Chapitre 34. Ce regard
Kael
Une semaine. Déjà une foutue semaine que je stagne ici, à compter les heures comme un con.
Les médicaments contre le rut m’aident à ne pas devenir complètement fou, mais ils n’effacent pas l’inquiétude qui me ronge...
Elara.
Est-ce qu’elle va bien ?
Est-ce qu’elle a réussi à rentrer chez elle ?
Je me mords l’intérieur de la joue en fixant le plafond de ma cellule. Pas la peine de demander aux gardes.
J’ai déjà essayé plusieurs fois de leur tirer des infos sur Galen Derenos ou sur ce qui a pu se passer dehors... Mais à chaque fois, c’est le même mur.
Pas de réponse, pas un mot.
Juste des regards condescendants, comme si je n’étais qu’un insecte qu’ils pourraient écraser d’une simple pression de sabot.
Victor, fidèle à lui-même, me répète que m’inquiéter ne sert à rien. Que ça ne changera rien, à part me faire sentir chaque putain de seconde comme un poids mort.
« Détends-toi, Kael, » qu’il dit en ricanant. « Elle est sûrement en sécurité, peinarde dans son lit en soie, pendant que toi, tu tournes en rond ici. »
Je grogne et serre les poings. Pas parce qu’il a tort, mais parce qu’il a peut-être raison...
Et c’est bien ça qui me fout les nerfs. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si je n’ai pas tout foiré en la laissant.
Elle m'a protégé, caché et maintenant...
Je suis enfermé comme un chien en cage.
Je soupire et me redresse sur la paillasse.
La cellule est toujours aussi oppressante, les murs gris me rappellent chaque seconde que je suis à leur merci.
Et pourtant, c’est Elara qui hante mes pensées.
Pas cette foutue prison.
Pas les gardes qui nous surveillent comme des vautours.
Elle.
Seulement elle.
Je me lève et fais les cent pas. Une habitude que j’ai prise depuis mon arrivée ici. Ça ne sert à rien, mais ça me donne l’impression de bouger, de ne pas me laisser bouffer par cette ambiance poisseuse.
Victor m’observe depuis son coin, ses bras croisés derrière sa tête, comme si rien ne pouvait l’atteindre.
« Tu vas creuser un sillon dans le sol, à force, » lâche-t-il avec un sourire en coin.
Je l’ignore. Je n’ai pas la patience pour ses sarcasmes aujourd’hui...
Je m’arrête devant les barreaux et j’observe le couloir, désert comme toujours.
Pas un bruit, pas une âme qui vive, à part les gardes qui passent de temps en temps.
Je serre les dents et murmure pour moi-même. « Bordel, Elara, si tu es là-dehors... Reste en sécurité. »
C’est tout ce que je peux faire. Espérer. Et ça me rend fou.
Les Satyres débarquent, toujours avec leur même air supérieur et leurs ordres aboyés.
C’est l’heure de la promenade.
Super...
Exactement ce dont j’ai besoin : me traîner dehors pour faire semblant d’être un prisonnier modèle.
Je me lève à contrecœur, traînant les pieds jusqu’à la sortie de la cellule.
À quoi bon, putain ?
Respirer cet air moisi et écouter les grognements des autres prisonniers ? J’ai déjà assez de bruit dans ma tête sans ça...
Victor, la démarche lente et robotique, trouve le moyen de me glisser une remarque quand je passe devant lui.
« Quand tu seras dehors, vas vers la blonde assise sur le deuxième banc. Elle pourra peut-être t’aider. »
Je m’arrête et le regarde, un sourcil levé.
Sérieusement ?
Il se fout de moi ou quoi ?
« M’aider ? Et elle ferait ça comment, au juste ? Elle a une clé magique ? » je marmonne.
Victor hausse les épaules, un sourire énigmatique aux lèvres. « Va savoir. Fais-moi confiance pour une fois. »
Je grogne, mais je ne réponds pas. 'Fais-moi confiance' ?
C’est facile à dire quand on passe ses journées à roupiller ou à philosopher sur la vie.
