Une confidence
M Y L A
Rebecca est assise sous le petit porche d'Adam. Elle regarde les nuages sombres s'entasser les uns sur les autres dans le ciel qui s'obscurcit doucement. Tout me semble soudain paradoxal entre l'extérieur et l'intérieur de la maison. Tout semble plus morose. C'est comme si le monde extérieur, cette nuit, montrait la pire de ses facettes.
Je décide au bout d'un instant de m'asseoir à côté de Rebecca. Elle se tourne alors vers moi dans un petit sursaut.
-Oh ! Myla. Désolée, je rentre bientôt je... C'est juste... La pluie. 'fin, t'es pas obligée de rester.
Nous échangeons un regard avant de toutes deux fixer le paysage quelque peu triste. Même la lune se cache et refuse de se montrer au milieu de ce si triste ciel de gros nuages.
-T'as grave géré avec Minou tout à l'heure. Bravo, finit par me dire dans un petit sourire quelque peu forcé Rebecca.
Je lui souris en retour pour la remercier. J'ai cru que j'allais faire un arrêt cardiaque quand j'ai compris que je tenais entre mes mains la plus grosse araignée que je n'ai jamais vu de ma vie...
Voyant l'air si sombre et renfermé de Rebecca, je lui demande sur mon portable :
_Ça va ?_
Soudain, elle pointe du doigt les cieux et me chuchote :
-Tu vois ces gros nuages qui se rapprochent ? Ce sont des nimbostratus... Ils annoncent la pluie. Ou peut-être la neige...
Elle enroule ses genoux de ses bras.
Plus que jamais elle me paraît fragile dans son gros pull tout noir et tout troué qui semble l'avaler toute entière.
Je décide donc maladroitement de poser ma main sur son épaule. Comme lui signifiant qu'elle n'est pas seule dans cet univers terrifiant.
Son visage se tourne vers le mien et je vois alors ses yeux aussi gris que ces nuages gorgés de pluie, me détailler silencieusement.
Et je repense à ce qu'elle a dit plus tôt... Sur l'apparence physique.
Rebecca n'est pas d'une beauté sulfurante... Je veux dire par là qu'elle n'est pas parfaite et qu'elle ne cherche pas à le cacher, contrairement à la plupart des gens.
Ses dents ne sont pas droites et pourtant elle s'en moque et sourit souvent. Son nez ne passe pas inaperçu également mais il n'empêche qu'elle le fronce tout le temps quand un sujet lui déplaît. Elle est très pâle mais elle ne s'amuse pas à le cacher avec du fond de teint ou tout autre produit de beauté. Elle le laisse tel qu'il est.
Elle s'accepte, comme elle est.
Elle est fière et elle a raison.
Je me rends alors compte que ça n'a pas d'importance. Que ça n'a jamais compté, la beauté. Parce qu'il y a dans ses yeux des choses qui brillent et scintillent avec tellement de bienveillance que c'est tout son être qui en est subjugué ! C'est cela, la véritable beauté.
Je suis là. Je la regarde et je suis choquée de me percuter à un regard si mâture... Si rempli d'une force que j'ignore.
-Quand j'avais... Quoi ? Cinq ans, mon père s'est barré avec une autre meuf plus belle, plus riche et surtout plus jeune que ma mère.
Je tire vivement de ma poche mon portable.
_Adam m'a un peu parlé du fait que tu avais peur de la pluie et que tu évitais d'aborder ce sujet avec les gens, parce que ça te rappelais des souvenirs dont tu n'aimes pas parler.
Je sais ce que c'est. Crois moi.
Alors ne t'inquiète pas tu n'es pas obligée de m'en parler, je comprends..._
Rebecca reste bloquée sur mon visage à me regarder longuement. Un petit sourire s'étire sur les coins de sa bouche.
-Je te ne voyais pas du tout comme ça, tu sais. Au début je croyais même que Gwendoline était toi.
Voyant que je fronce les sourcils, elle se redresse et reprend.
-Je veux dire... Adam nous a parlé un peu de toi et je t'imaginais... Moins calme, moins observatrice et plus impulsive, moins effacée aussi. En fait, je pensais pas que vous vous opposeriez autant Adam et toi. Ça m'a surprise.
Je me renfrogne malgré moi et lui écrit :
_Pas trop déçue toutefois ?_
Rebecca me lance un étrange sourire que je ne suis pas certaine de comprendre.
-Absolument pas, au contraire même. Je comprends maintenant.
