Chapitre 40 - La Veille de Noël

Chapitre Quarantième

C'était le soir de Noël. Faustine venait à peine de se rendormir, Martijn la berçait encore lentement de peur que l'arrêt du mouvement ne la réveille. Et pour tout avouer, il n'avait pas le courage de l'entendre encore pleurer une minute de plus. Il était quatre heures quarante du matin, et il avait très envie d'aller rejoindre Magdalena pour dormir. Mais non, parce qu'il avait promis à sa sœur que cette nuit, si Faustine pleurait, c'était lui qui se levait.

Il avait ralenti lentement les mouvements de balancier, attendu plusieurs secondes pour voir si sa nièce se réveillait. Puis, voyant que plus aucun bruit ne venait entraver le silence de la nuit, il était doucement sorti de la chambre. Il était sur la mezzanine, rêvant déjà de son lit quand son téléphone vibra dans sa poche. Louis.

« J'espère que t'as une bonne raison de m'appeler à presque cinq heures du mat' une nuit de Noël.

-Je pensais pas que tu étais encore debout, avoua Louis.

-Je viens de rendormir Faustine. Ça fait trois fois que je me lève.

-Tu vas finir par remercier Magda d'avoir dit non pour les mioches.

-Peut-être pas quand même... T'as besoin de parler ? C'est pour savoir s'il faut que je descende au salon.

-Ouais. Descends.

-Allez vas-y, lança Martijn en descendant les marches sur lesquelles il était tombé tant de fois étant petit. Je t'écoute.

-On part chez ma grand-mère dans cinq heures. J'ai toujours rien dit à Rika, alors que je sais que je dois lui dire avant qu'on arrive à la gare, parce que c'est Bruce qui vient nous chercher, et que je connais l'énergumène qui nous sert de chef de famille: elle va lui demander de sortir le grand jeu pour impressionner, je sais pas qui. Mais j'y arrive pas. Je ne sais pas comment lui dire.

-Tu te rends bien compte que si y a bien quelqu'un qui n'en n'a rien à faire du statut de ta famille, c'est Rika. Qu'ils habitent dans une caravane, une cabane dans les bois, une tente dans le désert ou un manoir, elle s'en fout.

-Je sais. Je sais que t'as raison.

-Elle est avec toi là ?

-Non. Elle est dans sa chambre.

-Et toi ? T'es où ?

-Dans la mienne.

-Vous n'avez pas les mêmes ?

-Houla ! Non. Non. Quand on est arrivé, sa mère m'a fait visiter la maison et... Tu vois, y a un escalier et l'escalier donne sur un immense couloir sombre et pas rassurant du tout. Elle a commencé à me dire des trucs du genre : là, c'est la chambre de Rika ; là, c'est la salle de bain ; là, les toilettes ; et les portes défilaient, défilaient, défilaient... On est arrivé à l'autre bout du couloir quand elle m'a enfin dit : « Là, c'est ta chambre ». C'est tout petit, ça pue le renfermé alors que ça fait deux jours que je laisse la fenêtre ouverte et c'est la porte en face de celle du grenier. Le grenier, s't'e plait ! Je me sens pas bien. Je veux rentrer à la maison.

-Tu veux que je te dise ? On dirait que t'as cinq ans, que tu pars pour la première fois en colonie de vacances et que t'appelle ta mère parce qu'elle te manque trop.

-Tu me manques beaucoup, Marty.

-Ta gueule, rit Martijn en s'allongeant de façon plus confortable dans le canapé.

-Non mais plus sérieusement, tu ferais quoi toi ? J'ai pensé à faire ma valise et partir. Seul. Ses parents sont assez dérangeants. Sa mère n'arrête pas de faire de petites remarques mal placées, et son père... Son père.... Maman... Dès que Rika n'est pas là, il me fixe avec un regard noir. J'ai pas encore décidé si c'était un regard pour essayer de sonder mon âme ou s'il scanne mon corps en se demandant s'il vaut mieux me trancher la gorge de gauche à droite ou de droite à gauche. Hyper flippant.

