Colère ténue
M Y L A
-Où est le terrarium de Minou, Adam ? gronde son père en arrivant dans le salon, la boîte à chaussures dans les mains. Pourquoi Minou est dans ce vieux truc ?!
Le malaise est soudain palpable.
Aaron gigote sur lui-même, ne sachant pas vraiment où ranger son corps. Rebecca croise et décroise tour à tour les bras. Gwen regarde Pierre, muette de stupeur et ne sachant que trop dire. Adam fixe son père et j'y lis une profonde rancœur entre eux, des choses dites dans le passé, mais semblant s'être perdues avec le temps...
Et moi... Moi, des tonnes de mots me viennent à l'esprit, tu vois ? Ils glissent et roulent presque sur ma langue ! Mais tout reste silencieux. Tout se refuse à parler. Comme toujours. Comme à jamais.
Désolée. Terrarium cassé. Éclaté. Disparu.
Mais. Minou rattrapée ! Sauvée ! Secourue !
Ne. Lui. En. Voulez. Pas.
Jamais.
Ce sont des mots. Presque rien. Presque dénués de vrai sens. Presque pas des phrases et même pas du tout. Mais ils voudraient prendre la défense d'Adam. Ils voudraient ne pas le laisser seul face à ce père qu'il ne peut plus aimer vis à vis de son frère... Qu'il ne peut plus aimer vis à vis de ce que chacun est devenu par trop de douleur. Je commence alors à sortir mon téléphone pour taper des mots qu'ils pourraient lire...
-Le terrarium s'est cassé, lâche simplement Adam en ouvrant légèrement la boîte pour voir si Minou est encore en vie ou en train de s'asphyxier.
-QUOI ? s'exclame alors lentement Pierre, faisant sursauter Gwen qui ne sait toujours pas quoi dire, elle qui pourtant, parle beaucoup en temps normal. Tu sais combien il m'a coûté ce putain de terrarium ? Tu sais ?!
-Pierre... tente d'intervenir Rebecca.
-Oui c'est bon, tranche Adam. Mais tu devrais t'estimer plutôt heureux que Minou soit encore en vie ! Une prison de verre, ça se rachète à l'identique. Un être vivant... Adam ricane. Pas vraiment. Tu devrais d'ailleurs plus souvent t'attarder sur les êtres vivants que sur leur prison transparente.
La face du père d'Adam devient rouge de colère. Peut-être de honte...
-Ce n'est pas sa faute, intervient enfin Gwen, libérée de son mutisme, mais plus mal à l'aise que jamais. C'est moi qui ai fait tomber le terrarium et qui l'ai cassé ! Vous ne devez pas en vouloir à Adam ou à quiconque, c'est moi seule la responsable ! Si quelqu'un doit être puni, grondé ou je ne sais quoi, c'est moi et moi seule. Ils ont tous couru héroïquement après l'araignée pour la rattraper tandis que moi, j'étais paralysée devant ce que je venais de faire ! Vous auriez dû voir ça ! On aurait dit une équipe de rugbyman courant après un ballon en forme d'araignée ! Puis Myla l'a rattapée en faisant un mémorable plaqua...
Pierre secoue énergiquement la tête avant de couper mon amie en plein élan en me regardant :
-Allez-vous en. Tous. La fête est finie, rentrez chez vous.
Gwen, qui avait tout déballé sans presque oser respirer, a le souffle coupé face au comportement du père d'Adam qui, visiblement ne veut rien écouter.
Aaron baisse la tête et semble se replier sur lui même.
-On va rembourser votre terrarium si vous voulez... dit-il en regardant le sol comme si c'était la plus intéressante des choses qu'il n'ait jamais observé.
-Je veux, souffle Pierre, que vous sortiez de chez moi.
Par la suite, il nous dépasse et pose la boîte en carton à l'endroit où avant, se trouvait le terrarium. Puis il repart en direction de la cuisine le regard triste où peut-être déçu. Je ne sais pas vraiment. Toutefois, voyant que nous n'avons pas bougé, il ajoute avant de disparaître :
-Tout de suite !
