Réponses dans l'âme

M Y L A

Je reste un instant silencieuse après ces mots. Ses mots... Je n'ose plus lui poser d'autres questions. Lui non plus n'ose plus.

Nous regardons le pont et son atmosphère qui, doucement se gèle au rythme de la nuit qui chute et endort le soleil.

Je contemple à mes pieds deux escargots qui se coursent dans le froid. Je les regarde tour à tour baver, suer et postilloner des murmures que même le vent est incapable d'emporter jusqu'à la moindre oreille humaine. Alors je tends l'oreille au monde qui s'émerveille de son éveil. Je tends l'oreille... Et pourrais presque t'entendre par dessus les symphonies du vent chanter tout doucement cette chanson qui aurait dû me faire comprendre ta douleur...

Soudain, Adam reprend la parole pour changer de sujet :

-T'as lu ma dernière lettre ?

J'affirme de la tête. Mon cœur se gonfle du souvenir des mots. De Gwen et moi dans le petit café. De l'odeur du capuchino entre mes doigts gelés. De la pluie qui tempêtait contre la vitre et s'amusait à tout tremper.

Et je me laisse bercer par la voix d'Adam qui résonne encore après ces quelques paroles.

Elle est grave. La colère fait vibrer sa voix, même quand il ne l'est plus. Comme un fragment qui reste et qui ne s'efface plus. Pourtant, malgré cela, je ressens une vive douceur que la douleur semble vouloir garder pour elle, quitte à l'emprisonner à tout jamais.

Elle est très différente de ta voix et pourtant... Pourtant il n'empêche que je repense à la tienne en écoutant la sienne. Celle que je tente de ne jamais oublier avant de supplier la voir partir. Je réentends, tel un vieux soupire brisé et grésillant, le tymbre d'une voix douce et calme qui ne peut être que tienne. Je la réentends dans mes oreilles. Tes dernières paroles dans le téléphone. Dans un vieux souvenir auquel il est vain et futil d'espérer échapper.

"Ce que j'ai fait m'a rendue inhumaine. Je ne mérite plus ce que j'ai. Pardonne moi."

Adam tourne son visage vers moi et entoure ses genoux de ses longs bras. C'est comme s'il se formait une carapace, face à ce qu'il révèle à haute voix. Face à tout ce que lui aboie le monde.

-Et alors ? Est-ce que t'as quelques réponses à me donner, qui pourraient peut-être m'aider ?

_Je suis dans le lycée Mandela, en effet, pas le même que le tien._

Un rire lui échappe et mon nez se fronce.

-J'avais presque oublié cette question, dit-il dans un soupir que la nuit semble emporter. C'est plutôt la deuxième que je voudrais connaître.

Je lève la tête vers la lune qui nous éclaire dans ses rayons volés au soleil. Je repense aux mots utilisés dans la lettre d'Adam.

-Si quelqu'un te demandait, un jour, de faire quelque chose, avec l'intention de te rendre meilleur mais que tu refusais, parce que ça effacerait en toi tes principes les plus enracinés, ta propre doctrine...
Que choisirais-tu ?-

Je me mets en tailleur. La pierre sous mes jambes recroquevillées soupire ce changement de position. Sous les pierres que le pont s'amuse à entasser et à garder pour lui, l'eau chantonne quelques douces et tempêtueuses paroles. Le froid glisse contre mon épiderme et je cache un frisson en écrivant quelques mots.

_Certains principes s'avèrent être nocifs... Parfois il est préférable de les regarder s'effacer_

-Nocifs... Mais les humains ne le sont-ils pas ? Pourquoi faire disparaître ce qui paraît humain en nous si je ne le veux pas ?-

Je me tourne vers lui en fronçant les sourcils. Je fixe la profondeur de ses yeux noirs où brillent la flamme de la colère d'une âme qui se noie.

Je regarde cet être qui me fait face dans ses peines et ses secrets qu'il est incapable de garder en lui. Dans sa noirceur et tout ce blanc qui l'entoure et qu'il n'ose s'avouer. Qu'il n'ose laisser entrer en son âme. Qu'il laisse juste flotter autour de lui comme le vieux drap blanc d'un fantôme égaré.

_Tu ne veux pas être meilleur ?_

-Je le suis déjà... Tu sais, meilleur... -

Je décide de chercher du regard ces deux escargots qui espéraient gagner contre l'éternité des pierres qu'ils parcouraient et leur nature lente. Mais je ne les trouve plus dans la nuit nébuleuse où tout se perd, se révèle et se tait.

Je tappe sur mon téléphone mon incompréhension, puis le montre à Adam.

_Je ne comprends pas_

-Quoi ?-

_Toi. _

Il me fixe un moment comme si je venais de lui révéler que j'étais Michelle Obama en personne.

Enfin, il se détourne pour fixer son portable.

Au bout de quelques instants où le silence semblait avoir imprégné nos corps et nos peaux pour percer de plein fouet le tréfond de nos âmes, il finit par écrire.

-Moi non plus je n'arrive foutrement pas à te comprendre.-

_Si tu étais meilleur, pourquoi aurais-tu peur de voir disparaître tes principes ?_

Adam semble réfléchir.