-Tu l'as dit à Rika ?

-Nan, elle a l'air contente de les retrouver alors je vais pas gâcher ça en faisant le mec qui a peur de son beau-père. Alors comme je peux parler à personne ici, je t'appelle toi. C'était comment votre Noël ?

-Vraiment génial. J'ai passé la soirée avec Faustine. Je trop dingue de ma nièce. Ça en est presque risible. Tout le monde était content avec ses cadeaux, et puis surtout ma mère avait invité ses deux sœurs, et mes cousins. Tout le monde a fait l'effort de venir. C'était cool de tous se retrouver ici et surtout, c'était pas arrivée depuis... Et bien, depuis neuf ans. Je le classe de mon top cinq de mes meilleurs Noël.

-Tu t'en souviens bien, rit Louis. C'était génial à ce point y a neuf ans ?

-Y a neuf ans, j'ai embrassé Magda pour la première fois. Alors je me souviens d'avoir surtout passé une bonne partie de la soirée à être heureux comme pas permis.

-T'étais tellement canard.

-C'était la belle époque.

-Me la fais pas à l'envers, Gelderman. T'es toujours autant canard avec ta meuf, rit Louis.

-Possible.

-Tu crois que je finirais comme toi ?

-Autant canard ?

-Ouais...

-Nan ! Impossible.

-Ok. Parfait.

-Louis ?

-Mmmh ?

-Je m'endors.

-Moi aussi.

-Je vais aller me coucher.

-D'accord.

-Juste avant que je coupe, va voir Rika et explique-lui. Ce soir, ou ce matin. Je sais pas trop ce qu'on dit quand il est tôt le matin, mais qu'on a pas encore dormi... Bref, on s'en fout. Ce que je veux dire, c'est que moi, je vais aller me coucher et comme toi, tu ne dormiras pas cette nuit, tu vas te lever, tu vas aller la réveiller, tout doucement, et tu vas tout lui expliquer, gentiment, simplement et calmement. Parce que dans quatre heures, elle aura la joie de connaître ta grand-mère et il vaut mieux qu'elle soit préparée.

-J'avoue...

-Parfait. Allez... Bisous, Loulou. Et tu m'appelles quand tu auras fait tout ça. D'accord ?

-Ça marche. Bonne nuit Marty. »

X+X+X+X+X

« J'avoue... ... Ça marche. Bonne nuit Marty. »

Louis avait raccroché avant son ami. Il avait continué à lancer la balle de tennis qu'il avait trouvé en l'air. Ça l'occupait assez bien. Il ne voulait pas allez réveiller Rika avant cinq heures trente. Il regarda sa montre. Il était cinq heures quarante-cinq. Bon quand la grande aiguille serait sur le onze, il y irait. C'est fou, il n'avait jamais remarqué à quel point ça allait vite une grande aiguille, parce qu'elle était arrivé très, très rapidement sur le onze quand même. Comme promis, Louis se leva, enfila son jean et sortit doucement de sa chambre. Il avança le long de l'immense couloir dans l'obscurité la plus totale. La seule lumière venait du lampadaire qui diffusait sa lumière par le minuscule œil de bœuf du mur du fond. En fait, Louis avait l'impression de traverser le couloir de la Mort. Il était arrivé devant la porte de la chambre de Rika. Il avait frappé deux petits coups et avait entrouvert avant d'entendre une réponse.

« T'es réveillée ?

