Chapitre 29. Frustration feutrée
Kael
Ça fait seulement quelques heures que je suis ici, derrière ces foutus barreaux.
Mon dos me tue, mes poignets enchaînés m’arrachent des grimaces à chaque mouvement. Je sens que je suis ouvert et j'ai peur que les plaies s'infectent rapidement. Heureusement, j’ai réussi à libérer ma queue, et ça me soulage un peu. Je suis assis contre le mur, les jambes tendues devant moi, fixant un point invisible au sol.
L’humain, lui, semble s’être endormi dans l’ombre, recroquevillé dans un coin.
Un grognement m’échappe, mélange de frustration et de douleur. Ça résonne dans la cellule, un bruit sourd qui finit par réveiller mon compagnon.
Il ouvre les yeux, et un sourire triste étire ses lèvres sèches.
« Ça sert à rien de s’énerver, tu sais, » dit-il d’une voix trainante, basse et fatiguée. « Ça rend le temps encore plus long. »
Je le fixe un moment, en silence. Ses traits tirés, ses vêtements en lambeaux, sa posture voûtée… Il a l’air d'être ici depuis une éternité.
« Pourquoi t’es là ? » je demande finalement, brisant le silence pesant.
Il soupire profondément, son regard se perdant dans le vide.
« Ça fait huit ans que je suis ici. »
Huit ans...
Mon estomac se serre.
« Qu’est-ce que t’as fait ? »
Il hoche la tête, comme s’il s’attendait à cette question, mais prend son temps pour répondre.
« J’ai voulu aider une Charmeuse. Une médecin. Elle voulait approcher la prison pour donner des médocs à certains Sombres qu’on garde ici… Ceux qui souffrent pour rien. » Il secoue la tête, amer. « On s’est fait attraper avant même de passer les portes. »
Je le dévisage, incrédule. « Et ils l’ont laissée partir, elle ? »
Il secoue la tête. « Non. Elle est là aussi. Côté femmes. Je ne la vois que pendant les promenades. »
« Les promenades ? »
« Une sortie par semaine, dans la cour intérieure. Deux heures, sous surveillance renforcée. Ça fait partie des privilèges, » dit-il avec une pointe d’ironie.
Je secoue la tête, furieux. « C’est complètement injuste putain... La plupart des Sombres que je connais ne sont même pas dangereux. »
Il hausse les épaules. « Bienvenue dans leur monde. »
Après un instant, il tend une main dans ma direction.
« Moi, c’est Victor. »
« Kael, » je réponds en grimaçant, mes poignets toujours entravés. « Mes bras vont pas tenir longtemps à ce rythme… »
Victor observe mes menottes mais ne dit rien. Le silence revient, lourd et pesant. Jusqu’à ce qu’un bruit sourd dans le couloir nous fasse tous les deux sursauter.
Les pas lourds résonnent, suivis d’un cliquetis métallique. Je me lève, lentement, et m’approche des barreaux. Galen Derenos apparaît, accompagné de trois Satyres en uniforme.
Je serre les dents, prêt à parler, mais il me coupe avant même que j’ouvre la bouche.
« Où est-elle ? » demande-t-il, tendu.
Je fronce les sourcils. « Qui ? De quoi vous parlez ? »
« Elara. Ma fille. Elle a.. disparu. Jordan vient de m’informer qu’elle est partie. »
Sa voix est basse, presque tremblante.
Je sens mon cœur s’emballer. Je ne sais rien, mais son inquiétude me contamine immédiatement.
« Partie ?! » je répète, abasourdi.
Galen me fixe avec intensité, attendant une réponse que je n’ai pas.
« Je n’en sais rien ! » je lâche, sincère. « Pourquoi serait-elle partie ? »
Il ne répond pas, se contentant de me jauger un moment, comme s’il essayait de lire à travers moi.
Puis, sans un mot de plus, il fait un signe aux Satyres et tourne les talons, disparaissant dans le couloir.
Je colle mon visage aux barreaux, furieux. « Hé ! Revenez ! »
Victor m’interrompt. « T’énerve pas, Kael. Ça sert à rien. »
Je me retourne vers lui, incrédule.
« Tu crois que je peux rester calme ? Elara est seule, là-dehors, et je suis coincé ici ! »
« Ça changera rien, » dit-il simplement, son ton presque désolé.
Je retourne m’asseoir, ma tête bourdonnant de questions.
Où est-elle ?
Pourquoi serait-elle partie ?
Et surtout, est-ce que je pourrai faire quelque chose pour l’aider… si je sors d’ici un jour ?
Je tape du pied en jetant ma tête en avant, déjà épuisé par tout ça. Il faut que je trouve un moyen pour sortir, et vite.
J'ai peur pour Elara.
Victor pousse un soupir, long et las, comme s’il portait sur ses épaules le poids d’une vie entière passée ici.
« Écoute, Kael, » commence-t-il, le regard fixé sur les barreaux devant nous, « si tu veux survivre dans ce trou à rats, il faut vraiment que tu restes calme. »
Je serre les poings, mes poignets toujours enfermés dans ces foutues menottes.
« Pourquoi tu répètes ça ? » je demande agacé.
Il détourne les yeux un instant, comme s’il hésitait. Mais après quelques secondes de silence, il continue :
« Les Satyres, ils ne font pas que garder cet endroit. Parfois… ils s’ennuient. Et quand ils s’ennuient, ils trouvent des moyens de s’amuser. »
Son ton est plat, mais je capte l’ombre de la peur derrière ses mots.
Je fronce les sourcils, l’estomac noué. « Qu’est-ce que tu veux dire par ‘s’amuser’ ? »
Victor reste immobile, son expression figée. Puis, lentement, il se lève, titube légèrement avant de se tourner pour me faire face.
« Regarde. »
Il attrape le col de sa chemise élimée et le soulève, dévoilant son dos. Je retiens ma respiration.
Des cicatrices, épaisses et profondes, zèbrent sa peau comme un tableau macabre. Certaines semblent anciennes, blanchies par le temps, tandis que d’autres sont plus récentes, encore rougies. Les marques dessinent des motifs désordonnés, violents, des souvenirs laissés par des mains cruelles.
Je déglutis, ma gorge se serre.
« Bordel de merde… » murmuré-je.
Il laisse retomber le tissu et se retourne vers moi. « Ils m’ont fait ça parce que j’ai osé leur répondre une fois. Juste une fois. Depuis, ils passent régulièrement dans ma cage. »
Je reste figé, incapable de parler.
Victor secoue doucement la tête en remplaçant ses cheveux en arrière, un sourire amer sur les lèvres. « Alors un conseil : ferme-la. Garde ton sang-froid. Peu importe ce qu’ils disent ou font, ne leur donne jamais une excuse pour s’en prendre à toi. »
Un frisson glacé me parcourt. Je repense à Galen, à son attitude tendue, et maintenant à ça.
Je grogne entre mes dents. « C’est pas juste. Personne ne mérite ça. »
« Non, c’est pas juste, » approuve Victor en croisant les bras. « Mais ici, la justice, c’est un mot qu’on a oublié depuis longtemps. »
Je serre les mâchoires, la colère et l’impuissance bouillonnant dans mes veines. Mon regard retourne vers les barreaux, et je me promets une chose : je ne resterai pas ici.
Je trouverai un moyen de sortir, quoi qu’il en coûte.
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