Chapitre 25. Hybrides
Dorian
Aïe ! Je grogne encore alors que Jack passe le coton imbibé d’alcool sur ma plaie. Mon nez est en feu, ma tête bourdonne, et je sens chaque millimètre de ma peau meurtrie protester.
« Arrête de bouger, Dorian, sinon, ça va saigner encore plus, » dit-il en ricanant, sans ralentir une seconde.
Je grommelle en guise de réponse. Mon nez est bien amoché, et même si Jack dit que la cicatrice sera bénigne, ça ne m’arrange pas vraiment. Tout ça pour quoi, hein ? Une dispute idiote qui a dérapé.
« Sérieusement, à quoi il joue, Kael ? » dis-je en serrant les dents, plus pour moi-même que pour Jack. « Tout ça, c’est de la folie. Il va finir par avoir de gros ennuis, et moi avec. »
Jack rit doucement, son regard se posant sur le désordre ambiant de la pièce. Les draps froissés, une chaise renversée, des objets éparpillés sur le sol…
« Franchement, » dit-il en riant, « c’est un miracle que vous ne vous soyez pas foutu sur la gueule plus tôt. »
Je secoue la tête, la douleur m’arrachant un autre grognement.
« On se bouscule, c’est tout. D’habitude, ça s’arrête là. »
Jack reste silencieux quelques secondes, concentré sur l’autre plaie à mon arcade. Mais je vois bien qu’il réfléchit, ses yeux plissés et son froncement de sourcils trahissant son questionnement.
« Alors, qu’est-ce qui a déclenché ça ? » finit-il par demander.
Je soupire, agacé par tout ce cirque.
« Il s’est jeté sur moi quand j’ai traité la Djinf de pute. »
Jack s’arrête net, ses yeux se posant sur moi, avant d’éclater de rire. Un rire franc, presque moqueur.
« Bah, c’est clair, non ? » dit-il, un large sourire aux lèvres. « Il craque sur la Djinf. »
Je le repousse d’un geste brusque, mes sourcils se froncant.
« Non. Hors de question. Kael a toujours été très clair : il déteste tous les Lumineux. Tu te fais des idées. »
Jack secoue la tête, un soupir amusé lui échappant.
« On ne contrôle pas ce genre de choses, Dorian. »
Il murmure ces mots comme une vérité universelle, mais ça me met en colère. Kael ? Attiré par une Djinf ? Non. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas Kael.
Je détourne le regard, incapable d’affronter les implications de cette idée. Non, c’est absurde.
Jack brise le silence, et sa voix m’irrite presque instantanément.
« C’est un peu comme nous, tu sais. »
Je fronce les sourcils, surpris par sa remarque.
« Toi et moi ? » je répète, incrédule. « Tu plaisantes, j’espère. »
Il hausse les épaules, un sourire indéchiffrable flottant sur ses lèvres. Ça m’agace encore plus.
« Non, c’est pas pareil, » je réplique sèchement, presque sur la défensive. « Entre toi et moi, c’est… différent. »
Les mots m’écorchent la gorge, et je détourne les yeux pour ne pas croiser son regard. Je finis par lâcher, à demi-mot :
« On n’est pas vraiment en couple. »
Je sens mes joues chauffer, mais Jack, fidèle à lui-même, ne relève pas. Il hausse une fois de plus les épaules, indifférent, avant de changer de sujet comme si de rien n’était.
« Au pire, si ça marche entre Kael et cette Djinf, tu deviendras tonton. »
Je ris jaune, un rire sec et amer qui n’a rien de naturel.
« Sérieusement ? Il se fera sûrement choper avant de faire un gosse avec elle. Et même s’il y arrivait… ce serait quoi ? Un Hybride ? »
Je crache le mot avec mépris, mais Jack se fige. Son sourire s’efface, et il me lance un regard que je ne comprends pas.
« Évite d’utiliser ce mot, Dorian. »
Je le dévisage, surpris par son ton.
« Pourquoi ? »
Il soupire, comme si j’étais un gamin incapable de comprendre une évidence.
« Parce que je préfère “métisse”. Ça sonne moins violent. »
Je ricane, le trouvant ridicule.
« Métisse ? Sérieusement ? Ça, c’est un mot d’humains. Pas un truc pour nous. »
Il soutient mon regard, plus sérieux que je ne l’ai jamais vu.
« Peut-être. Mais c’est moins… réducteur. »
Je secoue la tête, exaspéré, et me lève. La chambre est en désordre, presque plongée dans l’obscurité, et je commence à faire les cent pas pour contenir ma frustration.
« Écoute, Jack, je te le dis : jamais je n’accepterai ça. Kael avec une Djinf, et encore moins un gamin. »
Jack me regarde, les bras croisés, et sa voix tranche le silence.
« Pourquoi t’as un problème avec les métisses ? »
Je m’arrête net. Ses mots résonnent dans ma tête. J’hésite, mais il ne me lâche pas du regard.
« J’en ai connu un, » je finis par avouer, le ton lourd. « Quand j’étais jeune. À l’école. »
Ses sourcils se froncent légèrement, mais il garde le silence, m’invitant à continuer.
« C’était un gars à moitié Incube, à moitié Triton. » Je frémis en repensant à lui. « Il était… flippant. »
Jack penche la tête, intrigué.
« Flippant comment ? »
« Physiquement, déjà, » je commence. « Il avait des écailles noires sur tout le corps. Sa queue était deux fois plus grande que celle des autres Incubes, et… il ne contrôlait rien. »
Jack ne dit rien, mais je vois dans ses yeux qu’il essaie de comprendre.
« Ses griffes sortaient en plein milieu des cours, et il hurlait de douleur. Parfois, ses branchies s’activaient sans prévenir, et il suffoquait pendant plusieurs minutes. C’était horrible à voir. »
Jack finit par demander, d’un ton pensif :
« Mais pourquoi il utilisait ses branchies ? Même les Tritons respirent hors de l’eau, non ? »
Je hoche la tête, mes poings se serrant à ce souvenir.
« Justement. C’était ça, le problème. Il ne contrôlait rien. Et c’est souvent comme ça avec ces gosses. »
Je fais une pause, mon regard se perdant dans l’obscurité de la pièce.
« On n’en croise pas beaucoup, même dans le quartier des Sombres. Ils sont gardés à l’écart, enfermés chez eux. Et chez les Lumineux… » Je serre les dents. « Ils les tuent ou les enferment à vie. »
Le silence qui suit est presque insoutenable. Je vois Jack détourner les yeux, son visage soudain plus sombre, plus fermé.
« Ouais, » murmure-t-il. « Les Lumineux enferment déjà les Sombres quand ils les attrapent. »
Il ne me regarde plus, mais je sais qu’il pense à quelque chose. Peut-être même à quelqu’un.
« Ma mère… » Sa voix est à peine audible. « Elle est là-bas, à Syl-Anor. Depuis huit ans. Juste parce qu'elle voulait aider des Sombres malades, et qu'elle avait besoin de médicaments... »
Je reste figé, incapable de répondre. Ce genre de sujets, je ne sais pas comment les aborder. Jack, lui, inspire profondément et se redresse, effaçant toute trace d’émotion sur son visage.
« Alors, ouais, » reprend-il, avec une fermeté retrouvée. « Peut-être que je préfère dire “métisse”. Parce que les mots, Dorian… les mots, ça compte... Qu'importe le contexte. »
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