Chapitre 38 - Histoire de Famille
Chapitre Trente-Huitième
Martijn et Louis étaient installés sur l'un des bancs du Vondelpark, chacun sa glace dans les mains. Cerise pour Martijn. Mojito pour Louis. Ils venaient de courir dix kilomètres et ils estimaient avoir bien mérité cette récompense sucrée.
« On est bien là, non ? demanda Martijn en avalant un bout de sa glace.
-Tellement bien, soupira Louis en fermant les yeux pour se laisser aller au soleil.
-T'as des nouvelles des appartements pour Jan ?
-Il en visite encore là. Mais je sais qu'il en a visité un qui lui a vraiment plu y a deux jours. Il pourrait y emménager dans deux semaines.
-T'es pressé de retrouver ton lit à ce point ? rit Martijn.
-Nan, pas tant que ça. C'est cool chez Rika. Ça se passe bien.
-Malgré la partie physique manquante ?
-Ouais. Je.. Je découvre les relations platoniques et... Ma foi... Je crois que je commence à bien vivre ma vie comme ça. Le seul truc négatif de notre cohabitation, c'est qu'elle m'oblige à faire la vaisselle tous les soirs, mais je crois que ça aussi, je pourrais m'y habituer.
-Ah oui quand même...
-Vas-y. Moque-toi.
-Je suis content pour toi que ça se passe bien. Vraiment.
-Moi aussi. Même si je sais toujours pas où ça va se finir, je me sens bien avec elle. »
Martijn tourna la tête vers son ami avec un petit sourire
« Tu sais que tout ce qu'on se dit sur ce banc, restera sur ce banc ?
-Pourquoi tu te sens obligé de préciser ?
-Pour te dire que tu peux tout me dire.
-Je le sais ça.
-Ok. »
Louis et Martijn restèrent un moment en silence à déguster leurs glaces. Martijn était enfin arrivé au cornet en biscuit quand Louis reprit la parole :
« Tu veux vraiment que je le dise ?
-J'adorerais t'entendre me dire ça. J'avoue.
-Marty ?
-Oui ?
-Je crois qu'avec elle, j'arrive à être l'homme que je veux être. »
À peine avait-il fini sa phrase que Martijn se mit à rire à gorge déployée.
« J'aurais jamais cru t'entendre dire ça un jour.
-J'aurais jamais cru dire ça un jour, avoua Louis en riant à son tour.
-Tu lui as dit ?
-À Rika ? Ah non ! Non. Pour l'instant, on est au « je t'aime ». On va pas trop s'emballer non plus.
-Ouais t'as raison, rit Martijn. Faudrait pas qu'elle se fasse trop d'idées, genre que t'es dingue d'elle.
-Voilà. Exactement. Faudrait pas qu'elle tombe de haut.
-T'es irrécupérable.
-Je sais, je sais. Et tu veux savoir à quel point je suis irrécupérable ? Ma grand-mère m'a appelé. Pour Noël.
-Hein ?
-Ouais. J'ai fait la même tête quand j'ai vu son nom.
-Pourquoi c'est pas ta mère qui a appelé pour l'organisation ?
-Attends que je t'explique... Alors, ma grand-mère m'a fait un discours de presqu'une heure qui parlait principalement du fait que j'aurais trente ans l'année prochaine, que je n'ai jamais ramené aucune femme aux réunions de famille, qu'elle savait qu'aujourd'hui les mœurs avaient changé et qu'elle se pensait à prête à tout entendre de ma part.
-Bref, ta grand-mère t'a appelé pour te dire que tu pouvais lui faire ton coming-out, résuma facilement Martijn en avalant sa dernière bouchée de son cornet.
-Exactement.
-Et tu lui as dit quoi ?
-Bah que j'étais pas gay ! Qu'est-ce que tu veux que je lui dise ?!
-Ça lui a suffi ?
-Non. Pas du tout. Du coup, je n'ai rien trouvé de mieux que de lui assurer que je venais avec Rika à Noël. Je suis irrécupérable.
-Oh la belle idée, rit Martijn.
-Je suis grave dans la merde, en vrai. Jamais Rika ne voudra venir avec moi, elle passe Noël en famille à Breda. C'est quasiment la seule fois dans l'année où elle descend les voir. Donc direct : c'est mort.
-Non mais attends... On va commencer par le commencement : elle est courant pour... Ta situation familiale ?
-Ah non. J'aime pas en parler.
-Je veux bien l'entendre, mais... C'est ta meuf quand même.
