| PARTIE III - Son corps |
Stella – 15 ans
Cette nuit, elle ne s'est pas débattue. D'habitude, elle essaie de le repousser. Ses ongles griffent la peau de son frère. Ses pieds lui donnent des coups dans les jambes. Evidemment, ça ne le fait pas bouger. Stella n'est pas assez forte face à la carrure de Simon. Mais elle essaie parce que son esprit combatif refuse d'accepter la défaite. Enfin, il refusait parce que cette nuit, elle s'est laissé faire. Seules les larmes ont été témoin de cette atrocité. Sa bouche n'a pas émis le moindre son, ni cri ou gémissement alors que son frère marquait sa peau pâle. Stella s'est contentée de regarder le plafond, les joues humides. Et elle a attendu. Elle s'est réfugiée dans un autre monde où elle était seule dans son lit. Un monde où son frère ne lui ferait pas subir ça. De toute façon, Simon ne fait pas attention à son visage dans ces moments. Il se contente d'utiliser son corps sans se soucier si Stella est réellement consciente. Au moins, il ne l'oblige pas à le regarder dans les yeux.
Cette nuit, elle ne s'est pas débattue et elle constate les dégâts dans le miroir. Elle a abandonné, laissant son frère faire ce qu'il voulait de son corps. Ce matin, il n'y a pas de sang sous ses ongles. Et elle se déteste encore plus. Son esprit faible a cédé ordonnant à son corps de ne plus lutter. Ce corps la dégoûte aujourd'hui. Cela fait deux semaines que son frère est devenu encore pire que leurs parents. Et Stella abandonne déjà.
Ce matin encore, les larmes coulent. Elle n'a pas dormi cette nuit. Malgré son épuisement physique et moral, les sensations l'ont tenue éveillée. Pendant des heures, l'odeur de son frère a envahi ses narines et elle a encore l'impression qu'elle imprègne sa chambre. Elle entend encore la respiration saccadée de Simon alors qu'il prenait plaisir à lui faire du mal. Et il y a cette souffrance qui ne veut pas partir. Les doigts de Simon sont imprimés sur ses cuisses et sur ses poignets. Elle a des bleus sur les bras quand il l'a serrée trop fort. Elle a des morsures dans le creux du cou et des suçons sur les clavicules.
Ce matin encore, personne ne viendra la soigner ou la réconforter. Elle a passé elle-même de la crème sur sa chair meurtrie. Il y a une multitude d'ecchymoses à apaiser. Certaines sont déjà jaunes et vont commencer à s'estomper. D'autres sont bleues et violettes. Les plus récentes, comme celles de cette nuit sont d'une teinte plus rouge. Aujourd'hui, la majorité sont dues à son frère. Ses parents ne la frappent plus si souvent que ça. Plus ils grandissent, plus leurs parents font comme s'ils n'existaient pas. Sauf que la vie de Stella est encore pire maintenant.
L'adolescente relève la tête. Des cernes s'étalent sous ses yeux rouges. Une ecchymose verte s'étend sur sa pommette, seule trace de la colère de son père la semaine dernière. Mais en un coup de fond de teint, Stella arrivera à la faire disparaître. Le fond de teint est le seul produit de maquillage que sa mère lui achète. En fait, c'est la seule chose qu'elle lui achète.
Devant son miroir, son corps l'écœure. Elle s'en veut de s'être trouvée belle. Elle s'en veut d'avoir adoré mettre ce jean moulant. Elle s'en veut d'avoir voulu mettre du mascara parce qu'elle trouvait un garçon attirant dans sa classe. Si elle était restée plus banale, son frère ne l'aurait pas remarquée. Aujourd'hui, Stella a juste envie de brûler tous ses vêtements et de jeter son unique mascara offert par une amie. Et c'est ce qu'elle fait. Le tube en plastique fini au fond de la poubelle, emportant aussi toute la combativité de Stella.
Cependant un accès de colère la traverse alors qu'elle fixe son mascara. C'est sa faute. Elle croise son propre regard dans le miroir. Elle ne peut plus se voir. Et d'un coup de poing, le miroir vole en éclats. Stella grimace de douleur, mais elle s'en moque. Son corps est déjà meurtri. Son esprit est déjà bousillé. Elle n'a plus la force de se battre. Pourtant, elle a encore la force de pleurer. L'adolescente s'effondre dans la salle de bain, la main serrée contre sa poitrine. Des éclats de verre s'enfoncent dans la plante de ses pieds alors que le sang coule de ses phalanges, tâchant son haut de pyjama.
Et elle ne fait que pleurer de douleur, de colère, de culpabilité, mais surtout, de désespoir.
Stella – Présent
Stella est devant son dressing, ne sachant quoi choisir. Elle jette un coup d'œil par la fenêtre, souriant au ciel bleu et au soleil. Elle adore l'été. Quand elle était jeune, elle détestait quand les températures s'élevaient parce qu'elle crevait toujours de chaud sous ses manches longues, ses pantalons et ses baskets. Aujourd'hui, Stella ne se prive plus et elle a des dizaines de robes dans ses armoires. Elle se décide enfin et attrape une robe blanche avec des fleurs multicolores. En se détournant, elle capte son propre regard dans le miroir. Ses yeux scrutent son corps. Elle a bien changé en quelques mois. Son ventre rond ne laisse plus aucun doute.
