17. Le vent Zéphyr a soufflé
- Je continue de penser que ce rendez-vous est une mauvaise idée.
Shade venait de faire interruption dans ma chambre, appuyé contre le cadran de la porte, le visage figé dans une expression soucieuse. Pourquoi devait-il toujours essayer de tout contrôler dans ma vie ? Je levai les yeux au ciel tandis que je reposai le tas de robes que j'avais dans les mains sur mon lit. Je croisai les bras et imitai son expression contrariée.
- Zéphyr est mon ami. J'ai bien le droit de le voir.
- Un ami ? Ce mec est flippant. D'après ce que j'ai compris, sa demande de rencontre n'avait rien d'amical.
Sur ce coup-là, il n'avait pas tort. Zéphyr m'avait plus ordonnée de le rejoindre à sa maison plutôt qu'invitée. Il s'était montré bizarre, mais je savais qu'il était un ami de confiance et que ce rendez-vous allait m'apporter des informations sur Sarah. C'était tout ce que je demandais.
Je n'étais pas d'humeur à argumenter, alors je retournai à mes robes. Zéphyr m'avait dit qu'il m'invitait à un repas de famille et qu'il fallait bien m'habiller. Il avait aussi précisé qu'il allait me présenter comme sa petite amie. Sa famille était très conservatrice, et pour eux, il était hors de question que leur fils soit intéressé par les garçons. Il était donc indispensable que je fasse bonne impression. J'attrapai les trois robes que j'avais sélectinonées et les plaçai devant ma poitrine pour les montrer à Shade.
- Plutôt que de me faire la morale, dis-moi laquelle est la mieux.
Il croisa les bras, et mes yeux s'attardèrent sur ses bicepts qui apparurent. Il était plus musclé que je le pensais. Enfin bref, la question n'était pas là.
- Aucune. Tu as des goûts de chiottes Sarah.
Encore une fois, je levai les yeux au ciel et lui fit dos.
- Je savais que demander un conseil vestimentaire à un garçon qui ne porte que des tee-shirts blancs était une mauvaise idée. Lâchai-je d'un ton moqueur.
J'éliminai une des trois robes, qui faisait trop sainte nitouche d'après moi. Il en restait une noire très simple, large avec les manches bouffantes, et une autre robe rose pâle avec un tissu très fluide qui ressemblait à du satin, serré à la taille. J'hésitais toujours. Prendre des décisons n'avait jamais été mon fort, même lorsqu'il s'agissait de robes.
- Ecoute, la meilleure solution est que je les essaye et que tu me dises celle qui me va le mieux.
- Oh non, je ne veux pas jouer les juges ! A quoi ça sert de toute façon ? Tu as le corps d'une fille de 7 ans.
Sur ces paroles, il se détacha du mur et s'apprêta à partir. J'attrapai sa main.
- Tss tss tss, tu restes là toi.
Je le tirai et l'obligeai à s'asseoir sur mon lit.
- Je reviens dans 2 secondes. Promis-je.
Je partis vers un endroit à l'abri des regards et l'entendit soupirer « Heureusement que je suis un meilleur ami génial. ».
Je revins peu de temps après, vêtue de la robe rose. Il éclata de rire en me voyant, ce qui me fit sentir comme si j'étais une moins que rien.
« Tu ressembles à un malabar écrasé. » fut son verdict. Je lui balançai ma chaussure dans la tête pour le remercier de son avis. Je partis essayer ma seconde tenue. Quand je revins, il se terra dans le silence. Je voyais bien qu'il manquait d'inspirations pour une de ses remarques placides. Il m'observa longuement, tandis que je le fixai, un sourcil levé. C'était la bonne.
- Ça en jette, hein ?
Je tournai sur moi-même pour qu'il puisse mieux admirer le résultat. J'étais satisfaite de moi-même, ce qui arrivait rarement en ce moment. Il se racla la gorge et retrouva l'usage de sa voix.
- Je n'irais pas jusque-là, mais disons que ce n'est pas trop moche.
Je savais que c'était sa manière à lui de me dire que c'était beau.
- Quel mauvais menteur tu fais. Riais-je en partant remettre mes vêtements.
Il ne trouva rien à répliquer.
