous essuyions ramenaient un air de plus en plus sec et presque tiède.

Le garçon n'avait pas prononcé un seul mot depuis que nous avions commencé à parcourir cette étendue sauvage, mais je dû m'y reprendre à plusieurs fois pour qu'il se tienne tranquille.

A la moindre perte d'attention de ma part, le petit malin essayait de s'échapper.

Le même petit schéma se répétait à chaque fois. Mes lèvres restaient scellées et d'un regard courroucé je lui agrippais le col de son pull pour le ramener près de moi, fatigué de ses enfantillages.

Les raisons de son rapatriement restaient bien obscures, mais visiblement ce jeune homme n'avait pas de bonnes relations avec le Conseil, et c'était une raison supplémentaire pour me méfier de lui.

Pourtant j'avais beau me focaliser sur les désirs d'Elias, quelque chose ne semblait pas juste. En lui, je ne percevais pas de menace. Il semblait juste être un garçon grignoté par la peur, sursautant au moindre bruit et me lorgnant comme si j'étais le pire des prédateurs et lui l'innocente proie.

Au loin, je finis par apercevoir un léger fossé qui donnait l'impression de scinder la forêt en deux. J'eu peur de regretter finalement mon détour, mais fut rassurer en m'apercevant que l'espace fracturant le terrain était largement franchissable pour deux jeunes hommes en pleine forme.

« C'est juste pour le style les cheveux ? »

Sa question était sortie de nulle part, alors qu'il reluquait sans gêne mon chignon à moitié défait.

Il marchait toujours à la traîne et il se permettait de parler ? Pour demander de pareilles sottises ?

L'ignorant royalement, mes lèvres se mirent à siffloter une mélodie quelconque, tandis que je poursuivais mon chemin en le forçant à avancer. Et alors qu'il avait été muet depuis le commencement de notre marche, monsieur ne pouvait désormais plus s'arrêter de jacasser, les questions auxquelles je ne donnais aucune réponse s'enchaînant de plus en plus rapidement.

« Vous avez quel âge ? »

-...

-Depuis combien de temps es-tu chevalier ? »

Il se mettait à me tutoyer maintenant, formidable.

« Et sinon, il n'est pas trop douloureux le balai que tu gardes enfoncé dans le cul ?

-Tais-toi ! » Lui criais-je en m'immobilisant devant lui, les yeux légèrement écarquillés par ses mots aussi bien crus, qu'inattendus.

Le signe fut à peine perceptible, mais il sursauta à peine avant de contracter à l'extrême ses épaules.

Il ne voulait pas me montrer la crainte que je lui inspirais et c'était compréhensible.

Nous nous toisions quelques instants, moi me retenant de ne pas piquer une colère plus vive, et lui, me souriant malgré-tout d'une espièglerie que je n'aurais jamais soupçonné chez sa personne.

Lorsque son image m'était apparu pour la première fois, j'étais loin de me douter que ce garçon au physique d'angelot renfermerait une telle personnalité. Délicat de l'extérieur, mais je le pressentais, explosif de l'intérieur. Dans mon imaginaire, il m'apparaissait pourtant si doux, si pur...

Je m'étais fait des films. Oui, c'était surement ça.

Peu un peu la commissure de ses lèvres se mirent à fléchir, comprenant qu'on n'avancerait plus tant qu'il n'arrêterait pas avec cet échange stérile.

Une mine boudeuse plus tard, nous reprenions finalement la marche et arrivée aux bordures du fossé, je me mis à déboutonner les attaches de ma veste beaucoup trop moulante pour le saut que je m'apprêtais à faire, non sans avoir déposé la valise de Taehyung sur la terre fraîche à la limite où le sole rejoignait le vide.

Sans doute que mon geste était une petite vengeance de son affront de tout à l'heure. Peut-être.

« Mais du coup... »

Mes doigts se figèrent sur le tissu et dans un automatisme déjà adopté, mes paupières se refermèrent, un souffle d'exaspération s'échappant de mes lèvres.

