L'atmosphère du Mermaid est électrique, un mélange enivrant de musique et de lumières stroboscopiques qui excite les sens. La foule danse, les corps se mêlent et se séparent dans un même rythme, celui des basses qui inonde la piste. Mon regard suit Ella alors qu'elle s'éloigne, ses hanches se balançant plus que d'habitude. La garce. Son corps se fond dans la masse avant de disparaître complètement. Merde, je ne pensais pas tomber sur une joueuse comme elle. Une frustration sourde monte en moi, un désir inassouvi qui brûle sous la surface. Je réajuste mon pantalon, elle a failli me faire perdre le contrôle de moi-même. Je sens que je vais savourer chaque seconde quand elle cèdera, je la ferai peut-être même me supplier de l'envoyer toucher les étoiles.

Je serre les poings, essayant de chasser les images de son petit corps contre le mien, de son souffle chaud léchant mon cou. Elle a joué avec moi, attisant les flammes sans jamais les laisser s'éteindre. Elle m'a clairement laissé sur ma faim et je n'aime pas ça. Je suis sûr que j'arriverai à trouver une petite blonde qui acceptera d'écarter les cuisses pour moi et qui effacera l'image de la rousse.

Je m'appuie contre le mur de l'alcôve un instant, des flashbacks de notre moment encore imprimés sur la rétine. Je sais que je vais devoir retraverser une partie de la foule pour rejoindre mon bureau, mais je n'ai plus vraiment la tête à me laisser tripoter. Ella l'a suffisamment fait. Je réajuste mon costume avant de plonger dans la foule. J'avance décidé parmi les corps sans m'arrêter un instant. La chaleur de la foule et l'odeur d'alcool imprègnent l'air autour de moi et saturent mes sens. Je n'en suis pas revenu, quand, à travers la baie vitrée sans teint du bureau, je l'ai vu apparaître près du bar. J'ai retenu mon souffle un instant, pensant à une hallucination.

Je monte les escaliers menant au bureau surplombant toute la boîte, mon esprit embrouillé par une rage froide. Chaque pas résonne dans le couloir, amplifiant ma frustration. Je serre les mâchoires devant le peu de contrôle que j'ai sur moi-même depuis que j'ai posé les yeux sur cette flic. Le Mermaid est mon territoire, mais ce soir, Ella a réussi à me déstabiliser en débarquant. Et ça, je ne peux pas l'accepter.

J'ouvre la porte du bureau d'un geste brusque, plus que je ne le voudrais quand elle va claquer contre le mur. Connor est assis nonchalamment sur le canapé, un sourire narquois aux lèvres. Finn, le gérant du Mermaid, a déjà quitté la pièce. Notre rendez-vous mensuel tombe pile quand l'inspectrice débarque une deuxième fois ici. Connor lève ses yeux noirs vers moi, une lueur de moquerie dans le regard. Je pince d'avance l'arrête de mon nez, il n'a même pas encore ouvert la bouche que je suis à un doigt de lui coller mon arme sur la tête.

— Encore rejeté, hein ? dit-il, son ton plein de sarcasme. T'as vraiment perdu la main, Yo.

Je le fixe, ma frustration se transformant en une froide détermination. Je serre les poings, luttant pour garder mon calme. Chacun de mes muscles tendus, prêts au combat.

— Elle finira par céder, Connor. C'est juste une question de temps.

— Ouais, bien sûr. En attendant, est-ce qu'elle a répondu à un seul de tes messages ? Ah oui, non pardon, elle t'a lâché des vues ! explose-t-il de rire.

Avant même d'y réfléchir, mon arme est déjà dans ma main et la balle s'enfonce dans le mur à côté de sa tête. Mais ça n'arrête pas son fou rire.

— Alors, boss ? Même pour ça, on a perdu la main ?

— Ce n'est pas le moment pour tes conneries.

Je m'approche du bureau, m'asseyant sur le bord pour faire face au canapé sur lequel est vautré Connor. Il se redresse pour s'asseoir au bord, les coudes en appui sur les genoux.

— Allons, relaxe, tire un coup, je sais pas. Ce n'est pas la première fois qu'une femme te file entre les doigts. Enfin, je dois dire que la dernière fois, t'étais en pleine puberté, donc peut-être t'as perdu de ton mojo chez les femmes.

— Elle n'est pas comme les autres, Connor. C'est une flic, qui plus est, une flic qui enquête sur nous.

— Ah, je vois. dit-il en haussant un sourcil intrigué. Tu veux dire qu'elle est plus qu'un simple défi pour toi.

— Elle joue son jeu, je joue le mien. Ça ne changera rien au résultat final.

Connor secoue la tête, amusé. Il me regarde une seconde, sans rien ajouter. Comme s'il analysait mon visage.

— Si tu le dis. Mais en attendant, on a un autre problème.

Il se lève et me rejoint près du bureau. Son sourire s'efface, remplacé par une expression bien plus sérieuse. Je me mets automatiquement sur mes gardes.

— Torio veut un entretien avec toi. Maintenant.

Un rire amer s'échappe d'entre mes lèvres, j'ai même du mal à m'arrêter, ma tension redescendant depuis mon agréable mais frustrante rencontre avec Ella.

— Torio peut aller se faire foutre. Je ne suis pas un de ses sbires qu'il peut siffler quand il veut. Il me verra demain matin.

Connor éclate de rire à nouveau, mais cette fois, il y a une note de respect dans son regard.

