Chapitre 10 : Ella
Comme prévue, chaque putain de minutes de chaque putain d'heures de cette putain de journée a été un véritable calvaire. Ça a commencé avec un café trop sucré, ça a enchaîné avec un téléphone désespérément vide. Sérieusement, qui ne stock aucune information dans son portable ? Et ça a continué avec des heures à feuilleter des dossiers vides en attendant que la nuit tombe. Autant dire que mon niveau de patience frôle le néant lorsque Wade débarque à mon bureau, tout sourire dans son costume full black. J'exhale un long soupir en me pinçant l'arrête du nez.
— Wade, tu m'expliques pourquoi t' es habillé comme ça ?
— Ben, je suis ton agent K.
Je n'ai pas la force de me battre avec lui ce soir. Après tout, sa tenue reste tout à fait convenable pour ce que nous avons à faire. J'attrape donc ma veste sur le dossier de ma chaise avant de sortir à ses côtés.
Nous marchons en silence jusqu'à sa Chevrolet, bien plus discrète que ma vieille Mustang. Le trajet s'effectue sans accroc, mais dans un mutisme oppressant. Wade doit sentir mon humeur maussade, car il s'abstient de tout commentaire.
Nous nous garons à quelques rues du Mermaid Club, l'avenue étant déjà bondée. Une longue file d'attente patiente sous les néons multicolores de la boîte de nuit. Des femmes dans des robes si courtes qu'elles en frôlent l'indécence se pressent les unes contre les autres afin de lutter contre la fraîcheur de cette fin mars. Un brouhaha enthousiaste gronde dans la queue tandis que les videurs postés à l'entrée tri la clientèle. Wade et moi remontons l'allée d'une démarche assurée et une vague de murmure indignée s'élève lorsque nous parvenons à franchir le cordon de sécurité en quelques secondes à peine grâce nos "multipass" comme Wade s'amuse à les appeler.
A l'intérieur, l'ambiance est électrique. Les corps se pressent sur l'immense piste de danse au rythme d'un morceau de Doja Cat. L'endroit dégage une forme de sophistication avec ses lustres en cristal qui fragmentent la lumière sur les fêtards. Les balcons en fer ouvragé ajoutent une pointe d'élégance supplémentaire. Derrière le bar en demi-cercle qui encadre le dancefloor, des femmes en soutien-gorge coquillage déambulent, servent et shakent des litres d'alcool sous l'œil assoiffé des clients. Nous nous dirigeons vers le comptoir sous le regard curieux des badauds. Entre Wade et son costume noir et moi en tailleur pantalon de la même couleur, nous détonnons clairement parmi les tenues pailletées. Je ne laisse pas le temps à Wade d'interpeller une des serveuses, et attrape celle qui passe devant moi par le bras pour la forcer à s'arrêter. Elle me lance une œillade colérique sous ses faux-cils beaucoup trop fournis, mais n'a pas le temps de s'offusquer avant que je ne dégaine ma plaque et la fourre sous son nez.
— Nous aimerions parler avec le propriétaire des lieux, lancé-je sans prendre la peine de m'encombrer de cordialité.
La brune éclate alors de rire. J'avoue que je ne m'attendais pas du tout à ce genre de réaction. A côté de moi, Wade arbore sa sempiternelle expression amusée. Il contient son amusement, mais la lueur moqueuse dans son regard ne m'échappe pas.
— Excusez ma collègue pour son côté Miranda Priestly, mais bonsoir déjà. Nous aimerions savoir s'il était possible de voir un responsable. Nous aimerions lui poser quelques questions dans le cadre d'une de nos enquêtes, s'empresse-t-il de prendre le relai en offrant à la serveuse un sourire charmeur.
Elle fond sous les yeux clairs du jeune agent et se penche sur le bar pour lui offrir une vue plongeante sur son décolleté
— Le patron n'est pas là, mais je vais voir si le gérant accepte de vous recevoir.
Elle disparaît et je me retrouve seul en face d'un Wade visiblement contrarié.
— Je sais pas ce qu'il t'arrive, Princesse, mais depuis ce matin tu atteins des sommets dans ton côté Catherine Tramell. Faudrait que tu penses à te détendre un peu si tu vois ce que je veux dire. Je peux même me porter volontaire.
