Chapitre 6 : Image mensongère

Aurianne

Un mois.

Un mois entier que je me plie aux exigences d'un rôle qui n'est pas le mien. Que je me glisse dans une peau trop étroite, que je porte un masque qui m'étouffe.

Un mois que je suis devenue ce que l'on qualifierait d'irréprochable. Un modèle de vertu, un exemple à suivre. Une façade impeccable.

C'est un véritable enfer.

Parce que c'est tout sauf moi.

Je ne suis pas de ceux qui courbent l'échine pour plaire, de ceux qui sourient quand leur cœur gronde. Je ne suis pas hypocrite. Je n'ai jamais su l'être, et je ne veux pas l'apprendre.

Je refuse de jouer un rôle. D'adopter cette politesse feinte, ces regards mesurés, ces paroles que l'on pèse avant de les lâcher. Je refuse d'être une ombre de moi-même.

Je ressens les choses avec une intensité que je ne peux dissimuler. Quand j'aime, je le montre, sans réserve, sans détour, avec cette sincérité brute qui fait parfois peur. Quand je n'aime pas, c'est tout aussi évident. Un simple regard suffit, un silence, une absence. Tu n'auras pas besoin de mots pour comprendre.

Et pourtant, depuis un mois, je fais semblant. Je souris alors que tout en moi se rétracte, je parle alors que je n'ai rien à dire, j'acquiesce alors que mon esprit hurle son désaccord.

Un mois à vivre une vie qui n'est pas la mienne.

Combien de temps avant que cette image factice ne se fissure ? Avant que cette illusion ne s'effondre sous le poids de mon propre refus d'être autre chose que moi-même ? Une chose est sûre : pas beaucoup. Je me donne encore maximum une à deux semaines. En attendant l'explosion, je dois trouver une solution. Une pour ne pas finir à la rue, et une autre pour ne pas être exclue du lycée. Quoi que cela ne me dérangerait pas tant que ça... de ne plus passer des heures entières assise sur une chaise à regarder un putain de tableau blanc qui me déprime et à écouter un humain parler sans s'arrêter de choses qui, pour la plupart, ne nous serviront à que dalle pour affronter ce monde de merde.

Oui, j'ai la haine. Clairement. Mais l'avouer serait signer mon arrêt de mort. Pas maintenant. Pas aujourd'hui. Pas à Noël. Je dois me ressaisir rapidement.

Mon réveil sonne, brisant le fil de mes pensées. Je me redresse lentement, chassant la torpeur qui alourdit mes membres. Le froid de la pièce me fait frissonner et j'attrape le premier pull qui me tombe sous la main avant d'enfiler mon jean usé.

Lorsque je rejoins ma mère dans le salon, elle me gratifie d'un sourire. Un sourire figé, faux, creux. L'hypocrisie habille ses traits avec une aisance effrayante. Je lui rends son sourire, un masque contre un autre, tentant de masquer l'amertume qui m'envahit à chaque interaction avec elle.

— Aurianne, comment je m'habille ? me demande Ysaline en déboulant dans la pièce, les bras chargés de vêtements.

Elle me tend deux robes, hésitante. Je l'observe un instant, pesant le pour et le contre. La première est une robe longue en velours bordeaux, à manches longues, élégante et sobre, parfaite pour une soirée un peu guindée. L'autre, une robe noire à paillettes avec un décolleté en V, plus festive, plus tape-à-l'œil.

— Hmm... J'ai beaucoup...

Je m'interromps, détaillant encore les deux tenues. J'ai toujours aimé ce qui entoure le style, être bien habillée, porter de belles choses et me faire remarquer pour cela. Quitte à mettre mes formes de Guadeloupéenne en valeur. Pourquoi se cacher quand on a un corps à faire tourner les têtes ? J'ai toujours pensé que la mode n'était pas qu'une question de vêtements, mais d'attitude, de confiance en soi. Une manière de dire au monde : "Regarde-moi, je suis là, et je ne m'excuserai pas d'exister."

Je jette un coup d'œil à ma grande sœur. Elle est belle, mince, avec une silhouette élancée qui ferait pâlir d'envie n'importe quelle fille. Mais elle ne le voit pas. Elle doute. Comme si elle attendait une validation extérieure pour oser briller.

— Ça dépend, tu veux impressionner ou juste être classe ? Parce que la bordeaux, c'est sobre, classe, tu fais la fille distinguée et élégante. La noire, c'est plus tape-à-l'œil, ça brille, c'est audacieux, mais ça fait soirée mondaine.

Elle fronce les sourcils, regardant ses robes comme si elles allaient lui souffler une réponse.

— Je veux être belle... mais sans trop en faire, dit-elle en pinçant les lèvres.

