5. LIEE PAR LES FAVEURS
La veille au soir, de retour chez moi, à peine eus-je le temps d'échanger quelques banalités par messages avec Angèlo que je me suis endormie comme une masse, le réveil pour ce matin non activé. J'ai toujours une excuse foireuse pour chaque retard à mon travail.
Les couloirs sont déserts à cette heure matinale. Les portes closes laissent filtrer les voix étouffées des intervenants et celles des jeunes élèves commençant le travail scolaire de la journée. Je suis en retard, comme souvent. L'équipe des activités spécialisées a certainement déjà commencé le débriefing pour cette nouvelle semaine.
Arrivée devant l'entrée de la salle de réunion, j'inspire prête à affronter les œillades désapprobatrices de mes collègues. J'en ai que faire, j'ai depuis longtemps abandonné tout sentiment de culpabilité.
J'entre. Tous les regards convergent vers moi, blasés. Je souris poliment, m'excuse sans conviction. Et dispose jusqu'à une place vide où un café fumant dans un gobelet en plastique blanc m'attend.
Je m'assois rapidement et offre un sourire chaleureux à mon amie et collègue, Jézabel. Je chuchote :
— Merci pour le café choupette.
— Ça va ? T'as une tête de déterrée ma vieille.
Toujours directe. Jézabel a sa manière bien à elle de me montrer son inquiétude. Je lui offre un petit clin d'œil et souffle :
― Nickel.
Armand, le pédopsychiatre du service, distribue à chaque professionnel présent, les dossiers de suivi des enfants à encadrer ces cinq prochaines matinées. Je suis psychomotricienne de formation. Mon travail consiste à aider les enfants à accepter leurs corps et à contrôler leurs tocs, pour qu'ils parviennent dans l'idéal, à s'adapter au monde extérieur. Mais avant ce but ultime, notre équipe spécialisée à pour vocation de les accompagner à l'accès d'enseignements scolaires de base, et à l'acquisition de notions de savoir vivre en communauté.
Les enfants accueillis dans cet établissement, présentent des prégnances diverses de troubles du comportement. Les équipes pluridisciplinaires s'efforcent à leur offrir des chances d'avoir une vie autonome et responsable. De belles valeurs, de beaux idéaux, mais ce n'est pas toujours évident et très réaliste.
Mon travail se pratique en tête à tête avec l'enfant, sous forme de jeux de souplesse, de gymnastique, accompagnés de musiques douces. Évidemment, la parole et les mots sont très importants.
Accepter son corps physiquement, le connaître et parvenir à le faire sien pour dompter ce qui se passe à l'intérieur de lui, voilà tout mon rôle dans cette équipe.
Jézabel est en binôme avec Johanna. Toutes deux proposent des activités manuelles adaptées aux enfants, le temps des battements entre leurs différents ateliers. Le mien a été surnommé "s'apprivoiser", tout un programme.
Je jette un rapide coup d'œil à mes dossiers, je les connais bien ces enfants. Je sais déjà, en fonction de leur personnalité et de leurs évolutions, les exercices que je vais leur proposer durant ces cinq matinées.
Cela fait sept ans que je travaille dans ce centre. Bien que ce ne soit qu'à mi-temps, j'ai la chance d'avoir signé un contrat de longue durée. Ce job me plaît beaucoup.
Sept ans que j'ai rencontré Jézabel et qu'elle est devenue mon amie. La seule amie que j'ai à vrai dire.
Après quelques recommandations d'Armand, mes collègues quittent la salle de réunion dans un silence quasi monastique. Je suis la dernière à me lever de mon siège, comme souvent.
Les dossiers calés sous mon bras, je dois aller chercher sans tarder ma première petite patiente, Amber.
Enfin, j'irai dès que Johanna se tira de là ! La grande femme longiligne se tient devant moi, me barrant sciemment le passage. Dire que l'entente ne soit pas au beau fixe entre nous deux serait un faible euphémisme.
Avant que ce centre ne soit racheté, retapé à neuf, et avec cette action d'intervention précise, il s'agissait de l'orphelinat Santa Thérèsa. Le centre médico-éducatif Graines d'Espoir est un lieu d'apprentissages pour les jeunes enfants en difficultés comportementales et maladies mentales légères.
Johanna cumule plus de 30 ans d'ancienneté entre ces murs. Oui, elle était en poste quand je vivais à l'orphelinat. Les frères Ortéga n'étaient pas vraiment appréciés par l'équipe encadrante de l'époque et vu que j'étais tout le temps avec eux, j'ai eu le droit au même traitement. Et, cerise sur le gâteau, suite à mon agression, il y eut une enquête interne d'ouverte. Les conclusions n'ont jamais été portées à ma connaissance, mais Johanna semble m'en garder rancune. Après tout, je l'avais certainement cherché... Ce qu'elle ne cesse de me rabâcher depuis sept ans qu'elle m'a retrouvée en poste ici. Une petite allumeuse qui joue les effarouchée quand ça tourne court... Johanna, cette perle de bienveillance et de professionnalisme.
Ce n'est pas pour rien si elle est en binôme maintenant. Son champ d'action est limité et surveillé. Jézabel a du tempérament et je dois avouer qu'elle a du mérite pour supporter cette femme médiocre. Johanna crache enfin son venin :
— Alors, tu frimes dans une voiture de luxe. C'est pas avec ta paye que tu peux t'offrir ça !
— Ouais, je frime. T'es jalouse on dirait.