J'esquisse un bref rictus mais le chasse aussitôt quand je vois la brunette revenir d'une démarche chaloupée. Elle dévore Wade des yeux et papillonne lorsqu'elle lui annonce que son patron va nous recevoir à l'étage.
— Tu as souri, je l'ai vu, chuchote-t-il pendant que nous montons une volée de marche derrière la serveuse.
Nous grimpons sur deux étages jusqu'à une sorte de cabine vitrée qui offre une vue plongeante sur ce qui déroule en contrebas. L'endroit est idéal pour surveiller les moindres faits et gestes des clients. Un homme dans la trentaine nous attend en affichant un sourire affable mais faux. Entre son costume Armani parfaitement taillé pour mettre en valeur ses larges épaules, les quelques tatouages sur ses doigts et ses cheveux d'un roux profond, il dégage une aura à la fois séduisante et dangereuse.
— Bonsoir, nous accueille-t-il d'une voix chaude. Finn Mac Daire, je suis le gérant de cet établissement. En quoi puis-je vous aider ?
— Nous enquêtons sur un meurtre survenus hier soir à quelques rues d'ici et la victime portait le tampon de votre établissement, nous souhaiterions donc savoir avec qui elle a été vue pour la dernière fois.
Je sors de mon sac une photo de Mylène Monroe. Il l'observe un instant, sourcil froncé, mais annonce ne jamais l'avoir vu auparavant.
— Vous êtes certains de ne jamais avoir vu cette femme ? insisté-je.
— Certains, mais je ne me mêle presque jamais à la clientèle, mais si vous le souhaitez, je peux vous fournir l'intégralité des images de vidéosurveillance enregistrées hier soir.
J'accepte, et quand nous quittons les lieux avec des heures d'enregistrement, je sais que la nuit est loin d'être finie.
***
Le soleil se lève et j'en suis à mon huitième café, quand enfin je trouve notre blonde sur l'écran. Elle est accompagnée d'une petite brune à la même poitrine que la sienne qui se pavane dans une micro robe rouge à paillettes.
— Eurêka ! Wade, j'ai trouvé !
Quand je tourne, je tombe face à un Wade endormi, avachi sur le bureau, un filet de bave coulant de sa bouche entrouverte. Dans cette position, on lui donnerait à peine dix-huit ou dix-neuf ans. J'envoi mon coude dans ses côtes.
— Quoi, qu'est-ce qu'il se passe ? On est attaqué ? se réveille-t-il en panique.
Il lui faut quelques secondes pour comprendre où il se trouve.
— Bordel, Ella, tu m'as fait peur, grommelle-t-il, enfin revenu à lui.
— Il fallait rester éveillé. J'ai trouvé notre victime. Elle passait la soirée avec une copine. Il faut absolument qu'on découvre qui elle est et qu'on l'interroge. Je suis persuadée que Torio est mêlé de près où de loin à cette histoire. Wade, occupe-toi de me la retrouver le temps que je me repose quelques heures.
Wade acquiesce tout en s'étirant et commence déjà à pianoter sur l'ordinateur. Ce sont ces capacités exceptionnelles en matière d'informatique qui ont valu au gamin un poste dans la brigade malgré son jeune âge. Normalement, les agents qui sont affectés à la section du crime organisé ont un peu plus de bouteille, mais il a été jugé parfaitement apte dès sa sortie de l'école de police.
— Réveille-moi dès que tu as quelque chose, lancé-je en me dirigeant vers un des sofas installés dans la salle de pause.
Je m'allonge et ferme les yeux, mais le sommeil me fuit. Le mail alarmiste de mon frère ne cesse de tourner dans mon esprit, entrecoupé du visage tuméfié de Mylène. Si Torio en a après lui, il faut impérativement que j'agisse. Et que j'agisse vite.
***
— Ella ! Ella !
La voix de Wade me tire du repos sans rêve dans lequel j'ai finalement réussi à sombrer. Derrière les lamelles des stores, le soleil brille fort. La journée doit être bien entamée.
— J'ai trouvé la copine. Elle s'appelle Lila Moreau et travaille dans un cabinet d'avocat situé au centre-ville. Elle ne semble en lien ni avec Torio, ni avec son entourage.
