Chapitre 20.5 Promesse lointaine

Madame Valendra

Une fois la classe vide et le bruit des discussions dissipé dans les couloirs, je me dirige vers l’ordinateur qu’Elara a utilisé pendant l’heure de révision. Je m’assois, les doigts légèrement tremblants, et ouvre l’historique de recherche.

Mes sourcils se froncent presque aussitôt.

C’est bien ce que je pensais… Pas un mot sur l’histoire générale des races, rien sur les sujets que je leur avais demandés de consulter. Seulement des recherches sur les Incubes. Pourquoi ?

Une boule d’inquiétude se forme dans mon estomac. Elara est une élève brillante, mais ces derniers temps, je l’ai trouvée distraite, presque absente. Et maintenant, ces recherches…

Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Un souvenir me revient alors, un détail que j’avais enfoui depuis des années.

C’était lors de sa première année à l’académie, il y a neuf ou huit ans maintenant.
Elara n’avait que 15 ans.
Sa mère, Cleite Derenos, m’avait demandé un entretien avant le début des cours. Une femme élégante, imposante de par sa prestance, mais douce dans ses mots et ses traits.
Elle m’avait regardée droit dans les yeux et m’avait demandé une chose que j’avais trouvée étrange à l’époque.

“Surveillez ma fille. Si jamais elle s’intéresse de trop près aux Sombres… particulièrement aux Succubes ou aux Incubes… Prévenez-moi immédiatement. C’est pour son bien.”

À l’époque, j’avais accepté sans poser de questions. Une requête d’une mère soucieuse. Mais, après tout ce temps, cette conversation était presque tombée dans l’oubli…
Jusqu’à aujourd’hui.

Mon regard retourne sur l’écran, les mots "Incubes et leurs pouvoirs" affichés en haut de l’historique.
Pourquoi cet intérêt soudain ?
Est-ce une curiosité passagère, ou y a-t-il autre chose ?

Mais Cleite Derenos n’est plus là pour répondre. Morte depuis cinq ans. Une tragédie que toute l’académie murmure encore parfois à demi-mot, sans qu'Elara ne sache.

Pauvre enfant...

Alors que dois-je faire ?

Prévenir son père ?

Galen Derenos est un homme important, influent, mais aussi distant.
Est-ce vraiment à lui que je devrais m’adresser ?
Ou dois-je simplement garder Elara à l’œil, comme Cleite me l’avait demandé ?

Mes mains tremblent légèrement tandis que je sors mon téléphone. Je compose le numéro de Galen Derenos avant que ma réflexion hésitante ne m’en empêche.

Il répond dès la troisième sonnerie. Sa voix est froide, maîtrisée.

“Madame Valendra,” dit-il simplement.

Je m’excuse pour l’appel imprévu, puis lui explique la situation. Les recherches d’Elara, ma mémoire qui me revient sur sa femme et sa requête d’il y a des années. Je lui fais part de mes inquiétudes pour mon élève.

Il reste silencieux un instant, et je l’entends respirer lentement. Quand il parle enfin, sa voix est mesurée, presque détachée.

“Je vous remercie pour votre vigilance. Continuez à surveiller Elara, mais ne dites rien pour l’instant.”

Avant que je ne puisse répondre, il ajoute d’un ton plus bas :

“Je vais m’occuper de cela.”

Puis, il raccroche, me laissant seule face au poids de mes pensées.

Je regarde l’écran une dernière fois avant de le refermer. L’inquiétude ne me quitte pas. Elara est brillante, mais elle porte une distraction, un éloignement qui ne me semble pas naturel ces derniers temps. Et cette curiosité pour les Incubes…

Il y a quelque chose qui se cache derrière tout cela.
Quelque chose que je ne parviens pas encore à saisir.
Mais une chose est sûre : je garderai un œil sur elle. Pour Cleite...

Je repose le téléphone, mais mes pensées restent embrouillées. L’inquiétude pour Elara est là, mais un autre souvenir remonte doucement à la surface, de ce visage que je n’ai jamais complètement oublié.

Cleite Derenos.

Nous n'étions pas amies, Cleite et moi. Elle était une parent d’élève, présente, mais notre relation n’a jamais dépassé les frontières de l’académie.
Pourtant, elle ne passait pas inaperçue. Toujours élégante, toujours à l’heure, toujours attentive aux besoins de sa fille. Une femme charmante, à l’aise dans les discussions, que ce soit avec moi ou avec les autres mères.

Mais il y avait quelque chose en elle, une ombre, une part qu’elle semblait garder pour elle seule. Une retenue discrète, presque imperceptible, mais bien réelle...
Cleite était chaleureuse, mais secrète.
Comme l’a été sa mort.

Rien n’a jamais été officiel. Pas de cérémonie publique, pas d’annonce claire, seulement des murmures, des bribes d’informations échappées dans les couloirs de l’académie ou dans les cercles sociaux.
La seule chose que l’on sait, c’est qu’elle est morte dans un incendie.

Un frisson me parcourt à cette pensée.

Cleite Derenos, une Djinf de feu, morte dans un incendie. Cela me paraît toujours aussi improbable, même après toutes ces années. Une femme née de la flamme, une femme dont le pouvoir est intrinsèquement lié au feu. Alors, comment ?

Je revois son sourire, éclatant mais empreint d’une réserve que je ne comprenais pas à l’époque.

Elle parlait souvent d’Elara, de ses projets pour elle, de ses ambitions, mais jamais de ses propres peurs. Peut-être qu’elle les cachait, peut-être qu’elle savait que le danger rôdait déjà autour d’elle.

Et maintenant, je me demande si cette inquiétude pour Elara, cette demande étrange de surveiller ses recherches, n’était pas liée à sa propre fin.
Cleite savait-elle quelque chose ?
Avait-elle vu venir sa mort ?
Et pourquoi son père n'a jamais tout dit à sa fille, concernant cet incident tragique ?

Je me lève, m’approchant de la fenêtre de mon bureau, le regard perdu dans les lueurs de Syl-Anor.
Les questions tourbillonnent dans mon esprit, mais elles restent, hélas, sans réponse.

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