Chapitre 4.5. Le Cercle des 12
Galen Derenos
(Quelques heures plus tôt)
Ce matin, tout semble frôler l’indigestion. La pile de dossiers sur mon bureau est encore plus haute que d’habitude et pendant un instant, je voudrais être à la place de ma fille qui dort encore, et qui ira en classe dans plusieurs heures.
Jordan, mon assistant, passe d’un dossier à l’autre, ses lunettes glissant sur son nez à chaque mouvement nerveux. Il pointe des chiffres, rature des marges, annote à la hâte. « C’est à corriger avant la réunion, » me dit-il d’un ton pressé, comme si la moindre erreur pouvait causer la chute de Syl-Anor.
Et peut-être que c’est vrai.
Il est cinq heures, mais le soleil éclatant derrière les fenêtres en verre ne m’apporte aucun répit. La ville brille, oui. Ses rues, ses tours, ses gratte-ciel d’acier. Une façade brillante pour cacher les fissures qui la rongent de l’intérieur. J’ai d’autres préoccupations.
La réunion au Cercle des 12 m’attend, et je ne peux pas me permettre le luxe de contempler ce spectacle.
« Le dossier sur les sanctions pour les Lumineux ayant collaboré avec la Sombre ? » demande Jordan, me tirant de ma réflexion.
Je prends le dossier, feuillette rapidement. Trop de pages pour si peu de solutions.
« Ceux qui trahissent leur lumière méritent une punition exemplaire, » dis-je froidement.
« Mais il faudra que ces mesures soient impeccables sur le plan légal. Sinon, ils trouveront un moyen de nous affaiblir encore plus, sur le point financier également. »
Jordan hoche la tête et retourne à ses annotations.
Une pression sourde pèse sur mes épaules. Ce n’est pas seulement une question de législation ou de politique. C’est une guerre de contrôle et d'argent, une lutte pour maintenir un semblant d’ordre dans une ville où les ombres s’allongent chaque jour un peu plus.
Quand l’Ange chargé de mes déplacements arrive, j’enfile ma veste sans un mot. Son aura paisible contraste avec le chaos dans ma tête. Il me guide jusqu’à la voiture, ses ailes repliées élégamment contre son dos. Nous montons, et le trajet commence.
Syl-Anor défile devant mes yeux. Les façades immaculées, les rues bondées, les quartiers périphériques que personne ici ne veut mentionner. La Sombre a ses racines là-bas. Ils y recrutent les désespérés, les ambitieux, les perdus. Et bientôt, ces racines s’étendront jusqu’ici, au centre lumineux de la Mégalopole, si nous n’agissons pas.
Le Cercle des 12 s’élève devant nous. Un bâtiment ancien, imposant, mais vidé de sa symbolique. Autrefois, c’était le lieu de réunion des douze races, un espace où la diplomatie primait sur la division.
Aujourd’hui, il ne reste que des ruines de cette unité. Six races sombrées dans l’ombre. Ce lieu porte encore leur absence comme une cicatrice...
Je traverse le grand hall, où le murmure de mes pas résonne. L’air y est lourd, saturé d’histoire et de tension. Chaque pierre semble me rappeler les promesses non tenues, les pactes brisés.
Je m’installe à la table centrale, et à peine ai-je pris place que la réunion commence. Comme toujours, il n’y a pas de place pour les introductions ou les courtoisies.
Un Satyre se lève. Massif, imposant, il inspire le respect et la méfiance. Il dirige la sécurité de Syl-Anor. Son regard semble percer les masques de chacun d’entre nous.
« Les menaces ne sont plus simplement extérieures, » commence-t-il, sa voix grave et mesurée. « Elles se trouvent parmi nous. Des fissures se forment dans les fondations mêmes de notre société. »
Je hoche la tête.
Ce qu’il dit, je le sais déjà...
La Sombre prospère non seulement dans les marges, mais aussi au sein des sphères de pouvoir. Des Lumineux corrompus, des traîtres qui se vendent au plus offrant. Leur punition est un sujet que je prévois d’aborder aujourd’hui.
Un autre membre intervient, un Kitsune cette fois. Élégant, son visage anguleux est marqué par un sourire qui ne quitte jamais tout à fait ses lèvres.
« Des rumeurs circulent, » dit-il, ses yeux brillants d’une lueur rusée. « Certains de nos alliés seraient plus… flexibles qu’on ne le croit, prêts à négocier avec la Sombre pour leur propre profit. »
Je fixe le Kitsune, analysant ses mots comme ses intentions. Il adore jouer à ce jeu : jeter des accusations voilées tout en restant intouchable. Mais son point est valide.
« L’action est nécessaire, » dis-je, ma voix tranchante comme une lame. « Mais elle doit être calculée. Si nous agissons de manière désordonnée, nous risquons de perdre la confiance du peuple. Nous devons frapper là où cela compte, mais avec prudence. »
Le Satyre hoche la tête, mais son expression reste dure. « Et quelle est votre proposition, Derenos ? Vous parlez de prudence, mais ce n’est pas avec des billets et des mots que nous protégerons la ville. »
« Nous devons renforcer nos liens avec les quartiers périphériques, » rétorqué-je.
« Là où la Sombre trouve ses alliés. Si nous laissons ces zones devenir des foyers de rébellion, le centre tombera. C’est une question de survie. »
Le Kitsune sourit, légèrement moqueur. « Et que proposez-vous pour les traîtres parmi nous ? Ces Lumineux qui vendent leur loyauté à la Sombre ? »
« Une punition exemplaire, » réponds-je sans hésiter. « Les lois doivent être révisées pour qu’aucun doute ne subsiste : trahir la lumière, c’est perdre tout privilège. Il n’y aura ni pardon, ni oubli pour ceux qui se rangent du côté de l’ennemi. »
Un murmure parcourt la salle. Certains approuvent, d’autres hésitent. Mais je vois dans leurs regards qu’ils comprennent la nécessité.
Le Satyre se redresse. « C’est risqué, mais nécessaire. Si nous échouons à montrer notre force, alors les ombres n’auront plus aucune raison de nous craindre. »
Le Kitsune acquiesce, son sourire se figeant légèrement. « Très bien. Mais si nous échouons, les conséquences seront sur vos épaules, Galen. »
Je soutiens son regard, imperturbable. Ce n’est pas la première fois qu’on essaie de me faire plier, et ce ne sera pas la dernière.
Pour lui, je ne suis qu'un pilier de la finance, et je n'ai pas ma place dans cet endroit.
Les discussions continuent, s’enlisant dans les détails stratégiques. Mais une pensée reste gravée dans mon esprit. Syl-Anor vacille depuis des années, et le poids de ses secrets pourrait bien l’écraser.
Pourtant, pour l’instant, je tiens bon...
Pour Elara...
Pour cette ville...
Pour le secret de notre famille.
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