— Bien ! Je m'occupe de la suite. Va te reposer, je te tiens au courant si j'arrive à obtenir quelque chose.
Wade ne proteste pas et je l'en remercie. En fait, je crois qu'il est trop crevé pour s'opposer à moi. Quand il disparaît, je me jette sur mon manteau et mes clés et file en direction du cabinet où exerce Lila Moreau. J'espère qu'elle me donnera des informations que je pourrais retourner contre Andrea Torio.
Il me faut une vingtaine de minutes pour rejoindre la tour tout en verre où travaille mon témoin. Le bâtiment domine le quartier des affaires de Chicago et je suis éblouie par les rayons du soleil qui se reflètent sur la surface de celui-ci. Alors que je pénètre les lieux, j'ai la sensation de me retrouver quelques jours en arrière, quand je suis partie affronter Torio. La même sensation d'oppression comprime ma poitrine. J'espère que cette fois je ne ferais pas chou blanc.
Je dois passer par un labyrinthe de bureau pour enfin atteindre la plaque métallique sur laquelle est inscrit en lettre d'or : Lila Moreau avocate spécialisée en droit des sociétés.
Je frappe et la brune que j'ai pu voir sur les vidéos de la boîte de nuit m'ouvre en affichant un sourire professionnel. Elle a troqué la robe courte contre un tailleur sage. Ses cheveux sont tirés en un chignon stricte et rien ne laisserait supposer que cette femme passe ses soirées à se déhancher en tenue légère dans les boîtes branchées de la ville.
— Je peux vous aider ?
Je me présente et lui explique la raison de ma venue alors qu'elle m'invite à prendre place dans son bureau. L'espace est parfaitement organisé et le mur du fond, tout en verre, offre une vue plongeante sur les rues de Chicago. Il ne faut que quelques minutes avant que le masque placide de l'avocate éclate quand je lui apprends le décès de son amie. J'ai toujours eu une sainte horreur pour ce genre d'annonces. Pas que les pleurs me gênent, simplement je trouve que c'est une perte de temps considérable que de devoir consoler les proches de nos victimes. Je passe donc une dizaine de minutes à murmurer des paroles pleines de bons sentiments pour tenter de calmer les sanglots qui secouent la brune. Avec aussi peu de contrôle sur ses émotions, je ne comprends pas comment elle a pu obtenir un poste dans un cabinet aussi prestigieux. Quand enfin le flot de ses larmes se tarit et que ses propos sont audibles, j'attaque avec la véritable raison de cette interrogatoire.
— Mylène avait-elle des ennemis, fréquentait-elle des hommes qui aurait pu s'en prendre à elle.
Lila lâche un rire amer.
— Mylène ne fréquentait que ce genre d'hommes. Elle adorait flirter avec le danger. En plus de son patron qui est un escroc notoire, elle couchait avec un certain Darragh O' quelque chose. Un type dangereux rencontré au Mermaid Club il y a quelques semaines. On y retournait justement parce qu'elle avait espoir de le revoir.
Je serre les dents alors que je note toutes les informations qu'elle me fournit. Malheureusement, rien dans ses propos ne me permettrait d'impliquer Torio.
— Et son patron, Andrea Torio ? Elle semblait effrayée par lui, vous pensez qu'il aurait pu lui faire du mal ?
Elle hausse les épaules.
— Probablement. On ne s'est jamais trop avec ce genre d'hommes. Je lui ai demandé plusieurs fois de démissionner, recommence-t-elle à sangloter.
— J'ai tout ce qu'il me faut, l'interrompé-je.
Hors de question que je me coltine une seconde sessions larmoyante.
— Merci pour votre temps, Madame Moreau. Si le moindre élément vous revient, n'hésitez pas à me contacter, dis-je en lui tendant une de mes cartes avant de me lever.
Quand je sors du bâtiment, la journée arrive déjà à son terme. La fatigue m'assaille mais je sais que je n'arriverais jamais à dormir avec toutes les choses qui tournent dans mon esprit. Je vais probablement avoir besoin d'un coup de main pour me détendre et j'ai quelques idées sur ce qui pourrait m'aider.
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