-Oui. Entre. »

Louis avait jeté un dernier coup d'œil dans le couloir, pour vérifier qu'il n'avait pas été vu et était rentré rapidement. Rika était assise dans son lit, un livre dans les mains, sa lampe de chevet allumée et qui diffusait une petite lumière tamisée. Louis n'était pas encore rentré dans la chambre de Rika. Il était juste venu prendre son chargeur de téléphone à l'heure arrivée, alors il n'avait pas vraiment fait attention. Il n'avait pas fait attention à quel point on se sentait bien dans cette pièce. Elle n'était pas très grande, mais on a avait une douce sensation d'espace. La décoration était à l'image de sa propriétaire : simple et légère. Les couleurs n'étaient pas fades mais douces. Et puis il y avait l'odeur. Ça sentait bon les bonbons. Les Dragibus pour être précis. Alors même si ce n'était que l'odeur d'un vieux parfum de Rika, cela restait l'odeur des bonbons préférés de Louis.

« Je me sens en mission commando. J'ai fait gaffe à éviter la planche qui grince, je l'avais repérée. »

Rika acquiesça en souriant. Puis elle fixa Louis avec un petit air interrogateur.

« J'avais un truc à te dire. Un truc qui ne pouvait pas attendre le petit-dèj'. Ok. Alors... Comment je dis ça moi ? Simplement. Martijn a dit simplement. Donc simplement. Ma famille est riche.

-Je sais.

-Hein ? Comment ça tu sais ?

-Je m'en doutais fortement quand même... Louis, t'as déjà pris le temps de regarder ton niveau de vie ? Tes parents t'ont acheté un appartement alors que t'avais seize ans, juste parce que t'avais décidé de rester à Amsterdam, tu changes de voiture tous les ans et t'achètes jamais des occasions et toujours de très belles marques, dès que t'as un pote en galère tu lui proposes de lui prêter de l'argent sans vérifier tes comptes parce que tu sais que tu peux te le permettre, quelque soit le montant. Et puis on a déjà fait des soirées chez tes parents à Groningen et c'est pas une maison de banlieue qu'ils ont. C'est immense, genre... Immense.

-Ah oui... Effectivement, y avait peut-être quelques indices... Mais tu sais quand je te dis riche, c'est... Vraiment riche. Du genre que ma grand-mère vit dans un château et elle n'a pas besoin de faire visiter pour pouvoir l'entretenir, tu vois ? Elle se débrouille très bien toute seule avec tous ses employés. Les visites, c'est juste pour... Pour faire vivre l'endroit.

-Je vois.

-Je vois bien que tu ne vois pas vraiment mais bon..., répondit Louis en ébouriffant ses cheveux. Tu t'en fous ? »

Rika attrapa son marque-page sur sa table de nuit et ferma son livre pour le reposer à sa place. Elle souleva la couette à côté d'elle.

« Viens t'asseoir, demanda-t-elle en tapotant le matelas à côté d'elle. »

Louis ne se le fit pas dire de fois. Il monta debout sur le lit, et arriva à la place indiquée en même pas deux enjambées. Il se laissa tomber comme une masse, ce qui les fit rebondir sur le matelas à ressorts.

« Je m'en fiche de ta famille. Enfin je m'en fiche pas vraiment, je veux dire que je les respecte énormément, c'est ta famille. Mais la personne avec qui je compte avancer dans la vie c'est pas ta grand-mère, ni tes parents, ni tes oncles, ni tes cousins. C'est toi. Louis. Et je sais, parce que je te connais depuis longtemps maintenant, que ce n'est pas le compte en banque de ta famille qui te définit. Loin de là. Je le sais et tu le sais tout aussi bien.

-Donc ça ne te pose pas de problème ?

-Non. Enfin... J'avoue que ça fait plusieurs semaines que je me demande comment ils vont m'accueillir, moi. Parce que, comme tu as pu le remarquer, je ne viens pas de ce milieu et que c'est compliqué dans ce sens-là.

-Ils ne diront rien. Je ne dis pas qu'ils n'en penseront pas moins. Mais ils ne diront rien. Tant que je suis là, que ma mère est là, ils ne feront aucune remarque. Ils n'ont pas intérêt à le faire de toute façon. »

Rika se sentit attendrie par cette attention et en profita pour embrasser son amoureux.

