Chapitre 32. Sans elle

Kael

La nuit a été longue, mais je suis toujours là.
Épuisé, angoissé, et toujours enfermé dans cette foutue cellule...
Mais malgré tout, j'ai eu un peu de chance.

Les Satyres qui sont passés dans la nuit pour m'enlever les menottes n'ont pas fait de zèle. Une petite cruche d'eau posée dans un coin, et un regard qui disait clairement « T'es qu'une bête, mais une bête qu'on laisse respirer. » J'ai pris ce qu'ils me donnaient sans broncher.

À travers la petite fenêtre à barreaux, le soleil se lève. Ses rayons éclairent à peine les murs gris, mais c'est assez pour que je me sente encore plus à cran.
Impossible de fermer l'œil.
J'ai essayé de faire le vide dans ma tête, de ne pas penser, mais c'est juste impossible.
J'ai chaud, je suis fatigué, et surtout, je m'inquiète pour elle.

Elara.

Pourquoi est-elle partie ?
Pour aller où ?
Faire quoi ?
J'ai encore cette image dans la tête, celle de son regard paniqué quand les gardes sont entrés dans sa chambre. J'ai voulu lui dire de ne pas s'en mêler, que tout irait bien, mais je n'en ai pas eu le temps.
Ils m'ont embarqué comme un vulgaire criminel.

À cette pensée, mes poings se serrent, ma queue remue frénétiquement, et je sens la frustration bouillir dans mes veines.

Je me mets à faire les cent pas dans la cellule, incapable de rester en place. Le bruit de mes bottes usées contre le sol doit réveiller Victor, parce qu'il grogne avant de pousser un soupir.
Je l'entends se redresser derrière moi.

« Arrête de tourner comme un lion en cage, Kael... » marmonne-t-il d'une voix sèche.

Je me retourne et l'observe.
Victor passe une main dans ses cheveux blonds, ternes et délavés, pour les coiffer d'un geste automatique.
Ses cernes sont marquées, rendant son regard encore plus fatigué qu'il ne l'est.
Il me fixe de ses yeux pâles.

« T'as réussi à dormir, toi ? » qu'il me demande.

Je secoue la tête, un rictus amer sur les lèvres. « T'es sérieux ? J'ai pas dormi une seconde. Je suis sur les nerfs, j'ai chaud, j'arrive pas à me calmer... Et je m'inquiète. Beaucoup trop. »

Victor hausse un sourcil mais ne dit rien.
Pendant un instant, le silence s'installe entre nous. Il est pesant, seulement brisé par mes pas et le bruit lointain des gardes à l'extérieur. Puis, d'un coup, Victor prend la parole, d'une voix plus légère.

« Hé... Tu serais pas en rut, toi ? »

Je me fige net, mes bottes s'arrêtent en un claquement sec sur le sol. Une sueur froide me glisse dans le dos, et mon cœur rate un battement.

Le rut.

Je l'avais oublié.
Enfin... j'avais mis ce détail de côté à cause de toute cette merde.
Mais maintenant qu'il en parle, c'est comme si tout mon corps me criait que oui, évidemment, je suis toujours en rut.
C'est pour ça que j'ai cette chaleur qui me brûle les veines, pour ça que j'ai cette tension impossible à évacuer. Comment j'ai pu ne pas y penser ?

Victor me dévisage, et à sa tête, il comprend. Il lâche un soupir compatissant et s'appuie contre le mur, les bras croisés.

« T'as vraiment pas de chance... Les humains comme moi, on ressent presque rien pendant cette période. Mais j'ai vu des types de ta nature devenir dingues à cause de ça, surtout dans une cellule comme celle-ci. »

Il secoue la tête, l'air sincèrement désolé.

Je ricane, sans joie, et je passe une main nerveuse dans mes cheveux emmêlés.
« Ouais, génial. Merci pour le soutien Victor. »

Lui, il ne comprend pas.
Il n'a pas besoin d'énergie pour survivre.
Il n'a pas cette faim constante, celle que je parviens à ignorer la plupart du temps, mais qui devient vite insoutenable.

Mais heureusement, grâce à elle, j'ai eu... un peu d'énergie.
Juste assez pour ne pas devenir fou sur-le-champ.

Je repense à Elara.
À sa peau contre la mienne, à son souffle quand je me suis rapproché. Même maintenant, le souvenir me fait brûler un peu plus.
C'était dingue.
Sa chaleur, sa lumière... c'était comme si elle m'avait offert bien plus que de l'énergie. Ça n'a pas duré longtemps et c'est resté chaste, mais j'en ressens encore les effets.

Je m'appuie contre le mur et laisse ma tête tomber en arrière, essayant de respirer calmement.
Ma queue s'agite derrière moi.

« T'as l'air ailleurs, » lâche Victor en m'observant.

« Ferme-la, Victor. »

Il ricane doucement, mais il n'insiste pas. Moi, je reste là, les yeux rivés sur ce petit carré de lumière qui traverse la fenêtre.

