Chapitre 1 : Témoin d'un secret nocturne
Aurianne
— Mademoiselle Ochs ?
— Mmm...
Un gémissement m'échappe, étouffé par la brume du sommeil qui pèse encore lourdement sur mon esprit. Une voix, désagréable et insistante, perce à travers mon rêve, résonnant comme un écho lointain que je refuse d'écouter.
— Réveillez-vous !
Je frotte mon visage contre mes avant-bras croisés sur la table haute de la cuisine, espérant me fondre un instant de plus dans l'obscurité rassurante de mon demi-sommeil.
— Laisse-moi encore cinq minutes, maman...
Un silence, puis un coup sec me transperce les côtes. La douleur me tire brutalement de ma torpeur, et mes paupières s'ouvrent d'un coup sous l'agression crue des néons. Je cligne des yeux, désorientée, et la silhouette imposante de mon professeur de Physique-Chimie prend lentement forme devant moi.
Sa tête lisse et brillante reflète la lumière d'une manière presque comique, mais l'expression sévère qui tord ses traits me rappelle que je ne suis pas dans mon lit ou dans quelconque pièce de chez moi, mais bien en cours. Une vague de chuchotements s'élève autour de moi, ponctuée de quelques rires étouffés. La scène amuse mes camarades, et je ne peux pas leur en vouloir. Moi-même, je trouve la situation légèrement risible.
Le professeur croise les bras sur sa poitrine, l'air exaspéré.
— Mademoiselle Ochs, votre comportement est inacceptable.
Je me redresse, étirant mes bras engourdis avant de passer une main lasse sur mon visage.
— Vous avez déjà accumulé suffisamment de retard avec vos siestes constantes, poursuit-il, sa voix tremblant d'une irritation contenue. Jusqu'à présent, j'ai fait preuve de patience, mais vous dépassez les bornes. Que dois-je espérer de vous aujourd'hui ?
Je hausse les épaules, un éclat de défi au fond des yeux.
— Vous voulez vraiment savoir ?
Il acquiesce, les mâchoires serrées.
— Très bien, dis-je en m'accoudant nonchalamment à la table. N'attendez rien de moi.
Un silence pesant s'abat sur la classe. Certains retiennent leur souffle, d'autres échangent des regards incrédules. Le professeur inspire profondément, comme s'il tentait de calmer la colère qui menace d'exploser.
— Aurianne, si vous ne faites aucun effort, vous me laissez l'excuse parfaite pour vous exclure de ce cours.
— Oh, mais quelle tragédie ! ironisé-je en levant les bras au ciel. Dans ce cas, autant vous épargner du temps.
Je me lève sans attendre, attrapant mon sac, toujours fermé, et le jetant négligemment sur mon épaule. Mais alors que je m'apprête à contourner la table, une main ferme agrippe mon poignet.
— Ça ne fonctionne pas comme ça, lâche-t-il d'une voix basse mais glaciale. Vous êtes exclue, et un rapport sera rédigé pour insolence.
Un sourire sarcastique étire mes lèvres.
— Faites donc, monsieur. J'en ai strictement rien à foutre.
Je me dégage d'un mouvement sec, et à l'instant où sa prise se relâche, un tonnerre d'applaudissements retentit derrière moi. Je jette un regard rapide à mes camarades, certains affichant des sourires complices, d'autres me fixant avec admiration. Un frisson d'adrénaline parcourt ma peau alors que je me dirige vers la porte.
Un dernier regard vers le professeur, dont le visage est aussi rouge que la colère qui l'habite, puis je quitte la salle en claquant la porte avec force.
L'air du couloir est plus frais, plus léger. Pourtant, au fond de moi, un poids subsiste.
Je m'avance d'un pas rapide, le cœur battant encore sous l'excitation du moment. Je ne prête aucune attention aux élèves que je croise, frôlant leurs épaules sans un regard.
Et puis, soudain, une voix grave m'arrête net.
— Aurianne ?
Je me fige.
Je tourne lentement la tête et tombe sur le regard scrutateur du proviseur.
— N'es-tu pas censée être en cours à cette heure-ci ?
Son ton est calme, posé, mais chargé d'une pointe de suspicion.
— Mon prof est absent, dis-je avec un aplomb déconcertant.
Il hoche la tête, visiblement trop pressé pour vérifier mes dires. Je le regarde s'éloigner, une lueur amusée dans les yeux.
