Chapitre 36. Putain

Kael

La cellule est toujours aussi froide, toujours aussi sombre...
Les murs suintent une humidité poisseuse qui me colle à la peau.

Ici, le temps semble s’étirer comme un élastique sur le point de se rompre. Cela fait combien de jours que je suis enfermé ? J’ai perdu le compte. Peut-être une semaine, peut-être plus...

Victor est là, assis dans un coin, aussi immobile qu’une statue. Ses yeux brillent d’une lueur qui oscille entre la détermination et l’inquiétude.
Sa présence est rassurante, mais elle ne chasse pas l’étau qui m’êtreint la poitrine.

Je suis en train de tourner en rond, incapable de rester immobile plus longtemps, quand un bruit étrange attire mon attention.
Un raclement de gorge.
Mes yeux se posent sur un Satyre qui se tient de l’autre côté des barreaux. Sa posture est raide, ses gestes saccadés.
Quelque chose cloche...

« Kael ? » Sa voix est monocorde, comme s’il récitait un texte. Il tend une main tremblante dans laquelle repose une lettre pliée avec soin.

Je m’approche lentement, méfiant.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Le Satyre ne répond pas.
Ses yeux sont vides, dépourvus de toute étincelle. Un frisson me parcourt l’échine.

Je tends la main pour récupérer la lettre, mais avant que je ne puisse dire un mot de plus, il fait demi-tour et quitte le couloir d’un pas mécanique. Je reste figé quelques secondes avant de baisser les yeux vers l’enveloppe.
Mon nom y est inscrit en lettres déliées, et une odeur familière s’en échappe : celle de cendre...

« Ouvre-la, » murmure Victor. Sa voix est basse, comme s’il craignait que les murs aient des oreilles.

Je déplie la lettre avec une certaine appréhension. Les mots qui s’étalent devant moi semblent écrits par une main experte, mais chaque phrase est lourde de conséquences.

Kael,

Je sais que tu es dans une situation difficile. Tu ne peux pas rester là-bas. Pas si longtemps. La prison n’est pas faite pour quelqu’un comme toi. Mais il y a une solution.
Une chance que nous autres n'avons pas.
Elle est risquée, presque impossible à réaliser, mais c’est la seule issue.

Tu dois libérer ton sang clos. ”

Je m’arrête de lire, mes mains tremblant légèrement.
Le sang clos…
Je fronce les sourcils.
C’est quoi ce bordel ?

Je continue.

Cela signifie faire émerger ce qui sommeille au plus profond de toi. Ce que tu n’as jamais osé libérer. Pour un Incube, cela implique de faire apparaître tes ailes. Je sais que cela semble fou, voire suicidaire. Mais tu n’as pas d’autre choix si tu veux sortir d'ici vivant. Fais-moi confiance. Je t’aiderai autant que possible.

- Jade ”

Je relève les yeux, les mots résonnant encore dans ma tête.
Des ailes ?!
Elle veut que je fasse apparaître des ailes ?
Mon souffle s’accélère, et une panique sourde commence à m’envahir.

« Victor, » je murmure, ma voix tremblant. « C’est quoi ces conneries ? Des ailes ? Je savais même pas que c’était possible. Pourquoi personne ne m’en a parlé avant ? Elle est folle ton amie ! »

Mon compagnon de cellule se lève et observe la lettre en se recoiffant d'un geste las.

« Jade n’est pas qu'une médecin, c’est une chercheuse hors pair. Je suis extrêmement chanceux d’être son apprenti...
Avant qu’on se retrouve enfermés ici, elle menait des recherches sur les pouvoirs cachés des Sombres.
Celui qui la fascinait le plus, c’était le pouvoir du sang clos.
Autrefois, les Incubes naissaient avec leurs ailes déjà déployées.
Mais depuis plusieurs siècles, ce n’est plus le cas...
Désormais, ces ailes doivent être "activées", un phénomène probablement lié à des changements environnementaux ou biologiques.
Cependant, c’est toujours possible.
Les Incubes et les Succubes possèdent des os et des nerfs supplémentaires au niveau du haut du dos.
Avec une intervention appropriée, comme des incisions chirurgicales, il serait théoriquement possible de libérer ces fameuses ailes.
Mais, bien sûr, c’est une procédure extrêmement risquée... »

Je le fixe, choqué par son monologue, par son explication...

Il soupire et hoche lentement la tête, son regard se durcissant.

« C’est… dangereux. Faire émerger ses ailes demande une énergie énorme. La plupart des Incubes qui essaient n’y survivent pas. C’est pour ça qu’on en parle rarement. Mais Jade sait ce qu’elle fait. Si elle te demande de tenter, c’est qu’elle croit en toi. »

« Bordel, elle est délirante ! Je suis enfermé ici, à sec d’énergie, avec des connards qui nous surveillent H24. Et elle croit que je vais déployer des putains d’ailes ? Non mais sérieux ! »

Victor me fixe, impassible. Puis, doucement, il parle.

« Kael… moi, je suis humain. J’ai aucune chance de sortir d’ici vivant. Mais toi… Toi, tu peux. Et je peux t’aider. »

Je plisse les yeux, méfiant.

« Comment ça, m’aider ? »

Il hésite un instant avant de souffler : « En te donnant de mon énergie. »

Je fronce les sourcils. Puis, soudain, je comprends. Mon estomac se noue.

« Attends… Tu veux dire… coucher avec moi ? »

Il ne répond pas, mais son silence suffit. Je recule d’un pas, une grimace de dégoût sur le visage.

« T’es sérieux, là ? Non mais ça va pas ?! »

Victor lève les mains, comme pour m’apaiser.

« Calme-toi, écoute-moi. Je sais que c’est… inhabituel. Mais tu sais aussi bien que moi que t’as besoin d’énergie pour survivre, et encore plus si tu veux tenter de déployer tes ailes. Si tu continues comme ça, tu crèves. Alors oui, c’est extrême. Mais c’est ça ou rien. »

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux, sentant la colère et la panique monter en moi.
L’idée me répugne, mais en même temps, il a raison.
Mon corps commence à faiblir. J’ai de plus en plus de mal à penser clairement.
Et si je veux avoir une chance de sortir d’ici, je vais avoir besoin de toute l’énergie possible.

« Putain… fait chier ! » Je donne un coup de pied dans le mur, la douleur irradiant ma jambe sans me calmer pour autant. « J’ai pas envie de faire ça, Victor. J’ai juste… pas envie, Ok ? »

« Je sais, » murmure-t-il. « Et crois-moi, c’est pas mon premier choix non plus. Mais si tu veux sortir d’ici, et retrouver ta Elara... Il n'y a pas d'autres options.  »

Je le regarde, mon souffle est court. Un bruit de pas dans le couloir me fait sursauter.
Sans réfléchir, je glisse la lettre sous le matelas et me redresse.
Un garde passe devant notre cellule sans s’arrêter, mais son regard glisse sur moi avec une lueur de suspicion. Je retiens mon souffle jusqu’à ce qu’il disparaisse au bout du couloir.

« Réfléchis-y, » murmure Victor. « Mais pas trop longtemps. On n’a pas le luxe du temps. »

Je ne réponds pas.
Mon esprit tourne à plein régime, coincé entre la répulsion et la nécessité.
Libérer mon sang clos ?
Faire apparaître des ailes ?
Et maintenant, ça ?!

Ce plan est un putain de cauchemar, mais une chose est sûre : si je reste ici, je crève. Alors peut-être que, pour une fois, je dois prendre un risque. Un risque qui pourrait tout changer… ou tout détruire.

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