Chapitre 16: Yohan

L'atmosphère à l'intérieur est glaciale, presque suffocante. Les employés, quasiment tous vêtus de la même façon, propres sur eux alors qu'ils sont mauvais jusqu'à la moelle, vaquent à leurs tâches, feignant d'ignorer notre présence. Connor marche à mes côtés, son masque impassible habituel sur son visage.

Je m'approche du comptoir où se trouve la nouvelle secrétaire de Torio. Il n'a pas perdu de temps pour remplacer la dernière, le salop. Elle passe un coup de fil et, quelques minutes plus tard, un garde apparaît pour nous escorter. Il nous conduit à un ascenseur privé, nous pénétrons à l'intérieur et montons en silence jusqu'au dernier étage. La tension règne dans la cabine. Connor et moi échangeons des œillades, nous nous comprenons immédiatement, nous ne pouvons pas faire de faux pas.

Le tintement de l'ascenseur retentit quand nous arrivons à destination avant que les portes ne s'ouvrent sur un bureau spacieux. Torio nous attend, assis derrière un imposant bureau en bois sombre. Je ne peux m'empêcher d'observer autour de moi. L'espace est tellement impersonnel comparé au mien. Je me demande comment il fait pour travailler ici. S'il est surpris de notre visite, il ne laisse rien transparaître sur son visage. Sa stature imposante s'accentue lorsqu'il se lève, un sourire aussi tranchant qu'une lame apparaît sur son visage.

— Yohan, dit-il en tendant une main que je serre brièvement. C'est un plaisir de te voir.

— Le plaisir est partagé, Andréa, rétorqué-je, cachant ma haine pour lui derrière un sourire de façade.

Nous prenons place, avec Connor restant debout derrière moi. Il a posé sa veste sur mon dossier, ses armes dans leurs holsters maintenant bien visibles. Ses bras croisés font ressortir ses muscles et tendent sa chemise. Il se tient prêt à intervenir si nécessaire. Il peut être imbattable quel que soit l'adversaire quand il est comme ça. Le regard perçant de Torio passe de Connor à moi, nous détaillant.

— Alors, qu'est-ce qui t'amène aujourd'hui ? demande-t-il d'une voix rauque où je décèle une note de condescendance.

Je place ma cheville gauche sur mon genou droit et m'installe nonchalamment dans le fauteuil, comme si j'étais chez moi.

— Je pourrais te poser la même question. Après tout, c'est toi qui as convoqué cette réunion.

Torio éclate d'un rire sec, dépourvu de chaleur. Je me demande même s'il a un cœur, après je n'en ai pas non plus.

— Bien sûr. Nos territoires sont collés, et il est sage de discuter pour éviter des malentendus. Je n'apprécie pas les surprises.

Je le fixe, impassible, j'ai bien compris la menace sous-entendue. Il n'a pas apprécié que nous débarquions comme ça.

— Comme le fait qu'un de tes hommes ait essayé de pénétrer dans l'une de mes entreprises ce matin ? demandé-je avec une pointe de sarcasme dans la voix.

C'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité. Cet homme a un culot. Il se redresse, un éclat de surprise dans ses yeux durant une microseconde avant qu'il ne retrouve son masque impassible.

— Ah, je vois que tu es au courant. Je suppose que je ne vais pas le revoir ? m'interroge-t-il, mon silence comme seule réponse. Je dois dire que c'était une leçon que je t'ai donnée. Je voulais te rappeler que si je le voulais vraiment, je pourrais détruire tout ce que vous avez construit d'un claquement de doigts. Tu n'es qu'un grain de sable comparé à moi.

Je laisse un sourire apparaître sur mes lèvres, malgré la colère qui gronde en moi. J'ai une profonde envie de lui défoncer la tronche, mais je suis bien plus malin, il n'attend que ça, le connard.

— Si tu cherches à m'impressionner, sache que ce n'est pas le cas. énoncé-je avec une intonation froide et calme.

— Ne sois pas trop confiant, gamin. Même si tu es en train de prendre la place de ton père, tu n'as pas encore prouvé que tu peux égaler ma position. Tu n'es rien comparé à moi. dit-il en perdant quelques secondes son masque impénétrable, la colère enflammant son regard.