Encore une victoire.
***
Une fois rentrée chez moi, je claque violemment la porte d'entrée et jette mon sac avec un geste brusque dans l'entrée. Il heurte le mur dans un bruit sourd, mais je m'en fiche.
Tout ce que je veux, c'est m'effondrer.
Sans perdre une seconde, je me précipite dans le salon et saute sur le canapé, attrapant la télécommande comme une bouée de sauvetage. J'allume la télé d'un geste fébrile, cherchant aussitôt l'animé que j'avais commencé hier. Enfin, il apparaît à l'écran, et un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres.
Je me laisse totalement aller, m'enfonçant dans le moelleux du divan, mes jambes repliées sous moi. Les premières notes de l'opening résonnent, et immédiatement, une vague de réconfort m'envahit.
C'est mon rituel, mon échappatoire quotidienne. Le monde réel est loin derrière, avec ses attentes écrasantes, ses remarques blessantes et ses échecs. Ici, je suis ailleurs. Les couleurs éclatantes, les expressions exagérées des personnages et les aventures grandioses m'enveloppent comme une couverture chaude. J'adore cet univers. Chaque bataille, chaque moment de doute, chaque victoire me rappelle qu'il y a des mondes où les choses finissent par s'arranger, où le courage et la détermination suffisent à tout surmonter.
Depuis des années, les animés sont devenus plus qu'une simple distraction pour moi. Ils sont un refuge, un endroit où je peux m'évader de ce qui m'étouffe. Je me suis souvent dit que dans ces univers, je pourrais exister pleinement, sans avoir à me justifier, sans me sentir jugée à chaque instant. Les personnages que j'admire ont leurs failles, mais ils se battent pour ce en quoi ils croient, et c'est exactement ce que je cherche à faire dans ma propre vie.
Je ferme un instant les yeux, bercée par la voix douce du générique. J'aimerais pouvoir rester là, dans cette bulle, à jamais. Mais, en fond, je perçois un bruit qui me tire doucement de ma tranquillité. Des pas lourds, lents, et le grincement de la porte de la cuisine. Je sais très bien ce que ça signifie. Sans même la voir, je sens la présence de ma mère, l'aura de reproches imminents qui l'accompagne toujours. Mon estomac se noue. Je n'ai même pas besoin de me retourner pour deviner ce qu'elle va dire.
Elle déteste que je passe autant de temps devant mes écrans. Pour elle, c'est une perte de temps, une preuve d'immaturité. Elle ne comprend pas que c'est bien plus que ça pour moi. Les reproches vont pleuvoir, c'est certain. Le poids de son jugement m'écrase déjà avant même qu'elle ait prononcé un mot. Pourtant, je reste immobile, les yeux rivés sur la télévision, espérant que cette fois, elle se retiendra, qu'elle comprendra peut-être.
Mais je sais au fond de moi que la confrontation est inévitable...
— Aurianne ! S'énerve-t-elle. Tu peux m'expliquer pourquoi le lycée m'a appelé pour me dire que tu as quitté ton cours en plein milieu ?
J'aurais dû m'en douter qu'ils l'appelleraient...
Je hausse les épaules, sans même prendre la peine de détourner les yeux de l'animé.
— Rien de grave je te rassure, le prof m'a juste gonflé.
Elle se place entre moi et la télévision, les mains sur les hanches, et je soupire d'exaspération.
— Mais tu crois quoi en fait ? Que les cours c'est une option ? Que tu peux partir dès que quelque chose ne va pas dans ton sens ? Tu as rêvé ma grande !
— De toute manière j'en ai rien à cirer.
— Mais tu n'as pas le choix, c'est ça que tu ne comprends pas ! Aussi longtemps que tu vivras sous mon toit, tu continueras à aller en cours. Ne crois pas bien t'en sortir sans cela. Les études que tu veux faire n'ouvriront pas leur porte à une jeune qui n'en a rien à faire de tout !
Devrais-je lui rappeler que je n'ai jamais eu le souhait de partir m'encombrer d'années inutiles dans une prison dorée payantes ?
Je me lève, fourre mon téléphone dans ma poche et m'approche de la porte d'entrée.
— Je suis sûre et certaine que je m'en sortirais très bien sans ! rétorqué-je avant de claquer la porte derrière moi pour partir là où on ne viendra pas me faire chier le temps que je me calme.
