21. Mauvaise surprise à la porte


L'appartement était de nouveau rempli de la présence de Shade. Assise dans le canapé dans une position de médiation, je songeais encore une fois à ma rencontre avec les Blackwood. Bien que l'idée de me contrer à Arès une nouvelle fois ne m'enchantait guère, une partie de moi était excitée à l'idée de peut-être ouvrir la porte codée. Je me demandais comment faire pour détourner l'attention des Blackwood assez longtemps pour parvenir à m'engouffrer dans la salle secrète. D'autant plus qu'il y avait de fortes chances qu'ils sachent que je possédais le code. S'ils étaient en contact avec A, celui-ci les avait sûrement prévenus. De plus, les Blackwood, s'ils n'étaient pas stupides, allaient forcément renforcer la vigilance autours de la porte. Plus j'y pensais et plus je me disais que mon projet était de la pure folie. J'allais m'engouffrer seule dans la fosse aux lions. Il aurait été tellement plus simple de régler mes différents avec Arès et de partir sans faire d'histoire. Après tout, j'étais en train de me mêler de ce qui ne me regardait pas, et j'avais déjà assez de problèmes pour m'en rajouter. Seulement, j'avais le sentiment que ce que j'étais en train d'entreprendre était quelque chose de grand. Quand j'étais Serenity, j'avais baissé les bras tant de fois que je ne pouvais pas me permettre de le faire de nouveau. Pour une fois, j'allais faire quelque chose jusqu'au bout.

J'entendis un grognement guttural provenant de la salle de bain. Je me levai d'un bond et me rendis immédiatement à la salle de bain. Shade, assis sur un petit tabouret, était en train d'essayer de changer l'énorme bandage qui recouvrait sa poitrine tout seul. Je ne pus me retenir de lever les yeux au ciel.

–Shade, combien de fois t'ai-je répété que si tu voulais changer ton bandage tu n'avais qu'à me le demander ?, m'exaspérai-je.

Il leva vers moi des yeux remplis de frustration et de colère.

–C'est bon, je me débrouille très bien seul.

Comme pour démanteler son propos, il se mit à se battre avec son bandage en gesticulant. Son visage se tordit en une grimace de douleur. Je m'agenouillai auprès de lui et posai ma main sur son épaule.

–Arrête de bouger. Le médecin a dit d'éviter les gestes trop brusques.

Il s'exécuta et prit un air excédé qui me fit rire. Il ressemblait au petit garçon de six ans boudeur que j'avais connu. Enfin, que Sarah avait connu. Plus le temps passait, et plus mes souvenirs se confondaient avec les siens. Je réalisai comme j'étais proche de lui à cet instant. Ayant une pensée pour Elias, je me rendis compte que celui-ci n'avait pas effleuré mon esprit depuis plus d'une semaine, alors qu'il était censé m'avoir brisé le cœur. C'était si facile d'aimer Elias. C'était comme s'il y avait un interrupteur qui contrôlait mes sentiments, me permettant de les mettre en mode off dès que je le souhaitais. En ce moment, mes sentiments envers lui semblaient s'être évaporés. Je pouvais même m'assurer qu'il ne m'intéressait plus. C'était tellement facile d'aimer Elias. C'était tellement facile d'aimer un garçon que je n'aimais pas.

Malgré mes maigres connaissances en amour, j'avais lu assez de livres pour savoir que les sentiments sont impossibles à contrôler, ce ne sont pas des lumières qu'on peut éteindre quand on choisit qu'on préfère le noir, comme je le faisais avec Elias. Les sentiments, d'après moi, c'était comme observer le torse nu de Shade et d'avoir une irrésistible et incompréhensible envie de faire le contour de tous ses tatouages du bout des doigts.

Je levai la tête vers son visage et cachai mon trouble derrière un air sévère.

–Tu ne penses pas que c'est mon tour de m'occuper un peu de toi ?, demandai-je.

Il haussa les épaules, l'air indifférent.

–On a toujours fait dans l'autre sens, et ça a toujours marché, sourit-il.

