Chapitre 46 - Choix à faire

Chapitre Quarante-Sixième

    L'année dernière, Martijn trouvait qu'il avait été bien gentil. Parce que l'année dernière, Martijn avait accepté sans vraiment broncher de ne pas partir en week-end pour Pâques avec Magdalena. Il s'en souvenait très bien parce que l'année dernière, il avait voulu aller en Croatie ; mais que Magda avait dit « Chez mes parents » alors ils étaient allés à Pornichet pour Pâques.

    Bon, au final, ça n'avait pas été si terrible que ça aurait pu l'être : les enfants avaient rit pendant la chasse aux œufs que Martijn et Annabeth avaient mis des heures à cacher ; il y avait eu Prim' et Martijn avait été content de le voir ; et Charlie était tellement au fond du trou qu'il n'avait rien dit du week-end. Oui, parce que l'année dernière Charlie était au fond du trou et c'était l'une des raisons qui avait empêché Martijn d'en vouloir longtemps à Magda pour lui imposer ce week-end en Bretagne. Charles avait eu besoin de ses frères et sœur ce week-end-là.

    Mais ce que Martijn avait eu un peu plus de mal à avaler était que Magda lui avait refait le même coup cette année ; sous le prétexte qu'avec les travaux, un week-end à l'étranger était hors budget. Martijn, lui, n'était pas vraiment d'accord avec cet argument et il serait bien partit quand même. Pas très loin, juste deux ou trois jours en Belgique ou en Allemagne. Et puis, zut ! Personne n'avait besoin d'eux cette année ! Charles n'avait pas eu besoin de ses frères et sœur cette année. Parce que pendant que Martijn courait sous le début d'un crachin breton en ce samedi du week-end de Pâques, Charlie, lui, devait être en train de bronzer sur une sublime plage à Tahiti.

    Voilà la réflexion que Martijn se faisait tout en rentrant de son jogging vers la maison des   Valencourt. Parce qu'ils n'étaient pas partis à Bruxelles, ni à Hambourg ce week-end. Non, ils étaient partis chez ses beaux-parents ; et même si Martijn aimait beaucoup sa belle-famille, il devait bien avouer que ça le soûlait de ne pas avoir son week-end annuel avec Magda deux années d'affilées.

De MAGDA <3:
T'arrives quand ?

De MARTIJN:
Dans deux minutes.
Je m'étire sur la plage et je remonte.

De MAGDA <3:
Faut qu'on parle.

    Et à ce message, Martijn se dit qu'il allait s'étirer un peu plus longtemps que d'habitude, parce qu'il savait très bien de quoi Magda voulait parler. Elle voulait parler repas de mariage, il en était quasiment persuadé. Et il n'avait pas du tout envie d'en parler maintenant, parce qu'après son jogging, il se sentait bien et n'avait pas du tout envie de repartir dans une énième dispute.

X+X+X+X+X

« Non, Magda ! On ne va pas manger comme dans un restaurant cinq étoiles ! s'exclama Martijn en attrapant la bouteille d'eau qui l'attendait sur le rebord de la terrasse.

-Mais pourquoi pas ?!

-Mais parce que ! répondit-il avec de si grands gestes que de l'eau s'échappait de sa bouteille encore ouverte.

-Je te préviens, c'est hors-de-question de faire une raclette le jour de notre mariage !

-Et pourquoi pas ?! T'adores les raclettes ! Et moi aussi ! Et tout le monde aime les raclettes !

-J'adore les raclettes en hiver, avec un gros pull en laine et quand on se sert à neuf sur une table pour six. Là, oui. J'aime les raclettes. Pas à mon mariage. C'est non. Un non catégorique. Non. »

    Martijn avait eu raison, Magda voulait parler repas. De toute façon, ça faisait des jours qu'ils en parlaient. Des jours que ces discussions finissaient toujours de la même façon : Martijn qui voulait des raclettes pour un repas convivial avec leurs amis et leurs familles, et Magda qui se battait pour un repas gastronomique à base de magret de canard. Parce que c'était son mariage et que dans tous les mariages où elle avait été, absolument tous, elle avait mangé de superbes plats très très bien présentés. Mais Martijn ne voyait pas du tout les choses sous cet angle, parce que c'était aussi son mariage et qu'il voulait quelque chose qui leur ressemble. Il voulait un repas convivial.

« Et pourquoi pas un barbecue ?! tenta-t-il dans un dernier espoir.

-Parce qu'on ne se marie pas en été mais en octobre ! Donc pas de raclette ! Et pas de barbecue ! Mais ça va pas bien !

-Mais c'est original ! défendit Martijn en replaçant sa bouteille d'eau nouvellement remplie dans le frigo familial alors que Primaël faisait son entrée dans la cuisine.

