Chapitre Vingt-Cinquième - Partie I

 Louis ne savait pas trop pourquoi il était parti. Il savait que ce n'était pas très poli, mais franchement, il n'avait pas eu le cœur à rester. Alors, il était parti. Laissant Rika et son café sur-sucré seuls. Il n'était pas rentré chez lui tout de suite, il avait décidé de marcher seul avant. L'été commençait à s'installer sur la capitale néerlandaise et il faisait assez bon ce soir, assez pour se balader le long des canaux pour réfléchir. Ils faisaient toujours ça dans les films. Ils allaient marcher et ça les aidaient à prendre la bonne décision, celle qui rend les gens heureux à la fin. Et Louis voulait, sincèrement, prendre la bonne décision. Celle qui rendrait tout le monde heureux à la fin. Ça n'allait pas être facile et il savait qu'il allait avoir besoin de plusieurs kilomètres de canaux pour faire son bon choix.

Louis se souvenait très bien de sa première fois. C'était pendant les vacances de Noël et il avait quinze ans depuis à peine quelques mois. Cette année-là, Martijn avait dit qu'ils pouvaient fêter le réveillon de la nouvelle année chez lui. Ses parents étaient chez les voisins avec sa petite sœur et ils ne rentreraient que dans la nuit. Bref, le plan parfait. Ils avaient invité tous leurs amis et une bonne partie de l'école, dont Lucy. Lucy. Lucy avait deux ans de plus que lui et n'était donc même pas dans sa classe, mais à l'école, Louis ne voyait qu'elle. Il la trouvait parfaite, super jolie, super cool, super tout. Il l'avait draguée toute la soirée, sous l'œil amusé de ses amis qui se fichaient pas mal de lui. Sauf que juste après les douze coups de minuit, Lucy était venue le voir. Elle lui avait souhaité une bonne année et lui avait aussi proposé qu'ils s'éloignent un peu des autres. Louis avait accepté et l'avait suivie à l'étage, dans la salle de bain. Voilà. C'était ça, sa première fois. Dans la salle de bain de son meilleur ami avec une fille à qui il n'avait plus jamais reparlé après.

Ce n'est pas qu'il regrettait ; parce que ça avait été une expérience et que ça lui avait permis de vite se rendre compte qu'il aimait bien ça et d'en profiter. Mais parfois, Louis se demandait si sa vie aurait été différente si sa première fois ne s'était pas passée comme ça. Est-ce qu'il aurait eu une vie... Normale ? Une vie plus conventionnelle ? Une vie... Une vie comme Martijn ? Avoir des petites-copines pour qui il avait quelques sentiments, au lieu de s'enticher de la seule fille qui ne voulait pas de lui. Rencontrer son grand amour, son âme sœur - parce que depuis que Magda était rentrée dans la vie de Martijn, Louis commençait à se convaincre de l'existence des âmes sœur - à vingt ans, au lieu de continuer de coucher avec la première fille trouvée en boite et qui avait l'air plutôt mignonne. Se réveiller tous les matins à côté d'un visage connu. Parce que oui, il arrivait qu'il ne se rappelle pas vraiment du prénom de la fille qui dormait à côté de lui, et il n'en était pas hyper fier. Alors oui. Oui, peut-être que sa vie aurait été différente. Peut-être que le choix qu'il a fait ce 1 janvier-là avait déterminé beaucoup plus de choses qu'il ne le pensait dans sa vie.

Mais Louis ne le regrettait pas et la réputation que cela lui avait donné ne le dérangeait pas tellement, non plus. Sauf qu'aujourd'hui, Rika venait de lui dire qu'elle, ça la dérangeait. Ça la dérangeait même suffisamment pour qu'elle arrête leur relation avant même qu'elle n'ait clairement commencé. Louis n'était pas si surpris que ça, il fallait bien qu'un jour, il tombe sur quelqu'un à qui son mode de vie ne convenait pas. Non, Louis n'était définitivement pas surpris de cela. Ce qui le surprenait beaucoup plus, en revanche, c'était qu'il était sérieusement en train de se demander s'il serait prêt à devenir abstinent. Lui. Abstinent sexuel. Jusqu'au mariage. À dire comme ça, ça ressemblait juste à une très mauvaise blague Carambar.