Je songe au fait que je risque de ne pas du tout rentrer cette nuit avec un sourire aux lèvres. J'espère qu'elle va bien s'inquiéter, tiens !
J'ai déjà une destination en tête, comme souvent quand je me prépare à partir. Il se trouve que j'adore explorer des lieux insolites, ceux que l'on découvre par hasard au détour d'un chemin, et me perdre dans des sentiers campagnards où personne ne semble aller. Il y a quelque chose de fascinant dans ces moments d'errance, où je laisse mes pas me guider sans savoir exactement où je finirai. Aujourd'hui encore, je ressens cette envie irrépressible d'aventure. Je me souviens avoir aperçu un endroit étrange, une sorte de petit coin isolé que je n'ai jamais exploré. C'est là que je veux aller. C'est ce besoin de découvrir l'inconnu, de m'imprégner de la tranquillité des lieux que personne ne fréquente, qui me pousse toujours plus loin.
Après m'être beaucoup éloignée de la ville, je traverse un petit chemin bordé de buissons sauvages, leur feuillage s'étendant au-dessus de ma tête comme une voûte végétale, filtrant la lumière du soleil. Le sol est irrégulier sous mes pieds, couvert de cailloux et de racines qui sortent du sol par endroits, mais cela ne me gêne pas. Au contraire, cette irrégularité ajoute un charme particulier à ma promenade, comme si chaque pas me rapprochait d'un monde plus naturel, plus authentique, c'est justement la raison pour laquelle j'aime autant le vagabondage.
Le bruit de mes pas se mêle au chant des oiseaux, et parfois, un bruissement dans les fourrés me fait lever les yeux, mais je ne m'arrête pas. Je continue, portée par l'excitation.
J'aime tellement ce paysage naturel, toutes ces prairies qui m'entourent tel les nuages encerclant un oiseau migrateur quand le moment est venu pour lui de partir retrouver un nouvel été ailleurs.
Après des heures d'errance sur des chemins tortueux, cernés par des ombres menaçantes et l'écho lointain des bêtes nocturnes, je finis par m'effondrer dans l'herbe fraîche. Le sol est encore tiède de la chaleur du jour, et l'humidité commence à s'y déposer lentement, s'accrochant à mes vêtements. Mes bras repliés sous ma tête font office d'oreiller de fortune tandis que j'observe le ciel d'un noir abyssal, constellé d'étoiles froides et scintillantes. Ce spectacle, aussi majestueux que déroutant, me rappelle à quel point je suis insignifiante dans cette immensité. Peut-être que c'est mieux ainsi. Peut-être que disparaître dans cet anonymat nocturne me préservera de tout le reste.
Le silence règne, profond, presque irréel. Pas le moindre bruissement de vent, pas de chouette hululant dans l'obscurité. Juste cette étrange immobilité, comme si la nuit elle-même retenait son souffle. Ici, loin de tout, je pourrais être n'importe qui, n'importe où. Une fugitive sans attaches, une âme errante en quête d'oubli. Ce vide devrait m'effrayer, pourtant il m'apaise. J'inspire longuement, laissant l'air frais emplir mes poumons, puis je ferme les paupières. Mon corps s'abandonne lentement à l'engourdissement, bercé par l'illusion de sécurité qu'offre cet instant suspendu.
Puis, tout bascule.
Un bruit lointain déchire la tranquillité. Un grondement sourd, à peine perceptible au début, mais qui enfle progressivement, rampant dans l'obscurité comme un avertissement funeste. Il se faufile entre les arbres, brisant l'équilibre fragile de la nuit, répandant un malaise insidieux dans l'air immobile.
Mon cœur rate un battement. Ce n'est pas une simple bourrasque, ni un animal curieux. C'est mécanique. Un moteur.
Je rouvre les yeux, l'adrénaline jaillissant brutalement dans mes veines. Une décharge électrique me traverse, déclenchant une alerte rouge dans tout mon être. Je me redresse sur un coude, les muscles tendus comme des cordes prêtes à rompre. Le bruit se rapproche, inéluctable, vrombissant comme un monstre d'acier affamé. Puis une lueur tremblotante perce l'obscurité. D'abord une, puis deux.
Des phares.
Un véhicule s'avance lentement, glissant sur le sentier défoncé avec une précision fantomatique. Son faisceau lumineux découpe les ombres, révélant par fragments le décor nocturne : les troncs tordus, l'herbe mouvante sous le vent, les reflets glacés sur la terre humide.