Taehyung était dos à moi, mais comme pour faire un peu plus le malin et sans doute pour savourer mes réactions, il me contourna et haussa les épaules, ses longs doigts taquinant son menton comme s'il réfléchissait à un problème des plus complexe.

« Du coup, je ne vais pas te dire que d'ici une heure tout au plus, une fleuronne va s'abattre sur cette région.

-Qu'est-ce que c'est que ça ? »

Scrutant son visage à la recherche d'un signe qui le trahirait et qui démontrait qu'il se fichait encore de moi, je ne perçu pourtant que de la sincérité et un brin de condescendance.

« Je ne te le dirais pas...Puisque je dois me taire. »

Mon énergie vitale me quittait.

J'en étais persuadé maintenant, ce garçon d'apparence si sage allait drainer toute mon essence d'ici la fin du voyage.

Après l'avoir quelque peu menacé, Taehyung avait fini par me raconter qu'une fleuronne était une anomalie propre à la région et que ce qui se révélait être un phénomène météorologique n'était autre qu'une tempête de fleur, littéralement.

Rien que ça.

Le réseau internet ne passant que difficilement ici, il était alors le seul garant de cette histoire étonnante. Cependant, je décidais de le croire. Cet évènement ne m'arrangeait guère, certes, mais d'une part il n'avait aucun intérêt à me mentir, et d'autre part, il aurait été inconscient de ma part de prendre la route dans ses conditions.

L'accident dont j'avais écopé auprès de Jin m'avait suffi.

Souhaitant lui aussi se protéger des dangereuses intempéries, Taehyung m'avait alors indiqué l'adresse de la seule auberge des kilomètres à la ronde et encore une fois, je restais stupéfié du gouffre technologique subsistant entre les grandes villes et le restes du territoire. Ma mission me donnait davantage l'impression de m'être fait embarquer dans un voyage dans le temps, une escapade dans le passé.

« Je vais te laisser le lit, je dormirais sur le fauteuil à côté »

Perdu dans ses pensées, il ne me répondit rien alors je refermais la porte de notre chambre derrière nous pour enfin me délester de la valise de Taehyung, la déposant cette fois-ci avec soin dans un coin de la pièce.

Même si la foisonnance des couleurs décorant le lieu attirait forcément le regard, ce ne fut pas l'agencement de la pièce qui me frappa tantôt, mais le spectacle qui augurait à travers la fenêtre, laquelle était border d'une banquette qui m'avait l'air tout du moins confortable.

Je laissais le garçon en arrière en savant la porte d'entrée fermée par mes soins, et m'agglutinais à la vitre pour observer un début du tumulte. Les branches des arbres commençaient à ployer sous le poids du vent et fait plus étonnant, les épais nuages que j'avais remarqué en début de journée s'étaient chargés en électricité, arborant désormais une teinte rosée presque surnaturelle.

« Est-ce que je peux aller prendre une douche ? »

La voix grave de Taehyung me tira de mes rêveries et je me retournais en le toisant avec méfiance, circonspect. Cette situation, ces imprévus et surtout me retrouver avec ce garçon, là, au milieu de nulle part, me gênais terriblement.

J'étais tant accoutumé à ma solitude et presque deux semaines étaient passées depuis mon départ d'Alesia. Je ne le montrais pas, mais je ne savais pas ce que je faisais. Je me sentais incompétent et Taehyung, bien plus que le périple en lui-même, parvenait à me désarçonner par sa simple présence.

« Quel âge as-tu ? »

Taehyung se recula de quelques pas, visiblement agacé de ne pas avoir obtenu de réponse à sa précédente question. Il finit cependant par se montrer conciliant, visiblement résigné à devoir obéir à un type qu'il ne connaissait pas.

« 24 ans et toutes mes dents. Je peux aller me prendre une douche maintenant ? »

Mon visage avait parlé pour moi, étonné d'avoir presque le même âge que lui.

« Hum vas-y, je t'enlèverai les menottes pour tes passages à la salle de bain et pour manger. »

Après s'être saisis d'un pyjama dans sa valise, il partit sans un mot en direction de la salle de bain. Son mécontentement était visible à des kilomètres, tellement que j'avais pu apercevoir juste avant qu'il ne se retourne sa lèvre inférieure ridiculement s'avancer vers l'avant.