— Loin de moi l'idée d'être jalouse. Je ne suis pas de celles qui envient tes rapports avec la racaille Ortéga pour obtenir de jolis bolides.
Son sourire plein de sous-entendus me fait bondir. Je ne supporte pas l'entendre rabaisser mes frères.
— Attends, t'insinues quoi là ?
J'avance sur elle, bien décidée à lui faire avaler ses dents à cette vieille peau toute asséchée. Johanna recule d'un pas, puis se retourne en direction de sa salle de travail. Elle me lance, railleuse :
— Ce que j'en dis, t'as un retour sur investissements. Tu te les tapais déjà quand tu vivais entre ces murs, fais pas ta prude Lys.
Elle s'éclipse hautaine. Jézabel m'attrape la main et me sourit gentiment.
— Eh ! Moi, j'aimerai bien avoir les faveurs des frères Ortéga. Je choisis Angèlo, il est tellement caliente.
Elle s'approche de mon oreille et chuchote :
— Laisse tomber. Elle est mal baisée. C'est sûr.
Nous rions doucement. Jézabel me lâche la main et se dirige vers la salle de travail pour rejoindre son binôme, elle me pointe du doigt alors.
— Crois pas t'en sortir avec ta caisse. A la pause, je viens te cuisiner !
Elle disparaît à son tour dans la salle. Je souris : Angèlo et Jézabel ? Pourquoi pas
***
La matinée touche à sa fin, je termine mes écrits concernant les bilans des trois prises en charge effectuées. J'éteins mon PC et m'étire comme un chat. La sensation de la veille ne m'a pas quittée, mon corps demeure galvanisé, comme si une horde de mustangs lancés au grand galop dévalait dans mes veines. J'ai même mieux perçu les troubles et intentions de mes petits patients. Toujours une résultante du venin bu la veille ?
C'est une sorte de drogue à n'en pas douter. Satanés serpents, ils n'ont rien trouvé de mieux que de me filer une merde synthétique, j'espère que je ne vais pas développer des maux dus à un manque, ou une quelconque addiction.
Je vais attendre Jézabel dehors, si je reste dans le bâtiment et que je croise Johanna, il risque d'y avoir un fait divers bien vermillon.
Dans le hall d'entrée, je salue rapidement le vigile, passe mon badge d'accès et sors. Ouf ! Pas de vieille harpie asséchée en vue.
Je me cale sous l'ombre des grands palmiers avant d'être mordue par le soleil brûlant. J'observe le centre... Dire que j'y travaille, alors qu'il a été mon cauchemar pendant presque 10 ans. Comme de quoi, tout change.
Jézabel sort à son tour. Cette jolie femme, de petite taille, aux formes rondes et généreuses ; un petit carré court châtain foncé et des yeux noisettes pétillants qui la rendent craquante. Elle est plus jeune que moi, nous n'avons rien en commun et pourtant, elle a su percer ma carapace avec tant de facilité. C'est une boule d'amour et de soleil cette fille.
Jézabel me repère rapidement sur le parking surchauffé et me rejoint. Son sourire est grand et marque deux adorables fossettes dans ses joues rondes. Elle s'exclame, surexcitée :
— Raconte ! Je ne tiens plus d'attendre !
Comment pourrais-je lui dire la vérité sans trop en dévoiler ? Je ne veux pas avoir de secret pour elle, et pourtant. Je tiens à la tenir éloignée le plus possible de ce passé sombre, de ces individus compliqués et dangereux. Et surtout, Jézabel a la phobie des Léviathans. Il faut dire que ce sont de véritables antagonistes.
Elle pointe du doigt la Mustang.
— Cette couleur, ça claque ! Elle est vraiment à toi ?
— Oui, tu veux faire un tour ? On pourrait aller déjeuner du côté de la Playa Del Rey Beach, pour fêter ce baptême en Mustang.
Les yeux de Jézabel brillent comme ceux d'un enfant à qui l'on vient de promettre une glace au chocolat avec supplément chantilly.
***
Arrivées aux abords de l'école de surf à l'angle de Vista Del Mar, je stationne la Mustang, la Playa Del Rey n'est plus qu'à quelques mètres. Nous nous dirigeons vers un food truck en bord de plage, sous un soleil de plomb.
Jézabel, tout en joie, ne tarit pas d'éloges sur ce petit tour en grosse cylindrée. Sa bonne humeur nous enveloppe, je la respire et la fais mienne. Mon amie a ce don, la joie de vivre communicative. La chance nous sourit, nous trouvons les dernières places sur un banc à l'ombre de palmiers. L'embrun marin bienfaiteur assèche le voile de transpiration qui recouvre nos épidermes.
Nous déballons nos commandes : des crudités et une bouteille d'eau feront l'affaire pour moi, mais Jézabel voit toujours en grand, c'est burger max avec frites et glace à la banane.
— Comment fais-tu pour avaler tout ça, et avec cette chaleur en plus ?
— Moi aussi, j'ai mes secrets.
Mon amie agite sa petite tête ronde et me claque un clin d'œil. Ok, elle veut vraiment que je déballe l'histoire qui se cache derrière ma nouvelle voiture. Je termine de déglutir ma gorgée d'eau et abdique :
— La Mustang... On va dire que c'est un dédommagement pour services rendus. Mais ça datait tellement, que c'est une réelle surprise d'avoir ce retour maintenant. Je n'attendais rien pour tout t'avouer.
— Ça fait partie des bonnes surprises de la vie ça ma choupette ! T'as un bon karma, je te l'ai toujours dit.