-Ouais bah j'aime pas. J'aime pas. J'en ai jamais parlé à Laura et ça n'a jamais posé de soucis.
-De toute façon, si Rika vient à Noël chez ta grand-mère, elle va voir où elle habite et... C'est pas commun. Donc il faudra bien que tu lui expliques.
-Ouais bah on verra ça à ce moment-là. Chaque problème en son temps. Déjà, je vais lui soumettre l'idée et j'aviserais selon la réponse.
-Explique-lui avant.
-Laisse moi faire.
-Ça va mal finir.
-Laisse moi faire, je te dis ! »
Martijn essuya ses deux mains sur son jogging avant de se lever.
« On rentre ?
-T'insistes pas plus ?
-Tu vas changer d'avis ?
-Non.
-Bon bah voilà. Allez, debout camarade. On rentre à la maison. »
X+X+X+X+X
Louis pouvait entendre le sèche-cheveux fonctionner. Rika avait donc fini sa douche, elle y avait passé vingt bonnes minutes. Ce qui avait laissé vingt bonnes minutes à Louis pour trouver comment aborder le sujet « Noël » en toute subtilité. Comme il savait si bien le faire.
« Rika ? appela-t-il de l'autre côté de la porte de la salle de bain.
-Attends Loulou. J'arrive. J'ai fini là.
-Ouais. D'accord. Je... Je suis dans le salon.
-Je pense que je te trouverais, tu sais. C'est pas si grand que ça ici.
-Ouais. Mais... J'ai un truc à te demander.
-D'accord. J'arrive. »
Louis retourna alors docilement au salon en attendant que Rika se décide à sortir de la salle de bain. Il ralluma la télévision et tenta de se concentrer sur ce reportage sur les usines Audi en Allemagne. Ça avait l'air sacrément intéressant tout de même.
« Qu'est-ce que tu voulais me dire ? demanda Rika en s'asseyant à côté de lui.
-C'est quoi cette tête ?!
-Un masque à l'argile. Tu veux un bisou ?
-Non, non. Ça va aller, assura Louis en se décalant sur le canapé de manière à avoir une certaine distance de sécurité entre lui et Rika. Sans façon.
-Alors ? Qu'est-ce qui se passe ?
-Tu fais quoi pour Noël ?
-Je rentre à Breda. Pourquoi ?
-Ma mère m'a demandé si j'emmenais quelqu'un avec moi cette année. Alors, je m'étais dit que... peut-être...
-Ta mère ? répéta Frederika surprise.
-Ouais.
-Et tu lui as dit que je venais ?
-Ah non, non. Moi, j'ai rien dit. Je te propose ça comme ça. Mais si tu veux pas, y a pas de soucis.
-Tu veux que je vienne ?
-J'ai rien dit moi. Je propose.
-C'est pas la question ça, Loulou. Est-ce que toi, tu veux que je vienne ?
-En vrai ?
-Oui.
-Ouais. J'aimerais bien.
-Et tu veux que je vienne pour rassurer ta famille sur ta vie sentimentale ?
-Tu es très énervante parfois. Tu le sais ?
-Quand je lis en toi comme dans un livre ouvert ?
-Ouais. Quand tu fais ça. C'est vraiment très énervant.
-Tu n'arrives pas à mentir, c'est pas grave. Et du coup, tu ne veux pas me raconter la vraie histoire ? demanda Rika en s'installant plus confortablement dans le canapé.
-Ma grand-mère m'a appelé la semaine dernière pour me demander si je comptais, un jour, leur ramener une fille à un repas de famille. Le prochain étant Noël. Elle était vraiment oppressante et... J'ai pas réfléchi, je lui ai dit que tu venais avec moi. Alors que je sais que tu préféreras être avec tes parents. Je suis désolé.
-Hé Loulou. Y a des choses un peu plus grave dans la vie. C'est pas si grave. On trouvera une solution. Noël tombe un jeudi, je pourrais venir le week-end qui suit par exemple. On trouvera. Mais... Louis, tu veux vraiment que je vienne ? Je te le demande parce que tu ne parles jamais de ta famille. Je ne sais rien d'eux, mis-à-part que tes parents sont avocats à Groningen.
-J'aime pas parler d'eux. J'en parle jamais. À personne. Il n'y a que Martijn qui les connaît parce qu'on allait en vacances ensemble chez ma grand-mère. Mais sinon j'aime pas. Par contre, je veux vraiment que tu viennes à Noël. Ça me ferait très plaisir.
-Tu as peur que ça change la façon dont on te perçoit ?