-Qu'est-ce qui est original ?

-Une raclette en repas de mariage, expliqua Magda en cherchant du secours chez son frère.

-Ah oui, je confirme. C'est original, confia Primaël dans un éclat de rire.

-Tu vois ! C'est ridicule, Martijn !

-Mais on ne mangera pas comme dans un palace à notre mariage. Prim' !

-C'est pour le repas que vous vous engueulez ?

-On ne s'engueule pas ! crièrent Magda et Martijn d'une même voix. On discute !

-Okay ! Bon... Bah je vais devant la télé moi..., fit Primaël en sortant discrètement de la cuisine. Je vous laisse... Discuter tranquillement. »

    Il était passé par la salle à manger, avait jeté un coup d'œil au dessin que Léandre lui présentait et avait fini par s'installer dans le canapé du salon. Il avait entendu encore quelques éclats de voix puis Martijn était venu le rejoindre.

« Pas facile, hein ?

-T'as fait comment toi ?

-Nous, on s'est pris la tête sur d'autres trucs, mais pas le repas. Et puis on va pas se mentir, Annabeth était un peu plus cool que Magda.

-Je ne veux vraiment pas de repas comme ça. Je ne veux pas d'un mariage guindé.

-Mmmh... Je pense pas que Magda veuille vraiment ce genre de repas. Je pense plutôt qu'elle en parle parce qu'elle porte pas mal d'attention au qu'en-dira-t-on. Je veux dire... C'est vrai que ça ne fait pas trop mariage une raclette. C'est super, hein ! Mais... T'imagines la tête de notre mère ou de notre grand-mère quand elles vont savoir ça ? Elles vont faire un arrêt. Direct.

-Je veux quelque chose d'original.

-Je comprends. Mais pas la raclette.

-Et les pizzas ? Je veux dire... On peut faire des pizzas avec à peu près tout dessus. À Palerme, j'avais mangé une pizza aux truffes. Tu vois ? Et c'est plutôt pas mal pour les végétariens, non ?

-Carrément ! C'est trop cool ça ! »

    Martijn avait fini par retrouver le sourire et avait tout de même attendu le soir pour en reparler à Magda. C'était juste avant le dîner. Il était allé à l'étage où Magda fignolait ses cours de la semaine prochaine. Il poussa un peu la tasse de thé vide et s'assit sur le bureau qu'elle utilisait.

« Et des pizzas ?

-Hein ?

-Pour le repas de mariage. Des pizzas ?

-T'es sérieux là ?!

-Attends avant de t'énerver, commença Martijn en levant les mains en signe de paix. Ça peut être hyper gastronomique une pizza, ça serait parfait pour Rika et tous les autres végétariens qu'on pourrait avoir, et... Et je suis sûr que je peux trouver pas mal d'autres avantages.

-Mouais...

-Si. Sûr !

-Ah oui, pour les avantages, je te fais confiance, sourit Magda. Mais... Je sais pas... Ouais... Pourquoi pas... Par contre ! Si on mage des pizzas, je veux un wedding cake tout blanc !

-Mais Magda !

-Exit le gâteau au chocolat fait maison par tes soins.

-C'est ta seule exigence ?

-Pour le moment.

-J'accepte le wedding cake au chocolat, si on mange de pizzas. Et aucune autre condition.

-Mmmh... Je vais y réfléchir. »

    Martijn voyait bien que Magda n'était pas bien convaincue, mais il voyait bien qu'avec le gâteau, il avait marqué un point et qu'il n'était pas loin de la convaincre. Il lui en reparlerait plus tard.

    Le plus tard arriva un peu plus tôt que prévu, grâce à Agnès. En effet, lors du dîner du lendemain, la mère de famille posa le sujet sur la table avec toute la diplomatie qu'on pouvait parfois lui connaître.

« Et pour le repas ? Vous avez pensé à quelque chose ?

-Alors on en a parlé..., commença Martijn.

-Martijn voudrait des pizzas.

-Ça ne fait peut-être pas très mariage. Certes, anticipa Primaël en voyant l'expression de sa mère. Mais ça leur ressemble. Moi, je trouve que c'est une bonne idée.

-Ah, moi je trouve ça super les pizzas ! assura Matthieu en se resservant dans le plat de pommes de terre. Ça vous ressemble. Et puis tout le monde aime les pizzas. C'est toi qui as eu l'idée, Martijn ?

-Oui ! Oui, c'est moi, assura Martijn avec un grand sourire.

-Ça ne m'étonne pas. C'est une très bonne idée !

    Et là, juste à ces six mots de Mathieu, Martijn sut qu'il avait gagné la bataille du repas, wedding cake blanc ou pas. Parce que Magda n'avait pas écouté sa mère lui expliquer tous les inconvénients des pizzas. Elle s'en fichait complètement,  parce que son père, son papa à elle, avait dit que c'était une super idée. Alors ça devait vraiment être une super idée.