Si elle savait qui est la bonne surprise du moment : Sigvald Askandar, un Léviathan. Je qualifierais mon karma d'aimant à embrouilles. Jézabel enchaîne entre deux bouchées de burger :
— Quand même ! Une Mustang dernière génération pour des services rendus ? C'est pas commun.
— Jéza, ça fait partie d'un passé que j'aurais préféré oublier. J'ai pas vraiment envie de développer. Tu comprends ?
Je ne souhaite pas braquer mon amie, mais je n'irai pas aller plus loin dans l'explication. Ses deux fossettes se creusent sous l'effet de son doux sourire.
— Ne t'inquiète pas, je ne te poserai plus de question sur cette caisse de dingue.
La bouche rechargée de frites, Jézabel pointe son index devant mon visage, faussement autoritaire.
— Mais dès qu'on chort, c'est ta caiche qu'on prendra choupette !
Je ris devant ce spectacle, et acquiesce de bon cœur. Elle déglutit difficilement et continue son interrogatoire :
— Sinon vu ta tête, raconte, t'as fait quoi ce week-end ?
— Jéza, t'es devenue flic depuis vendredi ou quoi ?
— Oui, tout à fait ! Raconte Lys !
Son sourire s'accentue, et elle enfourne le dernier morceau de son burger dans sa bouche. Je capitule :
— Je suis sortie au Libertade avec mes frères. On a fini super tard. Et je n'ai plus ton âge, donc j'ai beaucoup de mal à m'en...
— P'tain Lys ! Les cinq ?!
Je hoche de la tête à l'affirmative. Elle reprend entre deux quintes de toux :
— Tu te rends compte que tu vis mon rêve là ?! Une soirée avec les cinq frères Ortéga !
Je ris franchement et temporise :
— Tu sais, ce sont mes frères, alors je ne vois pas les choses comme toi. Et puis, ils étaient assez occupés. Ils plaisent visiblement.
Jézabel s'étrangle de plus belle avec ses dernières frites.
— Visiblement ?! Parce que tu en doutais ? Ce sont des bombes sexuelles tes frères. T'as jamais été plus loin avec eux ?
Ses mains larges et chaudes enveloppent mes seins. Sa bouche fond avec gourmandise sur...
— Lys ? Ça va ?
Je viens de comprimer volontairement ma bouteille en plastique, vidant l'eau en un jet puissant sur mon visage. Jézabel est médusée. Sa question a fait resurgir des souvenirs de ma nuit torride avec Valentino.
Je passe ma main sur mes yeux noyés, c'était le seul moyen pour m'aider à revenir au moment présent. Jézabel en a suspendu son geste destiné à réduire avec efficacité sa glace fondante. Je la rassure :
— Oui ça va. Avec cette chaleur, j'avais besoin de me rafraîchir.
Un sourire compatissant accroché aux lèvres, mon amie me tend sa serviette en papier chiffonnée.
— Si tu te sens mieux, c'est l'essentiel.
Je m'essuie en essayant de garder un minimum de contenance. Sans plus s'inquiéter, Jézabel termine son soda et jette un œil à son portable.
— Tu pourras me reconduire bientôt au centre ?
Jézabel travaille sur toute la journée, contrairement à moi.
— Bien-sûr. Tu as un chauffeur privé aujourd'hui.
Je suis soulagée, elle a arrêté de me poser des questions sur mes dernières 24 heures.
***
Jézabel déposée à son travail, je roule dans Inglewood sur Normandine Avenue, direction le San José Fight Club. Ce n'est que le tout début d'après-midi, je me demande si les jumeaux ont déjà ouvert leur club. Je gare la Mustang et attrape mon sac de sport.
Quel calme ! Je viens d'entrer dans le bâtiment, la porte était déverrouillée. J'aime cet endroit. Le décor est épuré, masculin, l'atmosphère chargée d'endurance, d'efforts, de dépassements de soi. D'ici une demi-heure, la vie aura pris possession des lieux.
Personne... Mes frères doivent certainement se changer. En ouvrant la porte du vestiaire des femmes, je tombe sur une scène complètement ahurissante. Je referme aussitôt, discrètement.
Bon, bon, bon... Je vais utiliser le vestiaire des hommes. Je ne compte pas les déranger, ils semblent bien occupés tous les trois. La jolie Cassidy... Les jumeaux font vraiment tout ensemble. C'est dingue !
***
Bien que la salle se trouve en sous-sol, je commence déjà à souffrir de la chaleur. Une fine pellicule de sueur recouvre mon corps, mes cheveux tenus par un chignon serré sont trempés. Je m'échauffe depuis dix minutes à peine à la corde à sauter et mon corps semble pulser d'énergie.
Du coin de l'œil, j'aperçois quelques groupes de jeunes qui arrivent. Balai incessant entre l'entrée, le vestiaire et le matériel d'échauffement. Un brouhaha s'impose, mêlant discussions vives, rigolades, musique hispanique et percussions du matériel sportif mobilisé.
Mon champ de vision bloque contre une masse en t-shirt noir, je relève mon visage et stoppe mes tours de corde. Batista vient se camper devant moi.
— Eh Lys, t'es en avance ! Je ne t'attendais pas si tôt.
Qu'est-ce qu'il ressemble à Valentino : même carrure, même tracé du visage, même intensité du regard, jusqu'à la voix de basse profonde. Je m'avance et dépose un léger baiser humide sur sa joue recouverte d'une fine barbe douce. Je réponds sur le ton de la confidence :
— T'inquiète pas, je m'échauffais en attendant que vous terminiez votre petite affaire tous les trois.
