Chapitre 21. Souvenirs froids

Kael

Dans la piaule plongée dans le noir, je souffle lourdement, le dos appuyé contre la porte. Cette journée est interminable. Entre ma baston avec Dorian, mon échec avec Liline, et maintenant… ça.

Elara.

Elle m’a vu. Elle m’a vu en train de me toucher...
Cette image me hante.
Je secoue la tête, agacé et honteux, puis passe une main sur mon visage. Tout ce que je veux, c’est manger, avaler ces foutus médocs contre le rut, et dormir.

Je me force à me lever, et ouvre la porte pour sortir. Sauf qu’au même moment, Elara sort de sa chambre.

Nos regards se croisent. Le rouge me monte instantanément aux joues. Je suis à deux doigts de balbutier une excuse ou une explication, mais elle me coupe la parole :

« Désolée ! Je suis vraiment désolée d’être rentrée sans prévenir… »

Elle parle vite, ses mains se tordant nerveusement. Mais au milieu de sa phrase, quelque chose change dans son expression. Sa gêne disparaît, remplacée par une inquiétude palpable.

Sans prévenir, elle s’approche et attrape mon visage entre ses mains.

Je reste figé.

« Qu’est-ce qui t’est arrivé ? »

Sa voix est douce, mais son ton laisse transparaître une angoisse qui me désarçonne. Je mets quelques secondes à comprendre de quoi elle parle, puis je tilte : mes blessures.

« Oh, ça ? Rien du tout. Juste des égratignures, ça va. »

Je veux reculer, mais elle ne lâche pas prise. Ses petites mains tiennent fermement mon visage, ses pouces frôlant ma peau griffée. Ça me fait… bizarre.

C’est la première fois qu’elle me touche comme ça. Enfin, sauf peut-être la fois où j’ai perdu connaissance, mais ça… je ne m’en souviens pas vraiment.

Elle continue d’inspecter mes blessures avec sérieux, comme si ma réponse ne la satisfaisait pas. Et moi, je suis là, incapable de bouger, perturbé par cette proximité.

Je toussote, espérant briser la tension :

« Franchement, ça a l’air pire que ça ne l’est. Pas besoin de t’inquiéter. »

Mais elle ne semble pas m’entendre, ou alors elle choisit de m’ignorer. Et moi, je n’arrive pas à détourner les yeux de son visage concentré. Ses cils battent doucement, son regard me scrute avec une intensité à laquelle je ne suis pas habitué.

Mon cœur rate un battement.

Je déglutis, mal à l’aise. Pourquoi est-ce que ça me perturbe autant ?

D'un coup, je lui propose qu'on aille manger.
Ses yeux transparents brillent un instant, puis elle me lâche enfin en hochant la tête.

Quelques minutes plus tard, assis à table, je pique distraitement dans mon assiette. La journée a été longue, trop longue...
Si j'avais su que retourné dans mon quartier aurait été un tel fiasco, j'aurais sûrement accompagné Elara à l'académie...

En face de moi, la concernée gigote sur sa chaise. Elle ne tient pas en place, tapote la table du bout des doigts, remue une jambe. C’est presque comique.

« Ça va ? » je demande, haussant un sourcil. « T’as des fourmis dans les jambes ou quoi ? »

Elle relève la tête brusquement, le rouge aux joues. « Hein ? Oui, oui ! Tout va bien, je… je réfléchissais, c’est tout. »

Je plisse les yeux. Mauvaise excuse. Et là, sans prévenir, un rire m’échappe. Fatigué comme je suis, ça éclate plus fort que prévu. Elle tente de protester, mais ça ne fait qu’empirer les choses.

« Sérieux, t’es vraiment nulle pour mentir ! » je lâche, toujours hilare.

Elle marmonne quelque chose d’incompréhensible, et je finis par secouer la tête, un sourire en coin. « Mon père était pareil. Incapable de mentir correctement. »

Le souvenir me frappe plus fort que je ne l’aurais cru. Mon sourire se fane doucement. Je ne devrais pas penser à ça, mais c’est sorti tout seul.

