L'Instant d'une Émotion

M Y L A

-Voilà ma chambre... me dit Adam en s'asseyant sur son lit dans un soupire qui soulève la poussière d'entre les lattes.

L'odeur d'Adam n'a jamais été aussi puissante qu'ici.

C'est l'odeur de l'herbe mouillée, des fleurs sauvages qui naissent et des arbres reprennant leur souffle printanier.

Il n'y a malheureusement pas de peluche... À la place, mon regard s'arrête partout sur la pièce où des centaines de photographies sont accrochées un peu partout.

Quelques unes sur les murs. Beaucoup sur la porte de placard. D'autres encore dans des cadres.

Une explosion colorée de vie, de visages, d'aubes, d'obscurité, de peur et de beauté...

-Regarde toi. Un parfait p'tit poisson bouche-bée.

Je lève les yeux au ciel en prenant soin de fermer ma bouche grande ouverte et écris sur mon téléphone.

Celui d'Adam sonne au bout d'un instant.

_Ta chambre est pleine de couleurs alors que toi, tu es toujours en noir et en blanc._

Je m'approche du lit et m'assois à ses côtés, freinant mon envie de scruter chaque recoins poussiéreux.

-Ouais je sais... Je suis comme une photo sans couleur, à l'état la plus neutre. En noir et en blanc... Simplement.

Il réfléchit tandis que je le regarde calmement, attendant qu'il poursuive.

-Une photo en noir et blanc très sexy vu la tête que tu tires.

Il éclate de rire en tentant de prendre une pose sensuelle. Je lui lance son oreiller au visage en avalant de travers ma salive. Je comprends à présent quand Rebecca nous a dit qu'il ressemblait presque à un pingouin. Le noir, le blanc.

Cherchant à se défendre, Adam me jette un pled qui se trouvait plus tôt sur le lit. Et je suis aveuglée. Le monde s'est transformé en une masse de tissus mauve. Et dans cet univers soudain vêtu si simplement, quelque chose se transforme en moi.

-Tu ressembles à Metamorph dans Pokémon, se moque Adam en tentant une attaque de chatouilles vaine.

Je me débat en cherchant une sortie, un souffle à récupérer.

-Ou peut-être à un sac poubelle mauve !

Piquée au vif par sa remarque, je lance à mon tour et un peu à l'aveuglette, la couverture sur la tête d'Adam.

Il rit et nous rions. Nos éclats de voix résonnent partout dans nos cœurs et nos gorges déployés de bonheur.

Adam se perd sous cette masse de tissu difforme qui l'avale lui et son grand corps maladroit.

Soudain une bourrasque, une question m'emporte et me coupe le souffle.

Et si je l'embrassais ?

Je veux dire, là.

Ici.

Maintenant et tout de suite ? Maintenant que nous sommes en vie et que nous avons le temps ? Sans qu'il ne s'y attende... Car s'il s'y attend, il me rejettera sûrement, non ? Alors que si je le prends par défaut, il n'aura peut-être pas le temps de réagir ? Rebecca m'a bien dit que c'était à moi de faire le premier pas, non ?

Quitte à s'acharner à respirer et à s'arracher la peau pour s'aimer, autant oser ! Enfin, oser un peu, d'aimer un être humain !

C'est juste une envie... Un besoin... Cet Adam qui représente la meilleure chose qui ait pu m'arriver dans cet univers décousu depuis bien trop longtemps.

Si je n'essaie pas maintenant, peut être que l'occasion ne se représentera plus jamais ?

Alors je m'approche. Sans un mot, je l'aide à retrouver le chemin de la sortie sous ce pleb infini.

Quand sa tête sort enfin dans un sourire provoquateur et des cheveux complètement décoiffés, une hésitation fait battre mon cœur plus vite. Puis comme un petit oiseau prisonnier depuis des année, mes craintes s'effondrent.

Elle s'envolent.

Je pose mes lèvres tout contre les siennes avant même d'avoir pu y réfléchir à deux fois.

Je ferme les yeux si fort dans cette joie colorée, ce baiser volé et cette peur d'être si violemment rejetée, dans sa merveilleuse odeur et ses murs remplis d'images, que j'en arrive à m'oublier. À m'oublier comme jamais je n'ai jusqu'alors pu m'oublier. Même en courant pour t'échapper.

Parce qu'il n'y a qu'Adam !

Adam qui déteste l'adolescence et les tourments qu'elle apporte. Adam qui aime les gens malgré lui et malgré tout ce qu'il peut bien dire. Adam qui sourit et apporte la joie comme ça... Simplement dans un sourire, dans une réplique dérangeante, dans un claquement de doigt. Adam vivant, combattant dans une justice bien étrange l'injustice. Adam et son odeur légère du jour et de poussière d'aube, effacant le passage des cauchemars de nos vies tourmentés...

