Chapitre 8. Prudente rencontre
Elara
Je suis assise dans la petite salle à manger peu décorée, les yeux rivés sur mon assiette où les légumes froids traînent depuis un moment déjà...
Le dîner aurait pu être agréable, mais cette soirée n’a rien de banal.
Un inconnu va bientôt débarquer, envoyé par mon père pour me protéger...
Mon propre garde du corps…
Comme si je n’étais plus capable de sortir et de vivre seule.
C’est une idée qui m'énerve plus que je ne voudrais l’admettre.
Je ne suis plus une enfant...
Même si, actuellement, seule à cette table prévue pour six personnes, je me sens minuscule et fragile.
Et dire qu'il y a quelques années, cette pièce était toujours animée et solaire.
Les choses changent trop vite.
Le bruit de l’ascenseur me tire de mes pensées, et je me redresse en fronçant légèrement les sourcils et en serrant les lèvres, prête à affronter cet invité imposé.
Je me prépare mentalement à l’accueillir avec une politesse glaciale, pour lui faire comprendre que je ne compte pas être une présence facile pour lui, qu'il n'est pas le bienvenu dans ma vie privée.
Mais quand il apparaît enfin dans l’encadrement de la porte automatique, je perds mes mots.
Je reconnais immédiatement ces yeux violets qui se posent sur moi comme une décharge électrique vive.
C’est lui !
L’homme du gala, celui qui m’a sauvée.
J'en suis sûre et certaine.
Une partie de moi se sent soulagée, tandis qu’une autre est envahie par des questions.
Pourquoi il ne se montre que maintenant s'il me connaissait déjà ?
Pourquoi n’a-t-il pas été présenté comme tel par mon père ?
Était-il, en période d'essai ?
Mon père aurait-il tout prévu pour s'assurer qu'il soit à la hauteur ?
Je n'ai pas le temps de m'attarder sur ces questions qu'il s'approche de moi.
Il est grand, bien proportionné sans être écrasant, ses cheveux longs et ondulés sont noirs méchés de mauve et tombent par endroit de façon élégante sur ses épaule, et ses yeux...
Je cherche à me concentrer sur autre chose, mais c'est peine perdue.
Cette couleur spéciale attire excessivement l'attention.
Je sens que je dois faire quelque chose, mais je reste figée, mes mots sont bloqués dans ma gorge.
Je cache mon trouble comme je peux et me contente de le fixer, attendant qu’il parle en premier.
Finalement, il s’avance encore un peu, tendu mais essayant de donner le change.
Sa démarche est comme, râpeuse, traînante.
Sa tenue est pour le moins atypique également.
Il porte un manteau long et usé en cuir brun qui cache presque tout le reste de ses vêtements sans couleurs criardes.
C'est extrêmement sobre et... décontracté.
« Bonsoir, mademoiselle Elara. Je m’appelle Kael, je suis… chargé de votre sécurité. » Sa voix est basse, un peu tirée, et malgré son regard fixe, il semble aussi nerveux que moi.
Il tente de prendre une posture moins tendue, mais cela ne fait qu'accentuer son inconfort.
Je force un léger sourire, une politesse plus mécanique que sincère.
L'effort de ce geste me donne mal aux joues.
« Bienvenue, Kael. Je suis Elara Derenos. Je suppose que mon père vous a déjà tout expliqué ? » Ma voix sonne plus sèche que prévu, mais je n’ai pas envie de cacher ma réserve.
Il acquiesce lentement, les bras croisés, et je sens qu’il me scrute un peu trop en silence, comme s’il évaluait quelque chose...
Je croise les bras à mon tour, comme pour ne pas me laisser impressionner. Il ne semble même pas relever mon défi silencieux.
« Alors, vous êtes… un Djinf nocturne, c’est bien ça ? » J’essaie d’adopter un ton détaché, comme si je n’étais pas du tout impressionnée par sa présence.
Mais lui, il se contente de sourire d'une bouche pincée et hoche la tête avec une sorte de nonchalance à peine dissimulée.
« C’est ce qu’on raconte, oui, » dit-il en haussant légèrement les épaules. Puis, comme s’il était au-dessus de tout ça, il ajoute, « Enfin, vous savez, les titres et les étiquettes, ça veut pas dire grand-chose pour moi... »
Je hausse les sourcils et Kael finit par détourner un peu le regard pour fixer la vue depuis la baie vitrée, brisant le fil de tension entre nous.
