3. Seconde chance ?
Les vêtements volaient et s'écrasaient au sol au fur et à mesure que Queen les jetait de ma penderie comme de vulgaires insectes. Hier soir, je n'avais pas osé lui avouer que je savais ce qui lui était arrivé. Elle avait beau être la personne que je détestais le plus au monde, je n'étais pas assez cruelle pour réveiller en elle de vieilles blessures. Alors je l'observais, assise sur mon pouf, faire son cirque de princesse au cœur froid. Désespérée, elle finit par se tourner vers moi.
- Serenity, tu es canon, pourquoi t'obstines-tu à t'habiller comme ma grand-mère ?
Comment avait-elle osé ?
- Tu rigoles ? C'est mon style, et d'ailleurs, je trouve ça très mignon moi. En plus, je ne suis même pas canon.
Elle leva les yeux au ciel.
- C'est ça le problème. Tu n'arrives tellement pas à croire en toi et ta beauté que tu te caches derrière ces hideux vêtements. Franchement, tu me désespères. Il était temps que j'arrive dans ta vie.
Je ne répliquai même pas à son horrible réplique de peur de l'insulter de tous les noms. J'essayai de contenir ma colère, mais autours de nous, les lumières se mirent grésiller. Queen, toujours avec une moue boudeuse, attendit que cela cesse.
- Du calme miss invisible. Si je dis ça, c'est seulement pour toi. On ne t'a jamais dit que la conscience en soi est primordial ? En agissant comme ça, tu envoies une mauvaise image de toi. Tu dois agir comme une belle, d'accord ? Les gens ne sont pas compliqués. Si tu as de l'assurance, ils vont te voir comme la plus belle chose qui existe. Mais toi, tu les incites à te trouver laide.
J'ouvris la bouche pour répliquer, mais cette peste me coupa.
- Ne t'inquiète pas, l'image que les gens ont de toi peut changer. Tu vas voir, ils vont adorer la nouvelle Serenity.
- La princesse qui prend tout le monde de haut ?
Esquivant mon pique, elle continua :
- La Serenity qui n'a plus peur des autres ni d'elle-même. Oh, finalement tu as des choses portables dans ta garde-robe. Ceci fera parfaitement l'affaire.
Elle sortit alors de ma penderie une robe noire moulante l'air satisfait. Ma mère me l'avait acheté pour que je fasse bonne impression au Noël de son entreprise. Depuis, jene la mettais que lorsque je devais me montrer plus apprêtée que d'habitude.
- C'est une blague j'espère ? crachai-je.
Elle me toisa comme si je venais de dire la pire des idioties.
- C'est bien ce que je pensais, tu as peur d'être belle. Ne t'inquiète pas, ça ne fera pas vulgaire. Je vais mettre des baskets avec et une grosse veste pour casser le style. Ils vont juste te trouver sublime, fais-moi confiance.
- Tu n'as pas intérêt à mettre ça, je te préviens.
- Et tu vas faire quoi si je la mets ? Tu vas me taper ?
La lumière se mit à grésiller de nouveau.
- En plus, dois-je te rappeler que tu as une jambe cassée et un bras cassé ? Tu penses vraiment que c'est une tenue adaptée ?
Elle haussa les épaules.
- Rien n'empêche une femme d'être vue sous son plus beau jour. Allez, sors de la chambre, je vais me changer et je n'ai pas envie qu'un fantôme rabat-joie me matte.
En effet, à cet instant-ci, je mourais d'envie de lui sauter dessus et de l'étriper. Malheureusement pour moi, mon état fantomatique m'en empêchait, alors je décidai d'obéir à sa requête et sortir de la chambre sans faire aucun meurtre. Sur le moment, j'aurai adoré la tuer pour la seconde fois.
Tous les regards étaient tournés vers moi, enfin, vers elle. On ne l'y lisait pas de la pitié, mais une sorte d'admiration. Jamais personne ne m'avait regardé de la sorte de mon vivant. Je ne comprenais pas comment Queen, dans un corps aussi banal et une vie aussi monotone que la mienne arrivait à ce point à capter l'attention en marchant simplement dans les couloirs. Bon, il est vrai qu'elle portait une belle robe accompagnée de deux plâtres, mais je savais très bien que ce n'était pas l'unique raison de l'effet qu'elle provoquait. Elle avait quelque chose, cet aura, cette prestance. Elle s'installa dans la classe et s'assit à une chaise. Etonnement, plusieurs élèves de la classe vinrent la rejoindre pour engager la discussion. Pas la peine de vous préciser que c'était le genre de chose qui ne m'arrivait jamais. A voir tous ces gens s'intéresser à elle, je commençai, avec un léger pincement au cœur, à penser qu'elle avait raison. Peut-être qu'il suffisait de se trouver soi-même beau pour que les autres en fasse de même. Les gens qui ont confiance en eux ont toujours ce charisme incroyable qui n'échappe à l'œil de personne. Il dégage cette force qui vous fait croire que quoi qu'il arrive, rien ne pourra les démonter.