Rika lui avait expliqué pourquoi elle avait fait ce choix, et il respectait cela ; peut-être même qu'il la comprenait. Et puis, il était amoureux d'elle. Et c'était beaucoup plus que physique. Il aimait la voir, il aimait passer du temps avec elle - même si ça impliquait de passer trois heures dans un musée pour regarder les œuvres d'un artiste qu'il connaissait depuis qu'il avait lu sa fiche Wikipédia, dix minutes avant de venir. Il aimait prendre le soin d'arriver une minute en retard à leur rendez-vous, juste pour voir sa tête quand il l'exaspérait : il la trouvait adorable. Il devait se rendre à l'évidence, il était tombé amoureux et ça faisait très longtemps que ça ne lui était pas arrivé.

Louis se demanda l'heure qu'il était quand il remarqua enfin que la seule lumière qui lui parvenait était celle des lampadaires de la ville ; puis il se dit qu'il aurait peut-être dû s'arrêter un peu avant quand il aperçut le reflet de l'opéra dans l'eau. L'opéra était à l'autre bout de la ville. La dernière fois qu'il était venu ici, c'était pour prendre des places pour le ballet que Rika voulait voir. Elle ne lui avait rien demandé, mais elle lui avait parlé de ce ballet avec des étoiles dans les yeux. Alors il était allé prendre des places pour lui faire la surprise. Le spectacle était dans trois jours et maintenant, il n'avait plus personne avec qui y aller. Surtout, qu'il n'avait pas particulièrement envie d'y aller si Rika n'était pas avec lui. Louis s'assit sur un banc juste en face de l'opéra. Le bâtiment, habituellement blanc la journée, prenait les mêmes couleurs bleutées que le canal quand la nuit arrivait. Les murs étaient surmontés d'un large bandeau orange où avaient été gravés des mots. Louis n'avait jamais pris la peine de lire ce qui y était écrit, il ne savait même pas si quelqu'un avait pris cette peine un jour. En tout cas lui, il ne la prendrait pas ce soir. Il resta là un long moment, les yeux dans le vide, puis se résolut à prendre son téléphone. Une heure du matin. Il chercha son application contact et hésita encore un peu avant d'appuyer sur le nom de Rika.

« Je me doutais que t'allais pas me répondre vu que tu dois sûrement dormir. Bon... J'ai réfléchi Rika. Et... Attends. Je vais t'expliquer un truc avant. J'ai trouvé de quoi j'avais peur. Tout le monde a peur de quelque chose et moi, j'avais jamais trouvé ; ce qui me plaisait beaucoup parce que du coup, j'étais pas comme tout le monde. Et c'est ça. J'ai peur d'être comme tout le monde, j'ai peur d'être un garçon tellement simple qu'on me confonde avec un autre. Et j'ai pensé, construit toute ma vie en m'appliquant à ce qu'on ne me confonde pas avec un autre ; je peux donc t'affirmer aujourd'hui que ma vie sentimentale débridée était, pour moi, un moyen d'être différent des autres. Avec ça, j'étais Louis, l'éternel dragueur et pas juste Louis. Voilà, ce que je veux dire par là, c'est que... Ce que tu m'a dit tout à l'heure... C'est beaucoup. Genre vraiment pas mal. Et... Je suppose que je ne peux pas vivre sans ce qui fait que ma vie est ce qu'elle est. Tu vois ce que je veux dire ? J'espère que tu vois parce que je serai pas capable de l'exprimer plus clairement. Je... Je suis vraiment désolé Rika. Vraiment, vraiment désolé. T'avais raison. C'est mieux que chacun passe à autre chose. Je vais raccrocher là. Et je te souhaite une bonne journée, parce que tu entendras sûrement ce message en te levant. Alors... Bonne journée Frederika. »

Louis raccrocha, appela un taxi et attendit sur son banc, les mains dans les poches parce que maintenant, que la nuit était tombée, il ne faisait plus aussi chaud, que son chauffeur arrive. Ce-dernier le ramena jusqu'en bas de chez lui. Louis paya la commission en lui disant de garder la monnaie parce qu'il avait la flemme d'attendre et monta jusqu'à son appartement en traînant sur Facebook. Il avait remarqué que quand il faisait ça, l'escalier jusqu'au quatrième étage lui paraissait un peu plus court. Arrivé chez lui, il alla directement se coucher. Boom. Dans son lit. Et là, allongé sur son matelas à fixer le plafond, Louis se demanda s'il avait pris la bonne décision.