« Comment il est mort ? » demande Elara, sa voix plus douce, presque hésitante.

Je reste silencieux une seconde, les yeux fixés sur un point invisible. Puis je croise les bras sur la table, y posant ma tête, et je me lance.

« Mon père était cuistot. Un bon, même. Et ma mère, elle, s’occupait de nous. Elle faisait des petits boulots dans le quartier pour arrondir les fins de mois. On n’avait pas une vie luxueuse, mais on s’en sortait. »

Je marque une pause. C’est toujours dur d’en parler.

« Et puis, il y a eu cette nuit. Un incendie s’est déclaré dans un hangar près du pont du passage sud. Dedans, y’avait des vivres envoyées par les Lumineux. Un truc d’accord entre eux et nous. Bref, mes parents sont partis pour aider. »

Je serre les poings, sentant ma gorge se nouer.

« Alors qu’ils descendaient près du fleuve pour récupérer de l’eau, le pont au-dessus s’est effondré. »

Je m’interromps, laissant le silence parler pour moi. Les souvenirs affluent, toujours aussi vifs malgré les années.

« C’était il y a cinq ans. J’allais avoir 17 ans. Mon frère, lui, en avait à peine 15. On s’est retrouvés seuls. Les autorités nous ont ramené ce qu’elles ont pu : leurs alliances, un peu d’argent, et… ça. »

Je sors le pendentif de ma poche et le pose doucement sur la table. Mon regard reste fixé sur lui.

« C’est tout ce qu’il me reste d’eux. Alors, quand je l’ai perdu… c’était comme perdre une partie de moi. »

Elara ne dit rien pendant un moment. Puis, doucement, elle murmure : « Je suis désolée… »

Je lève les yeux vers elle et lui offre un petit sourire, même si je sens encore le poids de tout ça sur mes épaules. « T’inquiète. C’est du passé. »

Mais une part de moi sait que ce n’est pas aussi simple...

Je frissonne, un soufflement m’échappe alors que mes yeux s’alourdissent peu à peu. Mes bras croisés sur la table me servent toujours de support tandis que la fatigue m’envahit.

Puis, je sens une pression douce sur ma main.
Mon corps réagit avant même que je comprenne ce qui se passe. Je sursaute légèrement, mes yeux s’ouvrent brusquement.

Je relève la tête, confus, et vois Elara qui se rapproche, traînant sa chaise sans un bruit, sa main sur la mienne.

« Qu’est-ce que tu fais ? » je demande, ma voix un peu plus brusque que je ne l’aurais voulu, mais elle ne semble pas y prêter attention.

Elle hausse les épaules, comme si rien n’était. Puis, d’un geste presque absent, elle prend la même position que moi, ses bras croisés sur la table, mais elle garde sa petite main posée contre ma peau.
Ses doigts se déplacent lentement, effleurant mes griffes, créant une sensation nouvelle que je ne m’attendais pas à ressentir.

Un frisson parcourt mon dos.
Ce n’est pas la même sensation qu'avant...
Ce n’est pas de la simple gêne ou de la surprise.
Non, c’est quelque chose de plus profond, de plus... intime.

Le contact de sa peau sur la mienne m’embrase d’une chaleur douce, et un étrange poids se pose dans mon ventre, un poids qui n’est pas désagréable, au contraire.
C’est comme un besoin de plus, mais que je ne peux pas identifier.

Je ferme les yeux, presque hypnotisé par la douceur de ses caresses. Chaque mouvement de ses doigts semble me détendre un peu plus, chaque effleurement m’apaise.
Je sens mes muscles se relâcher, la fatigue envahit tout mon corps, tandis que je me laisse lentement sombrer dans un état presque vaporeux.

Mon corps, épuisé, s’abandonne à cette sensation douce et réconfortante, comme si tout le reste avait disparu, comme si rien n’importait plus à cet instant.

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