Chapitre 50 - Rollers Au Vondelpark
Chapitre Cinquantième
Mardi 16 juin 2026 - J-114
Alors plus la date se rapproche, plus j'ai des angoisses totalement impromptues qui apparaissent : récemment j'ai par exemple réalisé que mon mariage ce n'était pas QUE faire la fête dans un château à siroter des cocktails. Non, pendant notre mariage, nous allons devoir nous marier. Incroyable Magda. Vraiment impensable. Pour ce mariage, nous avons décidé d'échanger nos vœux pendant la cérémonie. Et il a bien fallu que je me mette à les écrire ces vœux et là...
En fait, rien que l'idée me fait flipper. Ce qui me fait flipper c'est pas de parler en public, c'est de parler devant tout le monde de nos sentiments. Marty et moi (enfin surtout moi), on n'est pas trop du genre à nous faire de grandes déclarations en public, ni à nous ouvrir grand nos cœurs en public. On s'aime. On le sait. Nos proches le savent. Et on n'a pas l'habitude de le crier sur tous les toits. On se le dit quand on est entre nous. Du coup rien que l'idée de devoir dire à mon amoureux combien je l'aime devant cette petite centaine de personnes (famille plus ou moins proche, amis, collègues,...). Eh bien, je panique totalement !! J'ai vraiment l'impression de devoir dévoiler des choses très intimes (ce que je ne fais donc jamais). Je me sens vraiment trop pudique sur mes sentiments et ça me met la pression...
Romy m'a dit de relativiser et qu'il y aura toujours pire : « Pense à Kate et au milliard de téléspectateurs qui cherchait la boulette ou qui attendait la gamelle de l'année pendant qu'elle remontait l'allée qui l'emmenait à son prince, ce qui allait faire d'elle la future reine d'Angleterre. Tu crois qu'elle n'avait pas la pression, elle ? ». Rien que de l'écrire, j'ai mon pouls qui s'emballe. La pauvre Kate.
En fait, je prends conscience que je suis assez superficielle sur ce coup-là. Je veux dire que tant qu'il s'agit d'organiser (déco, couleur, tenues, château, plan de table,...) : easy. Mais quand on s'attarde sur le fond du sujet de la journée : plus rien dans le slip !
Laura referma doucement le cahier avant de le rendre à Magdalena avec un sourire compatissant, en le faisant glisser sur son bureau.
« T'es pas la seule, tu sais.
-Vraiment ?
-Ouais ! T'inquiète pas. J'ai déjà eu des cas comme ça. Bon en tout cas, la plupart du temps, les mariés sont embarqués dans l'ambiance de la journée, et ça ne pose plus aucun souci. Mais si ça te panique à ce point, je me souviens d'une cérémonie que j'ai faite en Suède où les mariés s'étaient échangé leurs vœux à l'oreille. Ça avait été beaucoup apprécié et très émouvant.
-Jamais Marty ne voudra faire ça.
-Vous pouvez aussi vous les échanger sans micro. Seuls vos témoins pourront entendre ce que vous vous direz. Ça peut-être sympas aussi.
-Ah.... Pas mal. J'avoue que ça me plaît déjà beaucoup plus que de prendre un micro et crier devant tout le monde à quel point j'aime Martijn, expliqua Magda en glissant le carnet bleu dans son sac.
-D'autres choses qui te tracassent ?
-Tu veux dire à part le fait qu'on emménage dans deux mois dans notre maison, qu'on n'a pas de plancher dans tout le rez-de-chaussée, que la cuisine n'est toujours pas posée parce que Martijn ne veux pas céder sur la couleur de la cuisine, que les peintures ne sont toujours pas finies, que j'ai la sensation que ces travaux ne se termineront jamais, que les cartons ne sont toujours pas commencés, que je suis très triste à l'idée de quitter notre appartement, que nos cours de danse sont des catastrophes à la chaîne, qu'on a toujours pas choisi la musique d'ouverture, que l'organisation de ce mariage commence sérieusement à passablement m'énerver parce que rien n'avance, que j'ai la sensation que mes élèves sont tous plus abrutis les uns que les autres à mesure que les épreuves du bac arrivent ?