Batista éclate de rire et me prend par l'épaule avec force. Il a cette brutalité naturelle qui lui confère le respect de tous les jeunes du quartier. Je distingue au loin Cassidy se mêler au groupe prêt pour le cours de Juan.
— T'es toujours là où on t'attend pas Lys !
Il continue de me tenir, écraser plus exactement, l'épaule et nous dirige vers le ring d'entraînement.
— Bella niña, voyons un peu comment tu gères aujourd'hui.
— Tu vas morfler ! J'ai de la rage à revendre depuis deux jours !
Batista rit de nouveau et rétorque :
— Tes petits coups semblables à de langoureuses caresses ? J'attends que ça !
Il aime me taquiner. Et bien aujourd'hui, il va en avoir pour son compte ! Et c'est parti !
Je me démène avec ténacité depuis un moment. J'enchaîne les techniques apprises et les nombreux coups-bas autorisés. Je réussis à le toucher par moment et même à lui porter quelques uppercuts de choix ! Évidemment, mon frère ne m'a pas épargnée en retour. Je sais qu'il retient sa puissance malgré tout. Je halète, mais toujours galvanisée, je cris :
— Te retiens pas, frère ! J'ai besoin que tu me mènes durement !
Batista sourit, et lâche la bride à sa force... Dieu que ça fait mal ! Ça m'aide à me surpasser, à essouffler les émotions de ces derniers jours, à étancher ce trop plein d'énergie.
Notre danse de combat libre dure encore de longues minutes. Je commence sérieusement à fatiguer, et ma concentration retombe. Batista profite de cette ouverture pour me renverser. Il me plaque à plat ventre et se laisse tomber de tout son poids sur mon dos. Il maintient dans sa poigne de fer mes deux mains au-dessus de ma tête. Nous restons un moment ainsi pour reprendre notre souffle. Surtout moi, il est si lourd !
Mon frère se relève enfin et me remet sur pied en même temps. Je chancelle. Il me maintient dans ses bras larges et noueux, et m'observe gravement.
— Lys, tu prends une drogue ? T'es speed. Je ne t'ai encore jamais vue ainsi. Heureusement que je gère.
Son rire grave résonne de nouveau. Je me défais doucement de lui en souriant et attrape ma bouteille d'eau. Le regard inquiet, il s'approche plus près.
— Lys, tu consommes pas de merdes illégales ?
— Non, mais qu'est-ce que tu vas chercher ?
Sa question ne me surprend pas vraiment. Il replace derrière mon oreille, une mèche de cheveux rebelle qui colle à mon visage trempé. Geste si attendrissant. Il reprend doucement :
— J'ai eu l'impression que t'étais dopée. T'encaissais mes coups sans broncher. Et les tiens étaient plus rapides et puissants que d'habitude.
— C'est que tes enseignements portent leurs fruits coach. Ne t'inquiète pas, j'avale rien de suspect. J'ai juste eu un week-end chargé et j'avais besoin d'évacuer.
Mes arguments semblent le convaincre plus ou moins. Batista reste le moins fouineur de la fratrie, il clôt la conversation.
— Ok niña, je te laisse filer à la douche.
Il me broie l'épaule affectueusement et part pour d'autres cours.
Dans le vestiaire des hommes, je m'enferme très rapidement dans une douche avant de croiser un jeune qui ne manquerait pas de mal interpréter ma présence ici.
Tandis que l'eau bienfaitrice coule sur ma peau savonnée, je repense aux inquiétudes de Batista.
Même si Jézabel trouvait que j'avais une mine défaite, je me sens dans une forme incroyable. J'ai l'impression d'entendre plus finement et ma vision est plus précise. Je n'ai rien avalé d'illicite. Juste quelques shots avec mes frères, il y a deux jours.
Ce venin bu chez les Askandar, serait-ce une drogue ou vraiment du venin de serpent ? Ils ont du venin dans leurs crocs comme leurs lointain cousins squamates ? Dingue ! Se pourrait-il que les effets de cette substance se fassent encore sentir 24 heures après ?
Quand j'y songe, le liquide était rosé, sirupeux. Il m'a tapissé tout le fond de la gorge. Lorsque je l'ai dégluti, j'ai clairement senti tout mon corps se vitaliser. C'était léger, sucré, savoureux... A en abuser. Vu la réaction de Carrie, ça ne devait pas être sensé me plaire. Quelle idiote ! Voilà une question que j'aurai pu poser à la ravissante femme. C'est quoi de cette boisson médicinale douteuse ?!
J'arrête l'eau de la douche et m'enveloppe dans ma serviette. Je sors de la cabine et me retrouve nez à nez avec ce sourire d'idiot en face de mes yeux. Angèlo est appuyé négligemment contre les casiers, les mains enfoncées dans les poches de son jean troué, délavé.
— Lys-Chérie, chaudasse. Le vestiaire des hommes carrément.
Je passe devant lui en tirant la langue. Sans un regard pour cet enquiquineur, j'ouvre mon casier, sors mes vêtements propres et laisse choir ma serviette trempée au sol. Je confirme :
— T'as raison, j'ai si chaud ici.
J'éclate de rire et me vêtis rapidement. La voix de mon frère se teinte et déclare dramatiquement :
— Sans pitié ! Mon cœur vient de s'arrêter, et elle a pris le relai.
