26. A l'article de la vie


« Tout se passa ensuite très vite. En réalité, tout baigne dans un flou étrange, comme dans un rêve duquel on vient juste d’émerger. Je me rappelle de l’agitation, de moi qui m’engouffre dans la voiture, suivie de près par Nick qui courrait. Je me souviens parfaitement du son de l’alarme du manoir, des cris des Blackwood, du moteur qui démarre et d’un long, long soupire. Que s’est-il passé ensuite ? J’ai du mal à le dire. On s’est caché quelques temps, de peur que les hommes des Blackwood nous retrouve. Je suis incapable de vous dire ce qu’il s’est passé durant cette semaine où nous étions cachés dans ce vieil entrepôt abandonné. On dirait que mon esprit a voulu effacer les évènements, sans doute pour me protéger. Je ne peux tout simplement par revenir vers cette période étrange de ma vie. Le reste de l’histoire, vous la connaissez. La photo de la salle où les Blackwood entreposaient leurs armes que Nick a posté sur tous les réseaux sociaux, les médias qui s’emparent de ce nouveau scandale, qui cherchent de nouveaux héros dans une bande de gamins perdus…»

Je mentais en lui disant que j’avais presque tout oublié, que ce qu’il s’était passé s’était tout simplement effacé de ma mémoire. C’était totalement faux. Mais il m’était impossible de lui ouvrir mon cœur de cette manière. Elle aurait sans doute tout exagéré, fait de mon histoire une romance qui ferait rêver toutes les filles. Mais mon histoire était loin d’être une romance mêlée de drame et d’actions. C’était juste une vie banale qui soudainement avait pris un chemin tout autre.

Voilà donc comment s’est vraiment conclue cette soirée-là, et comment l’histoire de Sarah s’est vraiment achevée pour laisser place à la mienne.

Je m’enfuie de l’antre des Blackwood et atterris dans la voiture dans laquelle Shade m’attendait. Presqu’en même temps que moi, j’entendis la portière arrière claquer, et le « Démarre, démarre ! » de Nick. Une alarme stridente s’était mise à résonner au loin. Shade, concentré, avait les mains crispées sur le volant. Ses yeux étaient fixés sur la route, ses lèvres serrés, son front plissé. Derrière moi, Nick était en train de crier toutes sortes de choses que je ne comprenais pas. J’étais détachée de la réalité, immobile, comme perdue dans un étrange rêve. Je ne réagis même pas quand Nick me montra les clichés qu’il avait pris. On voyait toutes sortes d’armes, de fusils et de grenades, rangés soigneusement dans une pièce, méticuleusement. Il dû prendre mon silence pour de la surprise. Tout cela semblait si faux. J’eus l’impression que ma vie ne m’appartenait pas et ne m’avait jamais appartenue. Même si elle était morte, je n’avais fait que suivre le chemin de Sarah. J’avais continué son histoire sans me préoccuper de la mienne. Je réalisais que je n’avais aucun but, désormais que le secret que Sarah avait tenté de découvrir de son vivant avait été dévoilé. Rien ne semblait me rattacher à la terre, j’étais un spectre immobile, flottant dans le monde des vivants. Cette pensée serra mon cœur et je tournai la tête vers Shade, toujours aussi concentré. Etait-il à moi ou à Sarah ? Avais-je fini par le gagner, avais-je reçu son amour de mes propres mains, ou de celle qui m’avait prêté son corps ? Pour moi, c’était si difficile de faire la différence.

Shade nous conduit dans un endroit du Red District que je ne reconnus pas. Nous nous dirigeâmes en silence jusqu’à un entrepôt désaffecté. Il y faisait froid, mais des couettes avaient disposées au sol ainsi que de la nourriture. Je compris que Shade avait pensé à tout au préalable.

– N’oublions pas que nous avons sûrement des hommes dangereux à nos trousses, lâcha Shade.

Et ce fut pratiquement tout ce qu’il dit de la soirée. Assis autour d’un feu que nous avions allumé, je discutais de notre découverte avec Nick.

– A quoi peuvent donc servir toutes ces armes ? demandai-je.

– Nous le découvrirons bientôt, mais c’est la police qui s’en chargera. Nous en avons déjà fait assez.

Nous nous couchâmes assez rapidement, sans doute pour remplacer cette journée par un rêve plus agréable. Allongée aux côtés de Shade, je l’observai faire semblant de dormir. Je le connaissais assez pour savoir qu’il était incapable de trouver le sommeil. Il finit par ouvrir un œil accusateur et le tourner vers moi.

– Tu ne penses pas que tu devrais essayer de dormir à la place de me fixer comme ça ?

Je poussai un soupir et me tournai sur le dos.

– Tu n’as presque pas dit un mot de toute la soirée.

Ce fut à son tour de soupire. Un silence s’installa entre nous avant qu’il réplique :

– C’est juste que j’ai eu peur. Et que je suis en colère contre toi, parce que tu veux toujours te mettre en danger. Pourquoi tu fais tout ça ? Pourquoi tu t’embarques dans de telles histoires ?

Je roulai sur le côté pour le fixer. Mes yeux s’étaient mis à scintiller à cause des larmes que je retenais.

– Je le fais pour Sarah.

– Pour toi-même ?

– Non, pour Sarah.

Incapable de supporter son regard rempli d’interrogations, je fermai les yeux et fis mine de m’être soudainement endormie.

