9. La boîte de Sarah ou le monde extérieur

Mon second rêve fut étrange. J'ai rêvé d'une boîte. Une simple boîte de bois au vernis rose usé et aux petits diamants décollés. Cette boîte était plongée dans un halo de lumière et éclairait mon cœur. J'avais le sentiment de la connaître sur le bout des doigts, elle m'apportait un réconfort incommensurable et j'avais plus que tout envie de la toucher, de l'ouvrir et de voir les secrets qu'elle renfermait. Mais j'avais perdu la boîte, c'était une certitude.

Je me réveillai avec le besoin fou de retrouver cette boîte. Mon instinct me criait qu'elle n'était pas que le fruit de mon imagination et qu'il fallait à tout prix que je mette la main dessus. Je retournai toute la chambre. Je regardai sous la lit, vidai tous les tiroirs, cherchai dans le moindre recoin de la pièce pour terminer accroupie au fond d'un placard. Les robes de Sarah me bouchaient la vue et je tâtai autours de moi avec les mains à la recherche d'une forme rectangulaire. Ma paume toucha le parquet inégale par endroit. En effet, je remarquai qu'une planche était déplacée. Il me suffit de la détachée des autres planches pour trouver l'objet convoité. Je tirai magiquement la boîte du trou où elle avait été placée et l'admirai. Elle était exactement comme dans mon rêve. Je m'extirpai du fond du placard et toussai un peu à cause de la poussière. Toute excitée, j'attendis de m'asseoir pour ouvrir la boîte. Elle était scellée par un petit fermoir en forme de cœur. Ma main rencontra le bois rugueux, et hésita. Avais-je vraiment envie de savoir ce qu'il y avait à l'intérieur ? Quels sombres secrets allais-je encore découvrir sur Sarah ? Jusqu'ici, elle ne m'avait réservé que des mauvaises surprises. J'avais peur de trouver à l'intérieur de cette boîte des choses qui ne me plairaient pas, mais elle était si mignonne, avec son verni rose écaillé et son fermoir en cœur, que la curiosité fut trop forte. Cette boîte ressemblait à un morceau de passé et il fallait que je voie ce qu'il y avait à l'intérieur. Alors je l'ouvris. La première chose que je vis fut un ensemble de bric et de broc sans intérêts. Mais c'était tellement plus qu'un vieux tas de poussière, c'était la boîte à souvenir de Sarah. Ma main attrapa une petite boîte ronde. Elle était violette et une clé métallique se trouvait fixée dessus. Je remontai la clé, et quand j'ouvris la boîte, une mélodie s'en échappa. Je restai les yeux grands ouverts, immobile, comme prise au piège dans un filet de note. C'était LA chanson. Celle qui résonnait toujours en moi sans même la connaître. La chanson, ma chanson. Je fis alors un grand plongeon dans la mémoire de Sarah. Tout devint clair et limpide, comme un film qui se déroulait devant mes yeux.

Sarah a 10 ans, Shade aussi. Elle porte un jean tâché de boue, des brins d'herbes s'accrochent à ses cheveux. Elle se tortille sur elle-même, emmêle ses doigts dans une ficelle, fais la moue avec sa bouche. Shade, bien droit devant elle, cherche désespérément son regard ; elle le fuit. Contrairement à elle, il est impeccable. Il porte une chemise à carreaux fermée jusqu'en haut, ses cheveux sont bien peignés et un sac trop grand pour lui pèse sur ses épaules.

- Sarah. Appelle-t-il.

Il capte ses yeux un instant, puis elle les baisse de nouveau.

- Sarah, écoute-moi.

Il ne ressemble en rien à un petit garçon de 10 ans en prononçant ses mots graves. Elle relève enfin la tête, le poing serré autour de sa misérable ficelle et la lèvre tremblante. Il ouvre la bouche, et sans crier garde, elle se jette sur lui, et le serre si fort contre elle qu'il en a le souffle coupé.

- Je ne veux pas que tu partes ! S'il te plait ! ne pars pas !

Elle enfouit sa tête contre son cou comme pour empêcher ses yeux de voir la vérité. Le petit garçon cherche de l'air en se débattant entre ses bras, en vain.

- Ne pars pas Shade ! Si tu pars, je meurs ! Je meurs !

- Tu peux vivre sans moi Sarah. Tu l'as très bien fait avant mon arrivée. Dit-il d'un ton d'une indifférence adulte.