Je sens Connor derrière moi qui bouge légèrement et je sais sans même le regarder qu'il a mis sa main sur une de ses armes. Je m'affale un peu plus dans le siège, sous-entendu pour Connor qu'il doit se calmer.

— Passons à ce dont je voulais te parler, j'ai autre chose à faire après, dit-il en balayant l'air d'un revers de la main. J'ai entendu dire que tu avais un intérêt particulier pour une certaine inspectrice, Ella Pembroke. Elle enquête sur des femmes liées à nos affaires.

— À tes affaires, tu veux dire ? Il me semble que l'une des victimes était ta secrétaire, que tu as d'ailleurs bien vite remplacée, lancé-je conscient que mes mots vont atteindre mon objectif, l'énerver.

— Ces meurtres nous impactent tous les deux, les corps ont été retrouvés sur nos territoires respectifs.

— Elle n'est qu'une nuisance mineure, énoncé-je en gardant un visage le plus impassible possible.

Il ne doit surtout pas découvrir ce qu'il est en train de se passer entre l'inspectrice et moi. Torio pose ses coudes sur le bureau et pose ses mains entrelacées sur sa bouche. Un sourire se dessine derrière, un sourire de prédateur.

— Oh, gamin... dit-il en secouant la tête. Elle est bien plus qu'une nuisance. Elle représente une menace pour nos deux clans. Elle doit être neutralisée.

— Neutralisée ? demandé-je en feignant l'ignorance, une sueur froide descend le long de ma colonne. Comment proposes-tu de faire cela ?

— Il faut frapper là où ça fait mal. Elle n'a que son frère en famille, et celui-ci est en prison. Si nous jouons là-dessus, elle craquera.

Je serre les mâchoires, mon esprit tournant à toute allure pour trouver une solution. Il ne faut pas que Torio découvre que nous nous sommes déjà occupés du frère et lui avons fait porter le chapeau.

— Je ne suis pas certain que cela soit nécessaire. Elle peut être contrôlée autrement.

Il secoue simplement la tête.

— Tu es jeune. Parfois, il faut être impitoyable. Elle doit comprendre qu'elle n'a pas de place dans notre monde.

Je reste silencieux, mes pensées partant dans tous les sens. Torio me teste,je le sais, essayant de voir jusqu'où je suis prêt à aller. J'ai la sensation qu'il sait bien plus de choses qu'il ne veut bien le dire, j'espère que mon plan avec Ella ne lui est pas parvenu aux oreilles. Je sais qu'il me voit comme un jeune prétendant, un homme à l'ambition dangereuse mais encore naïf. Il ne sait pas à quel point il se trompe. Mon père m'a tout appris et je compte bien lui faire honneur, ainsi qu'à tout mon clan.

— Nous verrons, dis-je en me levant. Mais je préfère gérer la situation à ma manière. Je vais agir avec discernement en utilisant mon intelligence.

Torio sourit en se levant de son siège.

— Très bien. Mais souviens-toi, gamin, dans ce milieu, la force est essentielle. Je n'ai pas l'intention de laisser un jeune ambitieux perturber l'équilibre que j'ai établi.

— Et pourtant, je suis celui qui a les meilleures cartes en main et tu le sais.

— Bien. N'oublie pas une chose, si tu ne réussis pas, je m'occuperai de ce problème.

Je hoche la tête et nous échangeons un dernier regard chargé de menaces voilées avant que Connor et moi ne quittions le bureau. En descendant dans l'ascenseur, l'atmosphère est lourde.

— Ça s'est bien passé, selon toi ? demande Connor.

— Je dirais, autant que possible avec un homme comme lui, dis-je en soupirant. Mais restons vigilants. Il sous-estime mes capacités, et cela pourrait lui coûter cher.

Nous traversons le hall et sortons à l'extérieur. Le soleil frappe mon visage et me réchauffe. L'atmosphère là-dedans, c'était quelque chose.

— Une fois à la maison, nous irons voir Shadow j'ai besoin de lui pour la suite avec Ella. Je suis sûr qu'il peut m'aider à la séduire.

Nous sommes à la voiture, mais Connor s'est stoppé et me regarde les yeux ébahis par-dessus le toit de la voiture.

— Attends, tu veux vraiment demander à Shadow des conseils pour séduire une femme ? Dois-je te rappeler que je suis le tombeur de ses dames ?

