Chapitre 36.2 - Cuisine et Concessions
Chapitre Trente-Sixième - Partie II
Martijn avait su qu'il avait été entendu par Jan quand il l'avait interpellé, car ce-dernier lui avait adressé un léger signe de tête. Il arriva à la table de ses amis en demandant à Marja de lui passer son paquet de cigarettes qui devait être dans la poche droite de sa veste. Une fois l'objet en main, il alla rejoindre Martijn devant l'entrée du bar. Il sortit une clope et l'alluma après l'avoir coincée entre ses lèvres. Il tira plusieurs bouffées avant que Martijn se décide enfin à prendre la parole.
« C'est pour ça qu'on ne voit quasiment plus Hannah ?
-Oui. Elle pense que j'ai plus besoin de me vider la tête avec vous qu'elle. Elle sort avec d'autres amis.
-Pourquoi tu ne nous en as jamais parlé ? Pourquoi vous ne nous en avez jamais parlé ?
-On avait trouvé le courage de vous en parler un soir, mais finalement, on ne l'a pas fait.
-Qu'est-ce qui s'est passé ce soir-là ?
-Vous nous avez annoncé votre mariage. On se voyait pas gâcher la fête alors on a rien dit. On est rentré à l'appartement et elle a réussi à me convaincre que c'était un signe pour qu'on réessaye ; que pour Julian, c'était mieux qu'on réessaye. Alors c'est ce qu'on a fait, mais ça ne marche pas.
-Je suis désolé.
-Faut pas. Ça a toujours été un peu compliqué avec Hannah. Y avait quand même peu de chance qu'on finisse notre vie ensemble. C'est plus pour Julian que je me sens mal. J'ai l'impression qu'on a fait un... Un bébé-pansement. On a eu un bébé en espérant que ça résoudrait tous nos soucis. Mais ça n'a rien arrangé du tout. Attention ! Je ne suis pas en train de dire que j'en veux à mon fils, hein ? Je l'aime.
-Bien sûr Jan ! Personne n'a jamais dit le contraire.
-Parfois, je me dis que si je suis resté tout ce temps, c'était pour lui.
-Ne reste pas pour ton fils. Sérieux. Je pense sincèrement que le mieux pour lui, c'est de vivre dans un milieu d'amour.
-Tu veux que je laisse mon fils d'un an vivre chez les Bisounours ? Je comptais le garder encore un peu près de moi.
-T'es con. Tu vois ce que je veux dire. C'est pas mieux qu'il soit avec des parents qui ne peuvent plus se voir.
-Non, mais on ne se supporte encore. C'est plus le grand amour, mais ça reste vivable. La plupart du temps. On ne se crie pas dessus, et on a décidé de faire ça... Intelligemment ? En tout cas, on essaye. J'ai pas envie qu'on se batte, et je crois qu'elle non plus.
-Qu'est-ce que vous faites en ce moment ?
-Depuis le week-end dernier, je chercher un appart'. Donc je te laisse imaginer l'ambiance à la maison cette semaine. Parce que si jusqu'ici ça allait, là, c'est un peu horrible.
-J'imagine...
-Je pense que je vais prendre un truc rapidement et puis je trouverai mieux plus tard.
-Tu comptes le dire quand aux autres ?
-Je veux pas le faire dans le dos de Hannah et lui laisser croire que je la fais passer pour la grande méchante de l'histoire. J'aurais aimé qu'on soit tous les deux.
-Bien sûr. Ça se comprend. Mais t'as pas l'impression que ça va être bizarre ? Si vous êtes là tous les deux ?
-J'y ai pas trop réfléchi, avoua Jan. Mais tu sais, ça se passe plutôt pas trop mal. Comme rupture.
-Ok. Fais-le comme tu le sens.
-J'imagine que tu vas en parler à Magda ?
-Pas si tu...
-Hé les pipelettes ? les interpella Louis en sortant du bar à son tour. On décale ou on s'enterre ici ?
-Comme si vous nous aviez attendus pour prendre une décision... rit Jan en terminant dans une dernière bouffée sa cigarette.
-Non. J'avoue. On a laissé ce choix à Hugo et il a dit : on décale. Donc on décale. Faut vous apporter vos affaires ou vous êtes des grands garçons ?
-Mais j'ai pas fini mon verre ! s'exclama soudainement Jan.
-Ah si... Marja t'en doit un : elle a tout bu d'un trait.
-Super... »
Louis était resté avec ses deux amis à l'extérieur en attendant que toute la petite troupe quitte le bar. Magda était arrivée avec les vestes des deux garçons restés à l'extérieur, dans les bras.