-C'est ça.
-Tu me parleras d'eux un jour ?
-Tu viendras à Noël ?
-Je peux me débrouiller pour arriver le vendredi. Il faudra voir les trains.
-Tu vas venir ?
-C'est important pour toi, non ?
-Oui...
-Alors je serais là, conclut simplement Rika en se levant. Je vais aller m'enlever ce masque, ça commence à tirer. »
Rika colla un baiser sur la joue de Louis qui râla en essuyant les quelques traces d'argile qui étaient apparues ; puis elle se leva pour repartir dans la salle de bain.
De LOUIS:
Elle a dit oui !
De MARTY:
Pour ?
De LOUIS:
Noël !!
Putain. J'arrive pas à y croire.
De MARTY:
Et elle a dit quoi quand elle a su où elle mettait les pieds ?
De LOUIS:
Ah oui. Ça je lui ai pas encore dit.
De MARTY:
Louis...
De LOUIS:
Je gère t'inquiète ! Ça va être fantastique !
Je crois que c'est la première fois de ma vie (post croyance Père-Noël) que je suis pressé d'être le 25 décembre.
X+X+X+X+X
De RIKA:
Louis vient de me demander de fêter Noël avec lui.
Chez sa famille.
De MAGDA:
Eh bien ?! C'est super ça !!
De RIKA:
Et s'ils ne m'aiment pas ?
Ils vont se demander ce que je fous avec lui ! Tout le monde s'accorde à dire qu'on a rien à faire ensemble.
Pourquoi j'ai dit oui !?!?!
De MAGDA:
Parce que genre c'est possible de ne pas t'aimer ;) <3
Personne ne va rien demander du tout. Ils vont être bien trop contents de voir qu'il a une vie sentimentale stable et épanouissante.
T'as dit oui, parce que t'as envie d'y aller. Tout simplement.
De RIKA:
Faut que j'appelle mes parents maintenant. Pour leur dire que je pars le 25 au soir.
Ça va pas être de la tarte ça non plus.
De MAGDA:
Dis toi que moi, je dois reparler du fait d'inviter Pierre au mariage à Martijn.
De RIKA:
Ok. Tu gagnes le jeu de la discussion la plus relou à venir.
De MAGDA:
Ah ! Merci !
Je lui ai fait son gâteau préféré pour l'amadouer.
De RIKA:
J'aimerais tellement pouvoir faire ça !
Mais mes parents habitent à 100km d'ici, donc le temps de l'envoyer, il sera périmé.
Et mes parents ne mangent pas d'œufs.
Ni de beurre.
Ni de lait.
Je ne peux pas faire de gâteau à mes parents, Magda ! Comment je fais ???
De MAGDA:
Tu les appelles.
Magda s'appliquait à vider l'étagère de la cuisine à la recherche du sucre glace. Elle savait qu'il y en avait quelque part, elle en avait acheté le mois dernier et personne n'en avait manger depuis. Alors Magda vidait et retournait toutes les boîtes.
« Ah ! Il est là !
-Qu'est-ce qui se passe ici ? demanda Martijn qui faisait une apparition éclair dans la cuisine.
-Hé ! Je t'avais dit de pas venir dans la cuisine.
-J'ai rien vu ! assura Martijn qui était déjà dans l'entrée. Et il faut bien que quelqu'un vide la machine.
-Bah dépêche-toi de mettre tout ça dans le sèche-linge. C'est prêt ! »
Martijn avait transvasé rapidement le linge d'une machine à l'autre avant de rejoindre sa fiancée dans le salon. En traversant la pièce principale, il remarqua immédiatement que Magda avait mis en route sa playlist à lui, celle qu'elle n'aimait pas trop. Elle avait un truc à lui demander. Un truc important de toute évidence.
« Je t'ai fait un brownie au chocolat !
-Merci mon amour.
-C'est quoi ce sourire ? T'avais deviné ?
-Magda... On habite un soixante mètre carré donc... Ça fait deux heures que ça sent le chocolat dans tout l'appart'. Mais c'est adorable, merci.
-Je dois avouer que j'ai un truc à te demander Marty, prévint Magda en posant une tranche dans une petite assiette en faïence.
-Ah ouais ? fit Martijn en feignant la surprise et en attrapant directement le plat avec le brownie presqu'entier.
-T'as réfléchi à ce dont je t'ai parlé y a deux semaines ?
-À propos de ?
-De Pierre.
-Ah. Non, pas vraiment. Enfin un peu quand même...