Il se dandine alors une main sur son cœur et l'autre sur son entrejambe. Il rit grassement. Il masse un peu plus son entrejambe et geint :
— Elle est prête à tirer.
Je m'approche de lui, mon sac de sport à la main, blasée.
— On se casse d'ici, monsieur le chasseur ?
Il rit de sa bonne blague. Il est lourd vraiment, mais si attendrissant. Cet idiot de frère.
Après avoir salué les jumeaux, nous sortons du bâtiment.
La chaleur extérieure est telle que je commence déjà à perdre les bienfaits de la douche. Nous avons rendez-vous au Mystic Tattoo Shop trois rues plus loin, sur la 134th street. Angèlo propose d'y aller à pied.
Je dépose mon sac de sport dans la Mustang et rejoint mon frère sur le trottoir d'en face. Il tire nerveusement sur sa cigarette, sa bonne humeur volatilisée comme tout cirrus dans le ciel.
Nous marchons le long des trottoirs fréquentés à cette heure de l'après-midi dans un silence oppressant. Angèlo s'est fermé. C'est sa troisième cigarette. Je m'exclame à bout de patience :
— Quoi ?! Parle ! Je vois bien qu'il y a un truc qui ne va pas.
Le costaricien jette son mégot nerveusement, recrache la fumée lentement. Il est si séduisant même dans ces simples gestes, même avec ce visage contracté. Il passe son bras au-dessus de mon épaule tout en continuant de marcher.
— Tu l'as revu... Tu replonges Lys, ma chérie.
Sa voix est si sérieuse, qu'elle trahie son inquiétude. J'ai soudainement un flash : la Mustang !
— C'était pas volontaire Angèlo. Crois-moi. Il m'a offert la Mustang, je ne lui avais rien demandé pour. Je suis allée lui rendre, tu sais. Il a simplement dit qu'il payait ses dettes.
Nous arrivons devant le shop. Angèlo se rallume une cigarette. Lui, qui est d'habitude si loquace, me dévisage en silence. J'attends, angoissée, qu'il parle.
— Maintenant qu'il t'a revue, il ne te lâchera plus. C'est évident. Je suis là si jamais t'es en galère.
Je lui souris. Angèlo, cet ange qui me couve depuis si longtemps. Il reprend, toujours aussi sérieusement :
— Lys, les serpents prennent plus qu'ils n'offrent. Si un homme de cette race t'accorde une faveur, un cadeau, tu ne seras plus jamais totalement libre. C'est leur code de conduite.
Je repense à cette voiture que j'ai acceptée, au psychopathe qui m'a sauvée, au venin que j'ai bu, à cette invitation à profiter de la villa un après-midi durant avec la douce Carrie... Je suis encore plus dans la merde que ce que je pensais ! Je regarde Angèlo et souffle à demi-mot :
— J'ai rencontré Leid, son frère.
Angèlo jette sa cigarette et me prend vivement dans ses bras, m'écrasant contre son corps chaud. Sa main caresse avec tendresse mes longs cheveux blonds. Ses lèvres humides déposent un doux baiser sur mon front moite et ses yeux d'ambre se rivent aux miens.
— Leidolv est dangereux, bien plus que Sigvald. Tu dois me promettre d'être extrêmement vigilante.
Il resserre son étreinte, ses muscles se collent à ma peau. Il continue ses caresses dans mes cheveux.
Un Ortéga, Angèlo de surcroît, qui fait une demande d'extrême prudence, ça à de quoi faire vraiment flipper. Qu'est-ce que mon frère sait exactement de ce clan ? De ces Léviathans ? De ce Leidolv ? Rien de rassurant en tout cas. Je murmure à son oreille un gage de sagesse.
Nous restons un moment dans l'étreinte l'un de l'autre. Réconfortante. Dans ses bras, je me sens en sécurité, sereine, à ma place.
Il me relâche lentement. Ses yeux sont de nouveau pétillants comme à l'accoutumée, son sourire franc se dessine... Que va t'il me sortir encore comme idiotie ?
— Eh princesse, tu me fous la gaule direct collée comme ça.
— Raaaa la la la ! Vous êtes vraiment des obsédés de sexe toi et tes frères !
— Attends, on a juste des corps hyper-sensibles face aux armes dévastatrices qu'ont les femmes.
Je lève les yeux au ciel, un sourire en coin. Il m'amuse ce con, avec son air de fausse victime sur joué. Il demande :
— Au fait, tu m'as toujours pas dit ce que tu faisais dans le vestiaire des mecs.
— Mon Ange... T'es chiant avec tes questions. J'avais peut-être juste envie de trouver un beau loup sous la douche.
Angèlo me dévisage un court instant, incrédule, puis éclate de rire.
— Fallait le dire Lys-Chérie, ça peut s'arranger.
Il dépose un baiser provoquant au coin de mes lèvres. Je hausse les épaules comme si de rien était. J'enchaîne :
— Les jumeaux étaient... Occupés dans le vestiaire des femmes, monsieur le curieux. J'ai pas voulu les déranger. Voilà, tu sais tout. Pas d'histoire de loup au final. Satisfait ?
Mon bel Ange éclate de rire.
— T'es pas resté mater un peu ?
Je visualise la scène, Juan, Batista, Cassidy au milieu qui en redemande. Je râle :
— Non, mais ça va pas ! Je ne fais pas dans le voyeurisme.
— Je serai resté moi. J'aurai même proposé mes services.
— Oui, monsieur l'Ange a bon cœur.
