Vagues humaines
M Y L A
Dès que Gwen et moi sortons de la classe, elle me frappe à l'épaule. Un tsunami semble s'être précipité avec ce geste.
Et il avale tout. Incompréhention. Abandon. Tristesse. Pour ne me laisser qu'une vague douleur à l'épaule.
-Non mais qu'est-ce qu'il s'est passé pendant ce cours ?! D'abord tu es heureuse et ris avec moi, ensuite tu es absente et tremble comme une droguée en manque, et après tu fais peur au professeur en écrivant un prénom qui n'a JAMAIS été cité dans le poème ! Tu peux m'expliquer deux secondes ce qui ne tourne plus rond chez toi en ce moment ? Parceque ça commence LÉGÈREMENT à m'inquiéter, moi !
Je me gratte la tête et soupire. D'un geste de la main, je lui demande d'oublier. D'oublier les moments d'égarement qui emportent ma raison, encore en cet instant. De ne plus penser à ces choses qui, parfois, trahissent mon âme. Oublier... Oublier que ta douleur s'est exprimée au travers de moi une seconde de plus que la coutume. Oublier, que je suis détruite et que l'on ne me reconstruira pas.
Oublier... J'aimerai en être capable. Mais certaine chose, comme cette complicité que toi et moi avions et ces choses que je n'aurais jamais cru réalisables mais que tu as rendu pourtant possible... Cela est impossible à ignorer. Je ne peux pas les effacer comme on efface le blanc des tableaux noirs... Comme on règle l'heure d'une pauvre horlogue...
Je sais. Ce n'est pas bien de penser à de telles choses. Mais c'est plus tolérable que cette émotion tacite qui me broie de partout... Le poids des souvenirs m'accable encore. Je peine à les laisser derrière moi et à les rendre un peu plus innocents.
C'est au tour de Gwen de soupirer. Elle avance dans le couloir pour se rendre au prochain cours. À la prochaine salle.
Ses cheveux hirsutes sautillent autour d'elle comme de jolies petites sauterelles brunes. On dirait un champs de blés soufflé, que le soleil brûle et réchauffe d'une manière désespérément belle. Son lourd sac bouge au rythme de ses petits pas.
Je cours pour la rattraper. Pour m'excuser auprès de tout ce que je ne suis pas, que j'ai cru ne jamais avoir été pour elle... Une véritable amie. Je m'en rends compte à présent.
Au moment où j'arrive à sa hauteur, elle fait partir tous les troubles qui nous ont, pendant un instant entourés, en parlant d'une sortie en ville que l'on devrait faire toutes les deux juste après les cours.
J'accepte joyeusement d'un signe de la tête. Je rentrerais ainsi plus tard chez moi et verrai moins ma mère, qui s'est élue domicile à la maison. Elle espère rendre le poids de ma vie moins pesant. Ce qui est, en cet instant, totalement l'inverse.
Nous sommes mercredi. Et je n'ai terriblement pas envie de passer mon après-midi à ses côtés. Moins je passerai de temps avec elle, plus je me sentirai bien et libre.
Je décide, comme Gwen, d'oublier le flottement qui m'a assailli en cours de français. Ou du moins, je tente en m'accrochant aux détails de ce qui m'entourent et de ce qu'il me reste.
Je regarde les autres élèves du lycée Mandela, qui se bousculent pour passer dans le mince couloir.
Leurs mouvements sont comme des vagues qui luttent et avancent. La première marée les emportent et semble tous les faire reculer. La seconde marée s'avance et déploie une écume d'adolescents en avant.
Je trouve cette vision étrangement rassurante. La foule d'êtres vivants, unis dans un même lieu et désunis dans leurs pensées divergentes. Mais luttant, dans un mince couloir, tels les mouvements d'une mer en pleine tempête. Des adolescents luttant pour trouver leur avenir, pour comprendre qui ils sont au fond d'eux-mêmes.
Les vas et viens humains que nos corps s'arrachent à transpercer juste pour passer et se voir enfin libéré du poids qu'à sur nous tous l'eau salée.
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