« Tout va bien ? demanda Martijn en apercevant une légère trace de mascara oubliée autour des yeux de Magdalena qu'il effaça lui-même de son pouce.
-Je t'aime, répondit-elle simplement en posant un léger baiser sur sa joue. Et mets ta veste, tu vas attraper froid. »
Martijn n'avait même pas cherché à discuter. Il avait pris sa veste et l'avait enfilée alors que Magda repartait vers Rika et Marja. Tous avaient suivi Louis et Hugo qui pris la tête du petit groupe en direction du sud de la ville, sans poser de question à qui que ce soit. Martijn et Jan, eux, avaient préféré rester en queue de peloton.
« J'étais sérieux tout à l'heure Jan : ne traîne pas trop à en parler aux autres.
-Je sais. J'en parlerai avec Hannah dès demain. Et Marty ?
-Ouais ?
-J'ai une maîtresse. Depuis neuf mois.
-C'est le deuxième effet qui se coule, ironisa Martijn.
-Bah quitte à te parler de ça, autant tout te dire. Comme ça, c'est fait.
-C'est sérieux du coup ?
-La rupture ou ma maîtresse ?
-Les deux. Quoique la rupture, j'ai bien compris que c'était du sérieux.
-Ouais, eh bien... Je sais pas trop. On verra bien où ça nous mène. On se pose pas trop de questions.
-Bien. T'as pas de troisième nouvelle à m'annoncer ? Pas de maîtresse enceinte ou...
-Non ! Non, c'est bon. Y a tout, rit Jan alors qu'il arrivait au second bar de la soirée.
-Ok ! Super !
-Et... Vous parliez de quoi à table tout à l'heure ? J'avoue ne pas avoir suivi du tout.
-On parlait cuisine. Magda veut une cuisine avec des meubles noirs et un plan de travail en bois. Et moi, je veux tout en bois blanc et naturel, expliqua Martijn alors que les deux garçons s'installaient à la table. On est en débat depuis qu'on a commencé à regarder tout ça dans l'avion de retour de chez ses parents.
-Tu remets ça sur le tapis ? s'étonna Magdalena.
-Oui, parce que j'ai raison et je voudrais bien qu'au moins une personne s'en rende compte.
-Moi, je te soutiens, Marty, assura Louis en levant la main. Team Cuisine-Blanche.
-Toi, t'as pas vraiment le choix, répondit Martijn en le menaçant de l'index.
-Mais tu penses pas que pour la cuisine, tu pourrais laisser Magda choisir ? tenta Jan avec toute la diplomatie dont il disposait. Vu que tu t'occupes de toute la décoration de la maison...
-Et surtout vu le peu de temps que tu vas passer dedans ? rajouta Magda l'air de rien.
-Jan ? T'es mon ami ou pas ?
-Oui ! Oui, mais je fais juste la remarque.
-Le truc, c'est que tout le monde me fait la même remarque. Je vous signale juste que la cuisine est ouverte sur le salon et que je vais passer du temps dans mon salon, donc j'aimerais beaucoup avoir mon mot à dire pour la cuisine.
-Magda, commença Louis en prenant son air le plus sérieux. Tu sais... Parfois, dans un couple, il faut savoir faire des concessions...
-T'es sérieux là ? fit la jeune femme interloquée. Tu vas vraiment me parler de ça ? Toi ?
-Hé ! Excusez-moi, mais je pense que niveau concession dans un couple, je suis en Champions League en ce moment, d'accord ? »
Cette phrase eut le mérite de faire rire Magda et Martijn, de faire sourire Rika qui passa doucement sa main sur la joue de son amoureux, et de provoquer l'incompréhension des autres.
« Tu parles de ton tout récent végétarisme ? demanda Staas.
-Voilà. Exactement. Je parle de ça, assura Louis alors que face à lui Magda tentait de réprimer un fou rire. Tout ça pour dire que si je peux me passer de se... De steak. Si je peux me passer de steak et bien tu peux bien faire avec une cuisine blanche. N'est-ce pas ?
-Oui, c'est sûr que présenté de cette façon... concéda Magda en riant toujours.
