Connaissance
M Y L A
-Alors, chère Amazonne... De quoi allons-nous parler ce matin ?
Quand j'arrive sur le pont, Adam y est déjà. Il se tortille lentement. Dans des gestes semblant lents et précis. Son sourire dévore son visage à demi caché derrière un appareil photo.
-On pourrait parler franchise ou de nos peines qui nous empêchent réciproquement d'avancer, me dit-il tandis que je m'approche de lui. Ou alors juste faire connaissance et oublier nos chagrins...
Parce qu'il sait maintenant. Mon chagrin. Le tien. Et je connais le sien. Nous les connaissons, sans pourtant en mesurer pour l'instant toute leur profondeur.
Son appareil est fixé vers un petit oiseau brun, posé sur le mur en face d'Adam. Pourtant... Il ne le prend pas en photo. Adam continue ses déplacements lents, comme cherchant la position parfaite.
Alors, je m'avance aussi discrètement que possible d'Adam. Malheureusement le moineau s'envole bien malgré mes petits pas.
Adam me jette un coup d'œil amusé.
Je sors un post-it jaune de mon sac, légèrement gênée d'avoir fait partir le petit animal.
_Désolée... Je viens de faire fuir ta muse._
Quand je pose à ses côtés mon petit papier, ce garçon aux allures longilignes place l'appareil contre ses genoux.
Un sourire malin apparaît.
-Mince alors c'est vrai ça, je vais devoir en trouver une autre, de muse !
Voyant mon air ébahi et peut-être un peu paniqué par ce qu'il semble suggérer silencieuse en me fixant, il hausse un sourcil et redevient le Adam sérieux. Celui que rien ne semble être capable d'atteindre.
-T'inquiète. Je le prenais pas vraiment en photo de toute façon... Je t'attendais.
Je m'assoie alors à ses côtés et je regarde le ciel se lever. La neige glisser vers nous.
-J'étais pas sûr que tu viendrais... Parce qu'on est samedi et que t'as peut-être juste envie de dormir plus tard le week-end. Mais t'es là.
_Et toi, tu es là_
Petit ricanement étouffé.
-Ouais. En même temps je me suis fait collé. Dans quelques minutes je vais devoir y aller...
Je fixe à nouveau ses bleus devenus jaunes sur son visage tandis qu'il jette un coup d'œil à sa montre. La croutte au coin de sa lèvre inférieure qui, chaque fois qu'il sourit se réouvre. Sa joue blessée semblant s'être très légèrement dégonflée depuis hier.
Il s'est fait collé... Il y a des chances que ça ne soit donc pas son père qui l'ai blessé mais plutôt Adam qui s'est lui même infligé cela. Ce qui est pire d'un certaine manière.
Je me racle la gorge et écrit sur un nouveau post-it coloré :
_Je n'ai pas osé en parler la dernière fois mais...
Tu t'es battu ? Pas vrai ?_
Le silence affirme soudain ce que les mots ne peuvent plus avouer.
-Mmm... Possible, me répond-il enfin en effleurant de ses longs doigts un des bleus étalé là, sur sa joue pâle et tuméfiée.
_Avec qui, Adam ?_
-Un mec de ma classe.
_Pourquoi ?_
Ce sont mes mots qui soufflent. Qui l'interogent. Qui ne comprennent pas. Une interrogation vague qui cherche la réponse au mal qu'il se fait.
Je l'entends persifler et jeter sa tête en arrière pour contempler le ciel neigeux. Pour éviter mes yeux aussi.
-Pourquoi... soupire-t-il. Pourquoi la vie, pourquoi la mort ? La vie fait mal et la mort... J'en sais foutrement rien tiens, vu que je suis pas encore mort ! Ha ! Bref, vaste question, le pourquoi. Beaucoup de réponses possibles aussi, t'sais.
_Adam..._
Il lit son prénom avant de plonger tout droit ses yeux dans les miens. Le noir s'imprègne et se marque dans nos pupilles. Sans un mot, nos yeux d'un brun si sombre se perforent. Ils cherchent à se comprendre en un échange de regards. En un battement furtif des paupières. En une inspiration qui maintient les souffles. Une expiration qui les délivre.
La neige tombe autour de nous. Faiblement.
La longue écharpe d'Adam effleure les pierres. Doucement.
Le bonnet bleu que j'ai posé sur ma tête avant de partir ce matin me gratte. Atrocement.
Et alors, Adam me répond enfin :
-Pourquoi, Myla ? Parce que j'en ai simplement marre du mensonge, de l'hypocrisie. J'ai besoin de la vérité, même si parfois elle est bien dégueulasse...
Il s'arrête de parler. Détourne le regard. Fixe un horizon, hagar. Un avenir lointain... Un avenir que je ne peux plus voir ni effleurer sans toi.
