Prologue
Il n'y a de suspens pour personne, on meurt tous un jour. La mort est une menace qui plane discrètement au-dessus de nos têtes, chaque jour, jusqu'à la fin. On sait tous qu'on s'éteindra un jour, mais on voit la mort comme un sujet lointain, un problème dont on s'occupera plus tard. Jeune, on se croit immortel. On a l'impression qu'on a la vie devant nous, et aveugles, nous avançons sur une route des plus obscures. Dès qu'il arrive un évènement tragique, fauchant la vie d'un être un peu trop tôt, on détourne le regard et on se dit que ce genre de choses arrive aux autres, pas à nous. Mais ce « genre de choses » arrive à tout le monde, sans exception. La mort est mesquine, car elle nous fait croire qu'on a encore le temps, alors qu'elle nous suit de très près.
Il y avait de fortes probabilités que je sois morte. Je pouvais voir mon corps étendu sur le trottoir dans une position qui ressemblait à celle d'une poupée disloquée. Ma peau habituellement brune commençait à prendre une teinte d'un pâle inquiétant, mes paupières fermées semblaient scellées à jamais et un mince filet de sang écarlate s'échappait de mon nez et de ma bouche. Face à ce spectacle, je ne ressentais rien. J'avais gagné une sensation de calme à toutes épreuves lorsque j'avais été arrachée douloureusement à mon enveloppe corporelle. Je vis des passants horrifiés s'affairer autour de moi en criant. Certains s'agenouillaient, d'autres essayaient de prendre mon pouls, un homme d'une quarantaine d'année était en train d'appeler les pompiers. Je me tournai vers tout ce monde inquiet et leur demandai avec une voix dont perçait l'inquiétude ce qu'il se passait, si j'allais m'en sortir...
Je compris vite que personne ne pouvait me voir ni m'entendre. En quittant mon corps, j'étais apparue dans ce monde sous une autre forme , un moi fluidique. J'étais devenu un être fait de lumière, totalement invisible et impuissant. C'est seulement en criant à l'aide dans le vide que je me rendis réellement compte de ce qui se passait : j'allais mourir. Moi, Serenity O'Malley, 17 ans bientôt 18, allait perdre la vie. La sensation de vide dans laquelle j'étais plongée se dissipa instantanément pour laisser place à une panique sans borne qui rongeait mon être transparent. J'étais perdue, déboussolée, je ne savais pas quoi faire et visiblement, personne ne pouvait m'apporter de réponses aux questions qui m'assaillaient. Une femme aux longs cheveux blonds et à l'air doux se pencha sur mon corps et saisit avec douceur mon poignet.
– Tiens bon ma petite, le monde a besoin de toi, dit-elle.
Cela partait d'une bonne attention, mais sa déclaration ne fit que me plonger dans le doute. Le monde avait-il réellement besoin de moi ? Je ne m'étais jamais sentie utile jusqu'ici. J'étais une lycéenne on ne peut plus banale. Mes journées se résumaient à aller en cours et se succédaient de la même manière : manger, prendre le bus, faire mes devoirs, dormir... Ma vie m'avait toujours semblée fade. Je n'avais qu'une poignée d'amies, je ne sortais jamais et rien ne venait pimenter mon quotidien. La routine devenait un fardeau, et au lycée comme n'importe où ailleurs, j'étais aussi invisible qu'à cet instant, un fantôme. Je songeai alors que partir me libérerait d'une lourde peine. Je serais libre de faire ce que je veux et d'être qui je suis, et je ne connaitrais plus jamais les malheurs et souffrances de ce monde matériel. Je n'avais jamais eu ma place sur Terre. Soudain, il me sembla que les dés étaient lancés. J'étais destinée à une vie morne et triste, et cette voiture qui m'avait projetée contre le macadam n'était pas ma tueuse mais ma sauveuse.
– Courage petite, il te reste tant de choses à faire et à vivre, reprit la femme blonde.
Ces mots me frappèrent en pleine tête, et si j'étais encore apte à ressentir la douleur physique, je pousserais un grand cri. Elle avait raison. Je ne pouvais pas laisser ma vie inachevée. Il fallait que je revienne, que je la rende meilleure et plus distrayante pour partir sans regrets. J'avais envie de faire le tour du monde, de rencontrer des gens différents, savoir ce que c'était d'être aimée, pourquoi pas fonder une famille, sauter en parachute et me baigner dans une cascade, comme dans les films. La mort me privait de tout cela. Et surtout, je ne voulais pas partir sans jamais avoir eu la chance d'embrasser Elias Turner.
La mort, qui m'apparaissait il y a quelques secondes comme une libération, m'apparut comme une malédiction. Je ne voulais pas mourir. Je ne DEVAIS pas partir en laissant ma vie si délaissée et terne. Je voulais pouvoir mourir un jour en me disant que j'avais fait tout ce qu'il y avait à faire dans une vie. Il fallait que je retourne dans mon corps. Je me penchai alors, prête à retrouver mon enveloppe charnelle douloureuse. Mes yeux (enfin ceux de mon corps) s'ouvrirent soudainement, et je pus entendre un soupir de soulagement venu de chaque personne autours de moi. Je me réveillais.
Sauf que je n'étais toujours pas dans mon corps, mes pieds spectraux restaient collés au goudron.
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