— Tu me connais, toujours serviable.
Il sourit de ce sourire de play-boy qui lui sied si bien.
***
Nous poussons la porte du shop, un air frais providentiel vient nous recouvrir. Un bric-à-brac incroyable s'exhibe à mes yeux. L'ambiance tire vers un style gothique, du mobilier victorien, sombre, et des miroirs accrochés aux murs se disputent avec des crucifix. On dirait le lieu d'un culte luciférien secret, glauque à souhait. Ça a son charme quelque part, à condition de ne pas être dépressif.
Angèlo prend vivement par le coude l'homme qui s'approche de nous. Ils se donnent une accolade à grands renforts de blagues douteuses. Matt est un ami de longue date de Angèlo. Il cadre parfaitement avec cet endroit apocalyptique et lugubre.
Je soupçonne que pour arrondir ses fins de mois, il se transforme en vampire, hypnotisant de pauvres victimes richissimes, ou encore, il devient le gourou d'une secte d'adeptes de Ouija et autres petites excursions nocturnes aux cimetières locaux. Il en a vraiment le look : je ne peux compter le nombre de piercing qui traversent sa peau, il doit en avoir dans des endroits insensés, fluet, une peau blafarde si elle n'est pas encrée, des cheveux noirs, noués par une natte serrée... Je souris. Le véritable cliché du tatoueur lambda.
Quand j'avais parlé de mon projet de tatouage à Angèlo, il m'a directement mise en contact avec Matt. On ne s'est encore jamais vu, nos seuls échanges étaient téléphoniques. Matt s'approche de moi, me fait la bise et me lorgne sans gêne de haut en bas à travers des petites lunettes rondes posée en bout de nez.
— Lys Ortéga... Une sœur donc.
Il fait une mimique de visage comique, du gars qui ne croit pas une seconde à ce qu'il voit. Il est vrai qu'avec mes traits très fins, ma peau de nacre et mes cheveux blonds, ça jure avec le type costaricien de mes frères.
— Eh mec, t'aurais pu me la présenter, c'est un joli p'tit lot.
Angèlo sourit franchement et réplique :
— Comment va Jessica ? Elle arrive encore à te supporter ?
Matt ricane prenant un air de grand dramaturge.
— Ah Lys, je suis déjà pris. Ne désespère pas, tu en trouveras bien un autre.
Je souris, ce vampire luciférien s'avère être un petit comique. Je comprends mieux pourquoi lui et Angèlo sont potes.
Le tatoueur nous dirige dans une petite pièce en arrière boutique, après avoir pris soin de tourner un vieux verrous, bouclant le shop.
— Comme ça, on ne sera pas dérangé, précise t-il en me lançant un clin d'œil.
Angèlo reste tout sourire. Visiblement l'humour de son ami lui plaît. Me voilà bien avec ce duo de choc !
Ici, la décoration est épurée, presque clinique, loin du capharnaüm d'à côté. Matt se prépare consciencieusement : le pistolet à tatouer, les encres, les gants, les embouts stériles, d'autres produits inconnus, tant de sérieux. Tout est organisé, propre, professionnel.
Il me présente plusieurs calques de différents modèles qu'il a réalisé en fonction de mes demandes : des mandalas étoilés couvriront une partie de mon ventre, et courront sur ma poitrine ; un oiseau de feu partira de ma fesse pour descendre en mouvement sur toute ma cuisse, le tout lié par des volutes de fumées. Des tatouages aux valeurs symboliques importantes pour moi.
Matt positionne les calques sans les poser contre ma peau, réalise des mouvements de poignets dans le vide traçant des lignes imaginaires sur mon corps... Il semble complètement absorbé, créatif et surtout compétent. Dans un silence cérémonial, il relève enfin son visage vers moi et Angèlo, revenant à la réalité.
— Tu m'as suivi ? T'en penses quoi ?
— C'est parfait Matt.
— Déshabille-toi, garde ton soutif pour aujourd'hui. Je ne pourrai pas faire tout le tracé en une seule fois. On va déjà s'occuper de la cuisse, la fesse et le ventre. On prendra rendez-vous pour la suite.
Angèlo s'est assis non loin de là sans me quitter des yeux. Matt enfile ses gants. Tout est prêt. Je m'avance devant le vampire luciférien pour le positionnement définitif des calques sur ma peau.
Concentré, il saisit avec précaution son premier dessin et l'approche de mon épiderme. Malgré lui, à la vue de mon corps, il stoppe son geste et lance un regard surpris à mon frère. Angèlo le lui rend, compréhensif et rompt le malaise de Matt par un trait d'humour de son cru.
— Eh Lys-Chérie, vois comme Matt est tout perturbé avec tes formes de bombasse.
Mon Ange, toi, tu ne les as jamais vues ces fichues cicatrices, tu m'as toujours répété que mon corps est une toile de maître qui te fascine. Le tatoueur se ressaisit, il dépose avec douceur les feuilles imbibées, appuie et les retire. L'encre recouvre une bonne partie de mon corps.
— On y va comme ça Lys ?
Je hoche de la tête, très enthousiaste.
Matt se montre appliqué et concentré. Il tatoue très vite. Mais cela ne l'empêche pas d'avoir tous genres de conversations avec mon frère: moto, filles, musique, sport...
