La famille avant tout, la famille après tout
A D A M
Je me dis bien souvent que le monde cherche à me zigouiller, à me pendre et à me dépecer vivant de toute humanité...
En gros, la vie cherche toujours la merde avec moi.
Je voudrais la plupart du temps, pour ne pas dire tout le temps, comprendre ce qui cloche chez moi et non chez les autres. Pourquoi cette vie merdique faite de ces choses inhumaines qui feraient mieux de ne jamais exister, existent chez moi ?! Où est donc encore partie se foutre la justice, nom d'un babouin ?
À peine ai-je entrouvert la porte d'entrée que mon père surgit et écarte en grand la fine ouverture dans un fracas terrible, à en faire réveiller les morts assoupis dans leur sommeil de minuit. Moi aussi j'aimerai m'assoupir juste un instant dans mon lit, loin des problèmes de la vie...
Je lance un coup d'œil endormi à la serrure tremblotante et la poignée presque enfoncée dans le mur.
-Vas y molo avec la porte, elle est pas éternellement solide, t'sais.
Mon père ignore complètement ma remarque, le visage impassible, il commence son engueulade :
-On peut savoir ce que tu fous encore à cette heure dehors ? Tu as fini les cours il y a trois heures ! POURQUOI T'ES PAS RENTRÉ DIRECTEMENT ? OÙ T'ÉTAIS NOM DE DIEU ?
Ma mère accourt soudain du salon, les cernes si profondément incrustés sur son visage qu'ils luisent dans la nuit en faisant ressortir sa pâleur naturelle.
Je pousse mon père sans lui répondre et vient embrasser sur la joue cette femme à l'apparence toute chétive qui se tient bien droite derrière la porte. Elle a peut être l'apparence d'une personne fragile, mais elle est loin de l'être réellement. C'est une combattante, qui lutte pour la survie des autres en s'oubliant elle-même, elle est la personne la plus bienveillante qu'il m'a été donné de rencontrer dans ma vie et aussi la plus brave de toutes. Je ne cesse de me demander comment elle a pu épouser un gars aussi égocentrique que mon père et pire, avoir des enfants avec lui...
-Bonsoir maman, alors ? Le boulot, c'était comment aujourd'hui ?
-Le travail d'infirmier est toujours épuisant et intéressant à la fois, mon chéri, me répond-elle en esquivant légèrement ma question d'un geste vague de la main. Et toi les cours ?
Avant que je n'ai pu répondre, la porte d'entrée claque à nouveau, à en faire trembler les murs de cette maison et se décrocher des plafonds la poussière qui s'y tapit à l'ombre des regard depuis toujours.
-Ne l'aide pas changer à de sujet, Abigail !
-Je ne change pas de sujet, je gronde, puis tout bas, trop bas pour qu'ils entendent, j'ajoute : Pas vraiment du moins.
Mon père avance vers moi dans une position qui se veut menaçante. Sauf que ça ne marche absolument pas puisque je fais bien une à deux têtes de plus que lui.
J'ai une vue imprenable sur son crâne luisant de dégout, prêt à se fendre en deux pour que l'humanité entière comprenne la signification de l'écoeurement.
La haine danse dans ses petits yeux de crapauds, des yeux identiques aux miens. Des yeux que je déteste et voudrais aussi bien lui arracher de sa tête que de la mienne. J'aurais voulu ressembler un peu plus à ma mère, cette mère si parfaite qui m'a toujours protégé du mal et de ses compères. C'est elle et elle seule qui accourait dans ma chambre pour asséner de puissants coups de balais à ce monstre tout de noir vêtu qui se planquait sous mon lit pour suçoter mes chevilles.
Même si maintenant ce monstre est revenu de mes années innocentes et qu'il m'effraie aussi bien qu'il me tue, même si cette fois ma mère ne peut plus rien faire contre lui, elle reste l'une des seules choses dans ce monde absurde qui me retient à la vie. Elle, et ce monstre qui s'amuse de moi tant que j'existe.
-T'as dis quoi, Adam ?
Je croise les bras et regarde un moment ma mère avant de me retourner vers mon pseudo-père. Comme j'aime le faire chier et voir l'incompréhension marquer ses traits de con infini !
-Tu ne trouve pas ça amusant ?
-Quoi ? râle-t-il à bout de patience.
