Révéler et comprendre nos incompréhensions

A D A M

Je soupire et gratte sauvagement mes cheveux au travers de mon bonnet blanc. La nuit n'est pas encore en train de tomber mais ça ne saurait tarder, alors je me dépêche de rentrer, l'esprit encore rempli par ce qu'a dit Gabriel.

Il va essayer, il va se battre pour sortir de ce putain d'hôpital et bientôt, on ne mettra plus les pieds dedans. Bientôt les médecins trouveront les médocs parfaitement adaptés à lui, à sa maladie et tout ira très bien. Il redeviendra lucide et poura vivre presque normalement.

Des tonnes de personnes atteintes de schizophrénie arrivent à avoir une vie normale avec un traitement adapté et je suis certain que Gabriel n'échappera pas à cette règle. Il commence déjà à être un peu plus présent dans le réel qu'avant.

Je finis par monter mon petit perron et ouvrir la porte qui n'est étrangement pas verrouillée.

Surpris je me retrouve face à ma mère en train d'enlever son manteau.

-Euh, salut ? suis-je seulement capable de dire sur le moment.

Sa tête se tourne vers moi, ses cheveux volent tout partout dans la précipitation du mouvement et je vois ses yeux détailler pendant un instant mes plaies au visage, en silence.

-Oh, coucou mon chéri... Ça va ?

Une des dernières personnes à m'avoir posé cette question et à s'en être vraiment inquiétée n'est autre que Myla... Et on a fini par danser sur le Pont en se révélant des choses que je n'aurai pas pensé être capable d'exprimer. Je décide de détourner la conversation tout en fermant à clef la porte derrière moi :

-Tu es déjà rentrée ?

-Oui j'ai fini plus tôt que prévu !

Un sourire las mais heureux d'être enfin chez soi ravive son visage et laisse entrevoir la joie que ma mère arrive doucement à reconstruire en elle.

Elle tend un bras vers moi pour récupérer mon manteau et l'accroche au porte manteau, avec le sien.

-Cool.

Je lui rends son sourire malgré moi, parce que c'est dans ma nature de sourire et que c'est ma mère. Elle mérite de voir un sourire sur mon visage, le bonheur dans les yeux de son fils même si tout est mensonge.

-Ton père est parti faire les courses. Il ne devrait pas tarder je pense, dit ma mère après quelques minutes passées dans le silence.

Je suis donc seul avec ma mère et je n'aurai pas à affronter mon père encore une fois ou à devoir nous expliquer sur le pacte qu'on a passé en rapport avec Gabriel et mon attitude au lycée. Ça fait longuement que je n'ai pas été seul avec ma mère en plus, un peu de temps pour rattraper tout ce qu'on a perdu ne peut que nous faire du bien.

-Tu veux regarder un film, tu sais, comme avant... ? je demande lentement, par peur qu'elle refuse en bloc.

Je lève les yeux vers ma mère et ose croiser son regard doux et fatigué, triste et me suppliant de ne pas la laisser seule parce que la solitude, elle ne sait pas la gérer.

Alors je la regarde approuver de la tête avec de magnifiques yeux brillants, comme ceux de Gabriel. Les mains dans les poches je lui demande donc ce qu'elle veut regarder.

-Je ne sais pas du tout... Un film d'action peut-être ?

On s'assoit dans le canapé comme un seul homme et ma mère fait défiler les films et séries. Je la laisse choisir et on finit par regarder un film avec un titre hyper long que je ne retiens pas. Je n'écoute pas vraiment ce qu'il se passe, préoccupé par trop de chose pour réussir à me concentrer sur l'histoire. Je vois juste des formes bouger et se taper dessus dans des grimaces presque marrantes.

Alors qu'une nouvelle scène de bagarre éclate, je me tourne vers ma mère, qui ne semble pas plus concentrée que moi d'ailleurs.