-Ouais. À part ça ?
-La routine. Et ai-je précisé la présence de Louis dans mon canapé depuis plus d'une semaine ?
-Ça ne va pas mieux entre lui et Rika ?
-Non. Et... Bon... C'est pas parti pour aller mieux. J'ai jamais vu Rika dans cet état. J'ai jamais vu Louis dans cet état.
-Ils se sont vus ?
-Non. Pas à ma connaissance. Avec Marty, ils sont rentrés le dimanche soir de Laarbeek. Louis avait un sac de voyage, qui depuis squatte mon bureau. On a eu que l'image sans le son pendant quatre jours. Puis il s'est subitement remis à parler, mais que des mots de base.
-Il faut qu'ils se parlent.
-Moi, je m'en mêle pas. D'un parce que Martijn me l'a expressément interdit. Et de deux parce que j'ai clairement pas le temps et...
-Moi, je vais m'en occuper, assura soudainement Laura en se calant un peu mieux contre le dossier de sa chaise de bureau.
-T'es sûr que t'occuper des histoires de cœurs de ton ex est une bonne idée ?
-Louis est mon ami avant d'être mon ex.
-C'est beau ce que tu dis...
-Arrête ! s'exclama Laura en jetant une petite boule de Patafix qui traînait devant son pot à crayon. Je suis sérieuse. Il faut que quelqu'un fasse quelque chose. Et que ça soit fait avant que l'ancien Louis revienne au galop.
-Ouais... Bah ça...
-Quoi ? Il dort dans ton salon. Tu vas pas me dire qu'il a déjà recommencé à coucher à gauche, à droite.
-Non ! Non. Je dis juste que... Que ce soir, il sort avec Martijn et Jan. Voilà. C'est tout ce que je dis, moi.
-Super... soupira Laura en se levant de sa chaise.
-Après, je peux aussi te dire qu'il doit faire un shoot au Vondelpark vendredi après-midi. Je peux même te préciser qu'Oscar l'a appelé pour lui dire qu'il fallait vraiment qu'il aille sinon ils perdraient le contrat et qu'il aurait affaire à lui. Et je dis également que le parc, c'est un terrain neutre ; et que... C'est fou le nombre de personne que tu peux rencontrer par hasard dans un parc.
-T'es folle, rit Laura en tendant sa veste à Magda. Allez... Viens. Les filles vont finir par nous attendre au restaurant. »
X+X+X+X+X
Rika avait son téléphone dans les mains et avançait avec un pas peu assuré, dans les allées du plus célèbre parc d'Amsterdam. Elle serrait tellement fort son cellulaire entre ses doigts que ses phalanges devenaient blanches.
Hier, Laura lui avait envoyé un message. Un message qui disait, avec délicatesse, que Louis et elle ne pouvaient pas rester dans cette situation ; qu'il fallait qu'ils fassent quelque chose. Un message qui précisait que Louis serait au Vondelpark tout vendredi après-midi, normalement près du Blue Tea House. Quand elle avait su ça, Rika n'avait, étonnamment, pas beaucoup hésité. Elle avait appelé son dernier patient de la journée pour décaler le rendez-vous le jour-même. Urgence familiale qu'elle avait dit ; ça passait toujours mieux qu'urgence sentimentale. Et puis ce matin, devant sa tasse de thé, ça lui était apparu. Louis n'allait sûrement pas être au courant de sa venue. Peut-être même qu'il n'allait pas avoir envie de la voir. Du coup, dans le doute, elle avait pris ses rollers. Comme ça, elle pourrait toujours dire qu'elle traînait par là pour aller faire du roller et pas du tout pour le voir. Un vendredi soir au Vondelpark, il n'y aurait rien de suspect. Rien du tout.