-Que la fierté des hommes détruise l'humanité ? À force de se croire invincible, ils ne rendent l'humain que plus mortellement puéril de stupidité.
-Tu racontes que des conneries, fils.
-Ah oui ? Pourtant tu es trop fier pour t'avouer à toi même où j'étais. Au fond tu le sais pertinemment. Et sinon maman, elle, le sait. Elle m'écoute, elle, quand je lui dis où je vais.
Je me tourne vers ma mère, qui, la tête basse, rumine en silence ses idées qui ne cessent de l'épuiser et d'abimer son corps, même quand elle ne travaille plus. Je soupire, le même démon que le mien est caché sous son lit, voilà pourquoi je dois me battre seul contre mes ténèbres depuis quelques temps.
Je décide que je ne peux plus rester là, prisonnier d'un père plein de rage contre son propre sang. Je commence donc à fuir mes deux parents en leur tournant le dos quand mon père me rattrape et m'oblige à me retourner.
Ma mâchoire se serre, je la sens forte, capable de briser mes propres dents sous la douleur que mon âme peine à refouler. Ma mâchoire... Puissante dans mon impuissance, capable de stopper les bruits terrifiants d'un sanglot qui s'étouffe de l'intérieur, à force d'être égaré quelque part ailleurs en moi.
-La prochaine fois que tu rentres aussi tard après les cours, je..., mon père fait une pause et son regard se perd sur mon sac en bandoulière. Je prends ton appareil pendant une semaine entière.
Ma main se pose machinellement sur mon appareil si précieux, cette partie de moi qui accepte de confier ses doutes et sa colère, qui confirme l'injustice du monde que l'on cache.
Je bouillonne, mon corps s'électrise, va éclater comme la foudre vive, froide et brève dans sa force si démesurée.
-Tu n'oserais pas...
Il hausse un sourcil et répond :
-Je suis ton père, je ne vois pas pourquoi je n'oserais pas.
Tandis ma mère tente de stopper une bagarre prête à rugir en se mettant entre nous, mon corps se tend et une envie irrésistible de balancer mon poing dans sa face de connard infini me démange. Ah ! Aaron saurait tellement comment empêcher une bagarre... Mais malheureusement, il n'est pas là.
-Non, chéri, s'il est rentré tard c'est parce qu'... commence ma mère avant d'être interrompue.
-Je sais très bien où il était ! Je ne suis pas un idiot.
Un rire ironique m'échappe.
-C'est comme quand on dit qu'un fou dira toujours qu'il ne l'est pas.
Ma mère se tourne vers moi, horrifiée et je regrette déjà mes paroles. Je fais encore une fois du mal à ma mère, qui n'a pourtant rien fait pour mériter mes réflexions débiles.
-Adam ! s'exclame, outrée ma mère tandis que mon père lutte pour ne pas envoyer son poing sur mon corps revêtu de son apparence taquine. Excuse-toi !
Je me racle la gorge et lâche à mon père :
-Tu ne peux pas m'empêcher d'y aller.
-Bien sûr que si ! gronde-t-il dans une fureur non masquée.
-Je vous en prie, tente une dernière fois ma mère. Stop !
Mon père lance alors un doux regard à ma mère, celui rempli par des reflets cristallins de l'amour, le précieux et rare, celui que l'on est censé ne rencontrer qu'une seule fois dans sa soi-disant existence. Un haut le cœur empoisonne ma raison, mes poings se contractent.
Ma mère se détend face à cet échange silencieux que je ne puis comprendre, sentant déjà la fin de cette querelle. Il pointe soudain un doigt d'accusation sur moi :
-Je. Refuse. Que. Tu. Le. Revois ! Est-ce clair ?!
Je suis estomaqué, je veux parler mais l'air n'est plus. La tête me tourne, la colère douloureuse me fait voir rouge. Je lève le menton dans mon indignité.
-Tu sais quoi ? Vas te foutre ! Je le vois quand j'en ai envie. Un jour tu nous as dit "la famille avant tout". J'accomplis tes dires, pour une fois tu devrais être plutôt fier de moi.
Et je pars dans ma chambre sous les insultes de mon père lancées au hasard jusqu'à mes oreilles et la voix de ma mère qui tente de le calmer.
Une fois dans ma chambre je desserre mes doigts. Sur les paumes de mes mains, des croissants de lunes à moitié ensanglantés pleurent l'émotion, l'acte qu'ils ont dû tant bien que mal contenir.
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