Au lieu de tenter de savoir ce que les médecins lui ont dit à propos de l'état de mon frère, je m'arrête, m'inquiète soudain tandis qu'elle me dévisage et lui demande :

-Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Y a un problème ?

Ma mère secoue la tête et me sourit à nouveau en glissant ses longs doigts maternels dans mes cheveux sombres. C'est si rare qu'elle fasse un tel geste ces derniers temps, que je me sens trop choqué pour la repousser et je la laisse faire. Je baisse le son de la télé pour entendre ce qu'elle va bien pouvoir finir par me dire.

-Non. Juste, ces derniers temps tu as grandi très vite...

Je soupire de soulagement parce que je dois dire que je m'attendais à une mauvaise nouvelle ou quelque chose comme ça. Pour détendre un peu plus l'atmosphère, je me marre et dis :

-Tu crois pas que je suis assez grand comme ça ? Je dépasse Aaron d'une tête minimum. Et encore, dire une tête minimum c'est très gentil de ma part !

Les dents de ma mère se découvrent comme il y a longtemps qu'elle ne l'avait plus fait et comme je n'espérais plus qu'elle le refasse un jour, pour tout dire...

-Mais non, pas grandi dans ce sens... Plutôt dans le sens plus... Mature ?

Je m'étouffe avec ma salive en tentant d'étouffer un rire ironique, allez comprendre comment !

-Maman, j'ai voulu casser la gueule à un mec et j'ai eu deux heures de colle pour ça. Désolé hein, mais c'est pas vraiment une preuve de grande maturité.

Ma mère retire sa mains de mes cheveux et détaille mes bleues avec cet air maternel propre à elle-même. Elle se recale sur le canapé et pose ses mains juste devant elle, ce qui signifie clairement qu'elle sait quelque chose que je ne sais pas encore...

-J'ai eu Aaron au téléphone il n'y a pas très longtemps.

Mon œil tique et j'avale ma salive laborieusement pendant que ma mère me détaille attentivement en essayant de me comprendre du plus profond de son âme.

-Il m'a dit que, certes, c'est toi qui avait provoqué ce type... Mais tu ne l'as pas frappé une seule fois. Tu sais qu'il n'a presque aucune marque de coup sur le corps ou le visage, l'autre garçon ? Tu t'ai laissé faire.

Je croise le regard de ma mère et elle doit y lire toute ma détresse puisque ses yeux s'embrument et qu'elle me dit d'une voix douloureusement basse :

-Tu n'as pas le droit de te punir comme ça, Adam. Tu n'y es pour rien dans l'histoire de ton...

-Tu sais que je l'ai poussée à bout ? Que... J'ai fait en sorte que ses remords soient insoutenables, dis-je avant qu'elle n'ait pu en dire plus.

Elle sait exactement de quoi et de qui je parle, alors le silence s'opère entre nous sans qu'on sache comment le briser.

Mes yeux s'égarent dans le salon, je fixe un moment les personnages du film qui parlent à toute vitesse, puis mon regard tombe sur le terrarium de Minou, immobile dans sa prison de verre. Ses grandes pattes noires et poilus me dégoute en plus de son abdomen tout rond qui me donne des frissons.

Je me racle la gorge et poursuis :

-Et mon père alors ? T'as oublié que j'ai failli lui foutre un coup de poing dans la gueule ? C'était mâture ça aussi ?

-Tu ne l'as pas fait. Tu t'es arrêté avant.

-Non, c'est lui qui m'a arrêté, moi j'allais continuer !

-Non, Adam. Tu t'es arrêté, insiste ma mère avant de se lever et de recroiser mon regard. Écoute je sais que c'est tendu entre vous mais tu sais, il t'...

-Est-ce qu'il m'en veut ? demandé-je en la coupant une fois de plus avant qu'elle ne dise une connerie.

Je vois ma mère froncer les sourcils et ne pas comprendre ma question.

-Pourquoi ?

Je sens comme une boule s'incruster dans ma gorge et ne plus la quitter, la honte glisser partout sur ma peau avec une douleur qui manque de m'étouffer sur ce vieux canapé et de m'y laisser crever.

