Silence des mots

M Y L A

Des mots.

J'en connais des millions de milliards. Comme toi j'imagine.

Une infinité de mots qui tourbillonnent dans mon esprit pour tenter vainement de s'échapper.

Mais leur prison, aussi belle et mélancolique soit-elle, reste close et damne mes mots par mon esprit.

Merci. Au revoir. Parapluie. Musique. Mouchoir. Gentil. Jeu. Maison. Courage. Ami. Hypothétique. Aimer...

La liste est longue et je n'en prononce jamais aucun. Aucun mot. Sinon ma bouche accomplirait le miracle !

Les mots ne sont que des bruits d'une vie courte et triste, bercée par l'habitude. Les gens sont tellement habitués à les utiliser, qu'ils en oublient leurs sens. Leur importance. Ils ne pensent plus qu'à les utiliser. Ils inventent un nouveau sens aux mots. Effacent le reste. Espèrent rester dans la justesse des compréhensions. Mais ne ils ne comprennent rien. Jamais. Plus rien aux sens qu'ils ont éructé aux mots. Tout devient soudain trouble et sans sens. Tout se perd et tout le monde s'en moque.

As-tu oublié, toi, plongée dans le silence, ce que c'était de parler ? As-tu oublié les consonances que ta magnifique voix interprétait ? Des octaves puissants, plus beaux que toutes chansons n'auraient pu inventer ?

Moi en tout cas, je n'ai rien oublié. Rien de ce qui doit être souvenu ne m'a quitté.

Je ne peux pas oublier ce que je ne prononce jamais. Je l'espère du moins.

_ Je n'allais pas sauter, si cela peut te rassurer._

Les mots ont gratté le papier jaune, ils se sont inscrits au noir et ne peuvent plus s'effacer.

J'enlève le post-it marqué par l'encre de ma parole silencieuse et le colle sur ma pochette. Je tends celle-ci et le stylo transperceur de mes mots au jeune homme aux milles expressions.

Pendant un long moment, il lit mon petit mot, le front barré par l'incompréhension. Puis, il prend mon crayon et écrit sur un autre morceau de papier carré. Lentement. Comme s'il s'appliquait. Qu'il prennait son temps. Qu'il n'était pas pressé ou qu'il luttait contre les secondes.

Son visage est dur et semble colérique. Une rage, qui n'est point planté vers moi, mais plutôt vers le monde en général. Je me demande soudain pourquoi.

Il me redonne la pochette marquée à présent de deux post-it solidaires dans leur solitude.

-Qu'étais-tu en train de faire alors ?-

S'ensuit alors un petit dialogue entre ce garçon à l'apparence écartelé en plusieurs émotions colériques et moi-même, qui dura plusieurs post-it jaunes.

_J'admirais la vue, d'un point de vue terrifiant._

-Il y a mieux comme terrifiant.
Tu te fous forcément de moi, ma belle. Et je ne suis pas dupe à tes conneries.-

_Le pont aurait pû s'écrouler sous mes pieds, la rivière aurait pu emporter au loin mon corps fracassé contre les rochers aiguisées.
Qu'y a-t-il de plus terrifiant que l'eau qui t'emporte et te noie, qui rempli tes poumons d'eau noire ?_

-Je suis Adam et très content de ne pas t'avoir repêchée. Je suis mauvais pêcheur, mais sais bien pécher...-

_Oh, en effet, Adam est un nom terrifiant !_

-Ça n'est pas le nom qui doit être terrifiant. L'apparence est un trompe l'oeil pour quiconque s'y attarde trop.-

_D'accord.
Alors je m'appelle Myla, ravie de faire la connaissance de ton apparence trompe l'oeil._

Je tends alors ma main dans les airs en attendant qu'il l'empoigne.

Il lève la tête de mon écriture. Il me regarde, comme s'il hésitait. Sais-tu toi, pourquoi il hésite ? Ce n'est qu'une main après tout... Qu'une rencontre parmi tant d'autres faites dans le passé et qu'il fera dans le futur.

Pendant un brève instant, son visage devient plus grave qu'à l'origine. Sa bouche se serre et se tord. Comme si elle luttait contre l'envie de cracher au monde ses quatre puissantes vérités.

Puis, tout se détend. Il sourit de ses dents blanches, son front se froisse et ses yeux s'assombrissent.

Il prend mes doigts dans les siens et nous échangeons une poignée amicale. Sa main est froide. Elle a sans aucun doute absorbée la température environnante dans lequel toi et moi sommes coincés avec lui et le monde.

Avant même que je n'ai pu serrer davantage cette main à la paume gargantuesque et observer ce gigantesque sourire peint sur ses lèvres comme un douloureux masque, il retire sa main de la mienne.

Et il part sans se retourner. Me laissant là, pantelante dans le froid que sa main m'a laissé toucher.

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