Chapitre 6. Solitude

Elara


Je rentre dans le grand bâtiment après mes heures de cours, la tête pleine de pensées agitées.

Mon regard se porte rapidement sur le pendentif que je cache sous mon col avant d'entrer dans l'ascenseur.
Il vaut mieux que personne ne le remarque.

Pas ici, pas maintenant.

J'appuie sur le bouton du dernier étage, l’ascenseur monte, et je soupire longuement.
Quelque chose m'agace ce soir, et ce n’est pas seulement à cause des élèves agités durant les cours...

J’ai bien vu cet homme, censé être là pour gérer la sécurité de l’entrée du building, me suivre de loin dans la rue.
Embauché par mon père, probablement, discret, mais pas assez pour échapper à mon regard.

À quoi ça rime franchement ? Je ne suis pas en sucre, et la ville n'est pas réputée pour être un coupe gorge.

Quand les portes s'ouvrent, je traverse rapidement le couloir, mes pas résonnant légèrement sur le sol marbré.

J’entre dans ma chambre et referme la porte derrière moi dans un léger claquement.

C'est toujours trop calme ici.
Un silence pesant qui me rappelle à quel point je me sens seule.

Depuis que ma mère est morte, tout semble figé, morne.
Ses amies ne viennent plus dans le bâtiment, leurs filles non plus, et moi, je me retrouve seule, encore plus qu’avant.

Déjà que je n'avais pas beaucoup d’amis, mais là… c’est l’ennui totale.

Je pose mes affaires sur le petit bureau près de mon lit avec une lassitude que je ne cache même plus. Le feu en moi, cette énergie que je contrôle et qui pourrait me réchauffer, ne fait rien contre ce vide qui s’installe peu à peu.

C’est alors que j’entends toquer à la porte.
Mon père...
Je fronce les sourcils, un peu surprise qu'il daigne venir me voir après mes cours.

« Elara, je viens d'avoir une bonne nouvelle, » dit-il en entrant sans attendre que je l’invite à le faire.

Il m'offre un sourire timide en secouant sa moustache blanche au passage, montrant une sorte d'excitation dissimulée.

« L’entreprise qui s’occupe de la sécurité du centre du quartier propose des gardes du corps aux familles les plus importantes. Et devine quoi ? Sans débourser le moindre sou ! »

Je le regarde une seconde sans rien dire, essayant de comprendre où il veut en venir.
Et puis ça me frappe...

« Laisse-moi deviner... tu veux dire que cette histoire de garde du corps, c’est pour moi ? » Je soupire, déjà lassée, attachant mes cheveux en un chignon flou pour m'occuper les mains.

« Exactement ! Ce n’est pas une simple proposition. C’est nécessaire, surtout avec ce qui se passe en ce moment. Ton garde du corps s'appelle Kael. C'est un Djinf nocturne, une race presque éteinte et qui possède une capacité de récupération exceptionnelle. Tu réalises la chance que tu as ? »

Un Djinf nocturne ? Rien à faire de leur prétendue rareté.

Tout ce que je retiens, c’est que mon père m’impose un garde du corps. Super...
Juste ce qu’il me fallait.
Une ombre de plus pour me surveiller.

« Père, vraiment... ce n'est pas nécessaire. »

Mais il ne m’écoute pas. Il me sourit, fier de lui, comme si cette nouvelle allait transformer ma vie.
Ses yeux marrons pétillent, comme si nous étions à la veille d'un merveilleux événement.

« Si, au contraire. Il s’installera dans la chambre d’amis, juste à côté de la tienne. Vous ferez connaissance ce soir pendant le dîner. Je ne serai pas là, j’ai un rendez-vous avec un autre Présent du quartier des affaires Est, tu sais le Kitsune qui gère la plus grande société de tissu. »

Et voilà, cela veut dire que je vais me retrouver coincée, seule avec ce type.
En plus, il va être dans la chambre juste à côté de la mienne.
Je cache mal mon dépit face à mon géniteur heureux.

« Génial… » je murmure sans enthousiasme.

Mon père s’approche pour me poser une main sur l’épaule, un geste qu’il veut probablement réconfortant, mais qui me laisse froide.

« Tu verras, ça se passera bien. C’est pour ta sécurité, Elara. »

Sécurité ?
Il n’y a pas plus sûr que ce quartier, pourtant il trouve toujours une excuse pour me coller plus de surveillance.

À croire que je ne suis jamais assez protégée.

Quand il sort de la pièce, je m’affale sur le lit décoré par quelques coussins et peluches de mon enfance, le regard perdu au plafond.

Un garde du corps...
Un Djinf nocturne, en plus. Ce sera sûrement quelqu’un d’austère, de silencieux, toujours à surveiller le moindre de mes gestes.

Et ce repas… Je suis déjà fatiguée rien qu’en pensant à ce moment gênant.

Je soupire en me redressant sur le lit. J’essaie de me vider la tête en sortant mes fiches de cours de la journée.

Au moins, ça me changera un peu les idées.