La douleur se montre intense, mais j'ai connu pire. Ces tatouages sont pour moi indispensables, je ne souhaite plus voir ces vestiges sillonnant mon corps. Datant de mon agression à l'orphelinat, les estafilades, brûlures et autres lésions ne se sont jamais estompées et ont grandi avec moi. Bientôt, cela ne sera plus que des maux psychologiques. Un premier pas pour enfin tourner définitivement la page, je l'espère.
La réaction de Matt en découvrant mon corps est récurrente. J'évite la plage ou la piscine en général. Mais maintenant, ce sera différent ! Je vais pouvoir me contempler dans un miroir et m'apprécier. Je suis confiante. Et encore une fois, Angèlo est à mes côtés dans l'épreuve.
***
Après un long moment de piquage, Matt impose une pause. Il repose son matériel et ôte ses gants.
— Lys, regarde-toi dans le miroir et dis-moi ce que tu en penses.
Perdue, je cherche mon frère des yeux. Il se lève de son fauteuil et m'offre un sourire adorable. Je lui agrippe alors férocement la main. Faisant face tous deux au miroir, il se penche et sa voix se perd contre mon oreille :
— Tu es déjà si belle ma chérie, ça te donne encore plus de pouvoir sur moi.
Je glousse et lui envoie une tape sur le crâne.
— Arrête ton numéro de charme, p'tit con.
Il sourit bêtement, mais son regard reste inquiet, il attend mes impressions. Mes yeux balayent mon corps avec émotion : le travail de Matt est précis, fin, magnifique. Mon cœur bat si fort, je suis plus que satisfaite.
— Je me trouve... Jolie.
Angèlo lève les bras au ciel.
— Gracias Santa Maria !
Matt, qui avait eu la délicatesse de nous laisser un peu d'intimité, revient avec un grand verre d'eau que je bois d'une traite. Il m'invite à reprendre la séance de piquage. Positionnée sur le côté de manière à avoir l'arrondi de ma cuisse et de ma fesse bien tendu, il remet en route le pistolet à encre et s'applique. Angèlo ne peut retenir un commentaire douteux en gloussant.
— Lys-Chérie, t'es trop chaude dans cette position.
En guise de réponse, je lui tends mon majeur. Il rit comme un idiot. Matt commente agacé :
— Va donc prendre l'air mec, ça te fera redescendre un peu.
Mon frère se lève alors, et avant de sortir, m'envoie un baiser volant. La porte se referme sur la silhouette massive du beau costaricien. Le vampire-luciférien engage alors la conversation.
— Angèlo m'avait déjà dit qu'il avait une sœur. Mais sérieux, j't'imaginais pas comme ça.
— Un peu moins blonde ? Pâle ?
— Bah, carrément. Tu dénotes avec les cinq latinos. Tu avoueras que c'est troublant.
— J'avoue. T'aimerais bien en savoir plus, hein ?!
— Grave !
— Pour faire court, à sa majorité, Valentino a demandé mon adoption. Et voilà, officiellement, je suis une Ortéga !
Matt s'arrête de piquer et redresse son visage percé. Il me dévisage de ses petits yeux noirs, effaré.
— T'es sérieuse ? Il t'a adoptée ?
— Tu connais un peu leur enfance ou non ?
— Ouais, dans les grandes lignes. Des empêcheurs de tourner en rond, mais des mecs cool dans le fond. C'est vrai qu'à cinq, ils ont déjà l'avantage du nombre. Et quand tu vois les morceaux qu'ils sont devenus...
Matt reprend son travail sur ma fesse. Aille aille, ça brûle ! Il poursuit :
— J'étais en classe avec les jumeaux. Des sanguins ces deux-là !
Il ricane. Je souris et précise :
— Pour ma part, je les ai connus à Santa Thérésa, l'orphelinat.
— Ah...T'y étais aussi alors.
— Oui.
— Ok. Je comprends pas vraiment le côté fraternel avec toi. Je t'avoue que les femmes, ils les enchaînent en général. Alors, je les voyais pas du tout s'prendre d'affection pour une si jolie poupée sans la toucher. Enfin, tu vois c'que je veux dire.
Je confirme amusée.
— Ils se droguent aux femmes.
Matt ricane. Il arrête son pistolet à encrer et se met à emballer avec précision toutes les parties tatouées dans un film transparent, non sans avoir omis d'y passer un baume apaisant.
— Voilà. On va terminer par le ventre pour aujourd'hui. Mets-toi sur le dos, Lys.
C'est à ce moment que Angèlo revient, pianotant sur son portable, et nous coupant la parole sans s'en offusquer :
— Je viens d'avoir Valentino, il va passer venir voir ton taff mec.
Matt ricane de nouveau et mime un air apeuré.
— Oh mon Dieu, si tu existes, protège ta brebis. Le grand Valentino Ortéga va juger mon œuvre.
J'imagine beaucoup plus Lucifer se pencher sur ce vampire percé que Dieu et sa brebis immaculée.
Cette nouvelle me procure un léger stress. Et pourquoi d'ailleurs ? Et si ce n'est pas à son goût ? S'il n'approuve pas ma démarche ? Je cherche de nouveau Angèlo du regard. Évidemment, il n'a d'yeux que pour moi. Captant mon malaise, ses sourcils épais se froncent légèrement. Je murmure :
— Il va aimer, tu crois ?
Mon frère s'est approché, la pulpe de ses doigts caresse tendrement mon visage. Ce geste, cette chaleur, l'ambre doux de ses iris, tout de lui m'apaise immédiatement.
— Lys, sois sûre d'une chose, notre frère t'aimera toujours, quelque soit tes choix ou ton physique.