Mon instinct hurle danger.
D'un mouvement fluide, je me plaque contre le sol, les paumes s'enfonçant dans la terre froide et collante. Chaque bruit semble amplifié, chaque souffle est une trahison. Accroupie derrière un arbre noueux, je retiens mon souffle, mes pupilles dilatées cherchant à déchiffrer la menace.
Le véhicule finit par s'arrêter à une dizaine de mètres, ses pneus soulevant un léger nuage de poussière. L'air devient plus lourd, plus dense, comme s'il se chargeait d'une tension invisible.
Puis, la portière claque.
Une. Deux. Trois fois.
Des silhouettes en descendent. Cinq hommes, vêtus de noir, cagoulés. Leur démarche est précise, contrôlée, comme une mécanique bien huilée. Pas de gestes inutiles, pas de murmures superflus. Une tension sourde flotte entre eux, pesante, suffocante.
Je ravale ma salive, incapable de détacher mon regard. Quelque chose cloche. Ce n'est pas une simple transaction douteuse entre petits malfrats de quartier. Il y a autre chose. Une préméditation glaçante.
— Sortez-le.
La voix claque dans l'air comme un coup de fouet. Tranchante. Impitoyable.
Trois hommes obéissent immédiatement. Ils ouvrent l'arrière du véhicule, et un bruit métallique retentit. Un battement plus fort cogne dans ma poitrine.
Une autre silhouette émerge de l'ombre. Mais celle-ci est différente. Plus frêle. Plus vacillante.
Un homme ligoté.
Son visage est déformé par la peur, ses vêtements froissés, salis par la sueur et la poussière. Il tente de parler, mais un coup de crosse dans l'abdomen le fait plier en deux, lui arrachant un grognement étouffé. Il s'effondre à genoux, le souffle coupé, une quinte de toux secouant son corps tremblant.
Un frisson me parcourt l'échine, glacé, paralysant.
Ce n'est pas une simple intimidation. Ce n'est pas un avertissement. C'est une exécution.
Le plus grand des cinq s'avance. Il sort lentement une arme de son jean. Son geste est calculé, terrifiant de maîtrise. Il lève le canon, vise.
Mon souffle se bloque.
BAM !
L'explosion du tir déchire la nuit, me transperce de part en part. L'écho résonne dans mon crâne, vibrant jusque dans ma cage thoracique. Devant moi, le corps s'écroule mollement, comme une marionnette éviscérée. Le sang s'épanche sur l'herbe, poisseux, obscène.
L'air est irrespirable. Saturé du parfum métallique de la mort.
Mes mains se plaquent sur ma bouche. Mon cœur cogne à tout rompre, menaçant d'exploser dans ma poitrine. Mes muscles se figent, tétanisés.
Je dois partir.
Maintenant.
Mais alors que je m'apprête à reculer, un frisson me saisit la nuque. Une présence. Une ombre mouvante dans l'obscurité.
Une main féroce se plaque sur ma bouche.
Je n'ai pas le temps de crier. Pas le temps de réfléchir. Mon corps réagit instinctivement. Je me débats, un tourbillon de panique et de rage brute. Je griffe, je frappe, je mords. Mais mon agresseur est plus fort. Il m'attire en arrière avec une facilité déconcertante, me maintenant contre lui comme un étau. L'air me manque. Mes poumons s'embrasent. Mon souffle devient un supplice.
D'un dernier sursaut, je bascule ma tête en arrière. Mon crâne heurte son visage. Le choc est brutal. Il vacille, sa prise se relâche. J'en profite.
Je roule sur le sol, rampant à l'aveugle.
Mais déjà, il est sur moi.
Son poids m'écrase. Ses doigts se referment sur mon cou. Mon souffle s'étrangle, ma vision se floute. Mon corps s'affole, en proie à une lutte désespérée.
— Lester ! T'es passé où, bordel ?
La voix retentit plus loin.
Mon agresseur se fige. Son emprise se desserre, une fraction de seconde.
Je tousse, haletante. Il me fixe. Ses yeux noisette sont glacials.
— N'en parle à personne. Sinon, je te retrouverai... et je tuerai toute ta famille.
La menace claque, tranchante.
Puis il disparaît, me laissant seule, pantelante, terrifiée.
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