Chapitre 16
— Je ne comprends pas mieux que vous, ça, c'est certain.
— Je n'en doute pas. En tout cas, le mal est fait. Quand est-ce qu'aura lieu votre procès.
— Le 5 décembre de cette année, à Hobart.
— Vous avez déjà contacté des avocats ?
— Oui, reste à savoir ce qu'ils vont bien pouvoir faire avec mon dossier.
— Ne dites pas ça comme si c'était perdu d'avance, il y a encore possibilité que vous vous en sortiez, après tout, vu les preuves, vous n'avez pas de raison d'être envoyé en prison, c'est peut-être même un procès uniquement sur la demande d'un proche de la victime qui a un espoir de la voir être vengée. Dans ces cas-là, il n'y a quasiment jamais de sanctions, l'accuser est tout au plus déclaré coupable, mais ça ne va vraiment que très rarement jusqu'à une quelconque peine, vous vous en sortirez, ils n'ont rien contre vous.
« D'ailleurs puisque je vous ai au téléphone, j'ai trouvé quelque chose d'intéressant par rapport à votre sœur. Je sais que normalement, je devais arrêter toute recherche, mais mon métier, c'est ma passion, j'avais envie de continuer pour mieux comprendre, mais je l'ai fait entièrement bénévolement, je n'attends rien en retour. Quoi qu'il en soit, je n'ai malheureusement pas réussi à avancer par rapport à Kamala, mais par contre, je pense avoir retrouvé l'avion qu'a pris votre sœur et Marveen lors de leur départ. Ce n'est quasiment rien, tout au plus une petite piste, rien d'assez valable pour un quelconque procès, mais je l'ai tout de même retrouvé.
« En tout cas, le 13 avril 2018, un avion est parti de Hobart pour Sydney avec deux passagers clandestins. Aucun des deux passagers n'a accepté de dire d'où ils venaient ni qu'ils étaient et ils ont été arrêtés et mis en garde à vue, mais ils ont payé leur caution et sont sortis de prison sans encombre. Malheureusement, aucune description précise n'a été faite, la seule information qu'il y a c'est que ce sont un homme et une femme d'environ 18 ans. Mais après ça, plus la moindre trace d'autre passager clandestin dans la zone, alors soit ils n'ont pas quitté Sydney, soit ils sont partis beaucoup plus tard, soit autrement, soit ils ont fait de faux papiers d'identité, impossible à déterminer.
« Malheureusement, la piste s'arrête là, mais je suis convaincu que c'était bien eux. Je suis d'ailleurs étonné que cette piste n'ait pas été privilégiée plus tôt, je soupçonne vos parents d'avoir insisté sur l'enlèvement plutôt que sur le départ volontaire au point que la police n'ait pas privilégié cette possibilité.
Je ne sais pas pourquoi ça me fait particulièrement plaisir d'entendre ça. Je sais depuis longtemps que ma sœur a dû partir en avion et ça lui ressemble tellement de tenter de partir en passant inaperçu en tant que passager clandestin avant de faire de faux papiers. C'est presque réconfortant à entendre. À l'époque, je ne m'étais jamais demandé comme elle était partie, je savais juste qu'elle était partie et en sécurité, je n'avais ni besoin ni moyen d'en savoir plus, mais maintenant que je sais ça, je ne suis absolument pas étonné, c'était comme ça qu'elle devrait partir.
— Merci... Merci d'avoir fait ça, c'est agréable à entendre.
— De rien. Et je suis vraiment désolé que ça ne puisse pas être utile dans votre procès et que vous deviez être accusé de la disparition de votre sœur.
— Vous ne pourrez pas revenir sur la décision de la police de toute manière. D'ailleurs, vraiment, si pour je ne sais trop quelle raison vous arrivez à retrouver Ophélie au cours de vos recherches, ne la faites pas revenir ici, elle mérite mieux que ça et nous n'aurons sans doute pas besoin de l'avoir sur place pour savoir qu'elle est vivante.
— Vous ne voudriez pas revoir votre sœur ?
— Si. Mais pas contre sa volonté, elle était malheureuse ici, je ne veux pas la refermer dans le cercle vicieux dans lequel elle était. En plus, à chaque fois que je me suis imaginée la revoir, c'était à l'étranger, c'est là-bas qu'elle a sa place, loin de ce pays qui n'est pas le sien.
Ça me fait très étrange de le dire à voix haute, je crois que c'est la première fois en quatre ans que j'exprime cette pensée qui m'a pourtant toujours habité, ce n'est que la pure et simple vérité, je l'ai toujours su, mais l'énoncé à voix haute la rend encore plus tangible.
— Si vous y tenez. Bonne chance pour votre procès, je suis désolé que ça doive en arriver là, j'aurais aimé vous être plus utile. Quoi qu'il en soit, n'hésitez surtout pas à me recontacter en cas de besoin, je resterai disponible.
— Merci pour tout, vraiment. Vous n'avez peut-être pas fait avancer l'enquête en elle-même, mais vous m'avez apporté beaucoup. Vous m'avez donné des réponses et ça, j'en avais vraiment besoin, ce n'est peut-être pas celle que j'attendais, mais elles ont eu le mérite d'exister et d'être vraies, je n'avais rien demandé de plus et elles m'ont fait du bien. Ça m'a fait très plaisir de vous rencontrer et de pouvoir parler avec vous...
Je ne sais pas pourquoi, mais mes paroles commencent à sonner étrangement comme des adieux. C'est totalement involontaire, mais ça en prend la force. D'un autre côté, c'est logique, c'est la continuité, je ne sais pas si j'aurai un jour de nouvelle l'occasion de parler au détective Kelly et les adieux se présentent donc naturellement.
