Chapitre 42 - Le Clan

Chapitre Quarante Deuxième


« Cette tapisserie représente un des départs en croisade de Godefroy de Bouillon. Il a été l'un des premiers à répondre à l'appel d'Urbain II pour libérer Jérusalem. C'était à la toute fin du XIème siècle. Et un de nos ancêtres, Frederic Van Nagell den Brieller, l'a accompagné lors de sa dernière croisade, en l'an 1100, expliqua Helene en désignant un visage parmi tant d'autre sur l'immense tapisserie qui décorait l'un des couloirs du château. Il est d'ailleurs décédé là-bas.

-Incroyable. »

Non, ce qui était vraiment incroyable, c'est le fait que Louis ait abandonné Rika dans cette galère.

Après leur arrivée, elle avait été présentée à toute la famille au grand complet. Ce qui avait un peu rassuré Rika était que Victoria, la mère de Louis, avait l'air adorable et l'avait regardée avec un air plein de compassion, comme si elle savait déjà ce par quoi elle allait passer aujourd'hui. Puis, Helene avait déclaré qu'il était l'heure d'aller à la chapelle pour la cérémonie de Noël. Sur le chemin, Louis lui avait rapidement expliqué, que pour les grandes fêtes, sa grand-mère organisait des cérémonies dans la chapelle du château qui était alors ouverte au public. Et, pour être honnête, Rika avait passé tout le temps de la célébration à admirer les vitraux. Après cela, il y avait eu le déjeuner.

Rika se souvenait très bien qu'au début de sa relation avec Magdalena, Martijn se plaignait souvent des déjeuners familiaux interminables des Valencourt : s'asseoir à table à onze heures trente et refaire le monde dans la joie et la bonne humeur jusqu'à dix-huit heures. Elle n'avait jamais vraiment compris pourquoi ces repas fatiguaient autant Martijn, après tout il s'agissait juste de s'asseoir et de manger. Facile. Ok. Maintenant elle comprenait. Faire la conversation à tout le monde pendant sept heures, c'est fatiguant. Surtout quand on ne connaît pas les personnes en face, quand on est un peu timide et qu'ils ne font pas grand chose pour vous mettre à l'aise. Toujours était-il que la fin du repas avait fini par arriver et, alors que Rika se croyait enfin délivrer, Helene décida qu'il était temps pour elle d'avoir une petite visite du château. Rika avait regardé Louis à sa droite avec un regard qui disait quelque chose du genre « ne m'abandonne pas ». Mais il l'avait abandonnée. Il avait même eu le culot de lui sourire, de lui embrasser la tempe et de reprendre sa conversation avec son cousin. Sans rire ! Alors elle s'était levée, seule, pour accompagner Helene dans les méandres de son château qu'elle connaissait par cœur. En partant elle était à peu près certaine d'avoir vu Victoria lui adresser un sourire d'encouragement. Visiblement, elle avait dû passer par là aussi.

Et voilà comment Rika s'était retrouvée à écouter les exploits héroïques des ancêtres de Louis dans, à peu près, toutes les guerres de l'histoire selon la châtelaine. Rika commençait sérieusement à désespérer malgré le fait que les dates se rapprochaient de plus en plus de l'époque contemporaine.

« Dans cette salle, j'ai décidé d'exposer tous les travaux qui ont été faits sur le château. En effet, il a quasiment été laissé en ruines par les Français lors de la Rampjaar. Seule la petite partie qui est aujourd'hui réservée aux visites du public était habitable. Ce n'est que deux cent ans plus tard que tout le château a été rénové, par Etienne Van Den Wall Van Nagell den Brieller et sa femme. Ces travaux ont fait évoluer le château vers le style néogothique dans lequel on le connaît aujourd'hui. Bien sûr, les murailles du Moyen-Age ont été conservées, les écuries également. Mais la partie habitable a été complètement rénovée. Et vous ne devinerez jamais à qui ces gigantesques travaux ont été demandés ! »

Oui, effectivement Rika avait bien l'intuition qu'elle ne trouverait jamais.

« Pierre Cuypers, chuchota Louis dans son oreille lui volant ainsi un sursaut.

-Pierre Cuypers, répéta-t-elle bêtement.

-Oui ! Exactement ! s'exclama Helena - qui n'avait pas remarqué l'arrivée de son petit-fils - en passant à la photo suivante sur le mur. Mais comme vous vivez à Amsterdam, je suis persuadée que ce nom ne vous est pas inconnu, n'est-ce pas ?

-Euh...

-La gare centrale, lui souffla Louis à l'oreille. Ou le Rijksmuseum. Choisis.

-La gare centrale ?