En regardant Queen, bien qu'elle soit dans mon corps, je ressentis cette impression. Ce serait mentir de dire que sa vie était facile, et si son aventure n'était pas plus tumultueuse que la mienne, elle l'était au moins autant. Mais elle était toujours là. Elle était assise bien droite, un grand sourire aux lèvres, l'air inébranlable. Queen était morte, tout comme moi, pourtant, elle avait réussi à se lever et reprendre le cours de sa vie en main (en volant la vie d'une autre, certes). Bien que je ne pouvais pas supporter cette diva, je me mis, comme tous les gens dans la classe, à l'admirer. A cet instant-ci, j'eus envie d'être elle. Pour la première fois de ma vie (mort) j'eus envie d'être moi.
L'assemblée qui se tenait désormais à ses pieds et qui lui mangeait dans la main me brisa le cœur d'une manière si violente que je crus entendre le craquement qu'il provoqua. Je compris que, de mon vivant, j'avais baissé les bras trop tôt. J'avais laissé s'évaporer chaque goutte de mon frêle espoir jusqu'à en avoir le cœur tout sec. Je n'aimais pas ma vie, le fait que j'étais transparente et que tous les jours se ressemblaient. Mais, à la place de changer les choses, j'avais décidé de m'accommoder. Parce que c'est ce que font les humains, ils s'accommodent. C'est tellement plus facile de s'habituer à une situation qui nous est désagréable plutôt que de se battre pour la changer. J'avais pensé avoir bon lorsque je m'étais dit qu'en essayant de faire en sorte que les choses bougent, je n'aurais récolté qu'un échec qui m'aurait rendu plus triste que je ne l'étais. Mais j'avais tort. Le monde est en constante évolution, et moi aussi, j'aurai pu apporter ma part à ce changement. Mais à la place, j'avais préféré m'enliser dans un quotidien qui me déplaisait parce que le changement me faisait peur. Désormais, je m'en mordais les doigts.
Bien évidemment, comme si cela n'était pas assez, mes regrets ne firent que s'accentuer au fil de la journée. Je crois que le moment où j'eus vraiment envie de me tuer (ça exprime ma colère envers moi bien sûr, puisqu'on peut dire que c'est déjà fait) fut celui où elle rencontra MON Elias. Il était à la sortie de l'école, en train d'attendre Julie. Dès l'instant où je l'aperçus, je me tournai vers Queen en priant Dieu qu'elle ne fasse pas son petit numéro ridicule à Elias. Visiblement, il n'entendit pas mes prières, à moins que les morts qui veulent empêcher un quasi inconnu de détruire leur vie ne soit pas ses affaires.
- Salut Elias ! s'exclama-t-elle d'un ton mielleux.
Je me demandai s'il y avait un moyen d'assassiner Queen sans la jeter sous les roues d'un camion (ce qui risquerait d'abimer mon corps.) Il releva les yeux de son portable pour les poser sur elle. Immédiatement, je vis son regard changer et se transformer en quelque chose qui n'avait jamais été adressé à l'ancienne Serenity.
- Wow, ça change un accident de voiture. Dit-il simplement (avec, je dois l'avouer, un air un peu troublé).
Elle haussa les épaules et sourit de plus belle.
- Faut croire oui. J'ai envie de reprendre ma vie en main.
- Si ça veut dire te faire si belle tous les jours, je suis carrément pour.
Même si ce compliment ne m'était pas adressé, je ne pus m'empêcher de rougir (enfin mentalement, car il n'y avait plus de sang dans mes veines, rappelons-le). Ce petit égarement fut de courte durée, car je me rappelai soudainement qu'il s'agissait de MON Elias, et que Queen n'avait pas intérêt à mettre ses griffes dessus. Je m'approchai d'elle, avec le regard le plus noir que je pus et l'air le plus menaçant, et enfonçai mes doigts transparents dans son épaule, du moins, essayai.