— Merci à vous aussi, vous ne l'avez pas fait volontairement, mais en venant me voir, quelqu'un m'a enfin apporté une affaire vraiment intéressante, qui sorte de l'ordinaire, qui soit imprévisible, qui renferme de vraies zones d'ombre. Je suis juste désolé de ne pas avoir été à la hauteur, mais pour la première fois depuis des années, vous m'avez enfin fourni une enquête comme celles qui m'ont poussé à faire mon travail.
C'est naturellement que nous concluons notre conversation sur les adieux qui raisonnent depuis plusieurs minutes. En raccrochant, je suis toujours sous le choc et agacé par l'annonce de mon procès, mais le détective Kelly a réussi à me donner le sourire malgré tout. Et c'est sur cette note positive que je sors de chez moi pour aller voir les Snow pour le dîner. Même si je crains leur réaction à l'annonce de mon procès, j'y vais avec un peu plus de courage grâce à mon dernier appel.
❦
Le temps passe, encore et toujours, se rapprochant toujours plus de la date fatidique de mon procès. Dire que je m'étais toujours imaginé qu'en cette fin d'année, j'angoisserais pour mes examens et mon admission à la fac. Au moins, maintenant, je peux me planter, ce n'est plus uniquement ça qui définira mon avenir. Je ne suis même pas sûr de pouvoir passer le certificat en fin d'année. Après tout, si je me prends une lourde peine pour des disparitions dont on m'accuse, je ne suis pas près de faire des études supérieures et je ne suis pas sûr d'être autorisé de passer le moindre examen... J'en viens même à me demander si je pourrai quand même avoir un avenir. J'ai l'impression que rien n'est moins sûr. Le pire, c'est si mes rêves sont vraiment gâchés, si je n'arriverai jamais à être admis là où je voulais à cause de ce procès, je suis innocent, je n'y peux rien, je n'ai rien à voir avec les disparitions dont on m'accuse et j'en aurais quand même mon futur de détruit. Ça, c'est pire que tout. Je préférerais presque être coupable, avoir vraiment fait du mal à Ophélie, Marveen et... Kamala... comme ils le prétendent, au moins comme ça, je saurai que je mérite ma peine, que c'est entièrement de ma faute. Alors que là...
Je ne changerai pas le passé, c'est sûr que non. Je n'ai même pas envie d'être un vrai coupable. Je n'en peux juste plus d'être accusé à tort, ça commence à être trop dur et, pire encore, de rendre mon avenir beaucoup trop flou, je ne sais même pas où je vais, c'est beaucoup trop loin. Je ne ressens même pas la joie que j'aurais due en apprenant que je suis admis à l'université d'archéologie de Sydney l'année prochaine, parce que je ne sais même pas s'il y aurait d'année prochaine. Les chances indiquent même que vu comme c'est parti, je ne pourrais jamais rentrer à la fac juste après le lycée. J'accepte tout de même mon admission, ne voulant pas me demander maintenant les démarches qu'il va falloir faire pour les études supérieures si jamais je finis en prison, je ne veux pas en entendre parler. Le pire, c'est quand Djalu est admis sur le même campus que moi parce que depuis mon enfance, je n'ai jamais rêvé d'autre chose que d'aller dans la même fac que lui et maintenant, ça me semble totalement impossible... Peut-être qu'il y a encore un petit espoir, mais je n'y crois même plus.
Quand le jour fatidique arrive, je ne suis toujours pas prêt, j'espère seulement que mes avocats le seront plus que moi, parce que sinon je pense qu'il vaut mieux que je fasse mes valises tout de suite.
Je me prépare en tâchant d'être le plus présentable possible, il faut absolument que je fasse bonne impression puisque les accusations sont contre moi. Juste avant de partir de chez moi pour me rendre à Hobart, je reçois un message. Persuadé que c'est Ekala ou Djalu qui me souhaitent bonne chance, je sors mon téléphone. Mais non, ça n'a rien à voir, c'est mon père... Il est en panne sur un bateau en plein Océan Pacifique, non loin de la Nouvelle-Guinée, il est donc coincé en Papouasie jusqu'à nouvel ordre et ne sait pas quand il pourra prendre un vol pour la Tasmanie, il ne sera donc pas là, au moins les deux premiers jours de mon procès...
Je crois que c'est une putain de blague... Je ne suis pas sensible et honnêtement, je n'en ai rien à faire que mes parents soient là ou non, mais par respect, ils se doivent d'être présents. Ce n'est pas comme si c'était le procès de leur fils par rapport à la disparition de leur fille. À chaque fois, je suis surpris de voir à quel point ils sont incompétents en tant que parents, ils ne devraient même pas être reconnus comme tels après tout ça, c'est un scandale. Le pire, c'est que mes deux parents avaient promis d'être là et ils ont tous les deux réussi à se désister, si ça, ce n'est pas du talent. Ma mère n'a même pas fait de micropromesse d'être là avant la fin de mon procès, vraiment juste elle ne peut pas être là. Mais je ne doute pas une seule seconde que mon père n'arrivera pas à venir non plus, ce serait trop marrant sinon.
Heureusement que j'ai les Snow, je ne le dirai jamais assez, sans eux, je ne serais vraiment rien. Eux au moins, ils seront là.
Ce n'est pas grand-chose, mais pour moi c'est énorme de savoir que je pourrai sortir de la salle d'audience accompagné par mes proches.
Je ne prends même pas la peine de répondre à mon père, je sors directement de chez moi, j'ai vraiment autre chose à faire que de me préoccuper de lui, s'il ne veut pas être là, qu'il ne soit pas là, après tout, nous n'avons jamais été une famille, inutile qu'ils se comptent comme tels, même dans des circonstances pareilles.
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