7. Claquer la porte au nez de l'amour
Une main secoua brusquement mon épaule et je me réveillai en hurlant. Shade était penché au-dessus de moi, la main s'agrippant à mon épaule.
- Hey doucement, ce n'est que moi.
Le cœur battant à la chamade, je portai la main à ma poitrine, ahurie. Il ne m'avait pas seulement réveillée, il m'avait violemment arrachée à un souvenir. Je clignai des yeux pour revenir à la réalité, et parvins à regagner à la fois calme et souffle normal.
- Pourquoi tu m'as réveillée ? m'énervais-je.
Il recula du lit, les mains au l'air pour montrer son innocence.
- Tu as de la visite. Je pense que c'est plutôt important.
Je fronçais les sourcils, me demandant qui pouvait bien vouloir voir Sarah. Je n'avais aucunement envie de me lever de mon lit, mais je sentais que je le devais. C'était comme pour rendre un service à la Sarah défunte.
- Qui-est-ce ? demandai-je en balayant d'un geste vif la couverture.
En guise de réponse, Shade haussa plusieurs fois les sourcils. Je lui balançai rageusement un coussin dans le dos quand il quitta la pièce. Je me relevai et fit en sorte que mes habits ne soient pas trop plissés et mes cheveux pas trop décoiffés, si jamais, en effet, il s'agissait de quelqu'un d'important. Je pouvais entendre de ma chambre deux voix étouffées d'hommes. Je me rendis dans le salon, et vit l'objet de mon réveil, assis sur le canapé, penché au-dessus d'un verre, en pleine conversation avec Shade. Des cheveux bruns, des yeux sombres cerclés de cernes, une veste en cuir : il ne pouvait s'agir que de Nick. Quand il se rendit compte de ma présence, il leva les yeux vers moi et se stoppa complètement dans ce qu'il était en train de dire. Oh mon dieu, qu'étais-je censée faire ? Ce garçon était mon petit-ami ! Oui, il était le petit ami de Sarah, cela m'avait frappée quand je l'avais vu pour la première fois. Mon cerveau était en ébullition, et pendant ce temps-là, Nick n'ouvrait toujours pas la bouche, comme si ma présence l'avait soudain rendu muet. Il se leva du canapé en me fixant gravement.
- Je crois qu'on doit avoir une conversation.
J'hochai la tête à l'affirmative. Je devais écouter ce qu'il avait à me dire, car je savais qu'il pourrait s'avérer précieux pour mon enquête sur Sarah. Je me demandai s'il n'était pas la cause de son suicide, je crois qu'elle l'aimait beaucoup. Sûrement beaucoup plus qu'il ne pouvait l'aimer, lui. En tout cas, si nous devions avoir une conversation, ce ne serait sûrement pas aux côtés de Shade. Je croisai les bras et avec la tête lui fit signe de me suivre. Je ne savais décidemment pas comment agir avec lui. J'espérais de tout cœur qu'il n'allait pas essayer de m'embrasser, car il était hors de question que je pose ma bouche sur lui. Je l'entrainai en dehors de l'appartement et pris soin de faire claquer la porte derrière nous. J'appuyai mon dos contre le mur, comme avait coutume de le faire Sarah (du moins il me semble). Je remerciai le ciel pour la distance qu'il y avait entre lui et moi. Nick semblait agité, il remuait les mains et les pieds, et avait la tête d'une personne qui avait fait une erreur. Soudain, mes premiers jours dans la vie de Sarah me revinrent en mémoire. La seule personne qui m'avait rendue visite était Shade. Sarah s'était suicidée, avait frôlé la mort, et son petit ami n'avait même pas daigné bouger le petit doigt pour avoir des nouvelles d'elle. Pourquoi se manifestait-il aussi tard ? Je sentis une vague de rage m'envahir. Sans le connaitre, je voyais très bien le genre de personne qu'il était. Un garçon assez mignon qui se prend pour le roi du monde, et se donne des allures de mec mystérieux en fumant clope sur clope et en délaissant sa petite-amie. Le genre de garçon qui pense qu'accorder un peu d'amour à une jeune fille c'est rabaisser sa virilité. Le genre de garçon qui annule un rencard à la dernière minute, qui fait l'amour à sa copine dans sa voiture puis qui s'en débarrasse en la déposant au prochain coin de rue, le genre qui dit « Je ne peux pas, je dois voir mes potes ». Je ressentais une profonde aversion pour lui. J'avais envie de rentrer à l'intérieur et de lui claquer la porte au nez sans même lui laisser le temps de me donner des explications, mais je sentais que je devais me faire violence pour écouter ce qu'il avait à me dire. J'avais la forte impression qu'il détenait une pièce importante du puzzle éclaté en morceaux qu'était Sarah. Plus le temps passait, et plus je ressentais le besoin irrésistible de la connaitre. C'était comme si c'était vital. Je serrai donc les dents, et en essayant d'être indifférente et nonchalante comme l'aurait pu être celle dont j'avais emprunté le corps, dit :
- Vas-y, je t'écoute.