- Oui, mais c'était avant de te connaître. Je ne pourrais plus vivre sans toi. Avec qui vais-je jouer ? Avec mes vieilles poupées que je déteste ? Qui va faire la route avec moi jusque l'école ? Qui volera des billes pour moi ? Qui m'apprendra les constellations dans le ciel, qui veillera avec moi le soir, avec qui blaguerais-je ? Tout me fait peur sans toi, Shade. Les fées nous ont mis ensemble pour qu'on ne soit plus jamais séparés, même dans l'éternité. On n'est pas fait pour vivre à part. On ne fait qu'un. Tu ne peux pas partir, Shade ! Je vais mourir, sans toi je ne suis plus rien !

- Tu as plein d'autres amis pour ça.

Elle le lâche enfin et recule d'un pas.

- Mais personne n'est toi Shade. Répond-t-elle, la voix chevrotante.

Puis elle éclat en violents sanglots qu'elle ne peut plus retenir.

- Shaaaaaaade ! Tu es si méchant ! Tu pars et tu n'es même pas triste, tu te moques de moi ! pleure-t-elle.

Il se radoucit et sourit enfin.

- Bien sûr que je suis triste. Bien sûr que tu vas me manquer. Mais c'est comme ça maintenant, on ne peut plus rien y faire. Mon père a décidé de m'envoyer en internat, et personne ne peux revenir sur son choix.

Des larmes silencieuses coulent sur le visage de Sarah tandis qu'elle renifle bruyamment pour tenter de calmer ses pleurs. Shade s'agenouille, pose son sac à dos par terre et tente une blague.

- Et puis depuis quand tu pleures comme un bébé toi ? Je pensais que tu étais une vraie fille.

Elle lui donne un coup de pieds amical.

- Je suis une vraie fille.

Il plonge la tête dans son sac.

- J'ai un cadeau pour toi. Pour te dire au revoir.

Il sort alors une petite boîte violette.

- C'est une boîte à musique. Dès que je te manquerai, que tu auras peur ou que tu seras triste, tu n'auras qu'à l'écouter et ce sera comme si j'étais là.

- Ce n'est pas mon meilleur ami, c'est une mélodie.

Il lève les yeux au ciel.

- Accepte-la.

Elle l'attrape dans sa petite main et sourit.

- Je t'aime Shade.

- Moi aussi.

La musique se stoppa en même temps que le souvenir. Maintenant, je comprenais pourquoi je chantonnais souvent cette chanson. Elle servait à me rassurer dans les mauvais moments. Je reposai la boîte à musique pour saisir dans mes mains un nouvel objet. C'était un collier composé d'une ficelle et d'un cristal violet. Shade l'avait donné à Sarah quand il était revenu à la maison après avoir passé un an à l'internat. Il lui avait dit que là où il était, on trouvait des cristaux de ce genre partout, et qu'on s'en servait pour éloigner les mauvaises ondes et la tristesse. Sarah, en l'accrochant autour de son cou, avait demandé « Ça veut dire que tu pars encore cette année ? », et il avait tristement répondu « Oui. Mais au moins, maintenant que tu as ce collier, je pourrais être sûr que tu vas bien. »

Je souris tendrement. Ils étaient mignons quand ils étaient gamins. Comment la situation avait pu se dégrader à ce point ?

Instinctivement, j'attachai à mon tour la petite ficelle à mon cou. L'objet suivant était un petit bout arraché de papier cadeau. Celui-là, Sarah l'avait eu l'année de ses 12 ans. C'était son anniversaire, et Shade était venu à Windfall en coup de vent pour lui faire une surprise. Sarah avait sauté à son cou et pleuré de joie. C'était le plus bel anniversaire de sa vie. Je reposai précautionneusement le papier au fond de la boîte et fit tourner entre mes doigts une fleurs séchées aux pétales bleues. Elle l'avait reçue l'année de ses 13 ans, celle où tout a basculé. Si, au contact des objets, les souvenirs remontaient à la surface comme de petites bulles, il me fut impossible de savoir pourquoi, l'année de ses 13 ans, Sarah et sa mère avaient atterrie dans le Red District. Tout ce que je savais, c'était que cette année-là, Shade lui avait de nouveau rendu visite, et que cette fois-ci, elle ne se trouvait plus dans la jolie petite maison au portail blanc. Il lui avait tendu la fleur et avait dit « Désolé, j'ai vraiment fait de mon mieux pour la conserver pourtant. » Elle avait souri et attrapé la fleur à moitié fanée. «Ca n'a pas d'importance. Ton retour est la seule chose qui me soit arrivée de positif cette année. » Ils étaient restés silencieux suite à cette déclaration.

L'année suivante, Shade ne partit pas en internat et resta auprès de Sarah.

