Chapitre 8 : Secret

Aurianne

Sans hésiter plus longtemps, je me redresse d'un bond et me précipite hors de la chambre, mon cœur battant la chamade. Chaque seconde compte, je le sais, et l'idée de rester une minute de plus ici me semble insupportable.

D'un geste rapide et précipité, j'attrape mes chaussures, sans prendre la peine de prévenir qui que ce soit. Pour une fois, j'ai eu la bonne idée de ne pas mettre de talons, ce qui m'évite une course désastreuse sur le carrelage froid du couloir. En revanche, ma tenue laisse à désirer : trop courte, trop moulante, bien trop voyante pour passer inaperçue. Tant pis.

Personne parmi les convives ne semble remarquer mon départ précipité. De toute manière, même si quelqu'un s'en était aperçu, j'aurais trouvé une excuse en un claquement de doigts, un mensonge habile lancé avec assurance avant de disparaître. L'air vif du dehors me cueille brusquement alors que je franchis la porte de l'immeuble.

Je balaye rapidement les alentours du regard, mes yeux fouillant l'obscurité à la recherche d'une silhouette familière. Il ne me faut pas plus d'une minute pour l'apercevoir. Noam marche au loin, les mains enfoncées dans les poches de son sweat, la capuche rabattue sur son visage. Son allure, faussement détachée, a quelque chose d'inquiétant. Il ressemble à quelqu'un qui prépare un mauvais coup, une ombre mouvante dans la pénombre de la rue.

Une boule d'angoisse se forme au creux de mon ventre. Que fait-il ? Où compte-t-il aller ? Et surtout... qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ?

Arrête de réfléchir, abrutie ! Suis-le !

Pour une fois que mes voix intérieures ne surgissent pas pour me rabaisser, je décide de leur obéir sans poser de questions. Un ordre clair, net, sans détours. Pas d'hésitation, pas de tergiversations inutiles. Alors, sans perdre une seconde de plus, je me mets en mouvement, mes muscles tendus par l'adrénaline.

Je commence à courir, aussi discrètement que possible, veillant à ne pas faire résonner mes pas sur le bitume humide. Mon souffle s'accélère, mais je le contrôle du mieux que je peux. Je ne dois pas me faire repérer. Noam marche d'un pas rapide, sa silhouette se fondant dans la nuit, et je lutte pour ne pas le perdre de vue. Chaque mouvement compte. Chaque respiration est un effort mesuré.

Le vent nocturne fouette mon visage, glisse sur ma peau et fait danser les mèches de mes cheveux derrière moi. L'air est frais, chargé de cette tension presque électrique propre aux heures tardives où tout semble à la fois figé et en perpétuel mouvement. L'angoisse me serre la gorge, mais je la ravale. Ce n'est pas le moment d'avoir peur.

De loin, je vois que mon meilleur ami quitte l'avenue principale et s'engage dans une ruelle plus étroite, loin de l'agitation du centre-ville. L'endroit est désert, faiblement éclairé par des lampadaires à la lumière tremblotante. Ici, les bruits du monde semblent assourdis, presque inexistants.

Je ralentis légèrement, mes muscles tendus à l'extrême. L'atmosphère est lourde, pesante. Quelque chose ne va pas.

Noam continue d'avancer, le dos voûté, ses mains profondément enfoncées dans les poches de son sweat. Il n'a pas son allure habituelle. Lui qui, d'ordinaire, se tient toujours droit, presque nonchalamment, a aujourd'hui une posture différente. Il ressemble à quelqu'un qui voudrait disparaître, se fondre dans l'obscurité.

Je le suis de loin, prenant soin de me fondre dans les ombres. J'évite les flaques d'eau qui pourraient révéler ma présence, je retiens mon souffle lorsqu'un passant trop curieux pourrait croiser mon regard. Je suis une ombre parmi les ombres, un spectre effrayé mais déterminé.

Il bifurque encore. Nous arrivons dans une zone que je ne connais pas bien. Les immeubles sont vieux, les murs tagués, certaines fenêtres brisées. Un frisson me parcourt. Qu'est-ce qu'il vient faire ici ?

Puis, soudain, il s'arrête.

Je me plaque contre un mur, le souffle suspendu, le cœur battant si fort que j'ai l'impression qu'il va trahir ma présence. Noam ne bouge pas pendant quelques secondes, puis il sort son téléphone.

Il ne compose aucun numéro. Quelqu'un l'a appelé.

Je me concentre, retenant même ma respiration, tendant l'oreille pour saisir le moindre mot.

— Ouais, c'est moi, dit-il d'une voix grave, presque murmurée.

Il marque une pause. Son autre main vient se frotter la nuque, un tic nerveux que je lui connais bien.

— Je sais... Je sais, bordel.