Il parut prendre son courage à deux mains, puis prit un air sincèrement peiné. Il était vraiment bon acteur.
- Sarah, je sais qu'entre nous c'était plus que compliqué, mais putain, nous deux c'est le bonheur. On a des hauts et des bas, mais notre relation est magique. A deux, on est les meilleurs. Il y a vraiment une alchimie entre nous, et c'est pour ça que je n'ai pas envie de te perdre. Tu me manques Sarah.
Je ne savais vraiment pas à quels hauts et bas il faisait allusion, mais pour être honnête, je n'avais pas envie de le savoir. J'étais persuadé que c'était de sa faute si Sarah avait voulu partir. Il l'avait assassinée à coups de belles paroles et de mensonges.
- Ah ouais ? Tu n'es même pas allé me voir à l'hôpital !
- Tu es mon ange Sarah, je n'avais pas envie de te voir dans un si triste état, ça me faisait trop de mal.
Quel beau parleur. En tout cas, il avait raison sur un point, Sarah était un ange. Un ange qui, avec un peu de chance, volait dans le ciel désormais.
- Pff, je ne veux même pas entendre ça. Tu n'es jamais là quand on a besoin de toi. Je suis ton ange, c'est ça ? Mais je suis quoi en réalité pour toi, hein, dis-moi ? Un lot de consolation ? Une poupée avec laquelle on peut jouer ? Je suis quoi, dis-moi ? Je ne veux pas être ton ange ! Je veux être ta petite-amie, celle que tu aimes et dont tu prends soin ! m'emportai-je.
Je n'avais aucune idée d'où sortait toute cette rancœur hurlante au fond de moi. A ce moment-là, j'étais Sarah plus que jamais, et j'avais la réelle impression que Nick était mon petit ami et que les sentiments que je ressentais pour lui étaient intenses.
- Tu es ma petite-amie, et je t'aime.
Je me décrochai du mur avec un signe de dénégation.
- Tu ne m'aimes pas, Nick. A la rigueur, tu m'apprécie, mais tu ne m'aimes pas. Parce qu'on ne laisse pas tomber quelqu'un qu'on aime comme tu la fais pour moi.
- Mais qu'est-ce que tu attends de moi au juste ? Je ne peux pas te sauver. C'est toi qui a abandonné, c'est toi qui t'amuses à t'autodétruire, je ne peux pas porter la responsabilité de ça, c'est bien trop lourd.
Son discours était plus que convaincant. Je failli craquer.
- Je crois que c'est toi qui m'a donné les armes pour m'autodétruire, comme tu le dis si bien.
Je me sentais triste. Profondément triste pour Sarah, mais aussi pour Nick. Car, sous ces allures de bad boy, cela crevait les yeux qu'il était juste un pauvre mec paumé dans sa vie, qui venait de perdre quelqu'un qui était prêt à lui offrir tout l'amour dont il avait besoin.
- C'est terminé, Nick. Notre relation idyllique n'était qu'une illusion. Je vais arrêter de m'autodétruire, et je vais m'épargner ton poison.
Sur-ce, je reculai, rentrai dans l'appartement. La porte se ferma sur un Nick incrédule. Je n'eus pas le temps de la fermer complètement qu'il glissa son pieds en avant pour la bloquer.
- Tu ne peux pas faire ça Sarah !
- Oh que si je peux le faire !
Je donnai un coup dans son pied pour le dégager, et fermai définitivement la porte. J'eus à peine le temps de me retourner qu'il était en train de donner des coups contre le bois.
- Tu ne peux pas me faire ça Sarah ! Je t'interdis de me quitter ! cria-t-il.
- Abandonne Nick, c'est trop tard ! hurlai-je à mon tour.
Mais il continuait de cogner et d'hurler à la mort.
- Epargne cette scène aux voisins et va-t'en ! Je n'en peux plus de cette mascarade.
Il s'époumona encore un peu contre la porte et se décida enfin à quitter les lieux. Quand je revins au salon, Shade avait de grands yeux étonnés.
- Je rêve ou tu viens de quitter Nick ?
- Non, tu ne rêves pas.
- Je n'aurais jamais cru que tu en aurais le courage.
Il n'avait pas dit ça pour me blesser, seulement avec une sincérité innocente. Encore une fois, cela en disait beaucoup sur la relation que Sarah avait avec Nick. Je souris un peu, fière de m'être débarrasser d'un de mes fléaux.
- Tu ignores encore beaucoup de choses sur moi. Mais, je n'ai pas très envie d'en parler, je me sens fatiguée.