-Exact ! ... Louis ! J'espère que tu ne l'as pas aidée.

-Non ! Bien sûr que non.

-La triche n'est pas dans les nobles valeurs de notre famille. »

Louis baissa la tête en se mordant la lèvre pour se retenir de rire.

« Evidemment.

-Continuons... Ici, ce sont les photos des travaux réalisés en 2010 sur les douves du château. »

Et voilà. C'était reparti pour un tour. Mais cette fois-ci, Louis était resté avec elles. Il avait tenté d'attraper la main de Rika alors qu'ils suivaient sa grand-mère au fond de la pièce, mais la jeune fille avait rapidement extirpé ses doigts de son emprise.

« T'es sérieux ?! chuchota-t-elle pour ne pas être entendue par Helene. Tu m'as abandonnée ! Traitre.

-Ça va. C'est pas aussi horrible que ça, répondit-il sur le même ton. Et puis je croyais que t'adorais les musées.

-Oui. Quand je ne suis pas saoulée par une personne dont la neutralité sur le sujet laisse à désirer. À l'entendre tes ancêtres ce sont des Captain America en puissance. Je pense que depuis qu'on a commencé la visite vous avez sauvé le royaume une trentaine de fois. Au moins. »

La comparaison eut le mérite de faire rire Louis ; ce qui ne manqua pas d'énerver encore plus Rika.

« Louis. S'il te plaît, le réprimanda immédiatement Helene.

-Excusez-moi.

-Si tu nous accompagnes uniquement pour nous distraire, je pense que tu pourras trouver bien mieux à faire, ici.

-Non, ça ira. Je... Je saurais me faire discret. »

Helene fixa son petit-fils sans avoir l'air tout à fait convaincue par ses dires, mais préféra ignorer et reprit ses explications.

X+X+X+X+X

Au début, Rika voulait juste aller boire un verre d'eau. Sauf qu'elle était sortie de sa chambre et n'avait pas trouvé l'interrupteur. Du coup, elle avait avancé à l'aveugle. Littéralement. Elle avait traversé une autre chambre vide pour se retrouver dans un couloir, avait compté quatre portes, pris le couloir sur sa droite, passé les doubles portes et s'était retrouvé en haut d'un escalier en pierre à double palier dont la rampe était illuminée par une guirlande lumineuse. Et c'était à partir de ce moment-là que son sens de l'orientation avait pris un coup. Elle avait descendu prudemment les marches polies par les siècles jusqu'au premier étage. Juste devant elle, se trouvait une double porte. Elle était à peu près certaine que la cuisine était derrière la grande salle à manger. De l'autre côté de la petite porte du fond. Alors elle avait ouvert un des deux battants qui avait grincé, bien sûr, et avait traversé l'immense salle. Effectivement, il y avait une petite porte au fond, mais quand Rika voulu l'ouvrir, elle était fermée à clef.

« Qui ferme la porte de sa cuisine à clef, sérieusement ? maugréa-t-elle en essayant une nouvelle fois d'appuyer sur la poignée.

-Qui a dit que c'était la cuisine ? fit soudainement une voix derrière elle. »

Honnêtement, Rika n'avait jamais eu aussi peur de sa vie. Et Rika n'était pas ce qu'on appelait une personne très courageuse. C'était dire.

« Frederic ! Tu m'as fait peur ! s'exclama-t-elle en portant la main à son cœur comme pour vérifier qu'il était encore là.

-Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda le cousin de Louis.

-Je cherchais la cuisine. J'ai soif. Et toi ?

-J'ai faim, et en voulant descendre, j'ai remarqué la porte de la salle de réception ouverte.

-C'est pas la cuisine derrière ?

-Non. C'est juste une réserve, et lors de grands repas, on s'en sert pour stocker les plats qui vont être servis. Suis-moi, c'est tout en bas la cuisine. »

Frederic avait fait demi-tour et Rika avait suivi. Ils étaient encore descendus d'un étage, Frederic s'était dirigé sans lumière et d'un pas décidé dans le château, alors que Rika n'était même pas certaine de bien savoir où elle était.

« Fais attention, y a trois marches et celle du milieu est pas droite, prévint Fred alors qu'ils arrivaient enfin dans la sacro-sainte cuisine. Tu veux boire quoi ?

-Juste de l'eau. Ça sera parfait, répondit la jeune fille en regardant autour d'elle. Je crois que cette cuisine fait presque la taille de mon appartement...

-Perso, mon appart' est plus petit que cette cuisine, sourit Frederic en lui tendant son verre d'eau. T'es sûre que tu veux pas de gâteau ? Il reste de la bûche, je crois. Enfin, c'est ce que Natalie m'a dit.

