Partie 10 : Vision trouble

Depuis notre départ de Malios, nous n'avions pas reparlé une seule fois, si ce n'est pour des histoires d'itinéraire. Ressentant l'un comme l'autre un certain malaise à la suite de notre dernière discussion, sous l'ombre des étoiles, Taehyung s'était contenté d'enregistrer le nom de notre destination dans le GPS de la voiture, sans pour autant me faire part des raisons de ce voyage.

Ma curiosité à son égard et surtout pour ses motivations ne furent qu'accentué alors que nous nous dirigions vers un territoire annexé, et plus précisément vers Driane. Une ville de faible envergure et comme engloutie par les dunes sableuses de la terre Central, sorte de zone grise qui abritait autrefois des séparatistes jouissant de leurs propres lois et coutumes.

Nous avions passé quelques jours sur les routes, et j'avais très peu dormi. Craignant un peu plus chaque jour que mes mensonges soient révélés à mon père, mon sommeil ainsi que mon confort étaient devenus des éléments annexes, un poids supplémentaire à devoir gérer.

Parmi les vastes plaines désertiques nous entourant, je fis un bond de joie lorsqu'un panneau, tel un mirage, apparu dans mon champ de vision : nous étions enfin arrivés à destination.

Taehyung était recroquevillé sur son siège et dormait encore, à la fois par ennui mais aussi sans doute par confort, pour ne pas avoir à converser avec moi et éviter de croiser mes quelques regards en coin.

Seulement et pour une fois, je voulais parler moi.

Même si sa sincérité restait une donnée que je remettais en question, il semblait savoir tant de choses qui m'étaient complètement inconnu.

J'étais coincé dans une sorte de paradoxe, à la fois avide de ses connaissances tout en remettant en cause la véracité de chacune de ses affirmations. Même si je n'en connaissais pas encore l'issue, je voulais que tout ça s'arrête.

Revenir chez moi et retourner à mes certitudes.

La voiture dévia sur une route annexe mieux délimitée, moins lisse et qui nous offrait un panorama de la seule véritable ville du coin.

Une sorte d'oasis dans le désert.

Lorsque des bâtiments de taille moyenne se dessinèrent en toile de fond, j'en fus à la fois soulagé et apeuré.

Heureux de pouvoir enfin mettre un terme à ce voile de mystère et découvrir ses soi-disant révélations, mais affolé à l'idée de ce que je pouvais voir ce soir, aux côtés de Taehyung.

Un monstre qui me serait rendu visible.

Le climat extérieur était plus aride et sec que celui des montagnes et lorsque la voiture s'engagea sur la route principale, un chemin goudronné tracé en plein milieu de la ville, une perle de sueur dévala le long de ma colonne vertébrale, me rappelant ainsi à quel point mes vêtements pouvaient coller à ma peau.

L'endroit n'était en rien comparable à la modernité démesurée d'Alesia, mais son architecture restait remarquable par son efficacité. Des bâtiments gris larges, mais de quelques étages seulement. Un dédalle d'installations similaires les unes aux autres qui s'imbriquaient dans une géométrie millimétrée.

Terne et sans la moindre décoration ou végétation aux allants-tours, mais terriblement efficace.

Les rues formaient des angles quasi-parfaits et on comprenait que cette organisation avait été pensée pour un tel climat. Les infrastructures créaient des ombres partout malgré un soleil toujours là, flamboyant, planant au-dessus de leurs visages bronzés, un épiderme bien plus foncé que la plupart des habitants d'Aîon.

Ma recherche d'un endroit où me garer fut ralentis par la présence d'un panneau de signalisation nous indiquant de nous arrêter. Le mécanisme s'enclencha et un hologramme d'Elias apparu devant les quelques voitures à l'arrêt.

Le message délivré par le premier conseiller, énumérant les grands principes régissant notre nation, laissa le temps aux piétons de traverser tranquillement même si les rues commerçantes restaient peu occupées.

Avant de redémarrer, j'eu juste le temps d'apercevoir un homme, les cheveux crêpés et affublé de loques se confondant avec la crasse qui recouvrait son corps. Il tendait sa main osseuse et tremblante vers des passants indifférents, mais très vite, deux officier de polices étaient apparu et l'avait jeté sans aucune considération sur la banquette arrière de leur véhicule.

Cette vision m'avait tellement troublée que j'avais raté l'intersection dans laquelle je désirais m'engager, mais conscient de l'être à mes côtés et des enjeux de cette journée, je me reconcentrais bien vite sur mes objectifs.