Je ne disais pas ça pour éviter Shade, je me sentais réellement usée émotionnellement. Les va et viens dans la mémoire de Sarah me vidaient de mon énergie.
- Dis-moi ce qui ne va pas. Fit Shade quand je lui tournai le dos.
- Rien. Je vais bien.
- C'est faux. Tu passes ta journée enfermée dans ta chambre à dormir. Où est passée la Sarah énergique que je connaissais ? Tu n'es plus la même. Je suis ton meilleur ami, je te connais depuis toujours, alors, s'il te plait, n'essaie pas de me faire croire que tu vas bien. Nous savons tous les deux que c'est faux. Les gens qui vont bien n'agissent pas comme ça Sarah. Ils n'essaient pas de s'empoisonner avec des tonnes de médicaments. On n'avait dit plus de secrets. Tu sais très bien que ça nous tue tous les deux.
Je n'eus pas le courage de soutenir son regard. Je n'eus pas le courage de chercher une explication à mon comportement. Je n'eus pas le courage de trouver un mot pour le rassurer. J'eus seulement la miteuse bravoure de lâcher :
- Je suis vraiment fatiguée.
Je m'échappai de cet entretien pénible et vint m'enfermer dans la salle de bain. Je restais bloquée devant mon pâle reflet. Je préférais la Sarah d'avant, la blonde aux joues roses. Je préférais la Sarah vivante. Soudain, une image s'imposa à moi. Elle n'était pas apparue par ma volonté, comme lorsque je fouillais dans la mémoire de Sarah, mais elle s'était projetée devant mes yeux sans que je ne puisse rien faire. Très vite, je me retrouvai prisonnière d'une scène qui existait seulement dans mes souvenirs.
Nick est devant Sarah, l'air désolé. Sarah, elle, est encore plus contrite. Ses traits sont tendus, elle fait les 100 pas en rongeant ses ongles. Son regard se perd, puis soudain, elle explose.
- Ce n'est pas possible ! Pas possible ! crie-t-elle.
- Si ça l'est. Et moi aussi ça me désole. Mais qu'est-ce qu'on peut y faire ? répond Nick, mal à l'aise mais calme malgré tout.
- Tu ne comprends pas ! C'est un drame !
- Tu exagères toujours tout.
Elle s'arrête de faire les cent pas. Elle a les larmes aux yeux.
- Tu ne comprends pas ! C'est grave ! Pourquoi tu ne m'as pas dit toute suite que c'était lui ton fameux beau-père !
- Parce que je ne savais pas que c'était si important ! Comment aurais-je pu deviner ?
Nick s'emballe à son tour. Ils sont tous deux désemparés, perdus. Sarah se remet à faire les cent pas. Elle se stoppe. Elle est soudainement grave.
- On ne peut plus continuer. Plus dans ces conditions.
- Si ! On peut rester ensemble. Ca ne pose pas de problème.
- Ca ne TE pose pas de problèmes. A moi si.
- S'il te plait Sarah, ne fait pas ça ! Ne gâche pas tout pour une histoire qui fait partie du passé.
Elle le fixe de ses yeux brillants et inquiets.
- Je ne sais pas. Je ne te verrai plus jamais de la même façon.
Il s'approche d'elle, la prend dans ses bras et lui susurre à l'oreille :
- J'ai besoin de toi.
Alors elle se laisse aller contre lui, elle fond.
- Ok.
Le soir, elle rentre chez elle. Ce n'est pas parce qu'elle s'est réconciliée avec Nick qu'elle se sent mieux, bien au contraire. Elle se sent brouillon. Elle ouvre la porte de la salle de bain, se plante devant son miroir. Elle n'a plus envie d'être jolie. Sa beauté, jusqu'ici, ne lui a porté que préjudice. Elle brandit une paire de ciseaux et se met à déchiqueter sa chevelure blonde. Elle coupe court, et n'importe comment. Et ce geste destructeur est tellement libérateur ! Elle se sent un peu moins brouillon, un peu plus entière. Elle regarde son reflet de nouveau. Elle a envie de changer de couleur de cheveux. Elle ne sait pas trop quelle couleur elle va choisir. Bleu, peut-être, comme la nuit et comme la tristesse.
Je fus projetée hors de cette vision et mes jambes flanchèrent. Je basculai en arrière et tombai sur le carrelage froid de la salle de bain. Une migraine assommante vint meurtrir mon pauvre crâne. Je posai mes mains sur mes tempes pour tenter de réfléchir, mais à cet instant, je me sentais aussi brouillon que Sarah. J'abandonnai toute tentative d'utiliser mes pensées pour le moment et quittai la salle de bain afin de m'écrouler de fatigue dans mon lit.
