Quinzième lettre éteint
Rose Georges Adams,
Il y a une semaine que je ne t'ai pas écrit. Tu m'en excuseras, hein. Je pense que j'avais envie de croire rien que le temps de quelques jours que t'écrire ces lettres est un choix, et non un besoin. Mais j'ai fini par songer que j'avais passé assez de temps à me voiler la face. Rose, toute à l'heure, on regardait la télé avec Cole. Sa tête était posée sur mes genoux et ma main se perdait dans ses cheveux, comme souvent lorsque nous étions installés sur le canapé. Comme une sorte de routine qui fait plus sourire qu'ennuyer. J'étais bien, tranquille, comme cela m'arrive rarement depuis que je t'ai perdue. Puis, il y a eu cette publicité qui prévenait les accidents de voiture. Rose, constatant ces cris, ces pleurs, la sirène de cette ambulance, il m'était simplement impossible de ne pas repenser à cet événement qui nous a détruits bien avant que pire encore ne le fasse. Je ne me souviens même plus du déroulement de la soirée. Tout ce dont je me rappelle, c'est qu'avant de me plonger complètement dans cet horrifiant souvenir, j'ai tourné ma tête vers Cole qui murmurait un "c'est affreux" subjugué. Il s'est redressé d'un coup et a tourné sa tête vers moi.
Mais ce n'était plus lui. C'était toi. Je conduisais, j'étais toujours vêtu de mon costume et toi de ta belle robe de mariée qui laissait apparaître ton ventre rond. Nous sortions à peine de la mairie. Ce jour-là, j'étais l'homme le plus heureux du monde. Tu t'es tournée vers moi en me souriant avec amour. Ce jour-là, tu étais encore plus belle que les autres jours. Tu rayonnais de bonheur. Ce jour-là, je n'avais aucune idée de ce qui s'apprêtait à se produire. Mais, aujourd'hui, tandis que je revivais mon pire cauchemars, j'en avais conscience. Paniqué, j'ai cherché à arrêter la voiture, mais celle-ci persistait à avancer, seule. Je te criais de m'aider, de faire quelque chose, mais tu ne disais rien, et me regardais avec un de tes sourires tendres, de ceux qui ne pouvaient que me briser le coeur, alors que je crois bien qu'il s'agit de mes préférés venant de toi. Je me suis débattu dans la voiture ; en vain. Et, alors qu'on approchait du fameux pont où tout a basculé, j'ai arrêté de combattre le destin. J'étais totalement impuissant. Rose, je crois que le pire dans tout ça, c'est que je n'avais même pas envie de pleurer. J'étais vide. J'ai fini par baisser mon regard vers ton ventre. Notre enfant. Une petite fille qu'on avait décidé d'appeler Hazel, en référence à l'héroïne de ton film préféré, "Nos étoiles contraires". Tu disais que toi et moi, on avait été une Hazel et un Augustus dans une autre vie. Tu disais que ce que tu aimais le plus dans notre relation, c'était qu'on bravait les lois de l'amour. On s'aimait là où personne ne nous aurait vus nous aimer. Mes yeux retrouvèrent les tiens, et je perçus que la douceur de ton regard s'était changée en un glaçant effroi. Une seconde plus tard, le choc. Autour de nous, un silence assourdissant. Des battements de coeur effrénés. Puis, d'un seul coup, un vacarme insoutenable. Du monde, beaucoup de monde. Et puis plus rien. Tout a fini par disparaître. Cole pleurait face à moi, démuni devant mon regard éteint. Je n'ai pas réussi à le rassurer. Tout ce qui comptait, c'était ta voix, tes sanglots qui agonisaient. "J'ai perdu mon bébé".
Mickael.
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