Chapitre 17 : Ella

Je vérifie l'heure sur mon téléphone pour la quatrième fois en l'espace de seulement cinq minutes. La robe dos nu que j'ai enfilé pour l'occasion ne me couvre pas suffisamment pour me protéger du froid de cette soirée d'avril. Je fais des allers-retours devant la petite épicerie où Yohan m'a donné rendez-vous. Quand j'ai vu l'endroit j'ai sérieusement commencé à douter de ses attentions, maintenant que j'attends depuis près de vingt minutes je suis persuadé qu'il s'est foutu de ma gueule. J'ai accepté son rendez-vous sur un coup de tête alors que j'étais encore grisée par notre brève entrevue au Mermaid's Club. Si je ne me laissais pas guider par ma libido, je ne me retrouverais pas dans ce genre de situation merdique.

Un nouveau coup d'œil sur mon téléphone, et cette fois je cède, je me mets à taper rageusement un sms incendiaire à l'attention de ce superbe connard. Son physique à se damner ne peut pas tout excuser. Si c'est sa vengeance pour mon coup d'éclat d'hier soir, il a gagné, je ne suis pas prête de rejouer avec lui. Mes talons claquent sur le pavé aussi furieusement que mes doigts sur l'écran. Je déverse tout mon fiel dans les quelques mots que j'écris, me délestant ainsi de la rage sourde qui gronde en moi depuis des jours. J'avais espoir de trouver un exutoire charnel, mais un peu de colère fera très bien l'affaire.

Ella :

C'est comme ça que tu rampes ? En me laissant poireauter en robe courte sur un trottoir ? Passe une bonne soirée Yohan ! Et profite de ta main droite.


Je commence à me diriger vers ma voiture quand mon téléphone vibre dans ma main. Yohan.


Yohan :

Pourtant au vu du spectacle que tu m'as offert, je ne doute pas que tu excelles dans cet exercice...

Je sers mon portable un peu plus fort. Là tout de suite j'ai une furieuse envie de le gifler.


Yohan :

Je t'attends à l'intérieur.

J'ai tellement envie de l'envoyer chier, mais bordel ce mec a réussi à prendre ma culotte en otage avec un seul regard.

J'hésite.

Le jeu auquel nous jouons m'excite. Ce goût d'interdit, cette tension, réveille une part sombre chez moi. Je veux faire ramper Yohan. Je veux le voir me supplier pour obtenir ce qu'il veut. Parce que je le sais, il n'est pas homme à se laisser dominer, et rien n'est plus bon que de réussir à apprivoiser un lion.

Mon regard parcourt la rue à la recherche d'un restaurant, d'un bar, de n'importe quel endroit susceptible d'accueillir notre rendez-vous, mais il n'y a qu'un vieux pressing, une épicerie à l'enseigne délavée et un garage au volet déjà clos.

Ella :

Où ça ?

Je vais vraiment finir par me barrer. Tant pis pour le cul, je lui trouverais bien un remplaçant.

Une minute s'écoule et toujours aucune réponse de sa part. Cette fois j'abandonne. Je range mon téléphone dans la minuscule pochette qui me sert de sac à main et me dirige d'un pas leste en direction de ma Mustang garée en contrebas. Ma portière est déjà ouverte quand j'entends une voix masculine qui s'égosille.

Yohan est debout devant l'épicerie, et il fait de grands gestes dans ma direction. Je l'observe, la main posée sur ma poignée pour voir s'il va me courir après ou lâcher l'affaire. Il semble hésiter, mais alors que j'initie un geste pour pénétrer dans mon habitacle, il me rejoint en quelques enjambées et claque la porte de voiture avant que je ne puisse m'y installer.

— Tu comptais encore me laisser en plan ? s'offusque-t-il une lueur amusée dans le regard.

— Aux dernières nouvelles c'est toi qui m'a laissé me cailler le cul dehors.

— Hier tu semblais pourtant assez chaude pour réussir à survivre en Alaska.

Il lève un sourcil et le sourire espiègle qui étire ses lèvres accentue encore la beauté de ses traits.

— Tu sais, je peux toujours me barrer ! assené-je, les mains sur les hanches.

— Comme tu veux.

Il ouvre ma portière et me toise, ses yeux verts brillant du défi qu'il me pose. Lui aussi semble avoir envie de jouer. Cap ou pas cap ? Cédera ou cédera pas ? Échec et mat ? Je ne sais pas quelle partie nous venons de commencer, mais j'ai bien l'intention de la gagner.

— Je te suis. Yohan.

Il étouffe un petit rire et se dirige vers l'épicerie devant laquelle il m'a donné rendez-vous. Il s'engouffre dans celle-ci et disparaît derrière un rayon de spiritueux. Je le suis, et découvre un escalier qui s'enfonce dans les entrailles de la supérette. Une légère musique s'élève du sous-sol et Yohan entame déjà la descente. Mon rythme cardiaque s'accélère alors que je lui emboîte le pas. Plonger dans l'inconnu m'a toujours excitée et si on y ajoute la présence hypnotisante du grand brun, me voilà toute émoustillée.