-T'es pas conne...-

_Toi non plus. Tu le verrais si tu ne te mentais pas sans cesse à toi même_

-Je ne suis pas un menteur, bordel ! Arrêtez avec ça !

Je ferme la bouche que j'ai ouverte sans m'en rendre compte. Je fixe ses longues mains se crisper contre ses genoux. Il renifle en me fusillant d'un regard sombre que le chagrin semble engloutir tout entier.

Une boule me prend à la gorge. Ce chagrin me replonge dans le mien. Dans le tien aussi, d'une certaine et épouventable manière.

Je décide de tout oublier. Mes peines. Mes tourments. Mon passé. Je pense à l'instant. Le présent.

Pendant une fraction de seconde je t'oublie. Je pense à Adam et je change de sujet.

_Pourquoi t'es-tu enfui la première fois qu'on s'est rencontré ?_

-Ça n'a foutrement RIEN à voir avec notre conversation, Myla.

Je baisse les yeux et joue un instant, dans l'obscurité tacite de la galaxie, avec l'inégalité des pierres sous mes orteils.

_Notre conversation te blesse_

-Pas plus que la vie.-

_Notre conversation fait partie de la vie... Tu te fourvoies donc_

Un soupire s'échappe de mes narine et forme une sorte de buée pâle qui s'envole dans la nuit. Sans un mot. Sans un au revoir.

-C'est... C'est juste que...

Il se tait, ne pouvant aller plus loin. Il prend son téléphone et écrit avant de me le tendre à nouveau.

-Mon prof d'art veut que je prenne quelque chose que je trouve magnifique en photo-

-Je sais que c'est très con de buter sur un truc aussi... Aussi simple mais je ne peux pas, rajoute-t-il en fronçant ses sourcils, dans l'incompréhension que l'univers, les étoiles et l'infinie ne veulent plus se partager avec lui. Ça ne devrait pas avoir autant d'impact sur moi mais... J'sais pas.

_Je comprends.
Peut-être que tu ne le peux pas maintenant mais... Laisse le temps décider ? Un jour, sûrement, tu y arriveras._

Il souffle à son tour, faisant dévaler une nuée blanche et immaculée qui finit par disparaître, presque avant même de s'être formée. Il lâche un "d'accord" faisant se retrousser ses lèvres et briller les constellations qui giclent de ses yeux nuités.

-Je ne me suis pas enfui. Je suis parti, la première fois qu'on s'est vu.

_Pourquoi ?_

Il a haussé les épaules avant de me dire :

-Parceque je ne te comprends pas. Je n'arrive pas à te voir comme je vois les autres et c'est...

Il penche un instant sa tête sur le côté et plisse les yeux. Comme cherchant un mot qui ne vient pas. Il fixe le mur en face du notre et lâche seulement un mot :

-Troublant.

_Et qu'est-ce que tu vois de différent des autres chez moi ?_

Un nouveau sourire s'esquisse sur son visage angôleur.

-Je ne sais pas. Tout ? Rien ?-

_Tu voles mes mots ! _

-C'est vrai-

_Tu n'as pas le droit de les utiliser contre moi !_

-C'est pourtant ce que j'ai fait-

Je l'ai frappé à l'arrière de la tête et il a éclaté de rire avant de retrouver son sérieux. Mais sans perdre son sourire joueur.

-Donne-moi ton numéro. C'est très con de se tendre tour à tour nos téléphones alors qu'on peut juste s'échanger nos numéros et parler pas SMS.-

Je suis restée peut-être un peu trop longtemps interdite face à ces mots écrits sur son écran lumineux. Mais ce qu'il venait d'écrire s'était présentée si soudainement que ça ne pouvait juste que me laisser stupéfaite.

_Tu l'auras, la prochaine fois qu'on se verra _

-Parce qu'on se reverra ?-

_Si tu reviens ici, oui_

-Je suis un oiseau du matin, l'aurais-tu oublié ?-

_Non mais ne t'inquiète pas je me suis reconvertie à l'aube_

Ses bras lâchent alors ses genoux. Il se lève, me fixe un moment avant de renifler à nouveau. Adam enlève mon manteau et me le tend.

Nous savons que, bientôt nous devrons retourner dans nos maisons respectives. La tristesse d'un au revoir nous replonge dans une sorte de mélancolie remplie par l'espoir de se revoir.

-Tiens. Tes lèvres sont en train de virer au bleu.

J'attrape mon blouson avant de le serrer contre mon corps tout froid. Le manteau garde encore la chaleur d'Adam. Un Adam vivant, possédant un cœur qui bat fort, bien malgré ce qu'il peut penser, et qui réchauffe son corps élancé. Son odeur est imprimée dessus.

Il hésite un long moment avant de finir par me dire :

-Tu sais... J'aimerai me barrer de cette ville de merde.

_Moi aussi._

-Mais je ne peux pas.

_Moi non plus. _

Nous n'avons plus dit ni écrit un mot pendant un instant. Et puis, alors qu'Adam allait s'en aller, je lui ai tendu mon téléphone en me relevant d'un bond.

_Un jour ?_

-Quoi un jour ? me demande-t-il dans cette nuit d'étoiles qui semblent se battre pour trouver leur place dans ce ciel si petit pour elles.

_Un jour on s'envolera loin de cette ville.
Un jour, Adam, on sera heureux._

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