Une fois dehors, l’air légèrement plus frais me frappe, mais ça ne suffit pas à alléger mon humeur. Mes yeux balaient la cour. Rien de bien palpitant : les mêmes visages fatigués, les mêmes murmures méfiants.
Et puis je la vois.
La fameuse blonde..
Elle est assise sur le deuxième banc, exactement comme Victor l’a dit. Une femme d’une cinquantaine d’années, les cheveux blonds impeccablement coiffés, un regard perçant qui semble tout voir.
Je m’approche, les mains dans les poches, les yeux scrutant les gardes à la périphérie de la cour.
Quand j’arrive à son niveau, elle tourne la tête vers moi, et nos regards se croisent.
C’est comme un électrochoc.
Je connais ce regard.
Pas possible que je me trompe...
« Oh, un Incube... C’est rare ici. Vous devenez vite fous enfermés, non ? » dit-elle en riant.
Et ce rire.
Putain, ce rire agaçant.
Je fais le lien en un éclair.
Une femme blonde, un sourire narquois et des yeux d’un bleu perçant... C’est elle. Pas de doute.
« Vous avez pas un gamin, de vingt ans maintenant, toujours en liberté ? » je demande en marchant autour du banc, mes yeux fixés sur elle.
Elle arque un sourcil, mais ne semble pas surprise. Au contraire, un sourire joue sur ses lèvres, comme si elle attendait ma question.
« Tu as l’œil, » dit-elle en croisant les jambes avec élégance. « Et toi, tu dois être celui qui cause tant de tracas à mon fils et à son chéri. »
Alors c’est bien elle.
La mère de Jack...
Je reste planté là, fixant la femme comme si elle venait de me parler dans une langue étrangère.
Son sourire narquois ne bouge pas d’un pouce, et merde, ça m’agace déjà.
« Comment Jack peut communiquer avec vous ? Les lettres sont interdites, non ? »
Elle plisse les yeux, visiblement amusée par ma question.
« Rien n'est impossible, Kael. Pas pour Jack. »
Je me fige. Puis je ris, un rire sec et sans joie.
Bien sûr.
C’est tellement lui. Ce sale con semble toujours avoir une longueur d’avance.
« Victor m'a dit que vous vouliez me dire quelque chose. Faites vite, » je grommelle, conscient du regard insistant d’un Satyre à quelques mètres.
Son sourire s'élargit, et ses yeux bleus me sondent comme si elle essayait de lire à travers mon crâne.
« Que sais-tu sur ta race ? »
Je cligne des yeux, surpris.
« Pardon ? »
« Que sais-tu concernant les pouvoirs des Incubes, jeune homme ? »
Ma méfiance monte d’un cran, mais je hausse les épaules, essayant de paraître détaché même si ma queue trahit mon inconfort en battant derrière moi.
« On vole de l'énergie par le sexe, et on s'empare des rêves... C'est tout. »
Je continue de marcher autour du banc, les mains toujours enfoncées dans mes poches.
Elle éclate d’un rire léger, mais le son me met mal à l’aise.
« Donc tu ignores ton pouvoir de métamorphose... Intéressant. »
Mes pieds s’arrêtent net.
« Mon quoi ? »
Mais elle ne répond pas. Elle se lève doucement, lisse sa robe, et me jette un dernier regard comme si elle venait de m’offrir une pièce d’un puzzle géant que je n’ai jamais vu auparavant.
Je m’apprête à lui barrer la route, à lui exiger des explications, mais mon attention est attirée ailleurs.
Deux gardes commencent à bouger, visiblement nerveux, leurs yeux allant de moi à la femme.
Je serre les dents et fais volte-face. Je ne peux pas risquer de provoquer quoi que ce soit.
Mais ces mots tournent dans ma tête comme un écho impossible à ignorer.
Un pouvoir de métamorphose ?
Mais de quoi elle parle, cette folle ?
Je retourne vers le coin de la cour, essayant de rester calme, mais mon esprit est en ébullition.
Si ce qu’elle dit est vrai... Pourquoi je ne le savais pas ?
Pourquoi personne ne me l’a jamais dit ?
Et surtout, pourquoi elle, une étrangère, semble en savoir plus sur moi que moi-même ?
×××
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