Après avoir posé mes lèvres sur les siennes, il se fige pendant un instant.

Mon cœur s'arrête. J'ai peur qu'il me rejette et que je brise notre amitié si chère. Que je brise tout ce que nous avons construit entre nous. Et puis, tout chavire dans une douceur que je n'ai jamais ressenti. Il m'emprisonne avec lui dans le pled. Ses longs doigts glissent sur ma nuque et effleurent quelques mèches rebondis. Nos tissus crissent, cris, chantent des mélodies volées, des mots que l'on ne sait plus prononcer.

Mes propres mains finissent par s'animer. Elles viennent glisser sur les bras d'Adam, remontent vers ses épaules. Son cou. Adam devient soudain encore plus délicat, comme s'il avait peur que je disparaîsse d'un seul coup.

Un sourire étire mes lèvres. Celles-là même qu'il effleure, touche et perfore avec une douceur et une passion qui me paraîssent soudain indispensables pour pouvoir vivre.

Adam inspire mon souffle comme un besoin vital de respirer le même air que moi. Et alors, comme s'il était soudain électrocuté, il se décale, sa main toujours perdue contre ma joue.

-Je dois dire que ça... C'était assez innatendu.

Il rit et vient vivement piquer mon nez d'un baiser volé avant de reculer.

Mon cœur s'embomme. Un sourire creuse mes joues. Je me décale un peu du pled et un frisson s'étire dans mon dos.

_Rebecca m'avait bien dit que tu n'oserais jamais. Et moi je n'osais pas par peur que tu me rejettes..._

En lisant ces mots, Adam grogne et se gratte la nuque. Il me fixe de ses yeux opaques.

-Mais tu as fini par le faire...

_Par miracle !_

Je triture les bords du pled. Comment en quelques semaines une personne peut-elle faire basculer ta vie dans le bonheur ? Comment peut-on aimer si fort quelqu'un, sans en exploser de joie ?

Il se recale et se met en face de moi, les jambes étalées partout au hasard du lit. Il sourit et rapproche doucement son visage du mien. Pendant un instant, je crois qu'il va m'embrasser à nouveau. Mais il pose simplement son front sur mon front et il soupire. Je l'entends déglutir et respirer tout contre moi.

C'est à mon tour de me décaler. J'attrape mon téléphone et écris quelques mots avant de les lui envoyer.

_Est-ce que tu as peur, Adam ?_

Il fixe son téléphone un long moment... C'est moi qui doit lui relever le menton pour l'obliger à me regarder. Quand il lève la tête, il sourit tristement.

-Parfois, ça m'arrive d'avoir peur du bonheur et de tout ce qui paraît trop beau pour moi. J'ai peur de toujours aller plus loin, trop loin peut-être. J'ai tendance à me contenter de ce que j'ai déjà, sans essayer d'avoir plus... Parce que j'ai peur que le bonheur s'arrête... Et tu sais, qu'il soit remplacé par cette sorte d'impression de vide... D'avoir tout perdu. D'avoir et d'être abandonné. D'avoir essayé pour qu'au final il n'y ait... Plus rien. Rien que le vide d'une joie qui n'a pas su durer.

Nos bras s'effleurent pendant un instant et j'en ai une décharge dans tout le corps.

-Et toi ? chuchote Adam en croisant ses longues jambes pour me laisser un peu plus de place sur le lit.

_Moi aussi le bonheur me fait peur..._

Il écrit sur son propre téléphone :

-On va y aller doucement alors, avec ce coquin de bonheur.-

J'approuve de la tête et un sourire nous échappe, semblant colorer la vie.

_Je crois qu'on a peur... Parce qu'on ne le connaît pas bien, ce petit bonheur fugueur..._

-C'est vrai, l'inconnu a tendance à foutre la trouille.-

_Mais cela ne veut pas dire qu'il n'en vaut pas la peine..._

Adam sourit, le regard brillant de cet air rusé qui sait déjà tout ce que je pense avant même que je n'ai pu l'écrire...

-J'ai jamais dit que tu n'en valais pas la peine, Myla chérie.

_Et moi je croyais que dire "Myla chérie" était dangereux ? Tu sais, par rapport à ta chute contre le lampadaire, assez pathétique je dois t'avouer._

-Mouais, ne remue pas le couteau dans la plaie. Mais avec toi je peux surmonter ce danger comme on pourra surmonter l'inconnu et apprendre à connaître un peu plus ce sacré bonheur. Tu vas voir, je vais l'obliger à rester cette fois.

Sur ces mots, ils hésite puis m'embrasse tout d'un coup avec une force du désespoir que je n'étais pas certaine de lui connaître. Le baiser ne dure qu'un très vif instant, avant qu'il ne se lève vivement du lit et me dise :

-On devrait retourner en bas, avant que les autres ne se réveillent et ne s'imaginent des trucs !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top