Une autre pause. Il serre la mâchoire, baisse la tête, secoue légèrement la jambe comme s'il cherchait à expulser une tension invisible.

— Je suis désolé, patron.

Mon sang se glace.

Patron ?

Depuis quand Noam en a-t-il un ? Il ne m'a jamais parlé d'un boulot.

Je fronce les sourcils. Peut-être qu'il bosse en cachette ? Peut-être qu'il fait des petits boulots dont il a honte ? Mais si c'était le cas, pourquoi cet air tendu, ce ton grave, cette façon de parler comme s'il risquait quelque chose ?

— Non, personne ne m'a suivi, reprend-il.

Un mensonge.

Je suis là. Mais il ne le sait pas.

— Je vais régler ça ce soir, ajoute-t-il. Accordez-moi juste un peu plus de temps.

Il se passe une main sur le visage. Ses doigts tremblent légèrement.

— J'ai compris, lâche-t-il, plus froidement.

Puis, d'un geste sec, il raccroche.

Il reste immobile un instant, comme figé, avant de lâcher un long soupir. Il remet son téléphone dans sa poche et reprend sa marche. Cette fois, son pas est plus rapide, plus tendu. Il veut en finir avec ce qu'il doit faire.

Et moi, je ne peux pas faire demi-tour maintenant.

Je continue à le suivre, mais mon cerveau fonctionne à toute vitesse. À qui parlait-il ? Qu'est-ce qu'il doit "régler" ? Pourquoi s'est-il excusé ?

Noam est mon meilleur ami. Depuis toujours. Il est la personne avec qui j'ai partagé mes pires moments, celle qui a toujours su me comprendre sans que j'aie besoin de parler. Il ne me cache jamais rien.

Enfin... c'est ce que je croyais.

Il marche encore plusieurs minutes avant d'arriver devant un vieux bâtiment à l'air abandonné. Un ancien garage, peut-être. La porte est entrouverte, et sans hésiter, il s'y engouffre.

Je me stoppe net.

C'est le moment où je devrais me poser des questions. Où je devrais me dire que je suis allée trop loin et que je dois faire demi-tour.

Mais non. Au lieu de ça, je m'approche. Je colle mon oreille contre la porte, essayant d'entendre quelque chose.

Un bruit de pas. Une voix grave, rauque.

— T'es en retard.

Mon cœur rate un battement.

— J'ai eu un contretemps, répond Noam d'une voix tendue.

— T'as pas intérêt à nous foutre dans la merde, gamin.

Il y a un silence. Puis un bruissement, comme si quelqu'un venait de poser quelque chose de lourd sur une table.

— C'est prêt ? demande Noam.

— Ouais.

Un autre silence.

Puis Noam souffle :

— J'ai pas signé pour ça.

— Fallait réfléchir avant d'accepter, rétorque l'autre voix, sèche et menaçante.

Il ne répond pas immédiatement.

J'ai une soudaine envie d'entrer, de le tirer de là, de lui dire qu'il n'a pas besoin de faire ça, peu importe ce que c'est.

Mais je suis paralysée.

— Je veux plus faire ça, lâche finalement Noam.

Un rire amer lui répond.

— C'est pas comme ça que ça marche, gamin.

Un silence pesant s'installe. Puis mon ami d'enfance finit par murmurer :

— Je vais trouver une solution.

— Fais ça. Mais vite.

Des bruits de pas résonnent, puis un bruit de métal.

Je tourne les talons et file me cacher derrière un mur, mon cœur battant à tout rompre.

Quelques secondes plus tard, Noam ressort du bâtiment, le regard sombre. Il a l'air plus tendu que jamais. Il se met à marcher rapidement, comme s'il voulait s'éloigner de cet endroit au plus vite.

Je ne sais pas ce qu'il vient de récupérer. Je ne sais pas dans quoi il est impliqué. Mais une chose est sûre : il a des ennuis.

Et il va falloir que je découvre pourquoi.

Si je devais décrire mon plus grand défaut, ce ne serait ni ma maladresse ni mon impulsivité. Non, si je suis particulièrement nulle dans un domaine, c'est bien dans celui de me mêler de mon cul.

— Aurianne, sors de ta cachette, je sais que tu es là.

Oups. Repérée.

Mon cœur rate un battement, et pendant une fraction de seconde, j'envisage de rester immobile, de me fondre dans les ombres comme si, par miracle, je pouvais disparaître de son champ de vision. Mais à quoi bon ? Son ton est sans appel. Il m'a vue.

Je sors lentement de ma cachette, le dos un peu voûté, un sourire bête accroché aux lèvres, comme si je pouvais désamorcer la situation avec un air innocent. Spoiler alert : ça ne marche pas.