Dans le métro qui me menait au Blue District, je me demandai si je n'en avais pas trop fait. Les habititants du Red District qui étaient présents à mes côtés me détaillaient tous du regard avec curiosité. Je pouvais les comprendre, je faisais tâche dans le tableau. Quand ils étaient tous vêtus de jogging et pull rongés par les mites, je portais une robe apprêtée, mes cheveux bleus étaient bien soignés et mes lèvres étaient teintées de rouge. Je ne pus soutenir leur regard, presque honteuse de me trouver si belle en ce soir quand certains avaient à peine de quoi se nourrir. De plus, je me sentais étrangère dans mes vêtements. Ce n'était ni mon style, ni celui de Sarah, mais celui d'une fille susceptible de plaire à la riche famille Blackwood. Mon maquillage, mes cheveux bouclés pour l'occasion, mes chaussures à talon n'étaient qu'un mensonge pour donner l'illusion que j'étais une fille fréquentable. Je n'en étais pas une. Si j'avais encore été Serenity, j'aurais tout fait pour éviter Sarah. Et croyez-moi, j'ai mes raisons. Je me connais bien. Même si côtoyer les habitants du Red District a élargi ma vision du terme fréquentable, je savais que les filles fréquentables ne lavaient pas le sang qu'il y a sur leurs mains aux alentours de minuit. Parfois, Sarah me faisait peur. Mais le problème, c'était que Sarah, c'était moi.
Mon cauchemar récurrant me hanta durant tout le trajet, jusqu'à ce que je m'échappe du métro et qu'une autre hantise me rattrappe : j'allais manger avec les Blackwood. Je sentais déjà leurs regards remplis de jugements me transpercer. Mon estomac se noua lorsque j'arrivai devant leur immense maison. C'était un manoir imposant à la façade aux briques blanches et aux tuiles noirs. Cet étrange contraste me mit mal à l'aise. J'avais un mauvais pressentiment. Tout mon être me criait que ma place n'était pas ici et que je devais rapidement partir, en courant si possible. Cependant, je n'écoutais pas ce que me hurlait mon instinct pour porter ma main au heurtoir, qui représentait un lion avec un anneau dans la bouche. J'attrapai cet anneau et fit trois coups timides. Heureusement pour moi, ce fut Zéphyr qui ouvrit. Je ne me sentais pas le courage d'affronter un autre Blackwood dès l'entrée. Celui-ci portait une chemise blanche mal boutonnée. Il avait retrouvé son sourire radieux et ses yeux candides que je connaissais.
- Sarah, entre donc !
Il profita du fait que je m'approche de lui pour me prendre dans ses bras.
- Tiens-toi à carreaux. Me glissa-t-il durant notre étreinte.
Son ton rieur me parut très sérieux. Il me lâcha et nous traversâmes un couloir au sol de marbre pour arriver dans une immense salle à manger. Une grande table reposait au milieu de la table, avec seulement 4 assiettes dessus. Je compris que les frères et sœurs de Zéphyr allaient être aux abonnées absents. Sa mère, une femme aux lèvres pincées et aux cheveux gris, et son père, un homme au même sourire que son fils et l'air sympathique étaient déjà assis à table.
- Sarah, nous vous attendions ! grinça sa mère.
- Bonsoir monsieur et madame Blackwood, je vous remercie pour votre invitation. Répondis-je, mal à l'aise.
- Allons, trêves de manières ! Installez-vous donc, vous êtes la bienvenue ici. Nous sommes très heureux de vous voir, cela faisait tant de temps que Zéphyr nous promettait de nous présenter sa petite amie. S'exclama le père, l'air jovial.
Zéphyr attrapa ma main pour appuyer son propos et nous nous assîmes côte à côte.
Ses parents ne me jugèrent pas. Ils se montrèrent aimables et prévenants. Nous parlâmes et rirent même ensemble. Cependant, je n'arrivais pas à me débarrasser de ma gêne. J'avais l'impression d'assister à une mise en scène, tout me semblait faux, de leur sourire aux couverts en argent. L'atmosphère empestait le mensonge. J'avais peur de faire valser leur décor en carton et de découvrir la vérité. Une menace planait au-dessus de moi, c'est ce que mon instinct me criait.
Cette hypocrisie me donna presque la nausée. A la fin du diner, je prétextai devoir me remettre du rouge à lèvre pour quitter la table. Je quittais la salle à manger pour escalader les escaliers dans le but de me réfugier dans la salle de bain pour reprendre mes esprits et me convaincre que tout allait bien. Cependant, j'avais oublié un détail : je ne connaissais pas cette maison et je n'avais aucune idée d'où pouvait se trouver la salle de bain. A l'étage, je me perdis dans un dédale de couloirs et portes, toutes différentes et pourtant si semblables. Ouvrant chacune des portes que je croisai, une seule résista à mn action. En m'arrêtant pour l'observer, je me rendis compte qu'un petit boitier se trouvait à côté afin de l'ouvrir à l'aide d'un code. Cela fit immédiatement tilt dans ma tête. Je revis le code que je cachais parmi mes collants. Une goutte de sueur froide coula le long de mon dos. Il fallait que je découvre ce qu'il y avait derrière cette porte. Elle ne pouvait détenir que la réponse aux questions que je me posais à propos du passé de Sarah.