Alors que j'envisageais de nous payer une chambre d'hôtel pour cette nuit, je repérais un magasin, le plus grand que j'ai pu apercevoir dès lors et surtout un parking y étant accolé. Fort heureusement, celui-ci était gratuit et une fois garé, je me retournai vers le profil toujours endormi de mon étrange voisin.

Profondément enfoncé dans le royaume des songes, j'éprouvais presque des remords à l'en extirper. Ses vêtements étaient froissés par les heures passées sur son siège, son large t-shirt baillant sur l'arrondie de son épaule. Je surpris quelque soubresaut de sa part, vivant ses rêves sans se douter que moi je l'attendais.

Je voulais tout savoir de toi Taehyung.

Avant que tu ne débarque dans ma vie, je n'étais curieux de rien, résiliant de ma vie et de mon sort. Désormais, un creux s'était niché en moi et j'avais l'impression que tu toi seul pourrait parvenir à le combler.

« On est arrivé, réveille-toi. »

Autant parler à un sourd, il n'avait même pas réagi.

Résigné mais surtout résolu, je décidai de retirer ma ceinture de sécurité et de me pencher vers lui, son souffle me chatouillant désormais la joue.

Je me montrais beaucoup trop gentil.

Ce garçon avait le don d'attirer ma...Ma sympathie. Mon comportement ne voulait pas se conformer à mon éducation, je n'arrivais pas à jouer la brute insensible, pas avec lui.

De quelle maladie m'avait-il affublé ?

Le cœur tambourinant dans mes tempes, quelques doigts hésitants vinrent effleurer son cuir chevelu, des gestes prudents qui gagnèrent en assurance lorsque je le sentis réagir positivement à mes caresses. Fébrile, je lui chuchotais quelques mots pour le faire émerger alors que lui, frottait inconsciemment son visage contre la peau de mon avant-bras.

Il ressemblait à un chaton.

Bon dieu.

Pour sauver ce qui me restait de crédibilité, je retirais ma main de ses mèches et le secoua comme un prunier, mes doigts agrippés à son épaule dénudée. Après quelques mouvements abrupts, ses yeux s'ouvrirent dans une expression de stupeur, le garçon grognant après que son crâne ai cogné la surface de la vitre.

« Ça ne va pas bien là-haut pour me secouer comme ça ? Dommage que ça ne m'a pas donné envie de vomir tient, j'aurais bien voulu redécorer ton uniforme. Fichu mec insensible. »

Après m'avoir offert une image tout à fait charmante de ses plans avortés, Taehyung se redressa lentement sur son siège, scrutant les environs en prenant conscience qu'on s'était arrêté dans un nouveau décor.

« On...On est arrivée c'est ça ? Bien, pour l'instant on peut se reposer. Je te conduirais à un endroit précis seulement ce soir, souffla Taehyung de sa voix rauque, se remettant avec peine de son réveil brutal.

-Ce soir seulement tu dis ? Très bien... J'ai repéré un café, on pourrait s'y installer quelques temps. De ce que j'en ai vu, l'endroit est plutôt sympathique. Je suis heureux de constater que les subventions du Conseil portent ses fruits. »

Il est vrai que mes compliments étaient davantage pensés comme une pique, lui qui critiquait à tout bout de champ notre appareil politique. Jungkook, restant Jungkook, mes idéaux restaient intacts tout comme mon désir de pousser un bout l'angelot qui se tenait à mes côtés, particulièrement lorsqu'il me parlait ainsi.

Ses yeux roulèrent au plafond, et je sus alors que j'avais atteint ma cible.

« Tu me fatigues avec ton fichu Conseil, tu n'as que ça à la bouche ! Tu ne sais rien de plus que ce qu'on a bien voulu t'enseigner, c'est affligeant !

-Parce que monsieur sait tout sur tout peut-être ? J'ai bien compris que tu étais terré dans cette maison depuis des années. Comme si tu étais un homme de terrain... Répondis-je d'une manière que je savais méprisante.

-C'est Dramor qui m'en a parlé figure toi, grand nigaud. Il lui ai arrivé de partir plusieurs semaines pour me rapporter des nouvelles du pays. Et puis d'abord tu me soules, voilà. »

Ma colère s'était miraculeusement évaporée, et en même temps je ne pouvais pas me blâmer, pas quand Taehyung peinait à reprendre son souffle tellement son débit de parole avait accélérer et surtout pas lorsque l'entièreté de son visage s'était mis à rougir sous le coup des émotions.