Ses yeux brillent malicieusement et me révèle sur le ton de la confidence, comme si le tatoueur n'était pas là.
— Par contre, si Matt se loupe, je donne pas cher de sa peau.
Le concerné réplique du tac au tac :
— Je ne me loupe jamais, mec. C'est ça la maîtrise. Un mot que tu ne connais pas.
Angèlo rit aux éclats et rétorque :
— Chacun son domaine de maîtrise.
Il joint ses mots à des mouvements de bassins d'avant en arrière, très explicites. Quel abruti !
***
Matt a terminé les contours de la première étape. Nous venons d'y passer plusieurs heures.
— Voilà, c'est terminé pour aujourd'hui. Tu crois que tu tiendras le coup si on se voit tous les deux jours, pour que ça avance rapidement ?
— Oui, je gère plutôt bien la douleur. Ça ira.
Matt hoche de la tête tout en appliquant une pommade sur ma peau fraîchement tatouée.
Angèlo, qui était parti à l'avant du shop, refait son apparition avec Valentino. Le revoir me rend nerveuse. Il donne l'accolade à Matt, mais ses yeux noirs sont rivés sur moi.
— Linda Muñeca.
Il me prend la main, contact chaud et possessif, et me fait tourner sur moi-même, son regard concentré sur chaque parcelle de ma peau noircie.
Plus un seul mot n'est prononcé : Matt contemple son œuvre, satisfait et Angèlo observe son frère dans l'attente de son verdict. J'ose rompre le silence :
— Ça te plaît ?
Ses yeux sombres fondent dans les miens. Il lâche ma main pour glisser ses doigts dans ma chevelure. L'espace d'un instant... Allait-il m'embrasser ? Il s'écarte vivement et chambre Matt.
— Pas mal. Ça va que Lys est sublime de base.
Matt ricane et mime une révérence.
— Merci mec, je vois que ça te convient.
Valentino lui assène une tape amicale sur l'épaule, mais Matt se la masse directement avec une grimace.
— Va pas m'arracher l'épaule mec.
Ils se mettent à rire.
Angèlo se rive à mes côtés, son souffle coulant contre mon oreille :
— Lys-chérie, rhabille-toi vite. Trop de testostérone dans cette pièce, je vais pas pouvoir supporter ça encore très longtemps.
Je reste incertaine de ce que Angèlo supporte difficilement, mais je ne comptais pas rester plus longtemps en sous-vêtements avec tout ce monde à me lorgner.
Les trois hommes parlent argent, une liasse de billets passent des mains de Valentino à Matt.
Après avoir salué le tatoueur vampire et confirmé les prochains rendez-vous, nous reprenons la direction du San José Fight Club.
Valentino a passé son bras de manière possessive autour de mes épaules. La chaleur nous écrase sans pitié. Angèlo fume une cigarette et pianote sur son portable à nos côtés.
— Je vous remercie pour votre cadeau mes frères, ça me touche.
Angèlo relève le nez de son écran et m'offre un clin d'œil. Valentino embrasse mes cheveux et me dit :
— T'es l'unique femme de la famille, te gâter est un devoir.
Un sourire flotte sur mes lèvres, je cale ma tempe contre son pectoral. Je savoure ce moment de quiétude avec mes frères, c'est si rare et si agréable.
La soirée entame déjà son cycle sans que la fraîcheur océanique ne tempère la touffeur ambiante. Les jumeaux Ortéga se tiennent devant le bâtiment, le club est à cette heure fermé.
Juan vient vivement à ma rencontre. Sa silhouette est plus svelte que celle de ses frères, presque aussi féline que celle du cadet, Tiago. Mais il ne faut pas s'y tromper, ce corps cache des muscles entraînés et puissants, une tête brûlée, un homme agressif aux limites quasi inexistantes. Sa nervosité naturelle transpire de tous ses pores, il démarre constamment au quart de tour. Il coiffe avec soin ses cheveux noirs à grand renfort de laque parfumée, et s'évertue à tailler une fine barbe courant le long de sa mâchoire. Juan prend toujours grand soin de son physique.
— Alors Niña, Matt ne t'as pas faite souffrir ?
Son inquiétude est touchante, et je pense au pauvre Matt si jamais je venais à me plaindre de son travail ou de son attitude. Je me décolle de Valentino et offre un sourire enjoué.
— Des griffures de chat, rien de plus. Et puis, Angèlo a tout supervisé.
Le concerné s'allume une cigarette, il est retombé dans un mutisme ombrageux. Je sais que la vue de la Mustang de l'autre côté de la rue le met au supplice.
Avant que le sujet ne soit amené sur le tapis, j'opte pour la fuite. Personne n'apprécierait rendre des comptes à ces quatre là en même temps. Même moi.
— Je vais vous laisser Hermanos, je bosse tôt demain. Faut que je dorme, je suis crevée.
Sans plus leur laisser de temps, je les embrasse et m'éclipse. Je ne suis pas dupe, ils ont joué le jeu et m'ont laissée filer.
Mes craintes sont fondées, Angèlo a déjà passé le mot à ses frères, leur visage en est révélateur, sombre et contrarié.
Faisant mine de ne rien comprendre, j'agite la main en signe d'un dernier au revoir chaleureux. Ils observent avec gravité mon départ... Le départ de la Mustang.
*Caliente. Espagnol : chaud.
*Bella niña. Espagnol : belle fille, belle enfant.
*Gracias Santa Maria. Espagnol : Merci Sainte Marie.
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