Noam me foudroie du regard, ses yeux noisette étincelant d'une colère brute. Il serre les poings si fort que je distingue les tendons saillants sur sa peau. Lorsqu'il ouvre la bouche, sa voix tremble de rage et d'autre chose que je ne parviens pas encore à définir.

— Putain, mais t'es conne ! s'étrangle-t-il. S'ils t'avaient vue, j'aurais pu avoir des problèmes !

Il passe une main sur son visage, comme s'il tentait de se calmer, mais son souffle est erratique. Il n'y arrive pas.

— Quand je te dis de me laisser, putain de merde, tu le fais !

Je croise les bras, le fusillant du regard à mon tour. L'adrénaline pulse encore dans mes veines, alimentée par son ton sec, par son attitude. Je ne vais pas me laisser rembarrer comme une gamine.

— Et toi alors ? Hein ?! Qu'est-ce que c'est que cette situation au juste ? Tu as quoi ? C'est qui ?!

Il fronce les sourcils et se détourne brusquement, m'offrant son dos comme s'il refusait d'affronter mes questions. Je vois ses épaules tressauter sous l'effet de sa respiration hachée. Il lutte. Contre quoi ? Contre qui ?

J'hésite une seconde, puis je m'avance, posant doucement mes paumes sur ses épaules. Il tressaille, mais ne me repousse pas.

— Noam...

— Tu ne comprends pas ! lâche-t-il d'une voix dure en se dégageant violemment de mon contact.

Il pivote vers moi, ses yeux brûlant d'une lueur que je ne lui ai jamais vue. De la peur.

— Tout ça, c'est trop dangereux pour toi...

Je secoue la tête, incrédule.

— Mais bordel, Noam ! Je suis ta meilleure amie !

Je m'avance encore d'un pas, refusant de lâcher l'affaire.

— Tu m'as toujours tout confié depuis qu'on est gosses et maintenant, tu fais de la merde en cachette alors que je suis là, alors que je suis présente pour toi !

Il ne répond pas. Son regard vacille, cherchant un point d'ancrage ailleurs, n'importe où, sauf sur moi.

— Tu peux tout me dire, tu le sais en plus.

Un silence tendu s'installe entre nous, aussi tranchant qu'un éclat de verre. Je devine la tempête qui fait rage dans sa tête, l'hésitation qui le ronge. Il voudrait parler. Il voudrait me dire la vérité. Mais il se l'interdit.

Pourquoi ?

Je le fixe, attendant, espérant. Mais au lieu d'une confession, il lâche un soupir rauque et passe une main nerveuse dans ses cheveux.

— Aurianne, tu ne devrais pas être là, souffle-t-il.

— Trop tard.

Ma réponse claque dans l'air, ferme et implacable. Il pince les lèvres, agacé.

— Putain...

Son poing s'abat contre le mur à côté de lui, et je sursaute. Mais ce n'est pas moi qu'il veut frapper. C'est la situation.

— Dis-moi ce qui se passe.

Il ferme les yeux, secoue la tête.

— Tu ne comprendrais pas.

— Essaie au moins.

Il rit. Un rire amer, qui n'a rien d'amusé.

— C'est pas aussi simple, Aurianne.

— Alors rends-le simple ! M'emporté-je.

Il me regarde enfin. Ses yeux sont sombres, remplis d'émotions contradictoires. Je jurerais qu'ils brillent un peu sous la lumière tamisée de la ruelle.

— Tu veux savoir ?

Je hoche la tête.

— Tu es sûre ?

— Je n'ai jamais été aussi sûre de ma vie.

Il passe sa langue sur ses lèvres, prend une grande inspiration, puis finit par lâcher, dans un murmure à peine audible :

— J'ai merdé.

Mon estomac se contracte.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il baisse la tête, sa voix à peine plus forte qu'un souffle.

— J'ai fait des choix que je regrette. J'ai cru que je pouvais gérer... mais je suis allé trop loin.

Je sens ma gorge se nouer.

— Noam... c'est quoi, exactement, « trop loin » ?

Il lève enfin la tête vers moi.

— Si je te le dis, tu ne me regarderas plus jamais pareil.

La peur dans ses yeux me broie la poitrine.

— Ça, c'est pas à toi d'en décider.

Il hésite encore. Puis, lentement, il recule d'un pas.

— Aurianne... C'est un secret...

Mon prénom sonne comme un adieu. Il tourne les talons et s'éloigne, me laissant figée sur place.

— Noam !

Il ne se retourne pas.

— Putain, Noam, reviens ici !

Ma voix se brise, mais il continue d'avancer. Je fais un pas en avant, prête à le suivre de nouveau. Mais cette fois, je le sens.

S'il veut vraiment me protéger, alors peut-être que le danger est bien pire que ce que j'imagine.

Et ça... ça me terrifie plus que tout.

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