— Connor, tu baises les femmes, tu ne les courtises pas...

Il lève les yeux au ciel.

— Et t'es dans mon équipe, connard !

— Des fois, je me demande comment tu réfléchis. Maintenant, monte en voiture, j'ai pas que ça à faire. Sinon, je te laisse sur le bas-côté, ce n'est pas une si mauvaise idée.

***

La porte de la salle de contrôle s'ouvre après le petit bip de validation du code. Connor et moi rejoignions Shadow près de ses écrans. Il tape sur ses touches à une vitesse hallucinante, son casque vissé sur la tête, complètement dans sa bulle. La pièce est éclairée uniquement par la lumière bleutée des multiples écrans qui couvrent les murs ainsi que les petits néons de couleur autour. Lorsque je pose ma main sur son épaule, il tourne légèrement la tête vers moi, ses yeux brillants reflétant la lumière des écrans. Il n'est même pas surpris, notre présence ayant été signalée par la caméra au-dessus de la porte.

— Yohan, Connor, dit-il sa voix éraillée, comme s'il n'avait pas parlé depuis plusieurs jours, brisant le silence ambiant. Qu'est-ce qui vous amène ici aussi tôt ? Laissez-moi deviner, vous avez besoin de moi pour mademoiselle Pembroke, n'est-ce pas ?

— Mon ami, sors de ta grotte, il est déjà 14 h, le taquine Connor. Et puis tu peux l'appeler la fliquette.

— Non, c'est irrespectueux, et c'est justement pour ça que Yohan vient me voir. Ai-je raison ? me demande-t-il en haussant les sourcils.

— Exactement, et je me suis dit que tu serais l'homme de la situation.

— Je vois. Vous savez, pour une femme comme Ella, il faut un peu de finesse, quelque chose de subtil. Ce n'est pas juste une question de stratégie, mais aussi de respect. énonce-t-il, comme si nous aurions dû le comprendre de nous-mêmes.

— Yohan n'est pas là pour lui faire la cour, juste pour obtenir des informations et la faire basculer du côté obscur, grogne Connor.

Un léger sourire étire les lèvres de Shadow, amusé par le contraste entre ses propres principes et notre approche plus directe, dirons-nous.

— Je comprends, mais approcher mademoiselle Pembroke de la bonne manière peut faire toute la différence. Si tu te montres respectueux et aussi sincère que possible, elle sera plus encline à te faire confiance. Même si je n'aime pas que nous l'utilisions comme ça.

Je soupire, Shadow a raison, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Je lui demande comment faire ça. Il se penche en arrière dans son siège en réfléchissant à la situation. Au bout de quelques secondes, une étincelle s'allume dans son regard.

— Je dirais que notre speakeasy peut être un bon lieu pour un premier rendez-vous si elle accepte bien évidemment de te voir. Il faudra juste que toi,Connor, tu les préviennes de traiter Yohan comme un inconnu et pas comme leur patron. Mais attention, il faudra que tu sois authentique, enfin le plus possible. Montre-lui que tu es intéressé par elle en tant que personne, pas par son travail.

Un ricanement parvient à mes oreilles. Je tourne la tête et découvre un Connor au bord du fou rire.

— Yohan, authentique ? J'aimerais être une petite souris pour assister à ce spectacle, s'exclame-t-il pendant que je lui lance un regard noir.

— Et si elle se méfie de moi dès le début ?

— Dans ce cas, parle-lui de choses simples, de la vie quotidienne, des passions. Évite de mentionner le travail, concentre-toi sur elle en tant qu'individu. Elle appréciera cette approche, d'après les informations que j'ai trouvées sur elle. Et surtout, sois patient. Gagner sa confiance ne sera pas facile.

Je hoche la tête, conscient que ça ne sera pas si facile. Shadow sourit, satisfait de voir que ses conseils sont pris en compte.

— Et n'oublie pas, les femmes comme elle respectent les hommes qui respectent les femmes. Montre-lui que tu es différent de ce qu'elle pourrait penser en observant ton apparence.

Je prends mon portable et tape un rapide message avant de le montrer à Shadow, qui confirme d'un signe de tête que c'est parfait. J'appuie sur envoyer. Maintenant, je n'ai plus qu'à attendre sa réponse. 

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