Toujours était-il que Rika continuait d'avancer dans les allées du parc en direction du salon de thé qu'elle connaissait bien. Elle finit par arriver sur l'esplanade où se tenait, été comme hiver, les tables de la terrasse de l'établissement. Il y avait deux chemins qui quittaient , en forme de Y, cette petite place. Et entre les deux branches de cet Y, dans l'eau, se trouvait un belvédère. Et dans ce belvédère se trouvait Louis. Louis et une mannequin. Mais Rika se dit que ce n'était peut-être pas le meilleur moment pour avoir ce genre de réflexion. D'un autre côté, elle ne savait pas vraiment quoi faire, ni quoi penser en ce moment précis. Alors elle restait debout de façon un peu bête, à regarder Louis ranger ses affaires dans son sac tout en parlant avec la jeune fille avec lui. Rika était persuadée qu'il lui souriait, elle ne pouvait pas le voir d'ici, mais elle en était intimement convaincue ; et d'ailleurs, ça lui retournait l'estomac dans tous les sens.
Ça devait bien faire cinq minutes que Rika les observait dans ce belvédère quand ils se décidèrent enfin à quitter leur petit spot. Louis avait chargé son sac sur son épaule, avait fait quelques pas en direction du petit escalier qui allait les ramener vers l'esplanade, se retourna pour vérifier qu'ils n'avaient rien oublier et suivit la jeune fille qui l'avait accompagnée pour l'après-midi en posant sa main dans son dos. Cette dernière venait vraisemblablement de raconter une histoire drôle, car Rika vit une ébauche de sourire fendre son visage, alors que cette esquisse s'estompait, il détourna enfin le regard du mannequin. C'est à ce moment-là que leurs regards s'accrochèrent. Le sourire de Louis avait définitivement disparu. Il avait fait glisser sa main vers le bras de son accompagnatrice pour attirer son attention, ils avaient échangé quelques mots et s'étaient séparés. Louis avait attendu quelques longues secondes avant d'enfin aller vers Rika.
« Qu'est-ce que tu fais là ? C'est Magda qui t'a dit que j'étais ici ?
-Non. Je passais, assura Rika et ce n'était même pas un vrai mensonge. Louis... Je...
-Quoi ?
-Je crois qu'il faut qu'on discute. Un peu... ... Beaucoup.
-Viens, ordonna Louis. »
Cette fois-ci, c'est son bras qu'il attrapa, mais c'était pour la mener un peu à l'écart, sur un banc au bord d'un des étangs artificiels du parc. Il s'était assis sur le dossier du banc alors que Rika se tenait face à lui.
« Qui commence ? demanda-t-il de façon un peu rhétorique, car tous les deux savaient que ça ne serait pas lui.
-Excuse-moi. »
C'était une bonne entrée en la matière ça, non ? Rika trouvait que c'était pas mal. Un peu faible peut-être... Mais pas si mal.
« Je... Je pensais pas tout ce que je t'ai dit ce soir-là. Je sais pas ce qui m'a pris. Vraiment Louis. Jamais je n'ai pensé que...
-Sûre ?
-Comment ça ?
-T'es vraiment sûre que tu n'as jamais pensé ce que tu m'as dit ce soir-là ?
-Oui ? fit Rika d'une toute petite voix.
-D'accord... souffla Louis en esquivant magnifiquement bien son regard.
-Écoute Louis... Si tout ça m'a peut-être un peu effleuré l'esprit, c'est parce qu'il m'arrivait de douter.
-De quoi ?
-De tout. De toi. De moi. De ce que je voulais vraiment. De nous aussi ; parfois.
-Pourquoi ne pas en avoir parlé ?
-Parce que t'es pas le genre à parler de ces choses-là.
-J'aurais peut-être pu faire un effort. Ça aurait toujours été plus facile que d'entendre ce que tu m'as dit.
-Je suis désolée. Tellement désolée.
-J'imagine bien. »
Louis avait reporté son attention sur ses mains ; et le fait qu'il ne la regarde pas laissait tout le loisir à Rika de l'observer comme elle le souhaitait. Elle n'avait pas pu le faire depuis des jours et des jours. Et à vrai dire elle avait un peu arrêté de le faire quand elle en avait encore le droit.
« Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? finit-il par demander au bout de ces interminables minutes de silence perturbé par ce canard insupportable à côté d'eux qui semblait leur réclamer du pain.