-C'est bon il s'en vont, râle Adam. Oh ! Et t'inquiète pas, c'est sûr qu'ils ne risquent pas de revenir avec un tel accueil !
Son père le fusille du regard et j'ai soudain peur qu'une fois tous partis, tout se complique et devienne ingérable... Adam est plein de rage, il n'ose plus regarder aucun d'entre nous. Mon cœur loupe un battement. Je ne peux pas partir et le laisser seul avec pour seul guide, sa colère.
Gwen profite que le père soit loin pour agriper l'épaule d'Adam. Elle lui dit :
-Je... Je vais le rembourser, je te le promets. Je ne veux pas qu'il y ait de conflit à cause de mes maladresses.
Elle a les larmes aux yeux et lutte pour ne pas pleurer devant tout le monde. Je m'approche alors d'elle et je lui serre le bras pour la soutenir comme je peux.
-T'inquiète, de toute façon si ça n'avait pas été ça, ça aurait été autre chose qui n'allait pas et pour laquelle il m'aurait engueulé.
Adam se décale alors doucement pour que Gwendoline arrête de lui labourer l'épaule.
Du coin de l'œil, je vois qu'Adam a les poings serrés contre ses paumes. Il croise soudainement mon regard et il relâche malgré lui légèrement ses poings. La colère s'entrechoque partout dans ses yeux, son corps mais il y a aussi de la tristesse... Du regret. Comme chez son père.
Toute cette histoire lui fait du mal. Leur fais du mal.
Je tend à Gwendoline mon téléphone, la voyant discrètement essuyer un de ses yeux humide.
_Ce n'est pas grave tu sais, tu n'as tué personne. Il y a pire dans la vie !_
Les yeux d'Adam s'assombrissent subitement.
-Oui mais ça comptait peut-être beaucoup pour votre famille... justifie mon amie.
Adam balaye la phrase de Gwen de la main.
-Laisse tomber, d'accord ? Mon père est un connard.
Elle secoue la tête avec vivacité avant de commencer à ranger ses affaires dans son sac.
Rebecca et Aaron sont également en train de ramasser leurs affaires tandis qu'Adam les aide à aller plus vite. Rebecca et lui échangent quelques messes basses qui ne regardent qu'eux, avant que nous plongions tous dans un silence pesant.
Un silence que je déteste.
Je décide d'envoyer un message à l'amie de longue date d'Adam qui doit savoir, depuis le temps, comment faire avec lui.
_Occupe-le. S'il te plaît.
C'est important !_
Son téléphone sonne. Elle lit le message, me regarde avant de regarder Adam. Ses sourcils se haussent puis se froncent et je sais qu'elle est en train de se demander ce que j'ai en tête.
Je hausse les épaules en retour et disparaît en direction de la cuisine. J'entends du salon, Rebecca parler fort à propos de sa chaussette préférée qu'elle aurait perdu et qu'il faudrait absolument retrouver avant qu'elle ne parte.
Quand j'arrive dans la petite cuisine, je tombe sur Pierre, en train de fumer à la fenêtre. Son corps est tendu et son esprit ailleurs, préoccupé sûrement.
Je m'approche et lui tapote l'épaule. Ne m'ayant pas vu ni entendu, il sursaute en s'exclamant :
-Bon Dieu, t'es décidément pire qu'un fantôme toi !
Je sens le rouge me monter aux joues.
Je sors un stylo noir et des post-it jaunes que j'ai gardé dans la poche arrière de mon pyjama, au cas où j'en aurai eu besoin quand j'étais avec Adam plus tôt.
Tandis que j'écris, je l'entends me souffler, presque choqué :
-Tu... Tu ne peux pas parler...
_Je ne voulais pas vous faire peur.