Je répondis à son sourire tout en retirant précautionneusement son bandage usé.

–Mais bon, c'était une année bizarre. On dirait que tout a changé entre toi et moi.

Sans savoir pourquoi, cette phrase me fit rougir. Je pris de quoi lui faire un nouveau bandage et l'appliquai sur son torse avec prudence. Je ne voulais pas lui faire mal, et de plus, je n'osais plus toucher sa peau nue, comme si je risquais de déclencher un évènement irréversible. Une fois mon travail fini, je reculai, les joues brûlantes. J'avais envie qu'il remette son tee-shirt, pour que j'arrête de me sentir aussi déstabilisée. Ce fut à son tour de se moquer de moi.

–Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu en fais une drôle de tête ! Rassure-moi, ce n'est pas parce que je suis torse nu ? Allons Sarah, on prenait des bains ensemble quand on était gosses !

– Bien sûr que non !, répliquai-je du tac au tac.

Mais j'eus du mal à trouver des arguments pour prouver mes dires. Finalement, je poussai un soupire.

– C'est toujours la même chose avec toi. Tu tournes tout en dérision, soufflai-je.

Puis je quittai rageusement la salle, plus énervée que je ne l'aurais cru.

C'était l'après-midi, j'étais en train d'étendre le linge sur le balcon quand quelqu'un vint sonner à la porte. Une pince à linge coincée entre mes lèvres, je réussis à articuler :

– Shade, va ouvrir s'il te plait !

Je me remis à mon travail, tendant l'oreille pour écouter ce qu'il se passait. Sûrement quelqu'un de la pub ou un témoin de Jéhovah. Je crus entendre des protestations.

– Tout va bien, Shade ? Qui est-ce ?

Je ne reçus aucune réponse. Cette fois-ci, les cris m'apparurent clairement. Mon cœur se mit à battre à tout rompre. La phrase de monsieur A me revint en tête « Je ne serais pas aussi clément la prochaine fois. ». Je lâchai le tee-shirt humide que je tenais pour me ruer vers l'entrée. Deux hommes se tenaient sur le pas de ma porte, l'air menaçant. Shade s'opposait à eux pour les empêcher de rentrer. Je me rappelai mon rôle premier : protéger Shade, tout faire pour le tenir à l'écart de mes affaires. Je me glissai à ses côtés et fixai les deux hommes. Je croisai les bras en priant pour qu'il ne décèle pas ma peur.

– Vas-t-en Shade, tout va bien, assurai-je.

Bien sûr, aussi têtu qu'il était, il refusa d'obtempérer.

– Laisse tomber Sarah, je vais m'occuper d'eux, grogna-t-il.

Ses yeux remplis de colère provoquaient les deux hommes. Oubliait-il qu'il était blessé ou était-il tout simplement stupide et inconscient ?

–Je t'ai dit, vas-t-en Shade !, criai-je en emplissant mon ton d'autorité.

A vrai dire, je n'avais jamais haussé le ton aussi haut avec lui. Il dut comprendre qu'il se passait quelque chose de grave, car il accepta d'obéir, non sans me lancer un dernier regard en coin. Je fixai les deux hommes droit dans les yeux, voulant leur faire comprendre qu'ils ne m'impressionnaient pas.

– C'est notre dernière proposition, Sarah. Tu nous laisses entrer, tu nous passes gentiment le code, et ni toi ni ton ami ne seront blessés.

Les ordures, ils utilisaient Shade pour me faire chanter. Pour rien au monde, je ne pouvais leur rendre le code. Je préférais donner ma vie plutôt que de mettre ces précieux numéros entre leurs mains sales.

– Vous perdez votre temps ici. Vous vous trompés de cible. Votre fameux code n'est pas ici.

– Sarah, c'est la dernière fois que nous te le demandons, m'avertit l'homme.