Elle pose la robe sur son lit et se retourne vers le miroir. Jamais elle n'aurait pensé se trouver aussi belle un jour. Elle se revoit adolescente, évitant tout ce qui reflétait son corps. Cette chair qu'elle a tant détestée quand son frère la touchait. Aujourd'hui, le toucher de Noa a remplacé tous les autres et elle ne s'en lassera jamais. Elle adore le voir caresser son ventre avec émerveillement. Le bébé réagit toujours à sa présence. Un doux sourire étire les lèvres de la femme et elle passe une main sur son ventre.
Elle se souvient d'un jour, quelques semaines avant qu'elle ne découvre qu'elle était enceinte. Ce jour-là, une femme lui avait fait une réflexion et Stella avait juste fondu en larmes. Elle est une femme fragile. Elle paraît forte avec son rire chantant et ses yeux pétillants. Sauf qu'au fond d'elle, elle est juste une petite fille effrayée qui ne peut pas rester seule. Et elle le reconnaît. Stella ne doit plus se cacher derrière sa carapace en prétendant être une autre femme. Maintenant, elle sait. Maintenant, elle s'énerve et réplique toujours qu'elle fait ce qu'elle veut. Souvent, on lui dit qu'être libre, c'est merveilleux. Alors pourquoi lui fait-on encore des reproches alors qu'elle est plus libre que beaucoup de femmes ? Les gens ne se rendent pas compte de sa vie. Ils ne la connaissent pas et se permettent encore de juger. Comme s'ils savaient mieux ce qui est bon pour elle. Maintenant, elle arrête de pleurer devant ces personnes qui distillent leurs conseils en croyant aider. Elle pleure plus tard, dans les bras de Noa. Mais face à eux, elle réplique toujours que si chaque femme est libre, alors elle a le droit d'être dépendante de son mari puisque c'est ce qu'elle veut et ce dont elle a besoin.
Aujourd'hui, Stella s'en moque que les autres la jugent. Elle est la seule qui sait ce qui est bon pour elle. Et peu importe ce qu'en pensent les autres, elle sait que son bébé viendra dans un environnement sain. Cette petite surprise qui a tout bouleversé. La femme ne sait pas ce qui lui a fait changer d'avis. Est-ce Noa ? Son mari l'a soutenue dans toutes les démarches et a accepté si facilement d'abandonner un de ses rêves pour elle. Quand Stella a fui sa famille, elle s'est promis de réaliser un maximum de rêves. Alors oui, peut-être qu'elle ne voulait pas briser un des rêves de son époux.
Surtout qu'elle est assez forte. Ce bébé lui donne la force de continuer à avancer. Elle ne sera pas une mère parfaite. Il y a des jours qui seront difficiles quand les cadenas sauteront. Parfois, les doutes de Stella viennent la hanter. Mais Noa est toujours là avec ses bras chauds, ses paroles rassurantes et ses baisers enivrants qui lui font oublier qu'elle détestait son corps avant. Entre les mains de Noa, Stella se laisse facilement aller et elle oublie les années de souffrance. Et elle sait qu'il saura toujours la rattraper tout en s'occupant de leur enfant.
Stella croise son regard dans le miroir et sourit avec une boule au ventre. Une boule qui mêle peur et envie. Elle se pose des dizaines de questions. Sera-t-elle une bonne mère ? Son mari en est convaincu. Acceptera-t-elle qu'un être soit si dépendant d'elle ? Seul l'avenir lui dira. Et de toute façon, elle ne sera jamais seule pour faire face. Ses beaux-frères ont déjà hâte de servir de babysitteur.
Une chose importante à changer depuis quelques mois. Son corps n'est plus le même. Et Stella pensait que cela l'atteindrait plus. Elle était tellement effrayée de ne plus se sentir maîtresse d'elle-même. Elle craignait tellement de rejeter son bébé à cause de ça. Sauf que la vie est parfois plus jolie qu'on ne le pense et son corps ne la dégoûte plus. Cela fait des années qu'elle a renoué avec lui, mais elle a enfin l'impression de s'accepter pleinement. Elle n'a plus peur de dévoiler sa peau nue dans la rue.
Stella sourit niaisement et elle emmerde les gens. Après la pluie vient le beau temps, non ? Elle est heureuse. Parce qu'elle se sent de plus en plus forte. Parce qu'elle va devenir maman. Parce qu'elle va réaliser un des rêves de son époux. Un mot, une phrase ou rien qu'un regard de Noa et ses lèvres s'étirent. Il est là. Il a les mots. Il l'aime. Et c'est tout ce qui importe non ? Alors elle s'en fout si les autres ne la trouvent pas belle, du moment qu'elle l'est aux yeux de son mari. Et aujourd'hui, quand elle se regarde dans le miroir, elle se trouve belle aussi.
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