-On va l'avoir à l'usure, Marty. Tu l'auras ta cuisine blanche, t'en fais pas. »
X+X+X+X+X
Jan était parti en même temps que Magda et Martijn. Il était rentré en taxi parce qu'il avait largement trop bu pour pouvoir prendre le volant sans être dangereux pour les autres. Il était monté à son appartement en restant appuyé contre le miroir de l'ascenseur pour s'assurer de ne pas tomber comme une masse. Il s'était ensuite avancé jusqu'à sa porte. Hannah ne l'avait pas fermée, alors n'eut qu'à pénétrer dans l'appartement, jeter ses clefs dans le vide-poche et abandonner ses chaussures entre le canapé du salon et la porte de la chambre. En entrant dans la pièce, il s'attendait vraiment à trouver une pièce plongée dans la pénombre ; mais non. Non, Hannah était là, assise dans le lit, un magazine dans les mains. Quand elle entendit la porte s'ouvrir, elle stoppa immédiatement sa lecture :
« T'étais où ? T'étais avec... Elle ?
-Non.
-Même si tu l'étais, tu ne me le dirais pas, n'est-ce pas ?
-Sûrement. Mais la question ne se pose pas, puisque je n'étais pas avec Alice. J'étais avec les gars. T'as qu'à les appeler si tu veux. »
Hannah n'avait pas répondu, elle avait juste gratifié Jan de son regard le plus noir.
« Ok. Je vais dormir dans le canapé. »
Jan attrapa une couverture qui traînait au pied du lit et repartit dans le salon ; alors que derrière lui Hannah se levait.
« Attends Jan !
-Non. Non, je n'attends pas. J'en ai ras le bol de tes interrogatoires dès que je rentre à l'appartement. Je ne te dois plus rien, Hannah. Tout comme tu ne me dois plus rien.
-On vit encore sous le même toit, je te rappelle.
-Et ? Ça te donne le droit d'agir comme un agent de la CIA ? Je ne pense pas, non.
-Ça me donne le droit de savoir quand est-ce que tu rentres.
-Absolument pas. Maintenant, va te coucher. Moi, j'ai un patient à neuf heures demain. Faut que je sois en forme.
-Jan...
-Y a plus de Jan qui compte non plus. Va te coucher. S'il te plaît. »
Hannah n'avait plus rien dit. Elle avait regardé Jan se coucher dans le canapé, en laissant couler une unique larme le long de l'arrête de son nez.
« Et pense à éteindre la lumière. Merci. »
Elle était retournée dans sa chambre, vers son grand lit froid pour tenter de trouver le sommeil, non sans avoir appuyé de l'index sur l'interrupteur.
Jan lui, préféra attendre que la porte de la chambre à coucher se soit refermée pour attraper son téléphone.
De JAN:Je peux venir squatter chez toi demain soir ?
De LOUIS:
Ouais, bien sûr !
Mais pourquoi pas dès ce soir ?
De JAN:
Parce que là, je suis trop bien installé dans mon canapé.
De LOUIS:
Canapé ?
Tu m'expliques ?
De JAN:
Demain.
Bonne nuit Loulou.
X+X+X+X+X
Martijn aurait bien voulu savoir pourquoi Magda avait pleuré. Elle lui avait dit que tout allait bien, elle avait un joli sourire sur le visage pour le reste de la soirée. Mais Martijn n'y croyait pas, parce qu'il la connaissait par cœur. Il avait quand même commencé à avoir un indice sur le chemin pour rentrer chez eux.
Il n'était pas très tard, à peine minuit passé. Ils marchaient en direction du sud de la ville, le long des canaux, main dans la main.
« Dis Marty ?
-Mmmh ?
-J'ai parlé à Rika de la lettre de Pierre, et avec Marie aussi.
-Oui.
-Tu accepterais qu'on lui envoie une invitation ? À Pierre. »
Martijn laissa le temps à un ange de passer. Ce qui lui permettait aussi de réfléchir deux secondes à ce que Magda venait de lui demander. Honnêtement, non. Il n'avait pas vraiment envie d'accepter, parce que cela sonnait presque comme un pardon ; et la vérité était que Martijn n'avait pas du tout envie de pardonner à Pierre. Ce qu'il avait dit à Magda ce soir-là était beaucoup trop grave, trop violent pour pouvoir le pardonner avec une lettre aussi longue et sincère soit-elle. Et puis la seconde vérité, parce que tout n'est pas toujours blanc ou noir dans la vie, était que Magda lui avait demandé ça après des jours de réflexion. Il l'avait vu y réfléchir, il l'avait sentie tracassée et pensive ces derniers jours. Il savait que ce n'était pas une décision prise à la va-vite. Tout comme il savait qu'avoir ses amis près d'elle ce jour-là serait extrêmement important pour elle.
Alors avec une diplomatie légendaire, Martijn répondit :
« Je pourrais essayer de comprendre. »
Ce n'était pas un « oui ». Ce n'était pas un « non » non plus. Tous les deux le savaient très bien. Cela sonnait plus comme un « Il faut qu'on en parle, mais pas ce soir. ».
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top