« Je t'aime.

-Moi aussi, je t'aime Louis, répondit Rika en posant sa tête sur l'épaule du garçon. »

Ils restèrent un moment en silence dans cette position. La maison était encore silencieuse et c'était reposant, hors du temps.

« Pourquoi tu n'en parles à personne ? finis par demander Rika dans un tout petit murmure.

-Parce que... Je t'ai déjà parlé de ce qui me faisait peur dans la vie ?

-Qu'on te confonde, se souvint la jeune femme.

-Exactement. Eh bien, j'ai rapidement compris que quand les gens savent d'où je viens, je ne suis plus Louis. Je suis un Van Den Wall. Et je n'aime pas ça, je n'aime pas l'idée que seul mon statut social et mon nom de famille déterminent mes relations aux autres. Parce que tu le sais comme moi, dès que les gens savent que tu as de l'argent, ça change beaucoup la relation que tu as avec eux. Alors quand j'ai compris ça, vers... Dix ans, peut-être, j'ai décidé de ne plus rien dire à personne. À aucun moment les gens avec qui je suis au quotidien n'ont besoin de connaître mon arbre généalogique.

-Il est impressionnant à ce point ?

-Tu verras ça demain, rit Louis. C'est à peu près sûr que tu vas être menée devant la tapisserie qui représente tous mes ancêtres et tu auras aussi le droit aux récits de guerre héroïque des Van Den Wall.

-Super. Ça va être génial.

-Tu vas adorer. Tu vas réviser les Croisades, la Guerre de Quatre-Vingt Ans, la Guerre de Dévolution, la Guerre de Hollande. La totale.

-Et tu n'as pas peur que les secrets que tu as gâchent tes amitiés ?

-Non.

-Vraiment ?

-Mes amis me connaissent, mes vrais amis sont capables de comprendre pourquoi je ne veux pas en parler. S'ils ne peuvent pas, c'est qu'ils ne sont pas dans mon entourage pour les bonnes raisons. Ils ne me connaissent pas. Il n'y a que Martijn qui est au courant.

-Ok.

-D'autres questions ?

-Faut que je mette une robe ?

-Ouais. Ça sera mieux. Vaut mieux la jouer discret le premier jour. Une autre que celle du soir, ça serait le top.

-Mmmh... Attends... »

Rika se dégagea de l'étreinte de Louis pour se diriger vers la grande armoire en bois brut de la pièce. Elle ouvrit les deux portes en grand et resta un long moment en pause devant.

« Tu cherches quoi ?

-La robe que j'avais pour mon gala de quatrième année. Elle doit être ici parce que je l'ai jamais revue à Dam. Oui ! Elle est là ! J'espère que je rentre encore dedans... »

Rika se tourna vers Louis avec une robe évasée bleue roi tendue devant elle.

« Ça irait ça ?

-Parfait.

-Je l'essaye alors. »

Rika accrocha la robe à la porte grâce au cintre et se tourna pour enlever son pyjama en polaire. Elle enfila rapidement sa robe.

« Je rentre encore dedans ! s'exclama-t-elle en frappant dans ses mains. C'est pas mal, non ?

-C'est nickel, Rika. Vraiment parfait.

-Ok. Super, souffla-t-elle en s'approchant pour l'embrasser. On descend prendre le petit-déjeuner ?

-J'arrive. Je vais chercher un t-shirt dans ma chambre.

-À tout de suite alors, dit-elle en quittant la pièce. »

Louis lui sourit et attendit qu'elle ait disparu pour attraper son téléphone.

De LOUIS:
T'avais raison.

De MARTY:
Je sais ;)

De LOUIS:
Je l'aime.

De MARTY:
Ça aussi, je sais ^^
Et nous, on vous aime tous les deux. Joyeux Noël mon Loulou <3 (signé Magda)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top