« Et qui crois-tu que je sois ? J'ai vécu au contact des personnes considérés comme les plus savantes du pays, et je ne vois toujours pas pourquoi on m'aurait maintenu dans l'ignorance. Tout cela n'a pas de sens mon cher. »

Même si je poursuivais sur ma lancée, mon ton s'était considérablement adouci et le garçon le perçu puisque lui aussi semblait se détendre.

« Je te le concède, c'est louche. Je ne sais pas pourquoi c'est spécial avec toi. Enfin...Tu m'as compris. Quoi qu'il en soit, je sais que je donnerais plus de crédit à mes paroles d'ici ce soir.

- Pourquoi ne pas m'en dire plus ? Je ne comprends pas. »

N'en pouvant plus de cette chaleur écrasante, j'actionnais la poignée de la porte et m'engouffrais à l'extérieure en attendant une réponse du garçon. Taehyung me rejoignît à son tour et tout en relaçant les chaussures qu'il avait retirés pour dormir, je l'entendis émettre un léger grognement don je supposais être la cause.

« Parce que tu es trop dévoué au système, les mots ne fonctionnent pas avec toi. Maintenant arrête de me regarder comme si j'avais la peau verte et emmène-moi dans ce fameux café, je meurs de soif. »

Ne relevant pas l'insolence avec laquelle il s'était adressé à moi, ce ne fut pas son vocabulaire qui retenu toute mon attention et qui nourrissait, surtout, la plupart de mes préoccupations.

J'abdiquais en silence et tout en entamant notre marche, ma cervelle s'efforça de faire le tri entre toutes les informations récoltées, quand bien même ce n'était pas mon rôle.

En y repensant, Taehyung devait être un opposant au régime.

Il était jeune, mais ce n'était qu'un simple sympathisant de l'ancienne République. A cause de sa famille peut-être ?

Seulement, j'avais beau me persuader que le scénario collait, un grain semblait toujours rouiller la mécanique de mes certitudes.

Taehyung était singulier.

Sinon, le grand Elias lui-même n'aurait jamais pris autant de précautions à son égard. D'ailleurs, il était bien rare de réquisitionner autant de moyen pour un simple jeune homme.

Taehyung s'adressa à moi, mais je ne l'entendais plus. Et ce fut à ce moment que je réalisais.

Je n'étais qu'un exécutant et pourtant je réfléchissais.

Je pensais.

Et cette simple action représentait un affront aux Institutions auxquels j'avais juré obéissance.

Une chose était sûre, si cet angelot comptait me tendre un piège ce soir, il le regretterait.

« Allo Jungkook, ici la Terre ? »

Alors que l'enseigne lumineuse du café nous faisait face, mon corps s'immobilisa prêt d'un banc installé devant la devanture, rassemblant peu à peu mes esprits.

« J'étais un peu ailleurs.

-Ouais, j'avais remarqué merci ! »

Obnubilé parce qui m'avait poussé à ignorer les appels de Taehyung, je décidais de m'assoir sur ce banc, invitant silencieusement l'angelot à en faire de même. Visiblement méfiant, il finit par me rejoindre dans des gestes lents, prenant place à mes côtés alors que je fuyais son regard, nerveux à l'idée qu'il se renferme à la suite de la question que je comptais lui poser.

« Tu m'emmène dans ce coin reculé et je prends tous les risques pour cette histoire. Tu dis que les mots ne fonctionnent pas sur moi, mais pourtant je t'ai suivi ici. J'ai...Je crois avoir besoin de te cerner un minimum, que tu me donnes une info, n'importe quoi. Je repense à l'endroit où tu vivais et... Dramor est-il ta seule famille ? »

Mes paroles n'étaient pas forcément cohérentes, mais les mots s'étaient assemblés ainsi. Taehyung souffla assez bruyamment, sans surprise ennuyé par ma question, mais étrangement il semblait plus triste qu'en colère.

« Je peux bien répondre à ça... Après tout tu n'as pas tort, tu m'as fait un minimum confiance alors je peux bien faire un effort. »

Bientôt lui aussi fuyait ma direction, croisant les bras sur son torse tout en tapant du pied dans un rythme frénétique.

« Une petite sœur. J'avais une petite sœur. Elle est morte il y a des années de ça et j'aurai dû subir le même sort à l'époque. »

Même si les raisons pouvaient être multiples le timing était trop parfait pour que je me sois trompé. Nous n'étions que des enfants lors de la prise de pouvoir d'Elias. L'affrontement faisait rage alors que nos yeux innocents étaient incapables de faire la lecture des évènements.