-Pour nous ?
-Ouais.
-Je sais pas. »
« Menteuse, lui assura sa conscience. Ce que tu veux, c'est qu'il te dise que ce n'était qu'une dispute, que c'est oublié, et qu'il te prenne dans ses bras. Comment avant. Voilà ce que tu veux, ma p'tite. »
« Tu sais ce que tu veux, toi ? demanda-t-elle à la place de la vérité.
-Du temps.
-Ok. Je... Je peux comprendre.
-Super.
-Peut-être qu'on pourrait reparler de ça à la chambre d'hôte que tu avais vu. Il n'est... »
Elle fut coupée par le rire de Louis. Mais ce n'était pas le même que d'habitude, ce n'était pas celui qui la faisait rire aussi.
« Non, Rika. Il va me falloir beaucoup plus de temps que ça. Et plus d'espace aussi. Je... Je pense que c'est mieux si tu arrêtes de m'envoyer des messages et tout ce genre de trucs. Il faut que tu me laisses vivre un peu. Seul.
-T'es en train de rompre avec moi, là ?
-Ouais. Non. Je sais pas. Enfin.. Je... Ouais. En quelques sortes, oui. »
Rika encaissa le coup sans sourciller.
« Mais... Écoute Rika. C'est de notre faute à tous les deux d'accord. Ne culpabilise pas de trop non plus. Moi aussi je... Je t'ai dit des choses que je ne pensais pas ce soir-là. Tu n'es pas égoïste, Rika. Vraiment pas. Je suis désolé pour ça. Et pour le miroir aussi. Je vais te le rembourser. Et puis après, on évitera les contacts trop rapprochés, tu vois ?
-Je vois. Et on fait comment pour le mariage ? De Martijn et Magda, se sentit-elle obligé de préciser.
-On est tous les deux des adultes non ? Ça devrait bien se passer.
-Ok. »
Ils se regardèrent dans le blanc des yeux un moment, puis quand cette situation commençait à devenir gênante pour chacun d'entre eux, Louis passa machinalement les mains sur ses jambes pour épousseter son jean, mais sans se lever pour autant.
« Faut que j'y aille, expliqua-t-il. J'ai un truc de prévu ce soir.
-Avec la fille de tout à l'heure ? ne put s'empêcher de demander Rika.
-Possible.
-Ok. Bon... De toute façon, je passais dans le coin pour aller faire du roller, ajouta-t-elle avec un mouvement de l'épaule qui soutenait son sac.
-Bien évidemment.
-Évidemment. ... Voilà. ... Bon... Eh bien... Je vais te laisser, fit Rika en commençant à s'éloigner de Louis avec quelques pas en arrière. »
Et puis sans que son cerveau ne prenne une quelconque réelle décision sensée, Rika refit les quelques pas qui les séparaient tous les deux, attrapa la nuque de Louis et posa ses lèvres sur les siennes.
Elle n'aurait pas dû faire ça, parce que Louis venait à moitié de la quitter et que, clairement, leur relation n'était plus aussi précise qu'elle ne l'avait été auparavant. Ce n'était pas une très bonne idée, mais étant donné que depuis quelques semaines Rika ne prenait pas vraiment de très bonne décision à propos de sa vie, elle se dit qu'elle n'était plus à un choix pourri près. Alors quitte à faire foirer les choses autant bien le faire ; elle fit donc traîner leur dernier baiser en durée.
En toute honnêteté, elle ne savait pas ce qui était le pire: la partie de sa conscience qui lui criait de tout arrêter avant que ça ne soit irrécupérable ; ou alors l'autre partie de sa conscience qui lui faisait joliment remarquer que Louis ne la repoussait pas. Pas du tout même. Référence à sa main qui s'était posée sur sa hanche.
Pourtant, c'est lui qui finit par mettre fin à ce baiser, en laissant tout de même leurs deux visages à une distance très faible. Celle qui est tellement faible qu'ils se mettaient à partager le même air.
« Ne m'oublie pas Louis. C'est tout ce que je te demande, chuchota-t-elle.
-Je ne t'oublie pas. »
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