Je me concentrai pour me rappeler les chiffres qui le composait. Rien ne me revint en mémoire. Décidemment, me rappeler des choses importantes n'était pas mon fort. Je me motivai et fit travailler ma mémoire à cent à l'heure. Je devais trouver ce code. Je pouvais le trouver. J'en étais capable.
Un bruit de pas interrompit mon intense concentration et me fit sursauter. Je fis volte-face pour voir qui venait d'arriver. C'était presque le sosie de Zéphyr. Il possédait la même beauté, bien que ses traits soient plus durs et ficelés, et que ses yeux n'aient rien de candides. Ses cheveux bruns et courts tombaient parfaitement sur son visage, son nez était droit, sa mâchoire prononcée et ses yeux ressemblaient au mystère des fonds marins. Il s'agissait d'Arès, le frère né juste avant Zéphyr. Malgré son sourire, il dégageait quelque chose qui me terrifia.
- Excuse-moi de ne pas avoir pu me joindre à vous, je viens de sortir d'hôpital et je ne me sens pas encore très bien. Déclara-t-il.
Sa voix était tellement cassée qu'elle en était presque inaudible. On aurait dit le souffle de la mort. C'était sûrement dû à de nombreuses intubations qui lui aurait abimé les cordes vocales. Je remarquai qu'il s'appuyait sur une canne.
Je ne répondis rien, étant incapable d'utiliser ma voix. Il s'approcha à pas lents. Mes mains devinrent moites. Il me regarda avec des yeux rieurs, et son sourire s'agrandit.
- Que faisais-tu ? Tu es toujours aussi curieuse à ce que je vois, Sarah. Fit-il remarquer.
Alors comme ça, nous nous connaissions. Je n'arrivais pas à me souvenir de lui. Seul un sentiment persistait que je fouillais dans ma mémoire à sa recherche : la terreur.
- Je cherchais la salle de bain. Je me suis perdue. Répondis-je d'une voix sourde.
Il s'approcha encore. J'oubliai comment respirer.
- Tu te perds souvent. Tu devrais faire attention. Il n'arrive jamais rien de bon quand on se perd. Un jour tu vas tomber sur le grand méchant loup, mon petit chaperon rouge.
Je détestais la proximité qu'il avait avec moi. Si j'en avais eu la force, je l'aurais poussé loin de moi. Mais je ne pouvais pas bouger. Chacune de mes cellules s'étaient figées. Il fit un pas de plus. Il était désormais tout près de moi, je sentais son souffle. Il attrapa une de mes mèches de cheveux et l'écrasa entre ses doigts.
- Tu es toujours aussi belle, Sarah.
Je baissai la tête. Je voulais disparaitre. J'avais l'impression d'être piégée, j'étouffais dans une cage invisible. Arès avait raison. Je n'aurais pas dû me perdre, le grand méchant loup m'avait trouvée et s'apprêtais à me dévorer.
- Tu as peur Sarah ? Je peux le sentir.
Il recula et éclata d'un rire qui me glaça le sang.
- Ce n'est pas la peine d'utiliser la violence encore une fois. Je ne te ferais rien voyons, je ne voudrais pas risquer d'arracher ta robe. Tu es si belle dedans.
Ses compliments sonnaient comme une menace. J'avais envie de la bombarder de questions mais j'étais incapable d'ouvrir la bouche.
- En tout cas, tu es toujours aussi têtue et téméraire. A croire que tu ne retiens jamais la leçon. Tu as les yeux plus gros que le ventre. Quand il a essayé de manger le petit chaperon rouge, le loup aurait dû savoir qu'en voulant s'attaquer à l'héroïne, le chasseur allait rappliquer immédiatement et le tuer.
Son ton jusque-là d'une douceur indicible se fit plus venimeux. Je ne savais plus qui j'étais, le petit chaperon rouge ou le grand méchant loup ?
- Dans la vraie version, le loup dévore le petit chaperon rouge et le chasseur n'en a rien à faire. Crachai-je.
Il éclata de nouveau de rire.
- Ton répondant m'avait manqué.
Il se pencha et attrapa mon menton et me contempla comme si j'étais une enfant désobéissante.
- Fais attention, ça pourrait te porter préjudice un jour.
Retrouvant l'usage de mes muscles, j'envoyais valser sa main.
- Lâche-moi. Ripostai-je avant de m'éloigner.
Tandis que je descendais les escaliers, je l'entendis dire « Notre petit secret n'en sera bientôt plus un, Sarah. »
Un frisson parcourut mon échine. J'aurais dû écouter Shade. Ma main qui tremblait sur la rampe en était la preuve, ce n'était pas un pressentiment, mais une réalité : j'étais en danger.
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