« Je suis enfant unique, mais j'y ai perdu ma mère. Le conflit a fait des ravages, pas vrai ? » Lui répondis-je sans doute pour lui montrer que je comprenais, en partie.

Que je compatissais.

« Quel esprit de déduction... Désolé pour toi. Il est vrai que la guerre n'épargne absolument personne. »

Confirmant mes soupçons, sa réponse me parut étrange malgré-tout car il manquait un élément de taille. A aucun moment il n'avait mentionné ses parents, pas une seule fois.

Mon cheminement fut soudainement interrompu par Taehyung, celui-ci ayant tapé dans ses mains, suffisamment fort pour me faire reculer sur mon banc.

« Ils font des milkshakes à la fraise dans ce café ? » me demanda Taehyung avec envie, les yeux brillants.

-Quoi...Je...Je ne sais pas, surement.

-Génial, on y va alors ! »

Le voyant trottiner jusqu'à la porte vitrée, j'en oubliais parfois qu'il avait vécu reclus du monde extérieur ces dernières années. Une simple sortie dans un café l'excitait tout autant que s'il s'apprêtait à faire la fête dans l'une des tours les plus hautes de la capitale.

Son enthousiasme était surement sincère, mais je me doutais que cette soudaine ferveur cachait bien d'autres choses.


Nous étions désormais installés confortablement dans un établissement qui ne payait pas de mine, mais qui me parut tout à fait charmant. Les couleurs clairs qui s'étalaient au mur permettaient de rentre la température ambiante plus fraiche qu'à l'extérieur, les plantes disséminées un peu partout y aidant beaucoup.

Tout le mobilier était constitué d'un bois clair du sol au plafond, donnant des allures de saloon des temps moderne au café. La seule différence avec le genre de lieu auquel je me référais fut la délicatesse de la vaisselle en porcelaine et la présence de coussins moelleux d'un blanc nacré déposé sur chacun de nos sièges.

Assis l'un en face de l'autre, je me plaisais à détailler le raffinement du lieu alors que Taehyung de son côté, se contentait de fixer d'un air absent son milkshake, une jambe croisée par-dessus l'autre. Son long doigt tapotait le rebord de la table et les ondes de nervosités qu'il diffusait étaient si forte que j'en ressentais bientôt les effets, sentant mon estomac se tordre à la seule vision troublée de ce garçon. Quelque part, je craignais que notre dernière conversation l'eût ramené à des souvenirs qu'il s'était efforcé d'enfouir loin en lui.

« Sans vouloir rentrer dans un énième conflit, tu ne peux pas nier que la ville m'a l'air tout à fait bien administré, fis-je alors pour tenter de chasser les ombres qui semblaient dévorer Taehyung. »

Le jeune homme sembla enfin revenir à lui et lorsqu'il me sonda de ses yeux lunaires, je ne sus mettre des mots sur ce qu'ils me faisaient ressentir. Pour la première fois, je me sentais presque intimidé par son regard insondable, à la fois si impassible et si intense que je craignais presque les pensées qui pouvaient le traverser lorsque mon visage lui apparaissait.

Mes connaissances ne se limitait pas à mon lieu de naissance et je savais pertinemment pourquoi Taehyung se rebiffait ainsi. Avant de devenir une région annexée d'Aîon, ce territoire était autonome.

Cela faisait seulement une dizaine d'années que Teremys appartenait à notre pays, depuis la signature d'un traité passé avec le nouveau pouvoir en place de l'époque, sous l'égide de l'actuel Conseil.

Ce territoire avait fait le mauvais choix, celui de soutenir l'ancienne République, et les dégâts de la guerre avait terrassé leur organisation. Certes, ce peuple devait désormais se plier à nos lois et parler notre langue, mais aujourd'hui l'argent qui affluait des caisses centrales leur avait permis et je le constatais, de se relever pour vivre plus dignement.

« Moi non plus, je ne veux pas me disputer avec toi. »

Il décroisa ses longues jambes et d'une façon presque imperceptible, il pencha son buste en avant, comme pour me confier un secret.