Il restait un dernier objet dans la boîte, un grand coquillage blanc. Je l'attrapai et le posai contre mon oreille pour entendre le bruit si particulier qu'il faisait. Quand elle l'avait ramassé, Sarah avait 15 ans. Elle se baladait pieds nus dans le sable avec Shade. Ils riaient, s'éclaboussaient parfois avec un peu d'eau. Shade avait fini par revenir avec cet énorme coquillage qu'il lui offrit. Alors elle se pencha vers lui et déposa un baiser sur ses lèvres. Ils reculèrent tous deux en faisant la grimace. « C'était vraiment bizarre. » avait déclaré Sarah. Ils avaient ensuite conclu d'oublier ce malheureux incident. « T'es comme mon frère Shade. Tu es le seul en qui j'ai confiance. » lui avait-elle soufflé.

Je réalisai que cette boîte n'était pas une boîte de souvenirs, mais une boîte de Shade. Shade, mon meilleur ami depuis toujours qui m'avait quittée en colère. Même si je ne l'appréciais pas particulièrement, une boule désagréable se forma dans ma gorge. J'actionnait la boîte à musique mais sa douce mélodie n'eut pas l'effet escompté. Alors je la fourrai violemment dans la boîte, bouchai tous ces souvenirs avec le couvercle et la rangeai là où je l'avais trouvée : au fond d'un placard.

Je sortis de la chambre et me postai au milieu du salon dans l'attente d'un éclairement qui me dirait quoi faire. J'étais perdue dans la vie de Sarah, je ne savais pas en quoi son rôle consistait. Quand j'étais petite, je m'amusais souvent à être une vraie femme, alors j'enfilais les vêtements beaucoup trop grands de ma mère, faisais quelques pas dans ses talons aiguilles dans lesquels je flottais puis restais immobile, sans vraiment savoir ce que faisais une vraie femme. A cet instant-ci, je ressentais exactement la même chose. D'apparence, j'étais Sarah, mais à l'intérieur, il n'en était rien. Jusqu'ici, Shade avait été un fil directeur pour me guider un minimum à travers cette vie. Mais désormais je demeurais sans repère et je devais me débrouiller seule.

Je décidai donc de partir en immersion dans la vie de Sarah. J'essayai de porter une des tenues préférées de Sarah : une marinière moulante avec un pantalon boyfriend et des baskets blanches déglinguées. Je coiffai mes cheveux comme elle avait l'habitude de le faire, un petit chignon avec les mèches de devant et le reste des cheveux détachés. Enfin, je me maquillai comme elle : un peu de mascara et rouge à lèvre foncé. Je me sentais un peu plus Sarah, mais toujours comme un intrus dans ses vêtements. J'attrapai une veste en jean trop grande et descendis dans la rue. Je soufflai. Que faire, où aller ? Tout ce que je cherchais dans ce monde froid était un peu de chaleur et de réconfort. Mes pas me guidèrent jusqu'à un bar rempli d'animation. Il était beaucoup trop petit pour le monde qu'il accueillait déjà malgré la matinée qui commençait. Je me retrouvai au milieu des gens qui parlaient trop fort et des verres qui claquaient. Mal à l'aise, je me frayais un chemin à travers la masse humaine et joyeuse et atterris sur un tabouret près du bar. Le serveur me dévisagea quand je commandai un chocolat chaud. Je ne buvais pas d'alcool. Je dégustai amèrement mon chocolat en regardant dans le vide. Une voix masculine vint me tirer de ma rêverie.

- Excusez-moi mademoiselle, je ne voudrais pas vous importuner, mais vous êtes belle comme un rêve brisé.

Je fis volte-face vers l'homme étrange qui venait de m'adresser la parole. Il avait un grand sourire, ses cheveux bruns étaient sales et sa barbe mal rasée. Malgré tout, il conservait une certaine élégance dans sa chemise blanche mal boutonnée et ses chaussures de cuir noir. Il y avait une sorte de noblesse dans son regard franc, sa posture bien droite et son sourire confiant. Je lui donnais une trentaine d'années. Son haleine était chargée d'alcool, et il me fixait comme si ce qu'il venait de me dire n'était qu'une mondanité. Je fronçai les sourcils, sans savoir comment réagir à sa déclaration inattendue.

- Euh... C'est bien la première fois qu'on me dit ça.

Son sourire se renforça.

- Peut-être que vous êtes plus belle aujourd'hui qu'hier, c'est pour ça.