Il n'était qu'un gosse qui boudait et moi je me retenais de laisser échapper un premier rictus.

Ma solitude me manquait, mais peut-être allais-je trouver une compensation à ce manque de tranquillité.

Nous avions échangé nos places lorsque se fut mon tour de me nettoyer et à mon plus grand désarroi, je fus obligé de sortir de mon passage à la salle d'eau vêtu seulement de mon sous-vêtement et du t-shirt que je portais sous mon uniforme. J'avais hésité, longtemps, à garder mon hanbok mais j'avais bien trop transpiré dedans et mon petit côté maniaque l'avait emporté sur ma pudeur.

Ma fierté fut suffisante pour ne pas faire rougir mes pommettes et finalement, lorsque je réapparaissais dans la chambre, mon accoutrement fut bien le cadet de mes soucis.

La fleuronne s'abattait sur nous et le spectacle était à couper le souffle.

Taehyung était assis sur la banquette, une jambe pendant dans le vide et ses mains menottés appuyées contre la vitre, fasciné lui aussi. Des milliers, que dis-je, des millions de pétales de fleurs tourbillonnaient dans les airs frappant avec force le moindre relief environnant. J'étais bien heureux d'être en sécurité et à l'intérieur, à pouvoir scruter cette beauté chaotique sans en subir la fureur.

La silhouette du garçon contrastait à merveille avec cette scène digne des plus somptueux tableaux, sa chevelure bleue et son pyjama de la même couleur faisant office de la source d'eau dans cet amas de nature, dans ces pétales déchainés qui elles, se teintaient pour la plupart d'un dégrader de pourpre et d'orangé.

L'image était saisissante.

Sa vision m'était apparu pour la première fois il y a peu de temps de cela, mais plus je le sondais et plus cette réflexion revenait, entêtante, comme une mélodie : tout son être exultait la poésie.

« Ce n'est que la deuxième fois que j'y assiste et la première fois, j'avais dû me cacher dans la cave, car la maison n'était pas très solide. »

Il ne quittait pas du regard l'extérieur et moi j'éprouvais des difficultés à soustraire mon regard de ses mains.

Manquais-je de cœur pour le forcer à profiter de ce moment ainsi, attaché ?

Mon esprit critique fit taire ma sensiblerie lorsque sans flancher, je me contentai de prendre place à ses côtés, la tête dans les nuages et le cœur dans la tempête.

Tous deux hypnotisés par ce moment partagé, ni lui ni moi n'avions réalisé que désormais, nous étions assis ensembles sur le banc, jouissant d'une certaine proximité.

Bientôt et de façon trop abrupte à mon goût, le son des fleurs fouettant la vitre se transforma en un bruit de fond beaucoup plus étouffé, comme une caresse. La banalité du paysage refit surface et je tombai presque de mon siège lorsqu'un majestueux oiseau vint à plusieurs reprises voler proche de notre vitre, son corps frappant encore et encore la surface.

« Picolo c'est toi ! »

Les yeux brillants d'excitation, le corps de Taehyung se releva d'un bond, ses doigts se précipitant sur la poignée de la fenêtre. Trop curieux et dans la mesure où le vent s'était calmé, je le laissai faire, incrédule.

La bête fit un tour de la chambre de ses larges ailes majestueuses pour finir par se poser sur le bras recouvert de tissu de Taehyung.

Restant coi face à cette image, mon corps se rapprocha prudemment vers eux pour finir par être rassuré de constater que la bête n'enfonçait pas ses griffes dans la peau du garçon.

Lui semblait aux anges, souriant d'un sourire...

Exprimant une forme de joie pour la première fois depuis notre rencontre, tout compte fait.

Quel sourire particulier...Quel singulier personnage...

« Lui c'est Picolo ! » S'exclama Taehyung toujours aussi enjoué, mais perdant de sa lumière lorsqu'il sembla se remémorer qui j'étais.