« C'est juste que, comme d'habitude, tu te contentes des apparences. Tu es naïf de...Enfin, je veux dire que cette région ne se résume pas à sa ville principale. Cela doit représenter même pas un dixième de la population totale, ce n'est qu'une façade. L'argent pullule ici, mais tes yeux ne parviennent pas à dépasser cet horizon, plus loin, là où vit une multitude de petites communautés qui s'entassent dans des habitations insalubres parce que les impôts exorbitants de cette ville la rendent inhabitable pour la plupart. Alors pas à moi, ne me joue pas ton petit discours sur les bienfaits de la colonisation. L'Histoire te donnerait tort de toute manière. »

Mes doigts se crispèrent sur la tasse de mon café glacé, et je n'osais plus croiser ses prunelles.

Agaçant.

Il avait toujours réponse à tout, et à son contacte, je me sentais de plus en plus idiot.

Mon être était comme sillé en deux.

Une part de moi se répétait qu'il n'était qu'un inconnu, un fugitif plutôt malin qui se donnait toutes les peines du monde pour s'extirper du piège dans lequel il était captif. Seulement une autre partie de moi, de plus en plus conséquente, écoutait le chant de la sirène, ses mots convainquant et surtout corroborés peu à peu par des éléments que j'ai pu constater de mes propres yeux.

A bien y réfléchir, mon père m'avait gardé dans cette sphère de cristal, Alesia. Et de moi-même je n'avais pu rien voir, rien entendre, rien dire. J'étais totalement dépendant de la perception du monde que mon entourage s'appliquait à m'inculquer.

Pouvais-je réellement avoir été à ce point aveugle ?

Taehyung voulait avoir une réponse de ma part, mais je fus sauvé par le gong lorsque je sentis mon cellulaire vibrer dans la poche intérieure de mon uniforme. J'ignorais le regard étrangement enjoué que le serveur qui apportait nos crêpes nous lança et répondit dans la seconde, soulagé mais pas pour longtemps.

Mon père s'enquérait de plus en plus souvent de l'avancée de la mission et je savais que notre temps était compté, que les mensonges ne tarderaient pas à s'effriter. J'avais raconté à mon père que la cible était tomber malade, en assez mauvais état pour faire appel à un médecin et devoir retarder notre avancée sur les routes. J'avais perçu son scepticisme, mais il avait fini par acquiescer non sans me mettre une pression démentielle, comme il savait si bien le faire.

Lorsque je décrochais l'appel, Taehyung n'avait pas détourné une seule fois son attention de ma personne, presque boudeur de ne pas avoir obtenue sa réponse.

Mon père déblatérait ses formules toutes faites sur le devoir et l'honneur comme à son habitude lorsque soudainement, je dû retenir un cri de surprise.

Taehyung m'avais donné un coup de pied sous la table.

Mes orbes le foudroyèrent sur place, mais à mon plus grand regret ce garçon semblait de moins en moins me craindre...

Non mais franchement qui allait croire ça ?

Le seul fautif était bien celui qui portait l'uniforme, j'avais presque voulu qu'il en soit ainsi.

Ma main s'éleva dans les airs pour lui faire signe de cesser ses enfantillages, mais ma réaction sembla avoir l'effet inverse, l'angelot redoublant ses efforts pour me déstabiliser.

Pouffant à moitié, il se mit à faire toute sorte de grimace et tenta même d'imiter mon père en l'écoutant parler à travers le combiné du téléphone.

Ma lèvre inférieure fut presque mordue à sang parce que malgré-tout son petit stratagème fonctionnait, le rire coincé dans ma gorge me donnant une voix plus que ridicule.

S'il avait eu ce comportement il y a quelques jours de cela, j'aurais été furieux. Mon père relevait presque du sacré pour moi, mais ce garçon parvenait à le tourner en dérision d'une façon qui ne me blessait pas.

Sacré exploit.

Mon appel s'acheva sous les petits bruits étranges que Taehyung produisait avec la paille de sa boisson et avant qu'il ne dise quoi que ce soit je voulu le couper, loin de vouloir offrir à cet alien venu d'ailleurs la moindre satisfaction.

« Je me passerais de tes commentaires tu- »

Le torse bombé et l'expression faussement renfrognée je m'apprêtais à l'envoyer paitre comme jamais. Cependant le son mourut à la surface de mes lèvres, mes yeux ronds comme des soucoupes.

Les siennes de prunelles, commencèrent à se teinter de rouge, une couleur qui ne présageait rien de bon.

Taehyung versait littéralement des larmes de sang.

Mon souffle se coupa sous le poids de la panique, une panique glaçante qui gagnait chacun de mes membres.