Je venais vous voir pour vous dire que votre fils est quelqu'un de bien, même s'il fait tout pour vous le cacher et que vous faites tout pour le croire et vous en persuader._
Le père d'Adam lit alors mon mot écrit en tout petit sur le carré coloré.
-Écoute R... Myla. Je pense que les histoires entre mon fils et moi ne te regarde pas vraiment et je vous ai demandé, à toi et ses amis de bien vouloir sortir de chez moi. Alors s'il te plaît...
Il se détourne pour poser sa cigarette dans le cendrier en face de lui.
Adam lui ressemble beaucoup. Dans ses manières, ses yeux, cette même fierté et cette volonté d'avoir le dernier mot. Mais le père d'Adam n'a pas son humour fin, sa douceur présente jusqu'au au fond de ses yeux sombres. Non. Il ne l'a pas. Ou peut-être ne l'a-t-il plus ?
_Certes, vos histoires de famille ne regardent que vous. Toutefois la manière dont vous vous êtes montrés irrespectueux envers SES amis, MES amis et surtout envers Adam, ça, ça me regarde._
Un de ses sourcils se hausse et il croise les bras sur son torse.
-Tu crois qu'une gamine comme toi va me faire la leçon ?
Je m'approche de lui comme pour lui tenir tête, pour montrer que je n'ai pas peur de lui sous prétexte que je sois une simple "gamine" ignorante de la vie.
J'ai dû utiliser trois post-it par la suite :
_Non probablement pas. Personne j'imagine, pas même Abigail, ne peut vous faire la leçon. Alors quelle différence ?
Sachez simplement que nos amis n'y sont pour rien et qu'ils n'ont pas a en subir vos disputes. C'est gênant pour nous, pour vous, pour Adam.
Et... Je veux que vous sachiez qu'Adam a besoin de la vérité. Il en a toujours eu besoin. Et vous refusez de lui accorder cela. Par rancœur, qu'est ce que j'en sais, par fierté ?_
-La vérité, se moque ou peut être rit nerveusement le père d'Adam. Et quelle vérité exactement jeune fille ? Tu la connais, toi, la vérité ? Tu sais ?
Son ton m'exaspère.
_Je sais qu'Adam n'est pas son frère._
Je pose ce premier post-it devant lui sans même regarder l'expression de son visage avant de continuer sur un second.
_Adam déteste la nuit, les fêtes, l'alcool et n'a sûrement jamais touché de sa vie à la drogue.
Sur ces choses là, rien n'a changé et pourtant, vous les ignorez._
J'ai l'impression que je pourrais user tous mes petits post-it tant j'aimerai dire tous pleins de choses afin d'essayer de réconcilier le père d'Adam et Adam lui-même.
Ils ont le droit de se réconcilier, ils le peuvent ! Ce n'est pas comme ma mère et moi. Je sens qu'il y a encore de l'espoir pour eux...
_Il ne ment pas, dit la vérité et est honnête avec vous, même si vous ne vous en rendez pas compte.
Il attend que vous lui disiez enfin, non pas ce qui vous énerve, mais ce qui vous attriste. Il a besoin d'entendre votre souffrance au lieu de votre rage._
Je regarde enfin le visage de Pierre et j'y lis beaucoup de choses. De la consternation. De la fatigue. Un brin de colère qui subsiste.
_Laissez tomber tous les deux vos murs de colère !_
-Tu ne me connais pas. Tu ne le connais pas. Tu ne nous connais pas. Je pense que tu devrais régler tes propres problèmes avant de venir faire chier les autres avec tes conseils à la noix, déclare Pierre après un long moment de silence.
Je le fixe et lui aussi me regarde les yeux grands ouverts, comme pour m'effrayer et m'inviter à partir plus vite.
J'ai l'impression d'avoir perdu. D'avoir essayé d'alléger les tensions mais d'avoir encore plus envenimé la situation.
Régler mes propres problèmes. Il a probablement raison...
Ma gorge se serre malgré moi.
Je soupire et dépose les armes.
_OK.