Ma réponse demeurait la même : le silence. Le second homme, qui restait jusque-là à l'écart, s'avança brusquement et me poussa si fort que je fus projetée un mettre plus loin. J'avais sous-estimé leur force et surestimé la mienne. J'avais omis un détail de haute importance : malgré toute ma motivation, je restai cette brindille qui ne pouvait pas faire le poids contre deux armoires à glace.

Je me relevai mais c'était trop tard, les deux hommes avaient déjà renversé mon lit et mon bureau. Les papiers volaient dans tous les sens tandis qu'ils fouillaient avec énergie, à la recherche du code. Heureusement, je n'avais pas été stupide et avais changé sa cachette. Je l'avais glissé dans la petite boîte à musique violette, invisible aux yeux de tous. Avant que Shade entende tout ce raffut et veuille intervenir, je me jetai sur le dos de l'un des hommes pour l'empêcher de continuer ses recherches. Il gesticula dans tous les sens mais je tenais bon, fermement agrippée à ses épaules.

– Vous ne trouverez rien ici !, criai-je.

Je continuais de faire du rodéo sur le dos de l'homme quand quelque chose de métallique apparut dans mon champ de vision : le second homme était en train de pointer son arme sur moi. Je sentis tous mes muscles se transformer en chamallow. J'avais eu tort quand j'avais dit que je n'avais plus peur de rien. Son arme pointée sur ma tempe me fit perdre tous mes moyens. Mollement, je glissai le long du dos de l'homme. Désormais, je pouvais sentir le pistolet glacé sur ma peau.

J'avais perdu.

– C'est simple, tu nous donnes le code où je te fais sauter la cervelle, cracha-t-il.

Je tremblais comme une feuille. Je ne voulais pas mourir, pas encore une fois. J'étais trop jeune, et je n'avais pas encore assez vécue. Je ne pouvais pas partir en laissant Shade derrière moi, ni même Baudelaire et toutes les personnes que j'avais rencontrées. Je tenais à ma vie, mais je tenais au code. Aussi, je rassemblai les dernières miettes de courage qu'il me restait et prononçai ses mots :

– Vous ne pouvez pas me tuer. J'ai prévenu un ami qui se je venais à disparaitre, il aurait à lire le message que je lui ai laissé. Et devinez ce que j'avais écrit dessus ? Je vous donne un indice, il y a des numéros dedans.

Un violent coup à l'arrière de mon crâne me fit taire. J'espérai de tout cœur qu'il ne devinerait pas qu'il s'agissait d'un mensonge.

– Sarah ?, fit Shade depuis une autre pièce.

Oh non, pas lui. Il ne devait pas intervenir, pas maintenant en tout cas. L'homme qui se tenait devant moi sourit.

– Tu as raison. Si ce n'est pas toi, ce sera lui.

Mon cœur s'arrêta de battre. J'eus la certitude que cette fois-ci, c'était la fin. J'allais leur rendre le code quand soudain, deux mains m'attrapèrent et me tirèrent, me délivrant de l'emprise d'un des hommes. Celui qui était armé se tourna vers mon mystérieux sauveur.

– Petit, lâche la fille et tu auras la vie sauve.

Le deuxième homme, le visage déconfit, se pencha et lui chuchota quelque chose à l'oreille. Il baissa son arme, aussi dépité que l'autre.

Je n'eus pas le temps de comprendre ce qu'il se passait. Les mains m'entrainèrent à leur suite sans que je ne puisse réagir. En un rien de temps, nous nous trouvions sur mon balcon, où une échelle qui nous menait vers le bas de l'immeuble avait été dressée. J'entendis un des hommes crier :

– Il ne faut pas les laisser s'échapper, quitte à blesser le garçon !

On me poussa et mes mains s'accrochèrent à un barreau de l'échelle. Me surplombant, le visage déformé par l'inquiétude, je pus enfin voir qui était le mystérieux garçon qui m'avait sauvé la mise.

– Dépêche-toi bon sang, on n'a pas de temps !, cria-t-il.

Entrainée par une montée d'adrénaline, je descendis à toute vitesse l'échelle, suivie de près par Nick.


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