— Alors prends la bordeaux, et joue avec les accessoires. Mets des boucles d'oreilles un peu voyantes, un collier fin mais marquant, et des talons assortis. Avec un maquillage léger mais sophistiqué, ce sera parfait.

Elle hoche la tête, visiblement satisfaite de mon conseil, avant de disparaître dans sa chambre pour se préparer.

Moi, je reste plantée là, face à ma mère qui me dévisage encore avec ce sourire figé. Un poids s'abat sur ma poitrine. Une tension sourde, étouffante.

— Tu devrais faire des efforts, Aurianne, souffle-t-elle finalement. Sourire un peu plus. Être plus... agréable.

Je la fixe, incapable de répondre. Parce qu'elle ne comprendrait pas. Parce qu'elle ne veut pas comprendre.

Alors je me contente de détourner les yeux, attrapant une canette de coca avant de retourner dans mon antre, dans l'idée de choisir une tenue pour ce soir.

Je pose ma canette sur la commode et ouvre mon placard en grand. Un sourire naît sur mes lèvres alors que mon regard balaie les tissus chatoyants, les coupes audacieuses, les couleurs vibrantes qui peuplent mon petit royaume textile.

Je fais glisser mes doigts sur les tissus, hésitante. Ce soir, c'est le réveillon. Si je dois me plier à cette mascarade, autant le faire à ma manière. Hors de question de ressembler à une ombre fade dans une robe terne et sage. Je veux briller. Je veux attirer l'attention, imposer ma présence.

Mon regard s'arrête sur une robe moulante en velours rouge, au décolleté plongeant, avec un dos nu vertigineux. Sensuelle, provocante, terriblement moi. Je l'attrape et l'observe sous la lumière. Une merveille.

Je l'enfile et me tourne vers le miroir. Le tissu épouse mes courbes avec une perfection insolente. Mes hanches sont mises en valeur, ma poitrine soulignée juste ce qu'il faut. Je pivote légèrement, appréciant l'éclat du rouge sur ma peau caramel. Une paire de talons dorés, de longues boucles d'oreilles et un maquillage soigné compléteront le tout.

Je me recule d'un pas, observant mon reflet. Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres.

— Fais des efforts, Aurianne... souris un peu plus... sois plus agréable...

Je ricane en attrapant ma canette. Ils vont voir à quel point je peux être agréable. À ma façon.

Tu ne seras jamais capable de faire ça sans t'attirer d'ennuis.

— C'est ce qu'on va voir ! Défié-je mes voix intérieures.

***

L'appartement de Valéria est baigné de lumière, illuminé par des guirlandes scintillantes et des bougies qui dansent au rythme d'une brise légère. L'atmosphère est empreinte de l'esprit de Noël, réchauffée par des rires et des voix joyeuses qui s'entremêlent. La musique des chants de Noël flotte doucement en arrière-plan, créant une mélodie familière qui accompagne nos échanges animés.

Le sapin, majestueux, trône fièrement au milieu du salon, sa silhouette se découpant sur le mur. Il est décoré avec soin, chaque branche chargée de boules étincelantes et de figurines en bois peint, souvenirs de Noëls passés. Sous ses branches, les paquets, soigneusement enveloppés, attendent d'être déballés avec impatience. L'odeur enivrante du vin chaud et de la cannelle s'échappe de la cuisine, éveillant des souvenirs d'enfance, ces moments précieux passés à confectionner des biscuits avec ma famille, les si rares fois où ça allait bien.

Je me tiens là, parmi eux, entourée de quelques visages familiers, de personnes que je tolère plus que j'aime. Pourtant, dès les premières conversations, un malaise insidieux s'installe. Je m'étais promis de jouer le jeu, de sourire, de feindre l'enthousiasme. Après tout, combien de fois ai-je entendu qu'il fallait que je fasse des efforts, que je sois plus agréable ? Alors je m'applique. Je ris quand il le faut, ponctue mes phrases de petites remarques légères, lève mon verre au bon moment.

Mais plus la soirée avance, plus ce rôle me pèse.

C'est comme si, malgré la chaleur de la pièce et la joie qui émane de ce petit groupe, je me retrouvais à l'écart, un peu comme une spectatrice dans une pièce de théâtre. J'observe les visages qui m'entourent, leurs expressions animées, leurs gestes pleins de spontanéité feinte. Les rires résonnent, cristallins et appuyés, trop parfaits pour être sincères. Un jeu bien rodé, où chacun connaît son texte par cœur.

Je m'accroche pourtant. À plusieurs reprises, je me force à croire que je peux y arriver, que je peux me fondre dans le décor, que cette soirée ne sera qu'un passage sans conséquence. J'essaie d'apprécier ces échanges, ces anecdotes qui fusent, ces souvenirs d'enfance partagés comme des trésors. Mais chaque sourire que je croise me semble fabriqué, chaque éclat de rire sonne faux à mes oreilles.