Je fronce à nouveau les sourcils mais cette fois, Rebecca fait semblant de ne pas voir l'incompréhension qui se peint sur mes traits.
Elle se tourne vers le ciel.
-Je vais te raconter mon enfance, Myla parce que j'ai envie... Mais me prends pas en pitié s'il te plait ! J'aime pas trop ça et toute cette histoire m'a permise d'être ce que je suis aujourd'hui... Et je suis fière d'être ce que je suis à présent. Mais juste... Promets moi de ne pas t'enfuir en courant et de ne pas me laisser seule en train de me dévoiler comme ça... Ou d'en parler à Adam ou Aaron. Un jour je leur en parlerai mais pour l'instant, j'en ai pas la force.
Je hoche furtivement la tête avant de tendre vers elle mon index. Elle s'en empare avec son propre index vernis de noir. Notre promesse se retrouve alors célée. Rebecca inspire rapidement par la bouche avant de continuer son histoire.
-Ma mère a pété un câble après que mon père nous ait abandonnées aussi salement. Et pendant presque quatre putains d'années j'ai dû subir... Sa folie grandissante.
Sa voix tremble légèrement après ces mots. Je n'ose plus poser de questions ou même tenter de l'interrompre. Je suis comme paralysée.
-Elle me répétait tout le temps que c'était de ma faute s'il était parti. Que, depuis que j'étais rentrée dans leur vie plus rien n'était pareil. Elle me disait que son corps était devenu dégueulasse après la grossesse, qu'elle était trop grosse, trop vieille, trop fripée... Que je n'étais qu'une sorte de monstre, une erreur de la nature, qu'il fallait sans cesse chercher à me purifier du mal. Qu'elle avait perdu sa jeunesse et que mon père de l'aimait plus pour cette raison. Que s'il était parti, c'était de ma faute à moi.
Elle me lance un regard hanté par les souvenirs. Un regard, que j'ai déjà croisé bien plus d'une fois dans le vieux miroir de ma chambre.
-Chaque fois qu'il pleuvait, que j'entendais la pluie claquer sur la toiture, elle m'attrapait par le bras, me soulevait comme si je ne valais plus rien et elle me jetait dehors, dans le jardin, sous la pluie jusqu'à ce que celle-ci se calme. De jour comme de nuit. Elle disait qu'il fallait me purifier, que la pluie m'aiderait, que mon père reviendrait quand j'aurai parfaitement compris mon erreur d'être née. Quand le mal aurait quitté mon corps. Je me souviens qu'au début je frappais la porte jusqu'à ce que mes petits poings soient tout abîmés et puis... Au bout que quelques années, je m'allongais juste par terre, sous la pluie et face au ciel et j'essayais de regarder les nuages. De savoir quand tout ça allait s'arrêter. Parfois ça m'arrivait d'avoir du mal à respirer sous la pluie, de frôler quelques crises de panique, de sentir mon cœur battre trop vite, de tomber malade, d'entendre la pluie claquer partout autour de moi et sur moi... De m'évanouir aussi. J'étais terrifiée. Tout le temps.
Un frisson glisse contre mon épiderme. J'ai les larmes aux yeux face à cette violence que même le choix des mots ne parviennent pas à alléger.
-Je crois que c'est une voisine qui a fini par appeler la police quand elle s'est rendue compte qu'il se passait un truc vraiment pas net. Au bout de quatre ans. J'ai été retirée de la garde de mes parents, mise à l'adoption et je n'ai plus eu aucun contact ni avec ma mère ni avec mon père. Je ne sais absolument pas ce qu'ils sont devenus, peut-être qu'ils sont morts, en prison, qu'est-ce que j'en sais ? Mais... Je m'en fou. Il n'y a plus que ma famille adoptive qui compte.
Elle relâche la pression de ses doigts autour de ses genoux pour écarter discrètement une larme qui n'a pas eu d'autre choix que de s'écouler.
-Ma famille adoptive a dû attendre des années et des années et... Des années avant qu'on leur accepte enfin d'adopter un enfant. Quand ils m'ont enfin eu, ils étaient tellement émus et remplis de joie que ça m'a bouleversée. Je ne comprenais pas ce sentiment qui brillaient dans leurs yeux... Cet amour pour un enfant qu'ils connaissaient à peine alors que ma mère, qui m'avait toujours connue et même portée dans son ventre, ne m'aimait même pas ! Mais on est grave heureux maintenant. Je suis heureuse avec ces deux pères plus qu'aimants qui m'ont appris à aimer !