-Natalie ?

-La cuisinière, précisa le garçon en allant vers le frigo.

-Oh. Oui. D'accord.

-Toujours pas de bûche ?

-Non. Vraiment, j'ai pas faim. Merci.

-Ok... Alors Rika ? Cette première journée dans le clan ? C'était comment ? demanda Frederic en s'asseyant sur la table.

-Enrichissant, finit-elle par lâcher après avoir réfléchi quelques secondes.

-Et nous ? Tu nous trouves comment ?

-C'est une question piège ?

-Ah non. Du tout. Tu sais... À trois heures du mat', mon cerveau n'arrive pas bien à imaginer des questions pièges.

-Je vois... Eh bien, pour être tout à fait honnête Louis m'a prévenue un peu au dernier moment du... Décor. Mais je garderai à l'esprit votre sens de l'accueil.

-C'était ironique ?

-Non. Du tout. Même si ce ne sont pas le genre de réunions de famille que je connais vu que je n'aie que mes parents, j'ai vraiment apprécié la journée. Pourquoi ?

-T'aurais pu parler du petit tour historique de la famille.

-Ah. Ça. J'imagine que c'est un... Rite de passage ?

-C'est exactement ça ! s'exclama Frederic en pointa Rika de sa cuillère couverte du chocolat de la bûche qui fondait comme neige au soleil. C'est le terme. Si tu veux rentrer chez les Van Den Wall, il faut faire le tour des tapisseries des guerres et des travaux.

-Laura aussi est passée par là aussi ? demanda Rika en imaginant déjà son amie se retenir pour ne pas laisser Helene parler seule de ses héros.

-Qui ?

-Laura. Laura Worlding.

-Je suis censé la connaître ? C'est qui ?

-L'e... Une amie.

-Une amie de toi ou de Louis ?

-Des deux.

-Et pourquoi il l'aurait emmenée ici ? C'est son ex ?

-Ouais... Mais c'est bête parce qu'ils ne sont pas restés longtemps ensemble, se rattrapa Rika avec un mensonge.

-Avec Louis, c'est toujours des histoires rapides. Enfin sauf pour toi. Bien sûr.

-Vas-y. Rattrape toi. »

Frederic laissa échapper un petit rire alors que Rika venait d'attraper un petit morceau de bûche avec les doigts.

« Je t'aime bien Rika. Et je ne dis pas ça parce qu'on a le même prénom. Je t'aime vraiment bien, et j'espère vraiment qu'avec Louis ça sera du sérieux. Quoique c'est déjà du sérieux. Sinon tu serais pas ici... »

Rika se demanda si la fin de la phrase lui était adressée ou non. Alors elle décida par elle-même de considérer que oui, elle l'était.

« Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

-Qu'il n'aime pas parler de nous à ses amis. Alors que toi, tu es là. Fais pas cette tête, je sais qu'il cache à tout le monde d'où il vient. J'ai compris ça quand je suis venu une semaine chez lui à Dam pour un stage et qu'à aucun moment, il ne m'a proposé une sortie avec lui et ses amis. Alors okay, je suis un peu plus jeune, mais pas tant que ça ! Je veux dire... On n'a que six ans d'écart. Je comprends pas pourquoi.

-Pourquoi quoi ?

-Pourquoi il nous cache comme ça ? Il devrait être fier de sa famille, de tout ce que nous avons fait pour ce pays. Enfin par « nous », j'entends « les générations précédentes ».

-J'avais compris.

-Toujours est-il que moi, je ne le comprends pas. Louis. Pourquoi il a honte de nous ?

-Il n'a pas honte, le corrigea immédiatement Rika.

-Alors pourquoi il nous cache ?

-Je ne peux pas parler à sa place, mais...

-Mais t'as une idée, n'est-ce pas ?

-... Je pense que... Qu'il a besoin d'exister par lui-même, de se prouver que s'il arrive où il en est aujourd'hui c'est grâce à lui. Il ne veut pas être le fils de. Il ne veut pas être de ceux qui profitent de ce qu'ils ont de droit pour réussir.

-Tu penses ?

-J'imagine que c'est ça. Oui.

-J'avais jamais vu les choses sous cet angle. J'avoue que perso, j'aime beaucoup la tête des gens quand ils apprennent qui je suis. Et puis ça apporte toujours quelques avantages.

-Louis n'est pas comme ça, chuchota Rika.