C'est si étrange, de voir quelqu'un d'autre dans cette salle à manger.
« Je suis ici pour vous protéger, mademoiselle, c’est tout ce qui compte pour moi. » Son ton est sobre, mais il y a une petite étincelle dans ses yeux qui me laisse croire qu’il n’est pas exactement ravi d’être là non plus.
Peut-être que cette mission lui semble aussi ridicule qu’à moi...
Je m’efforce de reprendre contenance, me rappelant que cet homme est là par ordre de mon père, qu’il ne fait que son travail.
Je devrais peut-être être plus indulgente, mais cette situation me déstabilise trop.
Je n’arrive pas à m’empêcher de penser à ce moment, ce soir du gala. Il était là, dans l’ombre, sans se montrer, me sauvant sans rien exiger en retour.
Il aurait pu se présenter, me dire qui il était, mais non.
Il a préféré disparaître.
Pourquoi tout ce mystère ?
Était-ce vraiment nécessaire ?
Ça me fatigue déjà.
« Vous avez fait un travail efficace, l’autre soir… » Ma phrase reste en suspens, comme une question muette. Je veux lui faire comprendre que je n’ai pas oublié cette nuit-là, que je me souviens très bien de ce qu’il a fait, que je l'ai reconnu.
Comment oublier des yeux aussi scintillants ?
Il semble surpris une seconde.
Ses oreilles pointues légèrement cachées par sa chevelure se redressent comme un enfant pris en train de faire une bêtise, puis il se racle la gorge, comme pour se donner plus d'assurance.
« C’était… mon devoir. » Sa réponse est rapide, peut-être un peu trop.
Comme s’il cherchait à couper court à la discussion.
L'échange finit sur un silence, encore, ce malaise flottant entre nous, cette gêne qui refuse de disparaître me donne mal au ventre...
Après ce moment de silence trop long, il prend la parole, d’un ton détendu mais mesuré.
« Vous n’êtes pas particulièrement heureuse d’avoir un garde du corps, je me trompe ? » Son ton est presque complice, et je sens une pointe d'amusement qu’il essaie de cacher.
« Est-ce si évident ? » je rétorque, levant les yeux au ciel.
Mon sarcasme ne semble pas l’atteindre, il hausse légèrement les épaules.
« Pas vraiment. Disons que ça se ressent. » Il laisse échapper un sourire léger qui lui offre une mine moins rigide, avant d’ajouter, l’air faussement sérieux : « Mais bon, ça pourrait être pire. Vous pourriez être coincée avec quelqu’un de franchement ennuyeux et stupide. »
Je le fixe, incrédule, pas vraiment certaine de la façon dont je dois réagir.
Cet homme est définitivement différent de ce que j’imaginais.
« Vous... vous sous-entendez, j’imagine ? »
Il sourit, mais cette fois, je perçois une étincelle dans son regard, comme s’il hésitait, puis il se lance.
« Dites, vous permettez qu’on mette un peu la politesse de côté ? Si je suis censé être votre ombre à partir d'aujourd'hui, alors autant qu’on se parle sans toutes ces formalités inutiles, non ? » il laisse échapper un plus grand sourire qui dévoile des canines imposantes.
Sa question me surprend.
Cette proposition n’aurait pas dû me faire autant d’effet, mais elle allège subitement quelque chose en moi.
Peut-être que cette distance imposée par les convenances entre lui et moi, que je m’attendais à supporter, n’était pas vraiment nécessaire.
Je souris malgré moi, relâchant enfin la tension coincée de mes épaules à la pointe de mes pieds.
« D’accord. On peut se tutoyer alors, Kael. » dis-je en hochant la tête, un sourire sincère aux lèvres.
Il répond avec un léger hochement de tête tout en envoyant ses cheveux en arrière dans un coup de main bref, qui me donne l'occasion de mieux voir les traits de son visage.
Cet échange me donne la sensation que rien ne sera aussi sérieux que je l'avais prévu, et la salle semble tout à coup un peu moins froide, et un peu plus familière.
Je respire à nouveau.
×××
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