_Tu as été adoptée par deux hommes ?_
-Ouais. Mais s'il te plaît ne pose pas de question chelou genre : "Waouh c'est trop bien, mais tu trouves pas qu'il te manque un côté féminin, genre maternelle ?" ou encore " ah mais du coup t'es lesbienne ?".
J'enregistre mentalement les questions qu'il vaut mieux que j'évite de lui poser.
-Du coup voilà le global de l'histoire... Je t'ai évité certains détails mais globalement... Voilà. Je ne sais pas pourquoi mais toute l'agitation dans la maison, les gros nuages que je voyais par les fenêtres, le bruit du verre cassé, la course, le stress, l'alcool aussi... Ça m'a mise mal à l'aise... Désolée j'ai pété toute l'ambiance, encore, c'est vraiment pas cool.
Elle colle son épaule à la mienne, comme ayant terriblement besoin d'un contact physique avec quelqu'un après s'être révélée autant à une personne qu'elle connaît depuis seulement quelques heures.
Une question toutefois me taraude et ne veut pas me quitter.
_Pourquoi me dis-tu tout ça à moi ?_
-Parce que... Déjà mon psy a dit qu'il serait bien de réussir à en parler à une personne de confiance... Et puis, surtout, Adam m'a un jour dit qu'il avait réussi à te parler de son frère comme jamais il ne l'avait fait avec personne. Je voulais comprendre pourquoi et maintenant je sais.
_Alors pourquoi ?_
-Parce que tu es rassurante, Myla. Tu es calme... On pourrait te confier toutes les peines du monde que tu serais encore là, à écouter doucement, à compatir... Je suis sûre que tu es du genre à chercher des solutions quand une personne ne va pas top. Tu es là et tu ne juges pas ce que tu entends. Dans tes yeux c'est l'écoute, l'observation, le non jugement. C'est rassurant de se savoir un peu compris parfois. Et puis, t'es la première personne à m'avoir dit clairement que je n'étais pas obligée de t'en parler, rien que pour ça j'avais envie de le faire.
Elle reste silencieuse un moment avant de rire doucement et de m'avouer :
-Bon si je te dis tout ça c'est aussi parce qu'on ne se connaît pas plus que ça, que tu n'es pas du genre très bavarde et que c'est plus simple de parler avec des gens que l'on vient tout juste de rencontrer qu'avec des personnes que l'on connaît depuis toujours...
Je ne peux qu'approuver ce qu'elle vient de dire. Après tout, Adam et moi ne nous connaissons pas depuis si longtemps que cela... Même si j'ai l'impression de l'avoir toujours connu.
Soudain, Aaron apparaît sur le poche en ouvrant en grand la porte d'entrée. Le sourire aux lèvres.
-Alors les filles, vous venez ? Les pop corn sont enfin prêts, les morceaux de terrarium sont tous dans la poubelle ! Oh et Gwen a trouvé des bonbecs !
Rebecca se tourne vers lui et lui répond dans un clin d'œil :
-Oui, on arrive !
Quand Aaron disparaît, elle se lève en époussetant ses fesses. Quand je me relève à mon tour, elle m'attrape par le bras et je croise son regard acier.
-Tu sais, Adam n'osera pas.
Je fronce les sourcils et mon cœur se serre dans ma poitrine.
Voyant que je ne comprends pas où elle veut en venir, Rebecca poursuit :
-Ce sera à toi de faire le premier pas, Myla. Parce qu'Adam a tendance à croire qu'il ne mérite pas les choses qui le rendent heureux. Et tu le rends vraiment heureux, Myla, même s'il ne te le dit pas. Alors il n'osera pas.
Elle me relâche et fixe la porte, comme si elle pouvait y voir Adam au travers.
-Je sais pas comment tu fais ça mais, ça faisait un bail qu'il n'avait pas souri aussi véritablement. Avec toi, il ne sourit pas parce qu'il dit une connerie ou parce qu'il aime cette image de lui toujours souriant... Il sourit parce qu'il y a toi et rien d'autre que toi et ta personnalité.
Ne sachant que répondre, je décide de ne rien dire. Je lui montre alors la porte du doigt, lui suggérant que l'on devrait peut-être rentrer.
À peine a-t-on entrouvert la porte d'entrée que derrière nous, j'entends les premières gouttes d'eau tomber.
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