-Je sais, répliqua Frederic qui l'avait entendue malgré le ton très faible utilisé par la jeune femme. »

Il portait un petit sourire presque triste. Au fond, il aurait aimé avoir le même détachement que Louis. Celui qui lui permettait de vivre sa vie comme il l'entendait et de ne pas vivre une vie dictée par son nom de famille. Au fond, Fred aurait beaucoup aimé être Louis. D'ailleurs, tout petit Fred rêvait souvent d'être Louis. Mais Fred était juste Fred. Et Louis était juste Louis.

« Et tu vas faire quoi, maintenant ? demanda-t-il pour arrêter de penser à ce qu'étaient devenus les enfants qu'ils avaient été.

-Comment ça ?

-Bah maintenant que tu connais le Louis en entier, qu'est-ce que tu vas faire ?

-Rien, répondit-elle comme une évidence. Enfin, je veux dire que dimanche, on va rentrer à Amsterdam, il va râler en disant que son chat ne lui a pas manqué alors qu'on sait tous les deux que c'est complètement faux ; et puis lundi, je serai au cabinet et lui, il sera au studio. Comme toutes les semaines. Rien ne va changer.

-Vous allez bien ensemble, conclut Frederic en descendant de la table. Bon Rika ? On retourne se coucher ? Y a plus de bûche de toute façon. »

Et effectivement, l'assiette qui avait jadis supporté le poids des restes du fameux dessert de Noël ne comportait plus que quelques traces de chocolat sur les rebords.

« Je vais mettre ça à la plonge et j'arrive. »

Frederic était parti dans un petit recoin de la pièce, Rika avait entendu quelques tintements de vaisselle puis il était réapparu. Ils étaient remontés en silence jusqu'au deuxième étage. De toute façon, Rika était bien trop occupé à ne pas glisser sur les marches usées.

« Je te laisse là, c'est ma chambre, fit soudainement Frederic en désignant la porte qui était face à l'escalier. Pour ta chambre, c'est le couloir à gauche puis encore à gauche.

-Ouais, je pense que je vais me retrouver ici.

-D'acc'. Alors bonne nuit Rika.

-Bonne nuit Frederic.

-Fred.

-Ok, sourit Rika. Bonne nuit Fred. »

Le jeune homme lui sourit et entra dans sa chambre. Rika, elle, se dirigea vers le couloir qui la mènerait à son lit.

« Et Rika ?

-Mmmh ?

-La chambre de Louis. C'est la porte tout au fond à droite, fit Fred en désignant l'autre côté du pallier. Grand-mère fait le coup des chambres séparées à chaque fois lors des premières visites..., expliqua-t-il en levant les yeux au ciel.

-Okay. Je... C'est noté.

-Parfait. Allez, bonne nuit Rika. »

Fred lui avait fait un clin d'œil bien trop appuyé pour être sérieux et avait fermé la porte de sa chambre en laissant échapper un petit rire. Et là, toute seule dans ce couloir grand, boisé, froid et sombre, Rika hésita. Gauche ou droite ? Droite ou gauche ? Droite. Elle avait traversé le palier sur la pointe des pieds sachant pertinemment que Fred ne s'était pas encore rendormi et elle le soupçonnait même de tendre l'oreille de l'autre côté du mur pour connaître le choix qu'elle avait fait. Elle n'avait même pas frappé à la porte, elle était rentrée directement et avait aperçu le corps de Louis sous sa couette. Elle était allée jusqu'au lit sans un bruit et s'était glissée sous la couette pour se coller au corps chaud de Louis.

« Rika ? fit-il avec une voix très mais alors très endormie.

-Chut. Rendors-toi.

-Qu'est-ce que...

-Il faisait trop froid dans ma chambre, répondit-elle et c'était un demi-mensonge. Et toi, t'as toujours chaud la nuit. »

Louis se retourna complètement pour permettre à Rika de se glisser dans ses bras.

« T'es plus fâchée ?

-Pour ?

-La trahison de cet après-midi.

-Ah ! J'étais pas fâchée, rit Rika en embrassant l'épaule de Louis parce que c'est la seule parcelle de peau qu'elle pouvait atteindre dans cette position.

-Ok. Super.

-Rendors-toi Loulou.

-J'y compte bien, fit Louis en resserrant son étreinte autour du frêle corps de Rika. »




--- NDA --- 

🐣❤️

Bonsoir les pioupious !! 


Alors ce clan Van Den Wall ? Vous les trouvez comment ? Et ma Rika ? Elle s'est débrouillée par trop mal nan ? ;)


Pour la semaine prochaine, on laisse nos amoureux un peu tranquille et on va aller s'intéresser à un autre couple ;) Je vous laisse deviner qui... 


Je vous souhaite une bonne nuit/journée !! 


Des étoiles dans les yeux, je vous embrasse.


Uthopie.

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