L'oiseau était de taille moyenne, une jolie crête rouge dressée sur le crâne et surtout une queue absolument gigantesque, plus grosse que son corps et pourvu de plumes vertes émeraude.

« Comment as-tu pu dresser pareil animal ? Répondis-je en scrutant toujours l'oiseau.

-Je ne l'ai pas dressé ! Je... Il m'a simplement trouvé, voilà tout. Quand j'y pense, il a dû avoir pitié de me voir toujours tout seul. Il m'approchait souvent et au fils des mois, il a bien voulu se poser sur mon épaule. Désormais, je le vois presque tous les jours et sans que je ne sache pourquoi ou comment il y arrive, Picolo parvient toujours à me retrouver. »

Ses mots se voulaient léger, mais j'étais persuadé qu'il renfermait une vraie blessure. Après que l'animal se soit posé sur la banquette entre lui et moi, Taehyung caressa le plumage de ce Picolo et celui-ci roucoula presque sous ses doigts.

Décidément, je n'étais pas au bout de mes surprises.

Taehyung se recula soudainement pour venir plaquer son dos dans le fond de la banquette et je comprenais aisément que cette réaction venait d'un désir de s'éloigner de moi, maintenant qu'il était redescendu de son rêve et qu'il réalisait qu'il lui suffisait de tendre le bras pour atteindre mon torse.

Pourquoi lui inspirais-je autant de terreur ?

Mon combat contre l'un de ses amis y était sans doute pour quelque chose, mais lorsque je me voyais dans ses yeux, Taehyung me renvoyait l'image d'un fou furieux capable de commettre les pires horreurs.

La journée s'était faite d'ores et déjà beaucoup trop longue alors je laissais passer, restant à ma place en replaçant correctement mes cheveux encore humides.

Ma main esquissa l'amorce d'un premier geste, mais je me fis prit de court lorsque l'oiseau vint se poser sur ma tête en picorant le sommet de mon crâne, décoiffant d'avantage ma chevelure en bataille.

Les sourcils froncés et la mine fermée, je m'apprêtais à chasser la volaille, mais soudain, je me figeai. En abaissant mon regard, j'avais croisé celui du garçon plus apaisé qu'auparavant, un quasi-rictus sur le coin de sa bouche.

Relâchant mes membres, j'abdiquais et me laissa donc faire, non sans pester contre cet oiseau de malheur. Notre duo atypique fit agrandir un peu plus ce qui ressemblait à une marque d'amusement sur le visage de Taehyung.

« Tu peux t'estimer privilégié, il se montre très sauvage en présence d'inconnus normalement.

-Si tu le dis. Cependant s'il compte déféquer sur ma tête, privilégier ou pas, je le ferais rôtir au feu. »

Taehyung secoua plusieurs fois la tête pour retenir son rire, encore plus lorsque le piaf se mit à produire des sons étranges en réponse à ma menace.

« C'est un beau spécimen en tout cas. Son plumage, je n'ai jamais rien vu de pareille.

-C'est parce que c'est la saison des amours, lorsqu'il est en rut sa queue se déploie pour attirer les femelles. »

Son explication me fit grimacer, ma personne étant peu enjouée à l'idée qu'un oiseau plein d'hormones avait élu domicile prêt de mon visage.

« Ne fais pas cette tête quand je te parle de ce genre de chose voyons, reprit Taehyung toujours en retrait mais un peu plus confiant que tout à l'heure. Ce n'est pas comme si tu n'avais jamais bénéficié des faveurs de jolies demoiselles, là-bas, à la capitale. »

Mécontent de la tournure de ce premier échange un tant soit peu apaisé, je me relevais à la hâte, titubant en me reculant de la banquette jusqu'à ce Picolo de malheur me lâche pour rejoindre à nouveau l'ami qu'il s'était choisis.

Chassant ma déconvenue en m'attachant les cheveux, je vis malgré-tout du coin de l'œil Taehyung qui semblait malgré mon silence attendre toujours une réaction de ma part.

« Je...Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais ce n'est pas mon genre.