Le spectacle qui s'offre à moi lorsque j'atteins le bas des marches est absolument stupéfiant. J'ai l'impression d'avoir fait un bon dans le temps, direction la prohibition. Le speakeasy où m'a emmené Yohan a ce charme d'époque qui me met tout de suite à l'aise. Debout sur la scène, une jeune femme en robe longue chante des tubes récents revisité à la mode des années 30. Sa voix légèrement rauque sublime le morceau Seven Nation Army dans une version bien plus langoureuse. Plusieurs petites tables rondes accueillent des couples qui dînent les yeux dans les yeux. Derrière le bar, le serveur arbore une tenue vintage qui ajoute à l'immersion que proposent les lieux. Yohan pose sa paume brûlante dans le creux de mon dos et m'entraîne en direction d'une table légèrement à l'écart, sur laquelle brûlent plusieurs chandelles. Tout mon épiderme s'enflamme à son contact. Toutes mes sensations ne se résument qu'à la paume de Yohan pressée contre ma peau nue. Nous arrivons à destination bien trop vite à mon goût et quand il me relâche, son contact me manque instantanément. Il tire ma chaise et j'en profite pour effleurer du regard chaque centimètre de son corps. Le chino beige qu'il a revêtu pour l'occasion moule à la perfection ses jambes épaisses et le tee-shirt blanc qui l'accompagne laisse entrevoir les lignes acérés de son torse musclé. Je devine en transparence les tatouages qui semblent recouvrir chaque centimètre de sa peau. Ma bouche s'assèche devant ce spectacle, toute l'humidité de mon corps s'étant redirigée entre mes cuisses.

— Le spectacle te plaît ? sourit-il tout en prenant place en face de moi.

— J'attends de pouvoir observer la totalité de la marchandise avant de me prononcer.

— Impatiente ?

— Simplement, curieuse, Yohan, commenté-je en insistant sur son prénom.

— Alors, tu vas enfin me dire comment tu t'appelles ?

— Je ne sais pas. Yohan.

Son prénom roule sur ma langue. J'aime savoir que j'ai l'ascendant sur lui. Que malgré ce moment que nous passons ensemble je reste une inconnue à ses yeux. Si le jeu s'achève demain, il ne restera que nos odeurs sur la peau de l'autre et des souvenirs torrides.

— Hmmm, il esquisse un rictus qui creuse une fossette sur sa joue gauche. Alors je vais devoir t'en trouver un. Mo theine*.

— Mo theine ? lancé-je sourcil levé. Et ça veut dire ?

Il hausse les épaules et je n'ai pas le temps de l'interroger davantage car le serveur vient nous interrompre. Concentrée uniquement sur Yohan, j'en avais presque oublié le restaurant. Yohan commande un whisky sans glace et je l'accompagne.

— Whisky ? demande-t-il, visiblement surpris.

— Tu t'attendais à quoi, un cosmo ?

— Venant de toi, je ne m'attendais à rien, tu ne cesses de me surprendre.

Une brève contrariété passe sur ses traits, mais il la chasse aussi vite qu'elle est venue par un sourire affable qui n'atteint pas ses yeux. Un étrange silence s'installe entre nous. Cette situation ne ressemble en rien à ce dont j'ai l'habitude. Je ne prends jamais la peine de rencontrer mes plans culs en dehors de ma chambre. Je ne maîtrise pas toutes les subtilités de ce type de jeu. Après tout je n'ai jamais séduit, je préfère allumer, enflammer, consumer.

— Alors, Mo Theine, si tu me parlais un peu de toi, se lance finalement Yohan.

Etrangement, il semble aussi mal à l'aise que moi dans cet exercice.

— Que dire... J'aime passer les menottes à des beaux mecs, rouler un peu trop, voire beaucoup trop vite, danser nue dans mon appartement et faire ramper les jolis machos à mes pieds.

Je le vois déglutir. Il avale une gorgée de liquide ambré tout en me dévorant du regard. La tension grimpe encore d'un cran et l'air devient étouffant.

— Et toi ? enchaîné-je.

— Je suis pas fan des menottes mais pour toi je ferais un effort.

Le clin d'œil qu'il ajoute à sa réplique me fait éclater de rire. Cet homme est un putain de cliché ambulant, en provenance direct de mes fantasmes.

— C'est tout ?

— Si tu ne me donnes rien ...

— Mais ce n'est pas moi qui suis censé ramper ce soir, le coupé-je.

Je le fixe en avalant avec une lenteur calculée plusieurs gorgées de mon whisky. L'alcool me brûle la gorge mais me réchauffe agréablement le ventre. Le serveur revient, un torchon posé sur le bras.

— Vous avez fait votre choix ?

A vrai dire, je n'ai même pas pris le temps de regarder la carte. J'ouvre rapidement celle-ci et la parcours en diagonale et je lui donne le nom du premier plat qui me paraît alléchant. Yohan, lui commande une spécialité au nom imprononçable dans une élocution parfaite. Je peux même distinguer un léger accent dans sa façon de prononcer le plat aux consonances irlandaises. Il est visiblement habitué des lieux, j'espère juste que ce n'est pas parce qu'il y ramène toutes ces conquêtes. Je secoue la tête pour me défaire de ce soudain élan de jalousie. Je n'ai jamais prêté attention aux tableaux de chasse de mes proies, je ne comprends pas pourquoi cette fois est différente. Le serveur disparaît et Yohan replonge ses yeux dans les miens. Ses prunelles émeraude me happent. Je crève d'envie de les voir se révulser sous la puissance d'un orgasme.

— Où en étions-nous ? me relance le tatoué.

— Je te rappelais que c'est toi qui devait ramper pour te faire pardonner.

— Ah oui. Alors je t'en prie, pose-moi toutes les questions que tu souhaites. 

* Mon feu en gaélique

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