- Tu ne t'approches pas d'Elias, ok ? Voler ma vie, pourquoi pas. Mais il est absolument hors de question que tu me voles Elias.
Elle continua de sourire à l'élu de mon cœur en m'ignorant totalement, et fit mine de se gratter l'épaule pour dégager ma main. Face à ce spectacle, Julie avait au moins une mine aussi déconfite que la mienne.
- Du coup, tu me raccompagnes ? Enfin, si ça ne te dérange pas. Ca me fait un peu peur de me balader toute seule avec ces béquilles, il y a des endroits où le trottoir est glissant.
Elle battit des cils et, horreur, il répondit :
- Pas de problèmes.
Puis il se tourna vers sa sœur qu'il venait de laisser en plan.
- Ca ne te dérange pas ? lui demanda-t-il.
- Non. Marmonna-t-elle.
Et elle s'empressa de tourner les talons et partit. Génial, avec tout ça, Julie allait être en colère contre moi. Bravo Queen.
Le temps que je regarde ma meilleure amie s'éloigner, Queen et Elias étaient déjà en train de partir dans le sens opposé. Je me mis à trépigner comme une gamine capricieuse sur le trottoir. Je sautai à pieds joints sur moi-même, fronçai les sourcils, serrai les poings et sortis des injures que je ne citerais pas. Pourquoi, mais pourquoi toute ma vie était en train de glisser entre mes doigts ? Queen était en train de saccager l'équilibre que j'avais créé. Dans le meilleur des cas, si je retrouvais mon corps, plus rien ne serait comme avant. Plus rien ne serait pas avant, et cette affirmation était la quintessence de ce qui m'effrayait. J'étais désaxée, sans aucun repère et rien pour m'accrocher. J'étais seule et impuissante. Cette situation qui semblait insurmontable était en train de m'étouffer, horrible poids sur ma poitrine sans vie. Je crois que je me mis à faire une crise panique. Quelque chose en moi lâcha, comme lorsque l'on étire trop un élastique, et je pétai totalement les plombs. Je me mis à courir dans la rue en hurlant à la mort. Parfois, je traversai le corps des passants, mais rien ne m'arrêtai, rien ne pouvait me sortir de ma folie, rien ne pouvait me sauver. C'était la fin des temps. Personne ne m'entendait, et pourtant, je criais, j'attendais quelque chose, un signe, qui vienne et me porte. Je voulais mourir, pour de vrai, pas rester coincée ici en étant spectatrice de tout ce que je ratais. Je voulais faire quelque chose. Je voulais être vivante, je voulais être morte. Je courus très loin en l'attente d'une réponse. J'étais totalement confuse, je ne savais plus qui j'étais, ni même ce que j'étais. J'aurais pu courir très longtemps, même infiniment, mais il y a toujours une force surnaturelle qui vous ramène à la raison. Je me stoppai enfin, perdue au beau milieu de nulle part devant un immeuble terne aux nombreuses fenêtres. Des pompiers en sortirent, poussant un brancard sur lequel reposait une jeune fille. Ils semblaient paniqués et criaient des choses que je ne comprenais pas, tant j'étais déconnectée de la réalité. Je restai figée, à observer le triste tableau des deux hommes désespérés qui tentaient tant bien que mal de maintenir cette jeune fille en vie. En vain.
Je vis son âme lentement se décrocher de son enveloppe corporelle et s'élever au-dessus de celle-ci. Elle contempla son corps, l'air sereine, puis releva la tête. Elle me vit, et m'adressa un sourire chaleureux. Ce sourire sonnait comme une réponse. Elle agita la main pour me faire coucou, baissa les yeux vers son corps et me sourit de nouveau, avant de partir vers un monde que je n'avais pas réussi à rejoindre, afin de disparaitre à tout jamais. On aurait dit qu'elle me disait que c'était ça ma chance. J'avais vu dans son regard calme et paisible qu'elle me disait « Vas-y, fais-le, n'aie pas peur ». Elle m'avait incité à agir, pour une fois, et arrêté d'être spectatrice de ma propre vie. Alors, c'est ce que je fis. Pour une fois, j'avais totalement confiance en moi, car il me semblait que cette inconnue venait de me donner LA réponse. Je m'approchai de son corps, et à mon tour, je volai la vie d'une inconnue.
Car, dans mon cas, la réponse à la mort, c'était la vie.
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