-Je ne pensais pas que tu ferais ton précieux sur la question, répondit le garçon dans un presque murmure, comme en pleine réflexion. Oh ! De jolis damoiseaux alors ? »

Comme dans un réflexe de défense je m'éloignais encore, à reculons, jusqu'à m'assoir sur le bord du seul lit de la chambre.

Qu'avaient-ils tous à me parler de ce genre de chose ?

Femme, homme, je ne m'étais jamais posé la question pour la simple et bonne raison que je me fichais de ce que je considérais comme des futilités. J'en avais plus qu'assez que mon âge et mon physique apparemment avantageux me ramènent sans cesse à ce sujet, en particulier lorsque c'était ce fichu garçon qui s'y mettait.

« Ma vie privée ne te regarde en aucun cas. Cependant, maintenant que nous somme partie pour une grande conversation, peux-tu me dire si tu as déjà mis les pieds à Alesia ? »

Mon regard ne l'avait pas quitté et je l'avais perçu, cette flamme qui, arrivée comme elle était repartie, fugace, avait brillé au creux de ses iris.

« J'ai bien envie de rétorquer que ma vie privée ne te regarde pas, mais au point où j'en suis. Autant profiter de ce rare moment passé en compagnie d'une personne qui n'a pas vingt ans de plus que moi. »

L'intonation de sa voix s'était faite presque rageuse, et ramenant ses jambes contre son torse pour venir les entourer de ses bras, je perdais à nouveau ma connexion avec lui. Son corps parlait pour lui et recroquevillé sur lui-même, j'avais perdu le Taehyung de tout à l'heure, le vrai peut-être.

« Bien entendu que j'y suis déjà allé, je dirais même que j'en connais les moindres recoins » finit-il par cracher un sourire amer accroché aux lèvres.

Après cette déclaration à l'image de son instigateur, mystérieuse, ce fut silence radio.

La communication était coupée.

Il faut dire que je n'avais pas déployé des efforts surhumains pour le sortir de sa coquille, tout simplement car j'étais toujours confortablement installé dans la mienne, et surtout, ce n'était pas mon rôle.

J'étais celui qui allais le livrer au Conseil, je n'avais pas le droit de sympathiser. Plus encore, je ne savais pas quel sort lui serait réservé, même si tout au plus, il serait emprisonné si un quelconque méfait lui était reproché.

Fort heureusement, la peine de mort était déjà abolie lorsque mon père n'était qu'un bambin.

Mais alors...Taehyung pourrait-il vraiment être un dangereux criminel ? Non, je ne pouvais le croire. De toute manière, si cet individu était particulièrement dangereux, on m'aurait mis en garde ne serait-ce que pour la bonne marche de la mission.

Mes craintes étaient par conséquent veines, il fallait que j'avance les yeux fermés, guidé par mes instructions.

Ce fut sur toutes sortes de réflexion du même acabit que la nuit tomba et que nous nous installions pour la nuit qui s'annonçait. Taehuyng était désormais sous les couvertures, dos à moi et une main menottée à la table de nuit. Quant à moi, je m'étais installé dans le fauteuil à ses côtés afin de garder un œil sur lui et être prêt à agir si besoin.

Déjà, ses omoplates montaient puis s'abaissaient au rythme de sa respiration calme et profonde, seul sa chevelure dépassant des draps. Contrairement à lui, le sommeil s'évertuait à me fausser compagnie. Mon corps se mouva encore et encore pour trouver une position qui me conviendrait, mais tout espoir semblait vain, chimérique.

Mes orbes finirent par se poser irrémédiablement sur cette silhouette qui faisait surgir en moi tant de questionnements.

« Qui es-tu ? »

Lorsque Tahyung se tourna vers moi pour me fixer les paupières mi-clauses, je compris que mes mots avaient dépassés mes pensées.

La phrase qui suivit n'arrangea pas mon insomnie latente, alors que ses mots avaient jailli du plus profond de son cœur, prononcés d'une façon si convaincante qu'elle m'arracha un long frisson d'appréhension.

« Je suis la peur. Celle qui s'insinue dans le cœur des conseillers à chaque fois que ma vision s'impose à leur esprit malade. Je suis la crainte ultime de ton précieux Conseil. »


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