Je les éparpille sur le lit, cherchant celle qui parle des Djinf sans vraiment savoir pourquoi.

Je la trouve rapidement, un peu froissée, mais elle fera l’affaire.

"Les Djinf nocturnes," je murmure en lisant. "Créatures anciennes, liées aux éléments naturels et spirituels."

Mon regard glisse sur la description des Djinf de feu, d’eau, de terre et d’air.
J’imagine brièvement ce que ça aurait pu être d’appartenir à une de ces autres sous races.
De pouvoir manipuler autre chose que le feu...
Ce serait peut-être plus simple, moins fatigant, moins dangereux.

Plus bas sur la fiche, les Djinf nocturnes et célestes sont mentionnés en gras.

Je fronce les sourcils, essayant de me souvenir de ce qu’on a dit en classe tout en posant mes yeux sur les lignes.

Les Djinf nocturnes sont fascinants, ils sont capables de manipuler les ombres et… l’esprit des gens.

Je m’arrête sur cette phrase.
L’esprit ?
C'est terrifiant et... fascinant à la fois.

Donc, ce Kael a ce genre de pouvoir ?

Je n’ai jamais rencontré un Djinf nocturne avant.

D’ailleurs, j’aurais peut-être préféré que ça reste ainsi.

En lisant ces quelques lignes, je me rends compte à quel point je regrette de ne pas être née en autre chose.

Pas un Djinf nocturne, bien sûr, mais autre chose.

Je n’ai jamais vraiment aimé ce pouvoir de feu que j'ai hérité de ma famille.

J’ai l’impression que c’est une sorte de fardeau, quelque chose qui ne colle pas avec ce que je suis réellement.

Ma famille… ou plutôt ce qu’elle est devenue avec le temps, tout ce qui compte pour eux, c’est la renommée, le pouvoir, les apparences.

Je serre le pendentif que je porte sous le col de ma robe. Il chauffe légèrement dans ma main et ma poitrine, mais cette chaleur est étrangement apaisante.

Comme si, au fond, il comprenait ce que je ressens.

Ma mère, elle, était différente.
Elle se moquait de tout ça...

Elle me parlait souvent de liberté, de vivre pour soi, pas pour l’image ou les attentes des autres.
Elle avait une façon d'utiliser son feu comme un outil léger, et non comme une médaille qu'on exhibe à tous...

Ça me manque tellement, ses paroles, sa présence.
Tout est devenu si étouffant depuis qu’elle est partie.
Je me sens seule, coincée dans cette cage dorée, depuis déjà cinq ans.

Je lâche un long soupir.

La journée a été longue, et maintenant je dois me préparer à rencontrer ce garde du corps.

Un Djinf nocturne, capable de contrôler les ombres et l’esprit.

Un frisson me traverse.
Est-ce que je suis prête pour ça ?

Je secoue la tête pour mettre fin à ce débat intérieur. Quoi qu'il en soit pour le moment, je dois prendre une douche, et trouver une tenue qui fasse à la fois décontractée, mais pas trop non plus.

Je soupire à nouveau et me dirige vers la salle de bain, espérant que la douche m’apaisera un peu avant ce dîner.

L’eau chaude coule en un jet brûlant, et je me laisse envahir par la vapeur qui commence à remplir la pièce.

Quand ma peau nue entre en contact avec la chaleur, je sens mes muscles se détendre, et les pensées qui tournent sans cesse dans ma tête s’apaisent pour quelques minutes.

Les attentes de mon père, cette solitude pesante, et l’idée de ce garde du corps que je vais rencontrer ce soir… tout ça s’efface, comme si l’eau emportait tout sur son passage.

Quand je sors de la douche quelques minutes plus tard, enveloppée dans une serviette aux coutures dorées, je me regarde dans le miroir.
Mon visage pâle semble encore marqué par la journée, par la fatigue…

Mais il y a aussi quelque chose de tendu, de nerveux, que je n’arrive pas à cacher...

Je me passe une main dans les cheveux, encore humides, et je décide de les laisser sécher en les peignant doucement.

Je retourne dans ma chambre, et, après un instant d’hésitation, j’attrape une robe noire simple, un modèle moulant mais sobre, que j’avais mis de côté pour des occasions comme celle-ci.
Une occasion étrange...

Je l’enfile lentement, vérifiant qu’elle tombe bien, qu’elle reste discrète tout en étant élégante.

Quand je relève les yeux vers le miroir, je prends une grande inspiration.
Ce soir, je vais dîner avec ce Djinf nocturne, cet inconnu envoyé pour veiller sur moi.
Une part de moi ne peut s’empêcher d’être curieuse à son sujet…

Mais une autre reste méfiante, consciente que dès qu'il sera là, je n'aurai en quelque sorte, plus de jardin secret.

J’essaie de calmer le tourbillon d’émotions en moi et lisse une dernière fois ma robe.

Au fond, je ne sais pas à quoi m’attendre ce soir.

Mais je suis prête… du moins, je veux l’être.


×××

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