-Marty... C'est vraiment ce que je souhaite. Tu sais que j'ai réfléchi des jours avant de demander quelque chose comme ça.
-Je sais.
-Il a compris qu'il s'était trompé, on ne peut pas lui en vouloir toute sa vie. C'est toi qui avais raison. On peut faire un pas vers lui.
-Non, je suis pas certain d'avoir eu raison, non. Pourquoi on ne pourrait pas lui en vouloir toute sa vie ?
-Martijn. T'es pas quelqu'un de rancunier habituellement. Pourquoi tu ne veux pas...
-J'ai l'impression que tu oublies un peu vite ce qu'il t'a dit et dans quel état ça t'a mise. Moi, j'ai pas oublié. T'as pleuré pendant des mois, Magda. Je t'entendais toutes les nuits. Toutes. Sans exception. Alors j'avoue que, oui, j'ai beaucoup de mal à passer l'éponge sur tout ce qu'il t'a dit avec une simple lettre. Et je me fous du nombre de pages que comporte cette lettre, ajouta-t-il pour devancer une quelconque réponse de Magdalena.
-Tu sais, commença la jeune femme en posant son assiette sur la table de salon. Quand je suis arrivée en France, ça pas été simple. Moi, j'avais aucune envie de partir de New York. Même si j'avais pas forcément beaucoup de copains en primaire, et qu'au final la seule et unique raison que j'avais de vivre là-bas c'était ma famille, New York c'était chez moi. J'avais toujours vécu dans la même maison et la France... Eh bien la France je trouvais ça super cool, mais que pour les vacances. Surtout que mes parents avaient décidé d'aller s'enterrer dans une... Ville ? Un truc qui me semblait bien paumé au bord de l'eau. Clairement, ça ne vendait pas du rêve à la new-yorkaise que j'étais. Mais bon, j'avais treize ans donc on m'a pas vraiment demandé mon avis. Donc j'ai, à contre-cœur, fait mes cartons et hop ! Dans le premier avion pour Paris. Et quand il a fallu faire ma rentrée au collège, je faisais aucun effort. J'avais la ferme intention de prétendre un manque cruel d'intégration pour exiger de mes parents un renvoi direct dans un internat de la Grosse Pomme. Et je me fichais pas mal du fait que Charlie ne cessait de m'assurer que ça ne marcherait pas. Bref, au collège les seuls à m'avoir parlé le premier jour, pour autre chose que savoir si c'était vrai que je venais de New York, ce fut Pierre, Garance et Clarisse. Ils étaient juste devant moi en cours, et à force de les voir essayer désespérément de me remonter le moral, parfois peut-être un peu maladroitement, je me suis attachée à eux. Ils sont les premiers amis que j'ai jamais eus. Alors oui. Oui, quand Pierre m'écrit une lettre de trois pages pour m'exprimer tous ses regrets, je lui pardonne ce qu'il a pu me dire. Parce que tu sais comme moi que rester dans la rancune ça ne fait avancer personne. Bien au contraire. »
Martijn avait écouté bien attentivement ce que lui avait raconté Magda. Parce qu'elle ne parlait que très rarement de son enfance. Tout ce que Martijn connaissait était les histoires de famille qu'on pouvait lui raconter. Les petites anecdotes qu'on ne vit qu'avec les gens du même sang. Mais Magda ne parlait jamais de l'école, de la voile. Ne parlait que très rarement de son collège. Et Martijn évitait d'évoquer la partie lycée. Alors le fait qu'elle lui raconte comme ça, si simplement, ses premiers mois en France lui faisait enfin comprendre que ce que lui était demandé représentait bien plus que la simple invitation d'un ami. C'était le signe qu'elle avait vraiment gagné ce combat. Que Lui ne lui avait pas gâché les plus beaux bonheurs de son enfance. Et puis surtout qu'inviter Clarisse et Garance sans Pierre ça n'avait pas vraiment de sens.
Martijn se laissa tomber au fond du canapé avec son brownie toujours dans les mains. Il avala plusieurs bouchées en fixant Magda. Sa Magda qui le regardait avec sa tête légèrement penchée sur le côté. Ce mouvement faisait tomber sa tresse encore plus bas, et lui permettait de jouer nerveusement avec les quelques mèches terminales.
« Juste aux cérémonies.
-Juste aux cérémonies, confirma Magda dans un souffle.
-D'accord.
-Vraiment ?
-Oui. Vraiment.
-Tu changeras pas d'avis ?
-Non.
-Merci Martijn. Merci. »
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