Il se tourna vers le serveur, lui tira la manche et lui bafouilla quelque chose que je ne compris pas. Peu de temps après, deux verres se posaient devant nous. J'étais arrivée à un tel niveau de solitude et de désarroi que je l'acceptai même si je ne savais pas ce qu'il contenait. L'homme se rapprocha. D'apparence, on aurait pu le prendre pour un fou, pourtant il dégageait une bienveillance qui m'empêchait de me méfier de lui.

- Si je me trompe, vous semblez sombrer dans d'étranges nuages sombres. Dans quoi vous êtes-vous donc perdue mademoiselle ?

Je soupirai et terminai mon verre d'une traite.

- Oh ça, je n'en ai aucune idée.

Il parut sincèrement peiné pour moi. Il y eut un moment de silence pendant lequel je fixai mon verre vide. Je sentais le regard de l'homme sur moi, il essayait de se frayer un chemin dans mon être pour connaître l'objet de mes tourments. Si seulement il savait ! Il serait horrifié, le pauvre homme, d'avoir affaire à un fantôme de première. Il dû terminer son analyse, car il se détourna de moi, et déclara très sérieusement.

- Vous, vous êtes une amie de la mort, ma tendre.

Peut-être était-ce à cause de l'alcool dans mes veines, mais je me sentais détendue, légère. J'eus un sourire désabusé.

- Comment le savez-vous ?

- Oh, j'ai l'œil pour ça. Rien ne m'échappe. La mort est aussi ma grande amie, alors je reconnais ceux qui l'ont dans leur poche.

Un rire ironique s'échappa de mes lèvres.

- C'est plutôt elle qui m'a dans sa poche.

- Je crois que vous ignorez... commença-t-il avant d'être interrompu par un des serveurs, qui posa sa main sur son épaule.

Avec un sourire moqueur, il déclara :

- Laisse donc cette jeune fille tranquille Baudelaire. Vous l'embêtez avec vos histoires.

L'homme rit.

- Mais non, mais non.

Le serveur sourit, et en passant devant moi, me chuchota :

- Dites-moi s'il vous embête et je vous en débarrasse.

Il s'éloigna de moi avec un clin d'œil. Jusqu'en fin d'après-midi, je restai assise au bar, écoutant les divagations de celui qu'on surnommait Baudelaire.

De retour à la maison, la sensation de chaleur et de légèreté qui m'avait envahie dans le bar s'estompa. Il y avait quelque chose de triste dans cet appartement vide, quelque chose qui vous vidait de toute énergie positive. Je m'affalai sur le canapé tel un légume. Encore une fois, je laissai la télévision réfléchir à ma place. Comme d'habitude, on parla de Purification, d'une star de la téléréalité et de la pollution. Rien de très attrayant. Soudain, un bruit de porte m'arracha un sursaut. Quelqu'un venait de s'introduire dans la maison. Je sortis de ma torpeur et fis volte-face. Shade, qui visiblement, avait un double des clés, se baladait tranquillement.

- Je venais vérifier que tu n'étais pas morte. Déclara-t-il simplement.

Je le dévisageai comme s'il était un fantôme qui déambulait jusque ma cuisine. Sans aucune gêne, il ouvrit le frigo et les placards.

- Faut vraiment que tu fasses les courses Sarah. Il n'y a rien de bon à manger ici. Après tu t'étonnes de faire le poids d'une brindille.

Il se retourna pour me faire un sourire, puis attrapa un bol et le remplit de céréales, comme s'il avait toujours vécu ici. Je le fixais, toujours silencieuse. Oui, Shade était bel et bien de retour. Et bizarrement, j'en étais heureuse.

- Pourquoi es-tu revenu ? finis-je par demander.

Son bol en main, il marcha jusqu'à moi et s'assit à mes côtés.

- Bah, ça a toujours marché comme ça, non ? On est ensemble, je te quitte, je te manque, et je reviens.

Je lui souris. J'avais envie de lui dire qu'il était beaucoup trop confiant, mais en réalité, il avait un peu raison. Alors je lui donnai un coup de coude, il fit une blague nulle à laquelle je ris malgré moi, et ce fut comme si on retournait en enfance, du temps où Shade était Shade et Sarah était Sarah.



NDA : La couverture que regrets_de_jeunesse m'a faite est superbe je trouve, mais je suis tombée sur une photo plutôt rigolote puis comme j'aime bien faire des couvertures, j'i bidouillé ça

(je ne sais pas pourquoi elle ressort flou mais bon) Et comme la couverture que j'ai et vachement bien faite (je trouve) je ne sais pas laquelle mettre, indécise que je suis :') Bref, j'ai besoin de votre avis c:

Des bisous et merci d'être encore là !

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