...

Les minutes s'étirent comme des heures. Je suis toujours adossé au mur, fixant le carré de lumière qui se déplace lentement sur le sol.
Respire.
Garde ton calme.
Victor somnole à moitié, la tête tombante, mais moi, je ne tiens pas en place.
Mes nerfs sont à vif.

Un bruit résonne dans le couloir. D'abord faible, des pas étouffés sur les dalles de pierre.
Je me concentre, redressant une oreille. Ça se rapproche.
Le son métallique d'une clé dans une serrure me tire de mes pensées.

Trois Satyres s'arrêtent devant la porte de la cellule. L'un d'eux, plus âgé, a les cornes grises et les yeux fatigués d'un type qui en a vu trop. Il ouvre la grille dans un grincement atroce et m'adresse un regard neutre.

« C'est l'heure de la promenade. » Sa voix est grave et sans chaleur.

Je fronce les sourcils.
La promenade ?
Alors c'est aujourd'hui ?

Le vieux Satyre remarque mon air sceptique et reprend :

« C'est ta première fois ici, pas vrai ? Alors laisse-moi te faire le topo. Vous avez une heure pour vous dégourdir les jambes dans la cour. Vous avez interdiction de courir, de vous toucher, d'échanger des objets ou de rester statique. Tu bouges, tu respires, mais c'est tout. »

Je hoche la tête sans broncher.
J'ai trop chaud pour discuter. Mon corps est en feu, mes pensées s'emmêlent, et l'air dans cette foutue cellule semble devenir irrespirable.

Le Satyre me fixe un moment, son regard passe sur mes tempes humides et mon visage tendu. « T'es malade ou quoi ? »

Je me crispe, prêt à répondre une connerie, mais Victor s'interpose, son ton blasé résonne dans la petite pièce :

« Il est en rut. »

Le silence s'installe. Je lance un regard noir à Victor qui hausse simplement les épaules, l'air de dire 'c'est pas comme si c'était un secret'. Le vieux Satyre lâche un petit grognement avant d'acquiescer.

« T'auras des médocs à la fin de la journée. Ça te calmera. »

Je plisse les yeux, un brin méfiant.
« Pourquoi tant de clémence ? »

Le Satyre éclate de rire, un rire rauque et moqueur qui me donne envie de lui envoyer mon poing dans la mâchoire. « Parce que vous êtes déjà assez difficiles en temps normal. Surtout vous, les Incubes... »

Je serre les dents et ne relève pas. Ça ne sert à rien de s'énerver. Ils savent très bien ce qu'ils font.

Les Satyres nous font signe d'avancer. Je passe la grille sans un mot, suivi par Victor qui traîne des pieds comme s'il avait tout son temps.
Ils nous escortent le long du couloir sombre, où d'autres portes grincent derrière nous, libérant quelques prisonniers supplémentaires. Le silence est pesant, juste entrecoupé des respirations rauques et des bruits de chaînes.

Quelques minutes plus tard, on débouche enfin sur la cour. L'air frais me frappe le visage, et c'est comme une bouffée d'oxygène après avoir passé des heures sous l'eau. Je ferme les yeux une seconde, inspirant profondément.

Ça ne règle pas mon problème, mais ça m'aide à penser un peu plus clairement.

Quand je rouvre les yeux, je vois Victor à mes côtés et trois autres prisonniers qui nous emboîtent le pas. Des Vampires...
Ils marchent avec cette allure nonchalante qui leur est propre, comme s'ils dominaient le monde même enfermés.
L'un d'eux tourne la tête vers moi, ses yeux rouges brillant d'un éclat prédateur, mais il ne dit rien.
Tant mieux.

Je laisse mon regard balayer l'espace. La cour est grande, ceinturée de hauts murs gris imprégnés de magie qui semblent vouloir avaler le ciel.
Le sol est en terre battue, parsemé de quelques bancs en pierre.

Ce qui me frappe, c'est le mélange des prisonniers.
Toutes les races sont là : des Vampires, des Charmeurs, quelques Nains et même une ou deux Succubes. Hommes et femmes, tout le monde est mélangé, sans distinction.

Ça m'étonne. Je m'attendais à ce qu'ils nous séparent, à des mesures plus strictes. Peut-être qu'ils comptent sur les gardes postés partout, leurs armes brillantes prêtes à frapper au moindre faux pas.

Victor, à côté de moi, s'étire en grognant. « Profite, Kael. C'est pas tous les jours qu'on voit le soleil ici. »

Je ne réponds pas.
Mon regard reste fixé sur les autres prisonniers, guettant le moindre mouvement suspect. Je sais comment ça marche : les faibles se font bouffer vivants, et même si je ne suis pas en état de jouer les durs, je refuse de me laisser marcher dessus.

J'ai juste besoin d'une chose : tenir le coup...
Pour Elara.

×××

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