X+X+X+X+X

    Aujourd'hui, et comme tous les mercredis de l'année, Magda terminait à midi et demi. Et comme tous les mercredis, elle avait pris son mercredi midi et son après-midi pour elle. Elle avait été se prendre un déjeuner chez son traiteur italien préféré, elle était rentrée manger et avait regardé un épisode de The Five. C'était une vieille série, mais Magda ne l'avait encore jamais vue. Puis après son repas, elle avait entamé la préparation de ses cours pour la fin de l'année. Vers la fin de l'après-midi, elle s'était installée devant une émission de télé sur les mariages. Après ça devait bien faire... Quatre heures qu'elle n'avait pas pensé à un mariage. Elle était toujours devant la télé, toujours devant la même émission qui tirait vers la fin, quand Martijn avait fini par rentrer du travail.

    Il l'avait embrassée rapidement avant de s'installer à côté d'elle sur la canapé.

« Elle a pas changé de nom ? s'étonna Martijn alors que défilaient des écrans qui expliquaient la fin de l'histoire du couple dont ils avaient suivi les aventures l'heure précédente.

-Et alors ?

-Bah c'est mieux. Enfin... Moi, je trouve ça important le changement de nom.

-Parce que tu t'attends à ce que je change de nom ?

-Bah oui, répondit-il comme une évidence.

-Ah bon.

-Attends... Tu ne comptais pas changer de nom ?

-Bah non, répondit Magda avant de reprendre devant l'air incrédule de Martijn. J'ai toujours dit haut et fort que jamais je changerai de nom.

-Pas assez fort visiblement, parce que j'avais pas entendu.

-Ah ouais. Bah c'est no way le changement de nom mon amour. Echt niet. Pas question. Je suis féministe, tu comprends ?

-Non. Je comprends pas trop le rapport, non.

-Et bien... Tu me l'as déjà dit : je ne suis pas une de ces femmes qui perdent leur identité à leur mariage. Je ne suis pas de ces femmes qui vivent des vies ennuyantes à mourir à s'occuper de la maison avec vaisselle, lessive et ménage et qui regardent des sitcoms américaines tout l'après-midi et qui prennent beaucoup de poids, ce qui fait que leur mari ne les regarde même plus et du coup, ils les trompent avec leurs secrétaires. Et elles finissent par le découvrir et du coup, ils divorcent et elles, elles doivent rechanger de nom. Ce qui fait que le monde entier sait qu'elles ont raté leur vie.

-Magda ?

-Quoi ?!

-J'ai pas de secrétaire.

-Ouais, bah toi, ça sera avec une artiste dont la côte monte en flèche. C'est pareil.

-Donc tu crois qu'on va divorcer parce que tu changes de nom ?

-Ça sera clairement le point de départ.

-Tu ne penses pas à tous les rendez-vous où tu ne seras plus obligée d'épeler ton nom parce que Valencourt en néerlandais, c'est quand même très chiant à prononcer ? Tu ne penses pas à tout le temps que ça va te faire gagner ?

-Non mais pour les rendez-vous, je dis toujours que je m'appelle Gelderman. C'est plus simple.

-Bah voilà ! Magda !

-Non. Changer de nom de famille, c'est hors de question.

-Et j'imagine que mon avis, tu t'en fous ? Tu t'en fous que pour moi, c'est important ?!

-Mais non ! Pas du tout ! Mais il est question de mon nom, là !

-Et du mien aussi, je te ferais remarquer !

    Magda regarda Martijn avec des yeux noirs. Elle attrapa son carnet bleu qui traînait sur la table de salon depuis des jours et dont les pages se noircissaient de plus en plus ces dernières semaines, pour partir s'enfermer dans leur chambre. Elle était fatiguée de ces disputes presque quotidiennes pour des détails. Au point près que cette histoire de nom de famille n'était pas vraiment un détail.

    Magda était énervée et pour être tout à fait honnête, elle était plus en colère contre elle-même que contre Martijn. Mais peu importait contre qui elle était en colère parce qu'au final, ça ne l'aidait pas à prendre une décision.

Mardi 7 avril 2026. J-183.

Martijn veut que je change de nom de famille. La bonne blague.

Le seul truc, c'est que c'est pas vraiment une bonne raison pour ne plus me marier avec lui et tout annuler. Donc je suis en plein « trilemme »:

prendre son nom et me retrouver, seule, face à mes préjugés
garder le mien et me retrouver, seule, face à sa déception
mettre un tiret entre nos deux noms et avoir des crampes aux mains à chacune de mes signatures.

Je sais pas quoi faire.

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