Et c'est là que le goût amer s'installe.

Petit à petit, je sens mon énergie s'effriter, mon masque se fissurer. Une lassitude sourde me gagne. Je ne veux pas être ici. Je ne veux pas prétendre. Parce que cette atmosphère parfaite m'étrangle plus qu'elle ne me réchauffe, parce que ces visages heureux me rappellent tout ce que je ne ressens pas. Tout ne fait que me rappeler des choses que je tente d'oublier.

Tu te souviens de cet homme qui est mort...

Prise de nausées, je me lève, doucement, presque mécaniquement. J'ai besoin d'air.

Avec précaution, je m'éclipse discrètement, prenant soin de ne pas attirer l'attention sur moi. J'ouvre la porte-fenêtre et me glisse sur la terrasse.

La tête posée contre le froid marbre du balcon, dans cet appartement de Harrison-Valley, je laisse mes yeux errer sur la vaste étendue du ciel nocturne. La soirée de Noël s'étend devant moi, paisible et douce, un voile d'étoiles scintillant comme une mer de diamants. L'air frais frôle ma peau, porteur de cette quiétude légère que seuls les grands soirs peuvent offrir. Le ciel... Un bleu profond, mystérieux, s'étire au-dessus de moi, parsemé de ces éclats d'or et d'argent, ces étoiles filantes qui semblent chuchoter des secrets anciens, m'invitant à une danse sans fin dans les cieux.

Je ferme les yeux un instant, un souffle de plaisir m'échappant. Ces astres lointains, si nombreux et pourtant si proches dans leur éclat, me transportent au-delà du monde terrestre, dans un paradis astral où je pourrais me fondre, m'y perdre, comme une plume portée par une brise légère. Un frisson me traverse, non de froid, mais de la beauté brute et sans pareil qui m'étreint. Chaque étoile semble m'appeler, et mon âme se tend, prête à répondre à cet appel silencieux.

Une main se pose soudainement sur le creux de mon dos, et je me tourne vers elle avec un sourire discret, laissant mes pensées s'éloigner de ce ciel si vaste et envoûtant.

— Encore toute seule ? me demande Noam, un léger sourire au coin des lèvres, son regard mi-amusé, mi-intrigué.

Je hausse les épaules, sans vraiment répondre, et je sens son regard se poser sur moi, une tension silencieuse dans ses yeux.

— On dirait que quelque chose te tracasse... Que se passe-t-il ?

Je baisse la tête, mes doigts effleurant machinalement une mèche de mes cheveux noirs, luisants sous la lumière des réverbères. Un silence lourd s'installe, et je sens cette étrange lourdeur dans mon cœur, une vérité que je n'ose formuler.

— Je... Je ne sais pas si je peux en parler...

— Tu peux tout me dire, Aurianne. Tu sais que je serai toujours là, à t'écouter.

Ses mots, empreints d'une sincérité désarmante, me réchauffent un instant, mais je ne peux m'empêcher de ressentir le poids du secret qui me ronge. Une larme se faufile en silence sur ma joue, et avant même que je ne puisse la retenir, Noam m'enveloppe dans ses bras, chaleureux, réconfortants.

— Mais... si j'en parle...

— Quoi, si t'en parles ?! me coupe-t-il avec une légèreté qui ne fait qu'intensifier ma douleur. Je te promets, tu n'as rien à craindre, je ne dirai rien à personne.

Je le regarde alors, un éclat d'hésitation dans les yeux, et derrière lui, mon regard se pose sur une silhouette imposante, assise dans l'ombre, une cigarette consumant lentement entre ses doigts. Je n'ai pas besoin de le regarder plus longtemps pour savoir que je suis observée.

— J'ai vu quelque chose que je n'aurais pas dû voir... et je suis en danger si on apprend que je t'ai dit... murmuré-je, ma voix se brisant presque sous le poids de l'effroi.

Mais Noam éclate de rire, brisant la tension comme une onde de choc.

— Waouh ! Tu m'as fait une de ces peurs ! J'ai failli y croire en plus ! s'exclame-t-il, son rire résonnant comme un écho dans la nuit.

Je le regarde, un peu perdue, avant de tourner la tête, décidant de ne pas en dire plus.

— Laisse tomber... Même ma mère pensait que j'inventais !

Je me détourne, prête à regagner mon calme, mais avant que je n'atteigne la porte vitrée, Noam m'arrête, sa voix pleine de malice.

— Et si on allait dans ma chambre ? J'ai un stock de Coca.

À l'entente de ces mots, mon esprit se libère enfin, et je me précipite à l'intérieur, lui sur mes talons. Dans son univers de lumière tamisée, nous plongeons dans la douce folie d'une soirée à dévorer des animés et à boire jusqu'à en oublier le monde qui nous entoure.

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