— C'est pour ça que je t'admire, mon pote. Tu as une sacrée paire de couilles. Je vais lui transmettre le message. Mais tu sais comment il est. Il ne va pas apprécier du tout.

— Rappelle-lui que nous sommes égaux dans cette ville. Je ne courbe pas l'échine pour qui que ce soit. Il me verra demain et il fera avec.

Connor acquiesce lentement, tout humour ayant désormais déserté ses traits pour le moment et sûrement pour le reste de la nuit aussi.

— Ça me va. Mais juste une chose. Fais gaffe avec Ella. Elle peut être plus dangereuse que Torio.

Je hoche la tête, reconnaissant la sagesse de ses mots, même si je ne l'admets pas à voix haute. Il me donne une tape dans l'épaule avant de se diriger vers la sortie.

— Très bien, je vais m'assurer que tout soit prêt pour demain. Et essaie de ne pas trop te prendre la tête avec elle ce soir. Il y a une boîte pleine de distractions.

— T'es bien en train de parler des femmes ?

— Oui, mais après, libre à toi si tu pensais à une autre sorte de distraction. énonce-t-il en haussant les épaules avant de disparaître dans le couloir.

Je sens que je ne suis pas sorti de la merde avec cette tigresse aux cheveux de feu. Ella est une opportunité pour mon clan, mais une tentation dangereuse pour moi. Peut-être bien que mon type, c'est finalement les rousses.

***

Mon téléphone n'arrête pas de sonner depuis ce matin, j'ai passé ma matinée à passer mes différentes affaires en revue. Je raccroche après une longue conversation avec l'un de nos partenaires colombiens, le cuir craque quand je m'appuie contre le dossier de mon siège. Ma tête bascule en arrière, et je frotte mon visage d'une main. L'épuisement s'abat sur moi, je suis debout depuis 4 h pour pouvoir téléphoner avec les différents décalages horaires. Et ma nuit a été plus que courte avec ma rencontre avec Ella hier soir.

J'ai déjà pu voir la fabrication d'une nouvelle cargaison de drogues ainsi que la gestion des fonds des usuriers sous nos ordres. L'organisation des prochaines soirées de jeux clandestins déléguée à Fear est une épine en moins dans mon pied. Sans oublier la supervision de nos entreprises légales qui, sous une façade respectable, nous aide à blanchir des sommes importantes.

Mon téléphone sonne de nouveau, c'est notre fournisseur d'armes, je décroche au bout de plusieurs sonneries.

— Je ne tolérerai aucun retard. tonné-je

— Je ne t'appelle pas pour ça, mais pour changer le lieu de notre rendez-vous, un de mes hommes m'a appris qu'il n'était pas sûr. Les fédéraux sont dessus.

— Merde, je vais mettre un de mes gars sur la recherche d'un nouveau point de rencontre, tu seras prévenu quand il aura trouvé.

Je raccroche sans rien ajouter. Mes poings se serrent. Nous avons déjà la police au cul. Si les fédéraux se mettent aussi sur notre dos, même si ça va nous rendre la tâche plus compliquée, je ne doute pas que nous arriverons à poursuivre nos affaires. Et puis, si jamais, j'ai quelques contacts au sein de l'agence. Cela ne sera pas difficile de faire disparaître certaines pièces du dossier. J'ai à peine le temps de planifier mon prochain appel que Connor fait irruption dans le bureau. Son visage fermé et la rage qui palpite dans son regard m'annoncent clairement son humeur du jour. Les taches de sang présentes sur sa chemise témoignent que la colère qui l'habite a déjà commencé à sortir.

— Je suppose que la personne est six pieds sous terre ?

— Tu as vraiment besoin de poser la question ? demande-t-il en s'installant sur la chaise face à moi. C'était un gars de Torio, il a essayé de s'introduire dans l'une de nos entreprises ce matin sur la West Chicago Avenue, gronde-t-il. J'ai dû l'éliminer, je préfère te prévenir avant ta rencontre avec Torio.

Je fronce les sourcils, mes narines se dilatent et j'inspire profondément en sentant la colère monter en moi.

— Il veut sûrement nous faire comprendre que ça ne lui a pas plu que je ne vienne pas hier. Assure-toi que toutes les mesures de sécurité soient renforcées immédiatement. Je ne veux pas d'autres surprises comme celle-ci. Rejoins-moi dans le hall dans trente minutes, nous allons chez Torio, je veux savoir ce qu'il mijote.

Connor acquiesce les dents serrées, la colère déformant ses traits, je plains ceux qui vont se retrouver sur son chemin aujourd'hui. Il va être d'une humeur à massacrer tout le monde. Il sort pour coordonner les gars, laissant derrière lui une vague de tension. Cette provocation à peine dissimulée de Torio fait croître mon irritation.

Après cette interruption, je pars dans ma chambre prendre une douche pour me préparer. Une fois prêt à partir, j'enfile mon veston avant d'attraper ma veste que je pose sur mon bras. Je traverse ensuite le couloir pour rejoindre le hall d'entrée. Je descends le grand escalier quand Connor émerge de l'aile gauche. Pile à l'heure comme d'habitude. Nous prenons une des voitures blindées dans le garage, mes hommes prennent deux autres véhicules. Je ne compte pas me pointer chez Torio sans soutien.

Une fois garée devant le gratte-ciel, je mets ma veste et ferme un bouton. J'inspire profondément comme si j'allais plonger en apnée avant de pénétrer dans l'immeuble. À tout moment, ce rendez-vous peut se finir en bain de sang.