Le reste de la journée se passa dans le flou le plus total. Mon mal de crâne se faisait de plus en plus douloureux, m'empêchant de quitter mon lit. J'étais fiévreuse, des flashs rapides de la vie de Sarah m'apparaissaient puis disparaissaient sans que je puisse les relier à un moment de sa vie. Je ne comprenais rien à ce qui se passait n'y à ce que je voyais. J'enchainais des périodes de sommeil où je voyais Sarah et Nick et des phases où je me réveillais, la pièce tournant autour de moi et mes muscles tous engourdis. Est-ce que Queen, elle aussi, avait vécu ce calvaire ? Car si c'était le cas, elle n'en avait rien laissé paraître. Je regrettais amèrement d'avoir voulu volé la vie de quelqu'un d'autre. J'aurais dû partir vers l'au-delà, comme tout le monde.
Le seul avantage de ce cauchemar éveillé fut que j'eus quelques informations de la relation de Sarah avec Nick, mais rien de ce que j'avais eus en vision m'expliquait pourquoi elle avait eu la mort ou la cause de l'étrange dispute qui s'était déroulée devant moi dans la salle de bain.
Je connaissais, par contre, les circonstances dans lesquels ils s'étaient mis ensemble. Au départ, ils étaient de simples amis qui se cherchaient, jouant avec les sentiments des autres pour voir qui serait le premier qui craquerait. Quand Nick fumait, Sarah attrapait sa cigarette et la collait à sa bouche. Nick disait alors que c'était un baiser indirect, alors elle haussait un sourcil et disait « Tu devras te contenter de ça. » Au fil du temps, ils se rapprochèrent et les sentiments qu'ils avaient l'un envers l'autre s'amplifièrent. Le jour où ils sortirent ensemble fut le jour où, après un concert, ils étaient dans le métro. Il était tard, et seuls des types louches rôdaient dans le wagon. En particulier un, qui portait un sweat contrefaçon d'une grande marque et qui regardait Sarah comme s'il allait la dévorer tout cru. A cet instant-ci, elle remercia le ciel que Nick fut avec elle, car elle savait que rares étaient les garçons qui venaient aborder les filles accompagnées. Néanmoins, le garçon continuait de la fixer, ce qui commençait à l'angoisser. Elle détestait l'impression d'être une proie. Le garçon, déterminé, s'approcha d'elle. Alors, pour le dissuader de tenter quelque chose, elle posa sa main sur la nuque de Nick et plaqua sa bouche contre le sienne. Au début, ne comprenant pas ce qui lui arrivait, il lui rendit timidement son baiser. Mais il se fit plus courageux, osé. Leur baiser s'intensifia, il attrapa la taille de Sarah pour l'attirer à lui, tandis qu'elle baladait ses mains dans ses cheveux bruns. Elle oublia complètement le garçon étrange, le métro, le monde entier. Tout s'évapora de son cerveau pour que le seul objet de ses pensées fut Nick. Nick et seulement Nick, celui qui, dans le fond, elle avait toujours voulu. Quand ils se décollèrent l'un de l'autre, le garçon avait disparu. Sarah sourit malicieusement à Nick.
- Tu n'es pas si inutile que je le pensais. Tu es très pratique pour faire fuir les type louche.
Il leva les yeux au ciel, puis soupira :
- Oh, tais-toi !
Puis il l'attrapa de nouveau, l'amena à lui et l'embrassa, encore et encore.
Je ne vis que des épisodes du genre, rien de bien intéressant. Au bout d'un moment, il me sembla que Shade me rendit visite, mais peut-être était-ce un rêve, mon esprit était bien trop embrouillé pour que je puisse démêler le vrai du faux. En tout cas, si ce n'était pas un rêve, il apparut dans ma chambre, au pied de mon lit. L'air soucieux et embêté, il imita ma voix en faisant :
- Mais je vais très bien Shade ! Aucun problème ! Pff, n'importe quoi.
Quelque chose d'humide se posa sur mon front fiévreux. C'était un gant de toilette mouillé.
- Quand est-ce que tu sauras t'occuper de toi Sarah ? soupira-t-il.
Je n'eus pas la force de répondre. Les yeux entrouverts, je fis l'effort de le fixer. Il posa sur la table de chevet un plateau avec une tasse de thé et quelques biscuits.
- Si tu as faim, tu as de quoi manger. Je vais te laisser, tu as besoin de repos.
Il se leva, posa sa paume rude sur mon front, et soupira de nouveau.
- Si tu as besoin de moi, je suis à côté. Cris et j'accours. Blagua-t-il.
Puis il sortit, et je tombai de nouveau dans un sommeil fiévreux.
NDA : Hey ! Comme d'habitude, j'espère que vous avez apprécié ce chapitre et que vous aimez toujours la tournure que prend l'histoire ! N'hésitez pas à commenter pour faire part de votre avis, et merci beaucoup d'être toujours ici ! Gros bisous !
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