-Pour être ce que je suis ?

Égoïste, impulsif, presque toujours en colère contre lui, de le détester à cause de Gabriel,... , ne puis-je m'empêcher de rajouter dans ma propre caboche.

-Non, m'avoue sereinement ma mère, avec une certitude qui me fait vaciller plus que je ne le devrais.

-Moi je lui en veux, dis-je après une hésitation.

Ma mère se met alors à ma hauteur en pliant ses genoux et plante ses yeux dans les miens avec une douceur et un amour sans faille qui me fait tressaillir.

-Tu sais les gens ont des raisons de réagir comme ils réagissent... Et je ne vais pas te demander d'essayer de tolérer le comment et le pourquoi ils réagissent comme ça. N'essaies pas de tolérer pourquoi ton père se refuse d'aller rendre visite à Gabriel. Je ne pense pas que tu en serais capable. Toutefois, je te demande juste... D'essayer de comprendre sa réaction et sa manière de réagir. Parce que derrière chaque acte d'une personne, il y a une raison précise qu'il faut s'évertuer à comprendre, même et surtout quand ça paraît difficile.

-Mais je peux pas, je lui chuchote, la gorge toujours nouée.

-Peut-être pas encore mais je suis certaine que ça viendra avec le temps, Adam.

-Tu tolère sa réaction ?

Je vois sa bouche s'ouvrir une seconde avant de se fermer. Elle se relève lentement et me répond :

-Non. Mais je comprends, comme je te l'ai dit.

Un poids sur mes épaules s'envole bizarrement sans que je ne sache exactement pourquoi et je commence un peu à comprendre où veut en venir ma mère.

Avant de se rassoir sur le canapé, elle se tourne une dernière fois vers moi et me demande :

-Ce week-end, ton père veut qu'on aille faire de la randonnée. On va pouvoir déballer nos vieilles tentes qui sont dans le garage depuis un bon moment ! On fera de beaux feu de camps et on brûlera des chamallow...

Je lâche une grimace dubitative parce que je déteste la randonnée avec ces tentes beaucoup trop petites, en plus on est en pleine saison d'hiver, on va se les cailler sa race.

Et puis, chaque fois qu'on faisait de la randonnée en famille, il y avait Gabriel. Dormir dans une tente sans mon frère, brûler des trucs dans le feu sans lui, rire et fumer en cachette sans Gab... Ça me paraît impossible parce qu'il a toujours été là et qu'il doit toujours être là.

-Je suis obligé de venir ? Vous pouvez pas y aller... J'sais pas, en amoureux ?

-Tu es obligé, soupire ma mère en levant les yeux au ciel. Ordre du patron.

-J'ai pleins de devoirs à faire, insisté-je.

-Eh bien tu les feras le samedi avant que l'on parte.

-Et si j'y vais pas pour essayer de comprendre pourquoi mon père ne veut pas aller voir Gab à l'hôpital et pour essayer d'un peu moins lui en vouloir pour ça ? je demande alors dans un ultime recours. S'il te plaît !

Ma mère hausse un sourcil et croise les bras, pas vraiment certaine de mes paroles.

-En quoi ne pas faire du camping avec nous va t'aider à faire ça ?

-J'aurai le temps de réfléchir loin de lui, le temps... Oui, le temps d'essayer de me mettre à sa place pour comprendre sa réaction face à Gab ?

Je vois ma mère vaciller et hésiter.

-Bon... Très bien. Mais attention ! Interdiction de faire la fête le samedi soir parce que ton père ne sera absolument pas pour !

J'approuve de la tête plusieurs fois, trop heureux d'avoir un week-end loin du regard pesant de mon père constamment sur mon dos.

J'augmente le son de la télé et on essaie tous les deux vaguement de suivre l'histoire qui ne veut plus rien dire du tout, ni pour moi, ni pour ma mère.

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