« T-tae tu...Tes yeux...Tu...Bordel tu saignes. »

D'un calme qui m'effara, Taehyung porta ses mains à son visage, le sang tachant rapidement le bout de ses doigts. Il semblait déphasé, ne produisant pas la moindre réaction, sauf à prendre en compte son apparente indolence.

Il était sans doute sous le choc. D'ailleurs je n'étais pas en reste, imaginant sans le vouloir le pire des scénarios, me visualisant déjà presser dans mes bras son corps inerte.

« On ne peut pas rester ici, finit par souffler posément Taehyung, me sortant alors de ma transe. »

Le sang continuait d'affluer, souillant bientôt son t-shirt en laissant dans son sillon de macabres dessins. Cette vue m'insupportait, mais je m'efforçais de faire revenir le Jungkook normal, celui qui prenait les choses en main.

Celui qui ne ressentait pas.

Les doigts de Taehyung tentaient d'effacer les marques rouges, mais il ne faisait qu'étaler davantage l'hémoglobine présente sur son visage. Voulant mettre fin au massacre, je me saisissais de ses poignets, sans le brusquer. Le garçon se laissa faire alors que je l'entrainais en dehors du café, m'assurant par la même occasion qu'il parvenait à tenir sur ses deux jambes.

Arrivée dans une rue plus calme juste derrière l'établissement, j'encourageais l'angelot à s'assoir à même le sol, mon corps suivant son mouvement alors que je sortais fébrilement un mouchoir de ma poche.

« Dis-moi ce que je dois faire. J'ai l'impression à te voir que ce n'est pas la première fois. Est-ce que dois appeler un médecin ? Dis-moi comment je peux t'aider, je t'en prie Taehyung. »

Ma main tenant le mouchoir s'attela à passer avec une douceur infinie sur l'épiderme de sa peau, l'angelot ne semblant pas en état de faire quoi que ce soit.

Ses larmes de sang finirent par se tarir et Taehyung se contenta de me souffler un bref « ça va passer », avant de m'observer avec la plus grande des minuties pendant que je le nettoyais, une de mes mains pressant sa nuque pour prendre appuie.

Mon inquiétude devait se lire sur mon visage puisqu'après quelques minutes passées à prendre soin de lui dans un silence de mort, je sentie mon avant-bras se faire agripper par des doigts fébriles et un regard légèrement brillant plonger dans le miens.

Ce fut sans doute ma bienveillance qui le poussa à se confier ce jour-là.

J'aurai voulu tout savoir, absolument tout, pour l'aider lui et me protéger moi.

« Jungkook, j'ai peur. »

Sa deuxième main vint s'accrocher à la veste de mon uniforme avant de poursuivre, les doigts douloureusement crispées sur mon veston.

Le réconfort restait un inconnu pour moi et pourtant c'était bien la seule chose que je voulais lui apporter. C'était tout ce que m'inspirait son image alors qu'il était là, vulnérable, à me fixer le blanc de ses yeux encore pourpre, morbide.

« M-ma vie est sans doute misérable, mais j'ai un jour promis de m'y accrocher. Tu comprends ? »

Je clignais une fois, deux fois des paupières, déboussolés de ses mots lourds de chagrins et de significations.

« Qu'est-ce que tu racontes ? Si tu parles de la mission, la peine de mort n'est plus valable depuis longtemps... Je ne sais pas ce qu'il se passe mais tu ne vas pas mourir, je te le promets. »

Surement extenué par la rivière de sang versée peu de temps avant, Taehyung s'effondra contre moi, son visage plaqué contre mon torse. Cette image d'un garçon aussi incroyable, détruit, me déchira le cœur. Malgré ce puissant élan et même si je lui avais permis de se laissait aller contre moi, mes bras restèrent inertes autour de sa frêle silhouette, incapable de lui offrir l'étreinte dont il avait tant besoin.

Alors que je pensais Taehyung endormi, son corps remua légèrement contre le miens et après une brève inspiration il me répondit, ne semblant pas vouloir quitter ma chaleur malgré la température extérieure.

« Je te crois Jungkook. Je te crois. »

💙💙💙

Coucou ^^

J'annonce, sans préambule, direct, que les deux prochaines parties sont mes parties préférées...

Je n'en dis pas plus !

J'espère que cette histoire vous fait passer un bon moment et que vous avez autant hâte de connaitre la suite que j'ai hâte de la publier :)

Je vous souhaite un très bon début de semaine et espère que tous va bien de votre côté,

A la prochaine!


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