– Tu penses franchement que tu vas t’en sortir comme ça ? Est-ce que tu peux arrêter de fuir 5 minutes pour me regarder dans les yeux et dire ce que tu as sur le cœur clairement ?

Je restais immobile, feignant toujours un sommeil peu réaliste. Il empoigna mon poignet et me força à le regarder.

– Sarah, à quoi tu joues ? s’énerva-t-il.

– Chut, tu vas réveiller Nick.

– Sarah, à quoi tu joues ? répéta-t-il en chuchotant cette fois-ci.

Je compris qu’il était temps que je lui fournisse une explication. Cependant, il était impossible que je lui dise la vérité, de risque qu’il ne la prenne pour un nouveau mensonge.

– Est-ce que c’est notre physique, notre corps, qui définit réellement qui nous sommes ? Car j’ai l’impression de ne plus être Sarah Orwell. En fait, c’est même plus qu’une impression. Je ne suis plus Sarah Orwell. Je vis dans la même maison, je fréquente les mêmes gens et pourtant… Ce n’est plus moi. Ce n’est plus elle. Et j’agis si bizarrement parce que je me sens encore souvent perdue dans cette vie qu’est la mienne. Je suis comme ça parce que j’ai l’impression que je n’ai pas le droit de vivre. J’aurais dû mourir ce jour-là, et pourtant, je suis encore ici, à tes côtés, et je respire. Et j’ai l’impression que je ne mérite pas cette seconde chance. Que c’est totalement injuste. Alors j’ai fait tout ça, je me suis embarquée dans cette histoire comme tu dis, parce que j’ai l’impression que c’est ce que l’ancienne Sarah aurait voulu. Sauf qu’entre temps, il s’est passé pleins de choses, dont toi. Dont toi. Toi qui est l’héritage d’une ancienne vie, un héritage que je ne mérite pas non plus, comme tout le reste. J’avais l’impression que la seule raison pour que je sois ici était de découvrir ce que renfermais la salle secrète des Blackwood, mais maintenant que c’est fait… J’ai l’impression que je ferais mieux de disparaitre.

Son étreinte se fit plus forte. Malgré l’obscurité, je pus discerner tout le trouble qui se baladait dans ses yeux.

– Pourquoi tu ne m’as jamais demandé ce que je pensais de tout ça ? Tu ne crois pas que j’avais remarqué qu’il y avait devant moi une nouvelle Sarah ? Tu ne crois pas que je sais pertinemment que je ne retrouverais jamais la jeune fille que je connaissais, qui a sauté d’un toit ?

La colère faisait trembler sa voix. Si je n’avais pas vécu longtemps à ses côtés, j’aurais presque pu croire qu’il allait briser mon poignet.

– A ton avis, pourquoi j’étais là pendant tout ce temps ? Tu me penses aussi stupide ? J’ai fait mon deuil, j’ai enterré l’ancienne toi !

Il rapprocha son visage du mien pour me transpercer à l’aide d’un simple regard qui me cloua sur place.

– Pourquoi je suis toujours là à ton avis ? Pourquoi ?

– Je ne sais pas, fis-je d’une petite voix.

– Parce que j’ai découvert une personne nouvelle. Une personne que j’ai appris à apprécier. Une personne dont je suis tombé amoureux. Une personne dont j’aimerais qu’elle me laisse prendre soin, dont j’aimerais avoir une place plus importante dans sa vie. Mais tu sais quoi ? Cette personne n’accepte pas cette amour parce qu’elle manque de confiance en soi malgré le fait qu’elle soit une personne extraordinaire, beaucoup plus forte et courageuse qu’elle ne l’imagine. Elle pense aussi que j’aime quelqu’un d’autre, une personne qui n’existe plus, alors que pendant tout ce temps, mes yeux n’étaient posés que sur elle.

Il n’y avait plus aucune trace de colère dans sa voix. J’en déduisis que c’était le moment parfait pour l’embrasser, ce que j’avais envie de faire depuis un bon moment déjà. Nos visages se rapprochèrent, trop vivement, et nos fronts se cognèrent. Nous éclatâmes de rire. Il ouvrit un bras et je vins me loger contre sa poitrine.

– Viens ici mam’zelle.

Cette fois-ci, nous réussîmes à nous embrasser convenablement. Ce fut un baiser maladroit, certes, mais de loin le plus délicieux de toute ma vie. Car il était la preuve que j’avais le droit de vivre, et que je pouvais enfin le faire.

« Suivez-vous de près le procès des Blackwood pour la vente d’armes à un groupe terroriste ? » demanda la journaliste en face de moi.

Ma gorge se serra légèrement, bien que j’avais pris l’habitude de ces questions qu’on me posait.

« Au début, oui. Mais je crois m’être beaucoup trop investie de cette affaire pour la suivre de loin désormais. Je veux me détacher totalement de tout ça. La suite de cette affaire est dans les mains de la justice maintenant. »

Je souris et la regardai prendre en notes tout ce que je disais. Elle me posa encore d’autres questions pour son article et me libéra.

J’avais encore beaucoup de chemin à faire. Beaucoup de choses à surmonter et à accomplir. Mais une chose était sûre, j’étais enfin vivante.

NDA : Voilà la fin de cette histoire (enfin!). Je suis Désolée, je sais bien que  ce n'est pas terrible, mais j'espère que vous n'êtes pas trop déçu de la tournure des choses. J'espère que vous avez aimé lire cette histoire, et je vous remercie du fond du coeur si vous êtes parvenu jusqu'ici. Je vous fais des bisous, et bonne continuation ! ♡

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