Nous vous rembourserons le terrarium qui vous tiens tant à cœur._
-Mais non c'est bon ce n'est pas...
-Myla ? dit une voix que je ne reconnaîs que trop bien sur le palier de la cuisine.
Je me tourne vers Adam et m'approche de lui. Il secoue la tête et me souffle tout bas :
-Qu'est-ce que tu fous ici ?
Il semble moins en colère que tout à l'heure et même, plutôt surpris. Je hausse les épaules et regarde le père d'Adam en train de ramasser tous les post-it.
À mon grand étonnement, il ne les jette pas à la poubelle. Il les garde entre ses mains.
Il lève les yeux vers nous. Il regarde nos épaules à quelques centimètres l'une de l'autre. Son expression colérique change et il semble presque inquiet. Presque paniqué j'oserai même avouer.
Adam croise ce regard une fraction de seconde mais décide de ne pas y prêter grande attention. Ou peut être qu'il y voit quelque chose que moi, j'interprète comme de l'inquiétude...
Il pose doucement sa main sur mon bras et la chaleur de sa paume me soulage d'une étrange manière. C'est comme se rendre soudain compte qu'après une éternité à passer complètement déboussolé dans l'obscurité, on trouvait enfin le Nord au milieu des étoiles.
Ses yeux sondent les miens.
-Tu viens ? Gwendoline et les autres t'attendent pour dire au revoir.
Je hoche la tête et commence à le suivre hors de la cuisine.
-Adam, Myla...
Nous nous retournons en même temps en entendant nos prénoms respectifs. Je sens à mes côtés Adam se tendre, prêt à répliquer quelque chose de cinglant si jamais son père n'est pas avenant avec moi en sa présence.
Je vois son père hésiter. Son menton tremble presque imperceptiblement. Ses doigts jouent avec un de mes post-it. Ses yeux sont posés sur Adam.
-Non. Rien. Je vais me coucher. La nuit sous la tente, c'était une mauvaise idée.
Il nous dépasse et rompt en même temps la conversation. Il disparaît dans les escaliers où, plus tôt, la mère d'Adam est allée.
Adam se tourne vivement vers moi à la seconde où nous entendons une porte claquer. Il m'attrape par les épaules et souffle :
-Dis moi qu'il n'a pas été horrible avec toi ! Dis moi qu'il ne t'a pas blessée ! Dis moi qu'il ne t'a pas insulté ! Dis...
Prise d'une soudaine envie de le faire taire, je me mets sur la pointe des pieds et l'embrasse vivement avant de reculer.
"On va y aller doucement", me rappelais-je.
Je le regarde papillonner des yeux et chercher ce qu'il disait plus tôt.
-Mmh... Tu es un petit démon, lance-t-il en effleurant le creux de mon poignet gauche, sachant pertinemment que si je l'ai embrassé, c'est pour qu'il arrête de parler et de s'inquiéter.
Je m'apprête à reculer mais il ne lâche pas le poignet en question.
-Sérieusement, Myla.
Et en effet, son regard est plus que sérieux.
-Sinon je prends ton smack pour une réponse plutôt déplaisante... insiste-t-il.
Privée d'un de mes bras, je décide de poser mon petit bloc de post-it sur le plan de travail à côté de nous et j'écris comme je peux.
_Mon Smack t'aurait-il été déplaisant ?_
Je vois l'amusement effleurer ses lèvres mais il reste sérieux. Il lève mon poignet entre nous, comme pour me signifier qu'il ne me le rendra qu'une fois que j'aurai répondu.
Je soupire et écris sous ma propre question :
_Ne t'inquiète pas. Ton père s'est montré plus sympa avec moi que quand nous étions tous ensemble._
Ce qui est la vérité... Même si ce qu'il m'a dit était assez tranchant, je dois avouer.
-Qu'est-ce que tu lui as dit ?
_Globalement, qu'il n'avait pas été très cool avec nos amis tout à l'heure et que tu étais quelqu'un de bien._
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