-Pourquoi... résonne et répète sa voix grave et dure des temps qui font mal. Parce que j'aime faire chier les gens qui ne sont pas francs... Les prendre en photo, montrer exactement ce qu'ils refusent de révéler, refusent de voir et tout balancer au monde. Parce que, quand je prends en photos les gens, Myla... C'est pour les dénoncer.
Il s'arrête à nouveau. Il me jette un coup d'œil, surveillant ma réaction ou l'attention que je lui porte.
-Dénoncer leurs actes, leurs paroles, leurs foutaises. Et ça plaît pas, jamais même ! Ça blesse et ça enrage.
_Tu veux qu'ils ressentent ce que tu ressens ?_
-Non... Je veux ouvrir les yeux de tout le monde... Rendre meilleur les gens en leur montrant la vérité. La vraie, sans mensonge ni tromperie.
Il avale sa salive, se tourne vers moi et, dans un sourire provocateur, clame :
-Rendre un peu humains les gens, quoi.
_Oui je vois... Je comprends._
J'arrête d'écrire un moment. Mon crayon bleu tape doucement contre le papier.
_Tes parents ont dû paniquer en te voyant comme ça !_
Adam balance sa tête en arrière et regarde les quelques flocons de neige tomber du ciel.
-Mes parents... J'ai cru que ma mère allait faire une attaque ! Et mon père... Adam me lâche une grimace. Quand il m'a vu, il s'est barré de la maison et je l'ai pas revu de la soirée.
Je vois dans les yeux d'Adam une douleur assombrir son regard. Un éclat animer sa colère. J'aimerai l'aider mais ne sais comment...
Il finit par hausser les épaules en se raclant la gorge et en me disant :
-À ton tour. Si tu ne prends pas de photo, dis-moi comment tu fais pour survivre à la vie ?
_Eh bien, j'écoute beaucoup de musique, je cours assez fréquemment et j'évite ma mère._
Haussement de sourcil. Intrigue qui se lit comme un grand livre ouvert sur son visage.
-Et tu arrives à l'éviter ?
C'est à mon tour de grimacer. Je secoue la tête et hausse les épaules.
_Pas vraiment en ce moment...
J'essaie d'être le point possible à la maison mais... Elle trouve toujours un moyen d'apparaître et de tout ruiner._
Je sens alors le poids d'un regard compréhensif me heurter le corps. Et quelque chose en moi se rétracte. Ça s'ouvre et ça pleure sa douleur.
Mon écriture se délie de ses mots et mon âme apprend soudain à écrire. Je range les post-it, trop petits pour écrire ce qu'il me ronge de dire. Dans mon sac je trouve quelques feuilles un peu chiffonnées par le temps mais assez larges pour tout écrire.
_Mes parents ont divorcés après Rose... Parceque tout était trop dur. La vie ne pouvait plus être ce qu'elle avait été dans le passé. Quand ma sœur était en vie. Quand je ne connaissais du deuil que le mot.
Ma mère n'aimait plus mon père, alors ils ont divorcé et elle est partie avec juste un au revoir aux lèvres. Quelque mois plus tard, on a appris dans une simple lettre qu'elle se mariait et qu'on était invité au mariage. Mais je n'ai pas pu y aller, c'était trop dur tu vois...
Aujourd'hui elle revient en espérant que pour nous, rien n'a changé._
Tout au long de mes mots, les larmes me montent aux yeux. Mon estomac est comme écartelé de partout. Ma tête explose d'une tristesse que je n'arrive plus à surmonter. Et derrière tout ce combat contre mes tourments, je peux entendre Adam respirer calmement. Comme s'il avait tout son temps pour me lire, me laisser écrire.
-Peut-être qu'elle cherche à se réconcilier avec vous ? Elle s'est rendue compte qu'elle a besoin de vous pour vivre et elle s'en veut d'être partie ?
Je ferme les yeux, ingurgite les souvenirs. Quand j'ouvre les yeux, Adam est si calme qu'il contraste soudain avec le Adam plein de colère et de rage écumante.
J'attrape mon crayon et ma feuille et écrit simplement :
_Peut-être mais c'est trop tard._
Adam regarde à nouveau l'heure de sa montre et soudain, il bondit du mur.
-Oh bordel de m... Je suis pas en avance. Je suis vraiment, vraiment désolé, je dois me barrer...
Adam ne veut pas partir. Nous échangons un sourire douloureux. Ce sourire-même que le passé a bien voulu nous laisser.
-Mais tu sais Myla, ta mère t'aime encore, sinon elle ne serait pas revenue. Et tant qu'elle t'aime, c'est jamais trop tard.
Je le fixe, les yeux papillonnant de surprise. Adam me lance un clin d'œil et me dit :
-À demain, Myla. Souhaite moi bonne chance pour ma colle. Et moi je te dis bonne chance avec ta mère...
Il s'enfuit dans un petit soupire que sa bienheureuse écharpe étouffe.
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